Chapitre 6-2
Surprise par la soudaineté et la violence de la réaction, le souffle du pouvoir me projeta contre le mur. Nicolas, quant à lui, sembla absorber l'attaque et c'est à peine si un frémissement le traversa.
— Qui es-tu ? demanda-t-il d'une voix étrangement calme, compte-tenu de l'ambre qui piquetait ses iris.
Un rictus étrange tordit les traits d'Abby, momentanément transfigurés par son pouvoir. Toujours dos au mur, elle se tenait à présent plus droite dans une posture plus agressive que défensive.
— Je n'ai pas à te répondre, loup, je ne te connais pas et ne reconnais pas ta soi-disant... supériorité.
Sa voix, plus sourde et plus suave, était aux antipodes du timbre qu'elle présentait précédemment et suintait l'assurance et l'arrogance.
— Cela signifie que tu reconnais bien être une louve, toi-même ?
— Je ne vois même pas pourquoi tu poses la question ! Laisse-moi sortir d'ici ! ordonna-t-elle en faisant un pas en avant.
— Donne moi ton nom, enchaîna aussitôt Nicolas, toujours aussi calme.
— Liberty ! cracha-t-elle en avançant encore d'un pas vers Nicolas, défiant clairement son autorité.
— La dernière fois que tu m'as défié, tu sais bien comment cela s'est terminé ? Si tu m'attaques de nouveau, je ne serais pas aussi clément cette fois-ci.
— La première fois, je ne savais pas ce que tu étais. Je ne me ferais pas surprendre deux fois.
— Tu veux dire que je suis le premier loup que tu rencontrais ? Qui t'a créé ?
— Personne ne m'a créé ! Je suis née libre et personne ne me commandera, surtout pas toi ! explosa-t-elle en se jetant sur Nicolas.
Il encaissa l'impact sans broncher, avant de la repousser en l'envoyant percuter la table. Le plateau vola à travers la pièce avant de retomber au sol dans un fracas tonitruant.
— Lyn ! Va chercher Grant, tout de suite ! ordonna-t-il dans un rugissement puissant, capable de traverser le panneau de métal, tandis qu'Abby était déjà en train de se relever, du jaune d'œuf maculant l'épaule de son nouveau sweat.
— Ce n'est pas un pauvre humain qui pourra t'aider, ricana-t-elle en revenant à la charge.
— Tu penses avoir croisé combien de loups depuis que tu es ici ? lui demanda-t-il en évitant son assaut suivant d'un léger bond latéral, ce qui la mit en rage.
— Que toi, espèce d'abruti ! Arrête d'esquiver et vient te battre ! le provoqua-t-elle une nouvelle fois dans un cri furieux.
Nicolas me lança un regard consterné et je compris qu'il y avait vraiment un gros problème. Le comportement d'Abby n'était pas naturel pour une louve-garou, même jeune et inexpérimentée comme elle. Elle aurait dû être capable d'identifier ses semblables à coup sûr et surtout craindre Nicolas. Car malgré toute son assurance et sa rage, elle ne faisait clairement pas le poids face à un Alpha.
— Si je me battais vraiment contre toi, tu n'y survivrais pas, moucheron !
La voix qui sortit de la gorge de Nicolas, grave, profonde, rempli de menaces sous-jacentes mais aussi de sagesse, m'était inconnue. Elle cloua Abby sur place, telle une statue de sel et lorsque son regard dériva vers moi, je compris qu'Ombre était aux commandes. C'était la première fois, depuis que je le connaissais, qu'il autorisait son loup à prendre le contrôle volontairement. Après la discussion que nous venions d'avoir, il fallait que la situation soit beaucoup plus critique que je ne le croyais pour qu'il en arrive à une telle extrémité (tout du moins de son point de vue).
— Il ne me laissera pas le contrôle longtemps, du moins pas sous cette forme, enchaîna-t-il de son nouveau timbre étrange. Je ne te ferais jamais de mal. Inconsciemment, il sait qu'il peut me faire confiance, c'est en lui qu'il doute. Ce serait bien qu'il le sache.
Je perçus la reprise de contrôle de Nicolas dans ses yeux et dans son infime changement de posture. Il me fixa un quart de seconde d'un regard troublé avant de reporter toute son attention sur Abby, qui n'avait pas bouger d'un millimètre.
« Grant est là ! », nous parvint la voix de Lyn, de l'autre côté de la porte.
— Fais-le entrer, lui dit Nicolas, tandis qu'Abby paraissait recouvrer peu à peu ses esprits.
— Vous avez besoin de moi ? demanda-t-il, aussitôt entré dans la pièce, d'un ton neutre et prudent.
— Ça va dépendre de qui me fait face, lui répondit Nicolas sans se retourner. Abby ou Liberty ?
— Qui... qui est Liberty et... qu'est-ce que vous faites là ? Vous ne deviez pas le laisser entrer ? m'accusa-t-elle de sa voix tremblante et fluette habituelle.
Nicolas se retourna vers nous, son visage, contrairement au mien, plus résigné que stupéfié.
— Tu es capable de la calmer ? demanda-t-il à Grant à mi-voix.
— Dans quel sens ?
— La mettre en off pour quelques heures.
— En gros, tu veux que je l'assomme ?
— Plutôt son loup, mais en gros c'est ça l'idée.
— Elle n'a pourtant pas l'air incontrôlable...
— Nous avons un gros problème sur les bras, gronda Nicolas à bout de patience. Alors arrête de tergiverser et répond-moi ! Tu peux le faire ou non ? Sinon je m'en charge mais d'une manière moins douce et plus expéditive, ajouta-t-il en désignant le lourd plateau de bois gisant au sol d'un signe de tête éloquent.
Ils avaient beau ne pas parler fort, Abby comprenait bien qu'ils parlaient d'elle et que quelque chose clochait. Son regard paniqué et perdu passait sans cesse de nous, au capharnaüm régnant désormais dans la pièce et tout, dans son agitation et sa posture, annonçait qu'une nouvelle crise était proche.
— Si tu dois faire quelque chose, Grant, ce serait bien que ce soit maintenant ! lui soufflai-je tout en faisant signe à Nicolas de se retourner.
Il avait à peine amorcé son mouvement, qu'Abby avait déjà bondi. Il esquiva facilement son attaque, mais ni lui ni nous, ne vîmes le fameux plateau avant qu'il ne soit trop tard et qu'il ne percute le bras de Nicolas dans un son caractéristique et écœurant d'os brisés. En un saut et dans un grondement furieux, je me retrouvai devant la louve, ma main autour de sa gorge.
— Rose, non !
— Elle t'a blessé ! grogna Whisper par ma bouche, tandis que j'épinglais Abby / Liberty - ou peu importe comment elle s'appelait - contre le mur.
C'est alors que je la senti mollir sous ma paume. Ses yeux se mirent à papillonner et une vague torpeur m'envahit. Un a un, mes doigts se détendirent jusqu'à lâcher la jeune louve qui glissa mollement sur le sol où elle demeura inanimée. Groggy et à moitié nauséeuse, je dus me retenir au mur pour ne pas risquer de la rejoindre.
— Qu'est-ce... qu'est-ce que tu m'as fait ? accusai-je Grant d'une voix lente et pâteuse.
— Désolée de t'avoir légèrement inclus dans la transe, mais je n'ai craint, un instant, que tu ne lui arrache la tête ! Ce qui aurait été tout à fait justifié, si tu veux mon avis, mais te connaissant, tu l'aurais mal vécu.
— Grant ! Tu as déjà de la chance que ce ne soit pas moi qui t'arrache la tienne de tête, donc ne tente pas plus ta chance ! le menaça Nicolas en s'approchant de moi. Ça va ?
— Oui, le rassurai-je aussitôt. J'ai juste l'impression de me réveiller d'un lendemain de cuite carabinée, c'est tout. Et ton bras ?
— Rien qui ne guérira en quelques heures avec du repos. Et toi, la prochaine fois que je te demande quelque chose, fais-le tout de suite !
Grant le fusilla du regard. Mais au lieu de partir en claquant la porte, comme je penserai qu'il le ferait, il se contenta de s'adosser à cette dernière en soutenant son regard.
— Au lieu de jouer au grand Alpha outré, tu nous explique ce qu'il se passe exactement ?
La tension s'apaisa légèrement tandis que Nicolas, sans répondre, se penchait vers Abby. Il vérifia son pouls rapidement, puis la soulevant d'un seul bras, sans aucun effort apparent, la déposa sur le lit.
— Il se passe quelque chose d'inconcevable, finit-il par répondre d'un ton funeste. Abby et sa louve, sont totalement dissociés et ça, chez les loups-garous, c'est totalement impossible.
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