Chapitre 5-2


 — Pfff...

— ça ne va pas recommencer !

L'interjection de Lyn et mon commentaire agacé fusèrent simultanément à peine Nicolas eut-il fermé la bouche. Réprimant autant que je le pus mon irritation, j'avançai de deux pas dans sa direction et plantai mon regard dans le sien avec assurance.

— Même s'il y a quelque chose qui cloche, comme tu le dis, je lui ai promis de revenir la retrouver seule et c'est ce que je vais faire, ajoutai-je avec aplomb et toute la conviction que je ressentais. Je comprends et mesure ton inquiétude mais il serait temps que tu me fasses un peu confiance !

— Et ce n'est pas ouvert à discussion ! ajoutai-je, laissant volontairement fuiter un peu de mon aura alors qu'il ouvrait la bouche, ses traits figés en un masque de détermination buté.

La surprise vint momentanément supplanter les autres émotions lisibles sur son visage. Profitant de cette microseconde d'avantage, je le plantai là en rejoignant la porte à la vitesse de l'éclair avant qu'il ne retrouve tous ses esprits.

— Rose ! gronda-t-il alors que j'ouvrais le battant.

— Je te ferais signe lorsque tu pourras me rejoindre... fais moi confiance... s'il te plait, terminai-je d'une voix plus douce avant de pénétrer dans la pièce.

Cette fois-ci je verrouillai derrière moi avec la clef, que j'avais pris soin d'emprunter au passage, ne réalisant mon manque de civisme qu'à l'instant où l'humidité ambiante me tomba dessus.

— Heu... désolée, j'aurais dû frapper, m'excusai-je à l'instant même où Abby demandait d'une voix tremblante « Qui est là ? ».

— C'est moi, Rose, je ne suis pas revenue trop tôt ? demandai-je en essayant de distinguer quelque chose au travers du Fog ambiant.

— Non, c'est bon, je suis habillée. Pourquoi... avez-vous fermer à clef ?

— Pour tenir ma promesse. Ainsi personne d'autre que moi ne pourra entrer tant que tu n'auras pas donner ton accord. Mais je peux rouvrir si tu préfères ?

— Non, non... comme ça c'est très bien.

Un claquement mécanique sourd, semblant provenir du plafond retentit soudain, lui arrachant un petit gémissement de surprise et de peur mêlés.

— Ne t'inquiète pas, ce doit être la VMC qui vient de se déclencher, lui expliquai-je, me souvenant d'en avoir vu passer au moins deux blocs durant les travaux.

— C'est... c'est quoi ?

— Un système de ventilation et d'évacuation que l'on installe dans les pièces dépourvues de fenêtres ou risquant d'être très humide telles que les cuisines et salles de bains, par exemple, lui expliquai-je, ayant l'étrange impression de m'être transformée en vendeuse de rayon quincaillerie.

Le bourdonnement s'intensifia, semblant répondre à mes paroles tandis que la buée commençait déjà à se dissiper, rendant la petite pièce tout de suite plus respirable.

— Comment vous savez ça ? Vous travaillez dans la construction ?

— Non, je suis curieuse, c'est tout, lui répondis-je en lui souriant doucement. Et toi, tu fais quoi dans la vie ? lui demandai-je, comprenant qu'elle avait besoin d'échanger des banalités pour se rassurer.

— Je... je suis encore au lycée, en dernière année.

Assise sur le lit, vêtue d'un survêtement noir et les cheveux enroulés dans une serviette rose, elle paraissait avoir douze ans ! Les yeux cernés, les mains sagement posées sur ses genoux, elle avait tout de la petite fille sage et perdue. Pourtant, la sauvagerie et l'éclat d'ambre de son regard transformé me revinrent en mémoire. Il serait très facile de la sous-estimer ou de s'attendrir devant son jeune âge et son air perdu. Mais contrairement à ce que semblait penser Nicolas, je n'étais pas naïve – ou du moins, je ne l'étais plus – et même si je ne la pensais pas menteuse, je n'allais pas m'y fier aveuglément non plus.

— La douche t'a fait du bien ?

Pour toute réponse elle se contenta de hocher la tête. Un peu trop sèchement car son turban d'éponge tangua sous le mouvement brusque et se défit avant de tomber à ses pieds dans un bruit mou. Ses cheveux, foncés et alourdis par l'eau, s'éparpillèrent mollement autour de son visage, entortillés tels les serpents de Méduse.

— Tu as eu le temps de manger quelque chose ? continuai-je à badiner même si je connaissais déjà la réponse, espérant relancer la conversation et continuer de gagner sa confiance.

— L'eau était rose, répondit-elle d'une voix éteinte en fixant ses mains inertes d'un regard de zombi. L'eau dans la douche... elle était rose, reprit-elle en relevant la tête, cherchant enfin mon regard.

— Tu n'as vraiment aucun souvenir ?

Nouvelle dénégation aphone, ses yeux recommençant à briller de larmes contenues.

— Dites-moi ce qu'il s'est passé, j'ai besoin de savoir.

— D'accord, mais mange quelque chose et raconte-moi la dernière chose dont tu te souviens.

Lentement, elle leva les mains de ses genoux et les posant sur le matelas s'en aida pour se relever. Puis d'une démarche hésitante, marcha jusqu'à la table boulonnée au sol et préleva l'un des sandwichs présentés sur l'assiette en faïence blanche. Elle le porta à sa bouche d'un geste tremblant, avant de finir par en prendre une bouchée du bout des dents. A cet instant, un éclair fauve traversa son regard et elle se jeta sur le reste du sandwich comme un chien sur son os. Elle finit de le dévorer en quelques bouchées, avant de se ruer sur le plat où elle en prit deux autres.

— Tu avais plus faim que tu ne croyais, on dirait ? commentai-je d'un ton prudent, accompagnant ma remarque d'un sourire que j'espérais rassurant.

Son regard se troubla de nouveau et elle suspendit soudain son geste, le pain garni de poulet et de crudité, figé à quelques centimètres de sa bouche.

— Ce n'était pas une critique ! m'empressai-je de la déculpabiliser, tout en essayant de comprendre ce qu'il venait de se passer. Tout est pour toi, ne te prive pas.

Elle hésita, puis recommença à manger, mais avec beaucoup plus de retenue cette fois. Reposant même celui qu'elle tenait dans sa main gauche et n'avait pas encore entamé, dans le plat.

— Je ne comprend vraiment pas ce qu'il m'arrive, je ne suis pas si goinfre d'habitude.

— Tu as faim, tout simplement. Rien de bien mystérieux, si tu veux mon avis, lui mentis-je avec autant d'aplomb que je le pouvais. Alors, quel est ton dernier souvenir ?

Elle déglutit bruyamment, comme si un morceau lui était resté coincé en travers de la gorge. Par solidarité je lui tendis le verre d'eau présent sur le plateau et elle en bu quelques gorgées en me fixant de ses yeux trop grands.

— Je me souviens des sirènes. De mes parents venus nous réveiller en pleine nuit, ma sœur et moi. Puis de l'attente, longue et interminable, cachés dans la cave. Nous les yeux fixés sur l'écran taché de la vieille télé, branchée sur la chaîne d'info en continue, pendant que mon père passait son temps pendu au téléphone. Les cris sourds et les coups de feu venant de la rue. Puis enfin le calme au petit matin et le soulagement que nos volets et notre porte aient résisté aux assauts des monstres.

Elle stoppa son récit, saccadé et étrangement récitatif, pour boire une nouvelle gorgée d'eau. Puis, au lieu de continuer comme je m'y attendais, resta prostrée les yeux dans le vide et le verre à la main.

— Et ensuite ? tentai-je de la relancer. Tout à l'heure, tu nous avais parlé d'hôpital.

— Oui, ma sœur ne se sentait pas bien. Elle a fait une sorte de... crise de nerf, on n'arrivait pas à la calmer, alors maman a préféré l'emmener à l'hôpital. Mais comme papa ne voulait pas que nous soyons séparés, nous y sommes allés tous ensemble.

— Tu veux dire que personne dans ta famille n'a été attaqué ?

— Attaqué ? Par les métam... les monstres ? Non, heureusement. Ils ont même tenu à vérifier à l'hôpital avant de nous laisser repartir, ça a rendu mon père fou de rage. Mais comme tout allait bien, nous sommes rentrés à la maison et ensuite... je me suis retrouvée ici.

Incrédule, c'était à mon tour de la fixer avec des yeux ronds, la bouche ouverte comme un poisson hors de l'eau. Ce qu'elle me racontait n'avait aucun sens, sauf si l'attaque et la transformation avait eu lieu plus tard. Mais dans ce cas pourquoi ses souvenirs s'arrêtaient-il ce jour-là en particulier ?

— Maintenant, vous allez m'expliquer ce qu'il se passe ? 

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