Chapitre 30-2

*En ligne jusqu'au samedi 10 Avril*


La poutre grinça sous mes pieds et des morceaux de plâtres commencèrent à dégringoler. Une lame de hache scintilla dans la faible lumière et tout un pan du plancher se détacha d'un seul coup. Il passa en sifflant à quelques centimètres de moi, effleurant mon maigre support et le faisant tanguer. Accroupie, je m'accrochai comme je le pus et suivis son trajet d'un regard affolé, priant pour qu'il ne tombe pas sur Thomas. Heureusement il l'évita d'un bon mètre et alla terminer sa course dans l'eau noire, éclaboussant les bords de la plateforme. La surface n'était plus loin du refuge de Thomas, mais le tuyau percé ne laissait plus s'écouler qu'un mince filet de liquide.

— Attention ! entendis-je hurler du sommet tandis qu'un bruit assourdissant retentissait.

Une nouvelle portion du plafond céda entrainant avec elle une partie de l'échafaudage. La poutre gémie et se désolidarisa du reste dans un grincement sinistre. Désespérément je tentais de me raccrocher à quelque chose mais je ne trouvais rien que des matériaux lisse sous mes doigts.

— Rose ! entendis-je Cat hurler tandis que je dégringolais.

Son visage déformé par le chagrin et l'impuissance fut la dernière chose que je vis alors que mon dos giflait la surface immobile. L'eau m'avala instantanément, me recouvrant tel un linceul. Résignée, j'attendis la douleur et la morsure cuisante de l'électricité mais... rien. Mes pieds touchèrent le fond et d'une impulsion rageuse je me propulsai vers la surface.

— Rose, Rose, tu vas bien ?! s'époumonait Cat, alors qu'une silhouette accrochée à une corde se balançait au-dessus de ma tête.

Crachant mes poumons et l'eau que j'avais ingurgité lors de ma chute, je la rassurai d'un simple geste de la main, tandis que de l'autre je me maintenais à flot. Il n'y avait pas tant de profondeur que cela mais suffisamment pour que je n'ai pas pieds. Notre sauveur atterrit auprès de Thomas et je le vis se pencher vers lui.

— Comment va-t-il ? demandai-je d'une voix rongée par l'inquiétude.

— Il est toujours vivant mais son pouls est faible, me répondit Uriel en se tournant vers moi, le faisceau de sa lampe torche braqué sur le sol. 

Ses traits, d'ordinaire ouverts et joviales, étaient graves et creusés par la fatigue. Une vilaine balafre courrait de la racine de ses cheveux jusqu'à son oreille gauche, n'ayant évité son œil que de quelques millimètres. Intégralement vêtu de noir, des chaussures jusqu'au baudrier relié à la corde d'alpinisme pendant du plafond, on aurait dit un commando.

— Tu nous a fais peur, lâcha-t-il, laissant paraître son soulagement par le biais d'un léger sourire crispé en me tendant la main.

— Occupe toi de Thomas d'abord, lui dis-je alors que je commençai à claquer des dents dans l'eau glacé.

D'autorité il me saisit par le poignet et me hissa hors de l'eau, sans effort apparent.

— Bien sûr, mais ça ne m'empêche pas de te mettre au sec, avant. Ce n'est pas parce qu'il n'y a plus de courant qu'il faut tenter le diable. En plus tu risquerais d'attraper une pneumonie.

— Nous sommes des loups-garous, je te rappelle. Finis les rhumes et autres grippes, lui répondis-je en dégoulinant, les bras serrés autour de moi pour me réchauffer, sans grand succès.

— Mouais, il se passe tellement de trucs bizarres ces derniers jours... tu peux m'aider ? me demanda-t-il en me montrant le deuxième baudrier pendant à sa taille.

Nous l'enfilâmes à Thomas, toujours inconscient et nous ne fûmes pas trop de deux pour y parvenir. Entre le poids mort du métamorphe, le peu d'espace pour bouger et la corde qui gênait les mouvements d'Uriel, ce ne fut pas une partie de plaisir.

— Où avez-vous trouver tout ce matos ?

— C'est dans des cas comme celui-ci que tu apprécies vraiment de vivre dans la maison d'un survivaliste paranoïaque. Grant doit avoir l'équipement nécessaire pour survivre à la troisième guerre mondiale !

— Il est vivant ?

— Oui, il est en train d'essayer de dégager un passage pour accéder au sous-sol.

— Et Nicolas, demandai-je finalement dans un souffle.

J'avais tellement peur de la réponse que la question me brulait les lèvres depuis que la voix de Cat avait résonné dans mes oreilles sans que je n'ose la poser.

— Je ne sais pas, me répondit-il d'un ton grave alors qu'il commençait à s'élever, Thomas bien calé entre ses bras. C'est le chaos là-haut et... on n'a pas encore retrouvé grand monde. Je suis désolé de ne pas pouvoir te rassurer.

Sa voix disparue en même temps que lui alors qu'ils atteignaient les ombres du plafond et une fois de plus, je me retrouvai seule. Seule avec ma peur et cette béance horrible au creux du ventre. Cette absence, cette incertitude que je ne voulais plus jamais revivre. Je me l'étais promis, même si c'était idiot, plus jamais nous ne serions séparés. Nous ne pouvions pas revivre cela une deuxième fois. « Où es-tu ? », hurlai-je silencieusement au néant alors que l'inquiétude me terrassait.

« Coincés par un glissement de terrain, dans le bois entourant le domaine. »

La réponse mentale m'atteignit comme un missile à tête chercheuse, semblant exploser sous mon crâne. Fusses la douleur, la surprise ou le soulagement, mais le cri qui sortit de ma gorge exprimait tout cela à la fois et plus encore.

« Tu es blessé ? Tu as besoin d'aide ? »

— Rose, ça va ? Qu'est-ce qu'il se passe ? me demanda Cat d'une voix paniquée. 

« Non, rien de grave. Storm est avec moi. Nous allons mettre un peu de temps à nous dégager mais maintenant que je sais que tu vas bien, ça va aller. »

Les deux types de communications se télescopèrent me déchirant le crâne et faisant voler en éclat ma concentration.

— Rien, ça va, répondis-je à Cat avec difficulté, mes pensées essayant de répondre en même temps à Nicolas.

« Qu'est-ce que tu faisais dans les bois ? »

« J'accompagnais Storm jusqu'aux souterrains. »

« C'est eux qui ont explosés ? »

« Franchement, je ne sais pas... »

Un éclair de douleur me poignarda la tempe et je sentis la connexion s'amenuiser, se brouiller alors qu'une immense lassitude m'envahissait. Nicolas aussi était épuisé, ce nouveau mode de communication était très consommateur d'énergie apparemment.

« Économisons nos forces », me souffla Nicolas. « On se retrouve bientôt. »

Le lien s'effilocha et seul un bourdonnement lancinant le remplaça, emplissant ma tête. Une drôle de sensation me traversait et je ne compris que l'on me secouait que lorsque je rouvris les yeux. 

— Rose, tu m'entends ? Qu'est-ce qu'il t'arrive, Rose ? Une nouvelle secousse vient d'avoir lieu, il faut bouger avant que tout ne s'écroule ! Rose !

Uriel me fixait, les yeux écarquillés et le visage ravagé par l'inquiétude.

— Je suis là, ça va, lui répondis-je d'une voix pâteuse et incertaine, comme au sortir du lit. J'ai dû m'assoupir, lui mentis-je sans vraiment savoir pourquoi.

— Il faut que tu passes le baudrier, vite. On doit sortir d'ici. 

Maladroitement, je passais mes jambes dans les boucles et dès que le dispositif fut sécurisé, nous nous envolâmes. La montée fut saccadée mais rapide et nous parvînmes enfin en haut sans autres problèmes à signaler. Cat nous attendait et nous aida à nous hisser, aidée de Luc qui sécurisait la corde. Je m'écroulai sur le sol, toujours coincée contre le torse d'Uriel mais je m'en foutais. Nous étions enfin sortis de ce trou, Nicolas était vivant et je voulais savourer cet infime instant de répit avant d'encaisser les mauvaises nouvelles à venir, car il y en aurait, c'était une fatalité.

Je laissai Luc me déharnacher - c'est dire si j'étais crevée et déconnectée – avant de me redresser et de m'intéresser à mon environnement. Contrairement à ce que je croyais, nous ne nous trouvions pas dans le salon mais sur un parquet ciré qui me rappelait quelque chose.

— On est au premier étage ?

— Au deuxième, en fait, me répondit Cat. Tout un pan de la maison s'est affaissé, emportant la moitié du salon. On vous croyait mort, m'apprit-elle. J'ai cru rêver lorsque j'ai entendu ta voix.

— Vous avez retrouvé tout le monde ?

Elle secoua tristement la tête, des larmes commençant à couler sur ses joues.

— Désolée, je sais que ce n'est pas le moment mais...

Avant qu'elle n'ait le temps de finir sa phrase, je la pris dans mes bras et la serrait très fort. Ce n'était peut-être pas le moment mais nous étions humains - quoiqu'en dises ceux se considérant réellement comme tels – et ce réconfort nous fit du bien, me donnant le courage de poser la question suivante.

— On a perdu qui ?

— Pour le moment, deux personnes seulement mais énormément manque à l'appel, me répondit Luc à la place de Cat.

— Les nôtres ?

— Hormis Uriel, moi et maintenant toi, on a encore retrouvé personne, mais ils ne font pas parti des morts.

— Qui sont-ils, alors ? demandai-demandai-je avec une terrible appréhension.

Je pensais tout de suite à Lyn, à Jenny, Spéra et tant d'autres visages qui défilèrent devant mes yeux. Lesquels de ses yeux s'étaient fermés à jamais ?

— L'humain attaqué par Abby et... Ethan, m'apprit Cat dans un souffle.

— Oh mon dieu, Cat, je suis désolée.

— Le plafond s'est écroulé sur son lit, il...

Elle se mit à sangloter pour de bon et Luc et moi dûmes l'entraîner loin du plancher défoncé. L'escalier menant aux combles où nous nous trouvions était raide et étroit mais toujours debout. Une fois au bas des marches, Cat s'était ressaisie et nous y retrouvâmes Uriel, accroupi au chevet de Thomas allongé à même le sol.

— Comment va-t-il ? demandai-je avec inquiétude.

— Toujours en vie, mais je ne suis pas médecin, me répondit-il dans un soupir fatigué.

— Où est Cooper ?

— Coincé au sous-sol avec Allistaire, les gamins et Lyn, d'après ce que l'on sait, me répondit Uriel d'une voix inquiète. Et personne ne sait s'ils sont toujours vivant.

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