Chapitre 48




Uriel tomba le premier, vite suivit par Allistaire tandis que Nicolas me plaquait au sol dans un mouvement désespéré. Nous allions mourir, ce n'était qu'une question de secondes, compris-je dans un serrement de cœur déchirant. Loup-garou ou non, les balles allaient nous déchiqueter, créant des dégâts que même nos organismes ne pourraient pas endiguer. Nicolas me serrait à m'en étouffer me protégeant de son corps. Je devais faire quelque chose pour empêcher ça, il devait y avoir un moyen... si une pensée pouvait blesser...

Dès que l'idée s'implanta dans mon cerveau, tout sembla se mettre en place et je sus comment faire. Mon esprit se dédoubla et je sentis Whisper se libérer de mon enveloppe charnel. Pourtant j'étais toujours Rose, mon corp encore humain et bien réel, rivé au sol sous le corps de Nicolas. Ma louve s'ébroua devant moi, magnifique et aussi éthérée qu'un songe elle ressemblait à un fantôme. Dans un bon irréel elle s'élança vers le garde le plus proche lui arrachant la jugulaire d'un coup de mâchoire. L'homme tomba dans un gargouillis inaudible, la terreur emplissant ses yeux déjà vitreux. Je compris vite, qu'à part moi, personne ne la voyait. La mort se répandait, silencieuse, sanglante et invisible, touchant les hommes qui tombaient comme des mouches, terrassés par le néant.

— C'est toi qui fais ça ? me souffla Nicolas d'une voix effrayée, alors que les derniers gardes se désorganisaient, tirant n'importe où et s'enfuyant pour tenter d'échapper à la mort.

— Non... c'est Whisper, murmurai-je d'une voix rêveuse que je ne reconnus pas.

Les tirs cessèrent complètement lorsqu'elle acheva le dernier homme, avant de tourner son magnifique regard de Jade vers moi. A cet instant, nous étions complètement dissociées, pourtant nous nous comprenions. En tant qu'humaine j'abhorrais la violence mais ce que venait de faire Whisper était juste, même si tuer ne l'amusait pas, c'était juste nécessaire. Elle fit quelques pas en direction d'Uriel qui gisait immobile dans une marre de sang. Les sanglots me nouèrent la gorge tandis qu'elle le poussait doucement de son museau éthérée, mais il était mort. Plus aucune chaleur n'émanait de lui.

— Uriel, murmurai-je d'une voix serrée par mes larmes contenus.

— Je sais, me répondit tristement Nicolas en enfouissant sa tête dans mon cou. Allistaire aussi est en train de nous quitter. Je le retiens mais... je sens qu'il m'échappe.

Tout c'était passé si vite, l'horreur comme le reste que j'en avais presque oublié les instigateurs de toute cette violence inutile. Mère et fils étaient recroquevillés contre le mur du fond. Mouchetés du sang de leurs hommes, ils fixaient le vide devant eux d'un regard fou et apeuré. Whisper, toujours aux côtés d'Uriel, claqua des mâchoires dans leurs direction et ils sursautèrent, comme s'ils pouvaient la voir.

— Quelle genre de monstre es-tu ? éructa Riwanon à mon intention alors que je me redressai lentement, soutenue par Nicolas.

— Apparemment, le genre capable de vous botter le cul et c'est tout ce que j'ai besoin de savoir ! dit Zal.

Les mains et le visage couverts de sang et défigurée par la haine, elle vint se planter devant les deux sorcier, arme à la main et canon pointé sur leur tête.

— Je ne ferais pas la même erreur deux fois, murmura-t-elle, son doigt commençant à presser la détente.

Un hurlement purement bestial sortit alors de la bouche de Janos au moment où le coup partait. Déjà partiellement transformé, le projectile ne fit que l'effleurer tandis qu'il se jetait sur la jeune humaine sans défense. Whisper bondit aussitôt mais fut interceptée en plein saut par une forme sombre et massive qui la percuta et l'envoya rouler plusieurs mètres plus loin... c'était Storm.

J'aurais reconnu son loup entre mille. Énorme avec un pelage entièrement noir et des prunelles rouges flamboyantes, il semblait sortir tout droit des enfers. De la bave dégoulinait le long de ses crocs tandis qu'il s'avançait vers la projection astrale de Whisper. J'avais compris ce qu'il se passait durant la bataille. Ma capacité de sorcière des rêves s'était enfin harmonisée avec ma condition de louve garou, créant une identité propre et distincte à Whisper. Elle restait apparemment invisible et insensible au contact des mortels mais pas de ceux de sa propre meute. Elle était leur Alpha, ils étaient liés.

— Son père a transformé ce loup, jubila Riwanon. Votre pathétique magie de meute ne peut pas supplanter la nôtre. Je t'avais pourtant avertit, ajouta-t-elle un sourire victorieux sur les lèvres tandis que Storm acculait Whisper contre l'un des murs.

— C'est là que tu te trompes, pétasse ! murmurai-je en me levant tandis que Nicolas, toujours sous forme partiellement humaine, bondissait sur Janos, l'écartant de Zal dans une roulade.

Je n'avais que deux options à ma disposition. Rompre les liens de meute nous unissant à Storm pour permettre à Whisper d'avoir une chance de le battre ; ou trouver le lien magique dont ils parlaient et le détruire une bonne fois pour toute. Je savais faire la première mais aucune idée de comment réaliser la seconde, pourtant c'est cette dernière que mon cœur choisit. Storm était l'un des nôtres. Il avait été le père puis le frère que je n'avais jamais eu, je ne l'abandonnerais pas sans me battre !

Alors que cette pensée explosait en moi, le loup noir secoua la tête en remuant les oreilles, comme dérangé par quelque chose. Whisper en profita pour se couler sous sa garde et le prendre à revers. Elle non plus ne voulait pas le tuer, mais elle le ferait si elle n'avait pas d'autre choix. Le combat entre les deux loups s'engagea, vicieux et violent, sous les regards incrédules des survivants qui ne pouvaient apercevoir que l'un des deux combattants.

— Janos n'est pas un vrai loup. C'est de la magie de la terre. Riwanon t'a menti, regarde bien, me murmura ma mère en m'effleurant l'épaule tandis qu'elle passait près de moi.

La grande prêtresse ricana en voyant ma mère se planter devant elle, le visage résolu, mais son sourire se flétri légèrement sur les bords lorsque cette dernière commença à incanter. Ne sachant pas comment l'aider, je laissais les deux sorcières à leur propre combat et tout en essayant de mettre de côté mon inquiétude pour Nicolas et Whisper, me concentrai sur ce qu'elle venait de me dire.

Passant en autre-vue j'essayai de distinguer les liens d'appartenance pouvant encore exister entre Storm et Janos et ce que je vis me fit froid dans le dos. Ma mère avait raison. Janos n'était pas du tout un garou, c'était juste un sorcier de la terre qui maniait si bien les illusions qu'il pouvait les rendre réelles et ce pouvoir, il le tenait de sa mère. Je percevais son aura dans la magie qu'il employait. Il était bon, mais sa puissance n'était qu'empruntée, c'était elle que nous devions abattre en priorité, elle qui contrôlait Storm, mariant magie de l'esprit et magie de la terre. Je visualisai l'influx mental qu'elle envoyait vers Storm, le transformant en marionnette sans âme. Une douleur cuisante me déchira soudain le flanc et je vis Whisper battre en retraite, une tâche sombre maculant son pelage fantomatique. Serrant les dents je portai une main à ma taille, le regard et l'esprit toujours concentré sur la bataille et sentis un liquide chaud et poisseux maculer ma peau. Ma tête palpitait et je sentais mes forces décroitre à toute vitesse. Je consommais trop d'énergie et nous nous épuisions.

Je compris que ce n'était qu'une diversion de plus pour gagner du temps lorsque je perçus d'infimes bruits de pas, plus loin dans le bâtiment. Une nouvelle fournée de gardes allait nous tomber dessus et nous n'aurions plus assez d'énergie pour riposter. Riwanon se contentait de gagner du temps mais son fils, lui, se battait pour tuer, ses attaques se faisant de plus en pus violente et vicieuses.

Gagnée par l'épuisement, je me laissai rattraper par le découragement, la peine et le désespoir. Comme j'aurais aimé avoir un peu plus de temps pour profiter de Nicolas, son rire riche et communicatif lorsqu'il était détendu. Voir Grant emmener sa fille à l'autel pour retrouver Cooper... Lyn et Thomas... Uriel... même Luc... les regrets et les souvenirs commencèrent à s'accumuler dans mon esprit, les sensations, les odeurs, les joies, les peines... à chaque nouvelle scène je me sentais plus forte, plus vivante, comme si je me nourrissais de tous ces bons moments.

Alors que les pas se rapprochaient, jouant le tout pour le tout, je projetai tout ce concentré de bonheur vers Storm. Le gigantesque loup stoppa net l'attaque qu'il s'apprêtait à porter et secouant de nouveau la tête s'assit sur son arrière-train. Puis se tournant vers moi et levant la tête vers le ciel, il se mit à hurler. Le son se réverbéra dans la pièce, semblant gagner en puissance à chaque seconde. Ma magie se mêla à son chant et les ondes pulvérisèrent le contrôle de Riwanon qui tituba sous le choc. Storm rebaissa la tête, son regard redevenu vert croisant le mien alors qu'il se jetait sur Janos.

Riwanon hurla lorsque le loup noir éviscéra le sorcier d'un simple coup de patte. Folle de rage, elle se jeta sur ma mère, un couteau à la main alors que ses renforts déboulaient dans la pièce. Nicolas, Storm et Whisper se jetèrent sur les nouveaux venus, tandis que j'essayai d'atteindre la sorcière et de lui faire lâcher son arme. Le combat s'engagea, couteau contre griffes, mais mon épuisement me désavantageait. Je trébuchai plusieurs fois et la lame passa un peu trop près de ma gorge à deux reprises. Ma mère, impuissante et du sang coulant d'une estafilade sur son bras, ne pouvait qu'observer la scène d'un regard angoissé.

Un coup de feu, puis un cri de douleur me déconcentrèrent permettant à la sorcière de passer ma garde, me plongeant son poignard entre les côtes. Je hurlai en tombant au sol et sentis le double éthéré de Whisper disparaitre, son essence reprenant sa place en moi.

Alors que je perdais mon sang au rythme des battements effrénés de mon cœur, je compris que lorsque le double de Whisper prenait corps, je redevenais momentanément humaine. Ainsi, dès que cette dernière m'eut rejointe, ma        blessure commença à guérir. Mais j'étais épuisée et affaiblie par la perte de sang, ne réagissant pas assez vite, lorsque Riwanon enserra ses mains autour de ma gorge.

Nicolas et Storm, aux prises avec de nouveaux gardes, n'arriveraient pas à temps, pensai-je alors que j'essayai de repousser la sorcière d'une poigne sans force. Ma vue commençait à se brouiller lorsque la sorcière fut soudain arracher à mon corps et projeté loin de moi, directement entre les pattes de Storm.

— On dirait qu'il était temps que nous arrivions ?! me sourit Thomas en me tendant la main.

Le soulagement, intense et presque débilitant, failli me terrasser et lorsque Nicolas vint enfin me rejoindre, couvert de sang mais vivant, je me mis à rire puis à sangloter doucement sur son épaule. Il m'embrassa, me couvrant le visage d'une myriade de petits baisers en me murmurant des mots doux tandis qu'il me soulevait délicatement du sol et m'emmenait loin de cet enfer.

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