Chapitre 9-2
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Quelques temps plus tard, j'étais confortablement installée sur la banquette arrière de la voiture de Cooper en route vers notre destination, les vitupérations ulcérées de Lyn me cinglant encore les oreilles. Je souris malgré moi en repensant à sa réaction explosive lorsque Storm l'avait appelé « gamine ». Ce dernier, assis à mes côtés à l'arrière, me lança un demi-sourire entendu.
— J'étais sûr de faire mouche, c'était trop tentant ! m'avoua-t-il dans un chuchotement rieur qu'on ne lui voyait pas souvent, néanmoins de plus en plus ces derniers temps.
Nous étions passés si près de le perdre et ce, à plusieurs reprises, que le voir esquisser un sourire et faire un brin d'humour était déjà une grande victoire. Depuis quelques semaines – la mort d'Ivory, en somme – son comportement avait changé du tout au tout. Lui qui était dépressif et suicidaire, s'ouvrait à présent vers l'avenir. Même s'il n'était pas d'un naturel très enjoué et expressif, la différence faisait plaisir à voir.
— Pour une fois que c'est elle qui se fait moucher, moi je dis bravo ! intervint Cooper de derrière son volant.
— Heureusement qu'elle est là pour mettre un peu d'ambiance ! Vous êtes tous tellement sérieux et rabat-joie, réagit Jenny sur le ton de l'humour en donnant un petit coup de coude à Cooper.
Ce dernier rigola mais sans se départir de sa concentration, le regard toujours braqué sur la route.
— Nous ne devrions pas tarder à arriver, ajouta-t-il en sortant de la voie rapide, après avoir brièvement consulter son GPS.
Le voyage s'était déroulé dans un silence tranquille et apaisant, chacun profitant de cet instant de calme pour assimiler les derniers évènements et se reposer un peu. Pourtant, lorsque la voiture commença à enchainer les virages, pénétrant un peu plus à chaque kilomètre dans les profondeurs de la ville, la tension s'installa de nouveau.
Il était presque midi mais en cette journée d'automne, le soleil peinait à transpercer la couche nuageuse, nimbant les rues d'une grisaille triste et fade. Le premier slogan haineux, peint à la bombe rouge sur une poubelle, frappa mes rétines comme un missile.
« À MORT LES MONSTRES »
Virent ensuite les carcasses de voitures brûlées abandonnées au milieu de barres d'immeubles vétustes dont les portes et les murs étaient couverts d'affiches malveillantes invitant à la vengeance et à la haine.
« NON AUX ABOMINATIONS ! »
« VENGEONS NOS MORTS »
« LA TERRE AUX HUMAINS »
« FAISONS PAYER CES ANIMAUX »
Chaque slogan criard, parfois mal orthographié, hurlant ses horreurs en majuscules, semblait poignarder mon cœur un peu plus profondément à chaque lecture. J'aurais voulu baisser les paupières, ne pas regarder toute cette laideur mais je ne pouvais m'en empêcher. Les stigmates de ces deux nuits d'horreurs encore apparent dans le quartier défavorisé que nous traversions. Impacts de balles sur les façades, tâches sombres sur les pelouses anémiques, vitrines de magasins fracassées... tout était là pour rappeler aux hommes les atrocités dont ils venaient d'être victime. Pour qu'ils n'oublient pas, pour que l'envie de vengeance et la haine perdure...
Un silence consterné régnait sur l'habitacle, au diapason des visages fermés et résignés de ses occupants.
— On ne s'y habitue pas, même en les voyants tous les jours, dit Cooper d'une voix triste. Mais même dans le plus sombre des tableaux, on peut trouver une lueur d'espoir, regarde.
Mon regard suivit la trajectoire qu'il m'indiquait, et là, sur un vieux panneau publicitaire bancal, seule au milieu des messages de haine, une petite affiche rose s'étalait.
« HOMMES – METAMORPHES – TOUS VICTIMES, TOUS UNIS FACE AU TERRORISME »
Ce petit bout de papier rose, à moitié décollé par le vent, m'apporta en effet une infime touche d'espoir. Mais que pouvais une petite goutte de rose au milieu de toute cette noirceur ?
— Il faut y croire, me murmure doucement Storm à l'oreille. Il y a plus de partisans de la paix que l'on pourrait le croire. On ne s'en rend pas compte car ils sont moins fanatiques, voilà tout.
— J'espère que tu as raison, répondis-je, détournant enfin le regard des rues tristes et désertées.
Nous roulâmes encore quelques minutes en silence avant de franchir un pont métallique. Une fois de l'autre côté, l'atmosphère et le paysage changèrent du tout au tout. Ici, les trottoirs, propres et entretenus, jouxtaient des pelouses et des clôtures impeccables. Les arbres bien taillés se paraient des flamboyantes couleurs automnales, donnant à la rue où nous nous trouvions des airs de fête. Ici, aucun prospectus, tag ou message, n'entachait les murs ou les réverbères. Tout était propre, parfait, presque surréaliste. Ce qui le fut encore d'avantage, c'est le barrage de police qui surgit brusquement devant nous au détour d'un virage. Voitures en quinconce, gyrophares tournoyants et agents armés déjà sur le qui-vive ne nous laissèrent aucune option, hormis celle d'avancer jusqu'à eux.
— Surtout ayez l'air détendu et naturel, nous chuchota Cooper d'une voix crispée qui démentait ses conseils avant de stopper la voiture au niveau des agents et d'ouvrir sa vitre.
— Papiers ! aboya l'homme sans même un bonjour, son regard noir scrutant avidement l'intérieur de l'habitacle.
Nous sortîmes tous nos papiers et les fîmes passer à Cooper qui les tendit à l'agent. Ce dernier les lui arracha presque des mains, comme s'il était déçu que nous obtempérions.
— Pourquoi êtes-vous là ? demanda-t-il tandis qu'il tendait nos papiers, sans même les regarder, à l'un de ses collègues.
— Nous venons rendre visite à des victimes des attaques, voir si tout va bien pour eux. Je suis médecin, c'est dans le cadre du suivi médical.
— Et eux, c'est qui ?
— Deux psychologues en formation et l'un de vos collègues, pour le côté juridique.
Le flic plissa les yeux, visiblement pas convaincu par le laïus de Cooper. Son regard dériva sur Jenny, puis sur moi avant de s'arrêter sur Storm. Encore un spécimen très évolué qui ne pouvait concevoir d'emblée qu'une femme puisse-être flic.
— Votre nom ? aboya-t-il de nouveau.
— Il est inscrit sur la carte de police que vous avez eu entre les mains, lui répondit Storm d'un ton calme et posé, démentit par son regard laser braqué sur le flic.
Ce dernier se raidit et je sentis mon cœur rater un battement. Mais à quoi il jouait ? On devait la jouer docile et décontractée.
— Tout est en ordre, sergent ! s'empressa de dire son collègue en rendant nos papiers à Cooper sous le regard désapprobateur du gradé. Désolé pour le dérangement capitaine Tsorm, ajouta-t-il en faisant signe aux agents de nous laisser passer. Où allez-vous ? demanda-t-il alors que nous redémarrions.
— Chez les Morales, répondit Cooper du bout des lèvres.
Quelque chose passa sur le visage du policier. De la surprise, de l'agacement, de la peur ? Cela fut si fugace que je ne parvins pas à le déterminer, mais je gardais une impression étrange lorsqu'il répondit finalement :
— Les Morales ? Deuxième rue sur la gauche, puis première à droite. Ce sera la grande maison au fond de l'impasse.
Cooper s'empressa de le remercier puis démarra aussitôt, aussi pressé que nous de nous éloigner du barrage. Il suivit à la lettre les instructions de l'agent et se gara, à peine une minute plus tard, à l'ombre d'un gigantesque chêne. L'arbre, majestueux, marquait l'entrée d'un parc délimité par un imposant portail en fer forgé. Nous descendîmes de voiture et nous engageâmes sur l'allée goudronnée serpentant entre les pelouses taillées au cordeau.
M'attendant à tomber sur un manoir Victorien digne d'un comte romantique ou d'un film d'épouvante, je fus plus que surprise lorsque nous débouchâmes devant une maison moderne de pleins pieds. Cette dernière, de dimensions plus qu'honorables était belle à sa façon mais ne cadrait pas avec le parc peuplé d'arbres pluri-centenaires. Nous avançâmes en direction de la porte et Cooper appuya sur la sonnette.
Alors que nous attendions que quelqu'un vienne nous ouvrir, un rayon de soleil traversa les nuages tombant pile sur la plaque surplombant la sonnette.
« Monsieur et Madame Morales et leur fille. »
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