Comme avant, sous le cerisier (Kalosshipping)
(Les paysages de cerisiers en fleurs, j'ai toujours trouvé ça très romantique. Quoi de plus beau que de fêter l'arrivée du printemps avec son amoureux, sous un beau soleil et protégé de ses rayons par de magnifiques arbres roses et entièrement fleuris ? Il était de mon devoir de retranscrire cet émerveillement et cette nostalgie dans une histoire !)
Avec X
Un pétale de cerisier se détacha de l'arbre le plus proche. Il voltigea paresseusement dans les airs, remonta brusquement, vrilla dans tous les sens et finit sa course folle en se posant dans la paume de la main ouverte de Xavier. Celui-ci garda les yeux rivés sur le frêle végétal rosé et décida, après un court laps de temps, de souffler dessus pour l'aider à reprendre sa danse éthérée. Ce petit pétale aux nuances si vives ressemblait à un minuscule bateau naviguant avec grâce dans la mer aérienne.
Qui sait où son voyage s'arrêtera pour de bon ?
Peut-être ira-t-il au-delà des nuages, par-delà les océans, dans une autre région ?
Si le vent lui était favorable, pourquoi pas, après tout...
Les prunelles sombres toujours remplies de brume de l'adolescent s'attardaient encore longuement sur le pétale de cerisier qui s'éloignait toujours plus de lui. Ce regard s'était ce jour-là éclairé d'une lueur étrange qui ne lui correspondait en rien : de la joie, teintée de spleen.
Un sentiment enfoui d'apaisement, qu'il n'avait pas ressenti depuis si longtemps, chatouillait son cœur et faisait remonter des souvenirs heureux à la surface.
Un rapide coup d'œil à sa montre ; X n'avait pas de cours avant au moins une heure. Une impulsion soudaine lui fit tourner les talons et ses pas le menèrent dans une direction familière. Un direction vers un endroit où il n'était pas allé depuis des années, et qu'inconsciemment il cherchait à rejoindre dans son élan de nostalgie.
À l'instant où il passa le portail de la maternelle Giratina, les souvenirs affluèrent en lui tel un torrent. À l'heure où les tout-petits faisaient la sieste, marcher dans cette cour lui permettait de retrouver des sensations familières, des morceaux de passé qu'il croyait avoir totalement laissé derrière lui, des bribes d'enfance qui se manifestaient absolument partout.
Dans la marelle tracée à la craie sur le sol, dans le tuyau d'arrosage usé par le temps, dans le petit potager non loin où croissaient des pousses de baies.
Et surtout dans la balançoire.
Cette balançoire sous le vieux cerisier, le plus grand arbre de la maternelle Giratina.
Cette balançoire aux couleurs ternies qui l'avait tant amusé par le passé.
Cette balançoire qui grinçait quand il se balançait et qui lui donnait l'impression qu'avec un peu de persévérance, il pourrait atteindre les étoiles.
Et cette balançoire qui, actuellement, était occupée par une personne chère au cœur de X. Une jolie jeune fille aux longs cheveux caramel couverts des pétales tombant du vieux cerisier était assise sur le siège, ses grands yeux gris rivés sur la coupole du ciel.
Y, qui visiblement avait obéi à la même étrange envie de revenir sur le lieu de leur enfance.
-Tiens ? X, quel hasard ! s'exclama la dresseuse de Grenousse en le voyant approcher. Je ne savais pas que tu viendrais ici !
-Moi non plus, à vrai dire. C'était impulsif, je n'ai pas vraiment réfléchi.
-En tous cas, c'est drôle de se retrouver ici après autant de temps ! On dirait que rien n'a changé...
Une douce mélancolie s'était emparée de la dresseuse aérienne, et sa mine songeuse mais attendrie renvoya X des années en arrière quand ils passaient toutes leurs récrés à s'amuser sur cette balançoire, sous le vieux cerisier. Animé par une nouvelle envie de se replonger dans cet agréable passé, il contourna doucement sa compagne pour se placer derrière elle. Immédiatement, comprenant ses intentions, la jeune fille empoigna fermement les deux extrémités en le prévenant :
-N'y vas pas trop fort, d'accord ? La balançoire est plutôt petite et je ne suis plus... hum... aussi légère qu'avant !
-Compris.
Les mains sur le dos de Y, l'introvert se mit à la pousser doucement. Les pétales accumulés dans sa chevelure tombèrent au sol à mesure que la jeune fille swinguait de gauche à droite comme jadis.
X et Y se sentaient détendus. Reproduire les mêmes gestes qu'il y a si longtemps était curieux mais plaisant, retomber ainsi en enfance était une expérience véritablement enchanteresse.
-Dis, X... tu te souviens ?
-De quoi ?
-De son prénom, au cerisier... On s'était disputé pour lui donner un prénom...
-Oui... Tu voulais l'appeler Nymphéa, parce qu'il avait déjà des pétales roses, et que tu pensais que ça voulait dire que l'arbre était une fille. Et moi, je voulais l'appeler Colosse, parce qu'il était très grand. Dire qu'à la fin, on a fini par l'appeler Casse-Croûte parce que c'était l'heure du goûter...
-C'est mignon, Casse-Croûte. Ça lui va très bien, je trouve. En plus, à cette époque, je pensais que puisqu'on lui a donné un nom à deux, ça faisait de lui notre bébé, ajouta-t-elle sur un ton goguenard.
-À quatre ans, tu voulais qu'on soit les parents d'un arbre ?
X poussa Y un peu plus fort sur la balançoire et la jeune fille déploya ses jambes, secouée par un rire pur et éclatant comme celui d'un enfant. Son compagnon continua de la pousser de façon régulière, au rythme de ses questions. C'était leur histoire commune qu'ils se remémoraient : et ils se surprirent parfois par l'exactitude de leurs souvenirs. Et quand bien même certains demeuraient flous, le simple fait de s'en rappeler, même en partie, suffisait à leur faire plaisir.
Quand ce moment d'amusement innocent hors du temps prit fin, X immobilisa la balançoire de son amoureuse toujours assise, la prit par la taille et posa sa tête sur une de ses épaules. Y posa ses propres mains sur celles de son compagnon, sereinement, avant de l'interroger une dernière fois :
-X... Tu crois que c'est un hasard si nous avons eu l'envie de revenir dans la cour de la maternelle le même jour ?
-Hm, je ne crois pas au destin. Et toi ?
-Peut-être, peut-être pas. Peu importe, en vrai. Je me sens aussi bien avec toi aujourd'hui que je me suis sentie bien avec toi avant, quand on était petits.
X sentit le rouge lui monter aux joues, et appuya ses lèvres contre son oreille pour lui murmurer une parole affectueuse. N'ayant pas l'habitude que son petit ami exprime verbalement ses émotions, la dresseuse aérienne esquissa un sourire heureux, se retourna sur le siège de la balançoire et attrapa ses joues entre ses mains.
Sa peau était fraîche et douce, ses lèvres avaient le goût de son chewing-gum à la menthe favori.
Un pétale du vieux cerisier se détacha de ses branches pour s'envoler vers le ciel turquoise.
Où allait-il, ce minuscule pétale ? Nul ne le savait. Loin, sans doute.
Mais pour l'heure, ni X ni Y ne souhaitaient se trouver autre part que sous l'arbre qui les avait vu grandir, à s'enlacer, à songer de leur passé.
En espérant que d'une manière ou une autre, même après leurs prochaines années, ils pourraient toujours s'y retrouver et posséder de doux souvenirs à partager...
(True story : chaque année à la fin des cours, mon meilleur ami et moi allons dans la cour du primaire de notre école et on flâne un peu partout en regardant si quelque chose a changé par rapport à nos souvenirs. Ça me rassure et ça me rend triste à chaque fois, parce que je me dis que tout change mais aussi reste le même sans moi...)
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