Chapitre 14-1


La magie se dissipa à la seconde où les deux sorciers moururent... en même temps que ma rage. J'avais eu parfaitement conscience de mes gestes et de mes actions et ne les regrettais pas. Mais le reflux d'adrénaline et les effluves métalliques qui envahissaient la cuvette, me laissaient tremblante et vaguement nauséeuse. Cela ne s'arrangea pas lorsque mon regard tomba sur le cadavre de Tulius, à mes pieds. Mon côté humain était écœuré par la vue et l'odeur du sang, mais ma louve, elle, cela la faisait saliver. Je me ruai hors de la déclivité, le plus loin possible des deux cadavres mais dans ma précipitation mon pieds glissa sur la terre meuble et je me retrouvai à plat ventre dans les fougères. Lorsque je relevai la tête, Storm se trouvait au-dessus de moi, la main tendue dans ma direction.

— Comment va Nicolas ? lui demandai-je aussitôt en saisissant sa main.

— Maintenant qu'il est libéré du sort, bien. Cooper est avec lui. Dans cinq minutes, il sera comme neuf, me répondit-il avec un léger sourire. Beau boulot, ajouta-t-il en jetant un œil aux deux cadavres gisant en contrebas.

Je déglutis, essayant de chasser l'odeur douçâtre qui semblait tapisser ma gorge d'un film épais et visqueux.

— On peut s'en aller d'ici ? lui demandai-je en tâchant de ne pas trop inspirer par le nez.

— Tu as des remords ? Tu ne devrais pas.

— Non, lui répondis-je sans hésiter, me sentant encore plus mal lorsque je compris que c'était vrai. Mais c'était si facile, si... naturel. C'était grisant et... c'était mal.

— Tu as sauvé Nicolas. Si tu avais hésité...

— Ils ne voulaient pas le tuer. Si je m'étais retenue, on aurait pu les interroger et...

— ... et quoi, ensuite ? Crois-en mon expérience, ce genre de fanatique ne lâche jamais rien. Au final, tu aurais été obligé de les tuer de sang-froid, vu que les livrer à la police n'est plus une option. Tu crois que tu aurais pu ?

— Non, répondis-je aussitôt. Mais vous, oui ?!

Mon ton désapprobateur sonnait plus comme une affirmation que comme une question et le regard qu'il me lança ne cadrait plus avec nouveau visage.

— J'ai été soldat, puis flic presque toute ma vie. Même si j'ai toujours respecté les règles, pouvoir éliminer ce genre d'engeance sans avoir à se justifier ou rendre de compte à la justice est une amélioration non négligeable. J'ai toujours détesté les lâches, m'expliqua-t-il d'un ton sourd et grondant en m'entrainant enfin hors de cette horrible cuvette.

— Alors vous pourriez vraiment le faire ? Les exécuter... comme ça ?

Il s'arrêta et plongea son regard pailleté de jade et d'or dans le mien.

— Pour être honnête, je ne sais pas. Mais maintenant que les non-humains sont sortis du placard, la justice va devoir s'adapter... enfin, s'ils ne nous éliminent pas tous avant, maugréa-t-il plus bas.

— Mais ces deux hommes étaient humains...

— Non, Rose. Ils ne virent peut-être pas poilu à la pleine lune ou quand cela leur chante, mais ils n'étaient pas humains. Ou du moins, ils ne l'étaient plus.

Nous nous étions éloignés mais l'odeur semblait me coller à la peau. Je déglutis une nouvelle fois, de plus en plus nauséeuse et m'empressai de rejoindre la clairière, Storm sur mes talons. Nicolas et Cooper nous attendaient. Le premier, vêtements ensanglantées et déchirés, fixait le vide l'air sonné, tandis que le second, déjà installé à la place du conducteur, frappait le volant de ses doigts d'un geste agacé.

— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée de s'attarder, nous dit Cooper alors que je m'approchais doucement de Nicolas.

Il tourna les yeux vers moi, sont regard semblant revenir à la vie lorsqu'il m'aperçut.

— Tu vas bien, dit-il dans un soupir soulagé en m'attirant contre lui.

Je me laissai brièvement aller à son étreinte, heureuse de constater qu'il allait bien. Alors que nous allions monter dans la voiture, quelque chose me revint soudain en mémoire.

— Vous avez vérifié le coffre ?

— Non, pourquoi ? me répondit Cooper en sautant immédiatement de son fauteuil.

— L'un des deux sorciers à dit qu'ils avaient deux métamorphes prisonniers, expliquai-je en contournant l'habitacle, la main déjà à quelques centimètres de la commande d'ouverture.

— Attend ! m'interpela Nicolas. C'est peut-être un piège.

Storm et lui se déployèrent aussitôt de chaque côté du coffre, arme à la main.

— Maintenant tu peux y aller, me dit Storm.

J'actionnai le mécanisme d'ouverture, retenant mon souffle. Le hayon se souleva lentement dans un bip-bip électronique assourdissant dans le silence de la forêt, nous dévoilant deux corps entravés et inertes. Les garçons baissèrent aussitôt leurs armes et Cooper et moi nous précipitâmes pour les aider. Ce n'est qu'en me penchant et en approchant mon visage de l'un des deux prisonniers que je le reconnu aussitôt. La peur et l'angoisse me rendirent la force et l'énergie que le reflux d'adrénaline m'avait ôtées et c'est sans effort apparent que j'extirpai le corps de Cat de la voiture. Délicatement je la déposai sur le sol, cherchant son pouls d'une main tandis que de l'autre je sectionnai ses liens avec mon couteau.

— Elle est en vie ? me demanda prudemment Nicolas d'une voix douloureuse en s'agenouillant à nos côtés.

— Oui, son cœur bat, le rassurai-je aussitôt dans un soupir soulagé. Elle doit juste être évanouie. Cooper ?

Le jeune loup, qui était en train de détacher le second métamorphes avec l'aide de Storm, le laissa à ses bons soins et s'empressa de nous rejoindre. Il refit les mêmes gestes que les miens mais je ne lui en voulu pas, reflexes de médecin. Puis il écarta doucement les mèches éparses tombant sur son visage, révélant une blessure récente juste au-dessus de la tempe gauche.

— Elle a été assommée. Je ne vois pas d'autres blessures préoccupantes. Si elle ne se réveille pas dans une heure ou deux, il faudra craindre un traumatisme crânien, mais son rythme cardiaque est bon, je ne crois pas qu'il faille s'inquiéter.

L'angoisse qui me tenaillait s'allégea légèrement tandis que je caressais doucement les cheveux de mon amie. Cooper retourna au chevet de l'autre blessé avant de se tourner vers Nicolas.

— Tu le connais ? Ami ou ennemi ?

Nicolas se redressa à la seule force de ses jambes avant de se rapprocher du jeune homme inconscient.

— Ami. Il s'appelle Kellan, c'est l'un des amis d'enfance de Cat, il a dû rester pour la protéger. Il n'est pas très puissant mais c'est quelqu'un de fiable et il ne manque pas de courage. Il va bien ?

La mine sombre de Cooper n'était pas rassurante, ce que nous confirma bien vite ses paroles.

— Non. Il s'est prit une balle et le projectile n'est pas ressortit. Pour l'instant cela lui évite de se vider de son sang, mais à terme cela pourrait le tuer car elle est très près de son cœur. Seule une opération pourrait le sauver et encore, ce n'est pas une garantie.

— Il faut l'emmener avec nous, nous devons tenter quelque chose, lui répondit Nicolas, la voix serrée.

— Même en se serrant, nous ne tiendrons pas à sept dans l'habitacle, constata Storm.

— Sans compter que le blessé devra être le plus stable possible pour ne pas que la balle ne se déplace, ajouta Cooper. C'est déjà un miracle qu'il est survécu, balloté dans ce coffre sur des chemins pareils. Un nouveau trajet dans les mêmes conditions risquerait de lui être fatal.

— Comme cela risque de le devenir pour nous, si nous nous éternisons ici plus que nécessaire, renchérit Storm, concentré sur les alentours, main sur son arme.

— Shane est encore loin ? demandai-je en me relevant.

— Il ne devrait plus tarder, mais quoi qu'il en soit nous devons rejoindre la route principale. Il ne nous trouvera jamais ici, me répondit Nicolas.

— Mettons la sorcière dans le coffre, c'est la moins gravement blessé des trois, dis-je. Je monterai avec elle au cas-où elle se réveillerait et paniquerait.

— Tu es sûre ? me demanda Nicolas. Vous allez être à l'étroit là-dedans et le trajet risque de ne pas être très confortable.

— De nous quatre, c'est moi la plus menue, c'est le choix le plus logique. Ne t'inquiète pas, je n'ai jamais été claustrophobe.

— Toi, non, mais Whisper c'est une autre histoire. Tu te souviens de ta crise dans le bunker ?

La sensation d'oppression, de panique et d'enfermement qui m'avait submergé à ce moment me revint d'un bloc, comme si j'y étais. Les odeurs, les sons... durant une seconde je fus de retour là-bas, avant que Nicolas ne me secoue, me sortant de ma transe.

— Rose, ça va ? s'inquiéta-t-il le souffle court et ses mains agrippants mes poignets.

— Oui, oui ne n'inquiète pas.

— Tu as eu un flash-back ? me demanda Cooper.

— Oui, mais c'est passé maintenant. Ça va aller, dis-je à Nicolas avec plus d'aplomb que je n'en ressentais vraiment. C'était juste après ma transformation. J'ai plus de contrôle maintenant et ce ne sera pas long.

Je compris à son air inquiet qu'il n'était pas dupe, mais les minutes passaient et nous devions partir de là au plus vite. Storm alla chercher la jeune sorcière à l'arrière et la déposa dans le coffre en douceur, avant d'aller aider Cooper à installer le plus confortablement possible Kellan et Cat. Nicolas m'aida à me hisser dans le coffre de son bras valide et je m'allongeai comme je pus à côté de la jeune femme endormie. Il se pencha pour effleurer mes lèvres d'un baiser avant d'abaisser le hayon en douceur. Il se referma avec un petit claquement sec, nous plongeant dans le noir absolu. 

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