Chapitre 30-1
*En ligne jusqu'au vendredi 09 Avril*
Bien qu'elle fut rapide, la transformation me parut plus lente et laborieuse que d'ordinaire. Une fois sous ma forme de louve, je dus m'ébrouer pour dissiper les derniers fourmillements du changement. L'eau était froide sous mes coussinets et mes membres me paraissaient plus lourds que d'habitude. C'était la première fois que je me sentais si humaine tout en étant Whisper et c'était... déroutant. Pourtant, je n'eus pas le temps de m'appesantir sur la question. Je grognai en direction de Thomas qui, avec une grimace, grimpa laborieusement sur mon dos. L'œil rivé sur les étincelles qui se rapprochaient inexorablement de la surface noirâtre de l'eau, je n'attendis même pas qu'il soit bien en place pour m'élancer. Je le sentis glisser sur mon dos, autant que mes pattes sur les matériaux humides, mais il parvint à crocheter ses bras autour de mon cou et ses doigts dans mon pelage pour se stabiliser. J'en fis autant en crispant mes pattes, me retenant avec mes griffes pour ne pas retomber dans l'eau.
Le bond suivant serait déterminant. Je devais atteindre la plateforme en une seule fois. Si je me ratais nous retomberions dans l'eau avec sans doute trop peu de temps pour une autre tentative. Je bandai tous mes muscles et m'élançai à l'instant où le liquide atteignait le câble dans un chuintement sinistre. Une odeur d'ozone envahit l'espace et je sentis mes poils s'électriser alors que nous volions littéralement au-dessus de l'amas de débris. Mes coussinets se posèrent sur la plateforme mais mon poids, combiné à celui de Thomas, nous entraina vers l'arrière. Dans une tentative désespérée j'accrochai mes griffes sur le rebord tout en essayant de trouver un appui stable pour mes pattes arrière... mais rien. Tout ce que je touchais glissait et ne m'offrait aucune prise stable.
Aux prix de gros efforts je parvins à nous maintenir en place, mais je ne tiendrai pas longtemps. Je voulus dire à Thomas de s'agripper à moi pour grimper sur la plateforme mais tout ce qui sortit de ma gorge fut un grognement agacé. Pourtant je sentis les pieds du métamorphe prendre appuis sur mes cuisses tandis que ses mains s'agrippaient encore plus fort à mon pelage. Il se hissa tant bien que mal, manquant me faire chuter à plusieurs reprises, avant de parvenir à la plateforme où il se laissa tomber. Enfin libérée de son poids mais haletante et épuisée, j'essayai de me hisser à mon tour mais n'y parvins pas. Le rebord de fortune qui avait tenu tout ce temps commença à s'effriter et je me sentis glisser. Je tentai de ralentir ma chute mais mes griffes patinaient ne parvenant pas à se fixer suffisamment pour ralentir ma dégringolade. Thomas, dans un acte désespéré attrapa mes pattes avant mais il ne tiendrait pas longtemps.
— Rose, transforme-toi ! me cria-t-il d'une voix au bord de la rupture. Sous ta forme humaine, je pourrais te hisser...
Il ne termina pas sa phrase, trop concentré et essoufflé pour continuer. Ce qu'il suggérait était dangereux et risqué mais la panique commençait à gagner Whisper et nous n'avions plus le choix. Je me visualisai sous ma forme humaine et impulsai le changement. Certainement dû à l'urgence de la situation, il fut encore plus rapide que d'habitude, presque instantané. Le revers de la médaille ce fut la douleur atroce qui me poignarda et sembla infiltrer mes os tandis qu'ils se reconfiguraient. Sans forces et au bord de l'évanouissement, c'est à peine si je pus aider Thomas à me hisser à ses côtés, en sécurité.
Il y avait à peine assez de place pour nous deux sur l'étroit palier, formé d'un morceau de plafond coincé entre deux poutres. Tous deux allongés côte à côte, nous n'avions plus la force de bouger. Pourtant, même si nous avions gagné un peu de temps, l'eau continuait de monter et nous ne pourrions pas rester là, indéfiniment. Avec mille précautions j'essayai de m'assoir mais mes membres tremblants ne semblaient plus vouloir m'obéir.
— C'est trop tôt, tu devrais attendre un peu, me souffla Thomas, étendu sur le flanc, les yeux fermés.
— On ne peut pas... attendre. L'eau monte toujours, lui répondis-je d'une voix méconnaissable en refaisant une tentative. Si je veux avoir le temps de grimper, me faufiler et revenir avec de l'aide, je ne peux pas me permettre de traîner.
Cette fois, je parvins à me redresser. Ma tête tournait et je sentais à peine le bout de mes doigts, mais j'étais assise. J'aidai Thomas à faire de même et l'adossai doucement à l'échafaudage branlant menant au sommet.
— Comment as-tu su que j'y arriverai ? lui demandai-je en me relevant doucement. A me transformer si vite sans m'évanouir, précisai-je lorsqu'il ouvrit les paupières pour me fixer d'un regard interrogateur.
— Tu es plus rapide à chaque nouvelle transformation. Je n'avais vu cette capacité que chez une seule autre personne, jusqu'à présent.
— Une métamorphe, je suppose ?
— Oui, Hannah, la fille de Charles, me dit-il en me regardant étrangement. Curieux que tu acquières cette capacité si particulière, d'autant plus pour un loup-garou, juste après avoir été en contact télépathique avec Charles ?
En train de tester mes appuis et de chercher les meilleures prises pour me lancer, je m'arrêtai surprise.
— Pourquoi me parles-tu de cela, maintenant ?
— Parce que... les chances que je m'en sorte s'amenuisent de minutes en minutes et que c'est peut-être... important, acheva-t-il dans une nouvelle quinte de toux qui le laissa exténué, un mince filet de sang coulant aux coins de ses lèvres.
Terriblement inquiète, j'eus envie de hurler, d'appeler à l'aide pour que l'on vienne nous aider. Mais les chances que l'on nous entende de là-haut étaient si mince qu'il valait mieux que je garde mon énergie pour la montée. L'appel de détresse, ce serait en dernier recourt ou lorsque je serais plus près de la surface. Sans attendre d'avoir recouvré mes pleines sensations, je commençai l'ascension. Il ne me restait que deux ou trois mètres à franchir mais la crevasse aurait aussi bien pu se trouver sur Mars vue la vitesse avec laquelle je progressais. A mi-chemin je dus faire une pause pour reprendre mon souffle et soulager mes membres tétanisés par l'effort. L'eau semblait monter moins vite mais le niveau était quand même plus haut que la dernière fois où j'avais vérifié.
— Thomas ! l'interpelai-je en voyant ses paupières s'abaisser de nouveau. Tu crois vraiment que ma capacité à me transformer de plus en plus rapidement viendrait de ma rencontre psychique avec Charles ? lui demandai-je pour le maintenir éveillé tandis que je continuai à grimper. C'est un peu tirer par les cheveux, non ?
— Quand je t'ai vu... ça... ça m'a rappeler Ha... nnah, me dit-il d'une voix hachée et pâteuse. Tu n'es pas une métamorphe, pourtant... l'énergie était la même.
Sa voix mourut sur les dernières syllabes et sa tête glissa sur le côté.
— Thomas ! hurlai-je, manquant rater ma prise et redégringoler jusqu'en bas.
Même si j'avais envie de redescendre pour le rejoindre je savais que sa seule chance résidait dans ma capacité à atteindre la crevasse. La peur au ventre je rassemblai mes dernières forces et m'élançai vers le haut. Mes doigts attrapèrent la poutrelle métallique que je visais et je pus me hisser dessus, presque pile en dessous de l'ouverture. Pourtant, lorsque je levai les yeux, mon cœur se serra et le désespoir m'étreignit de nouveau. Le bas de la crevasse était large, mais l'intérieur se rétrécissait, ne laissant qu'une mince fente d'où s'échappait un filet d'air. Même en m'acharnant, jamais je ne parviendrai à l'agrandir suffisamment pour passer.
En équilibre sur ma poutre, exténuée et ne tenant que grâce à ma volonté, je me mis à sangloter. Aucune larme ne coulait mais le découragement et la fatalité s'écoulaient de moi en hoquets tremblants. Craquer était humain mais ne nous aiderait pas à nous sauver, ni nous ni Thomas. Les pensées de Whisper, simples et rationnelles me permirent de retrouver un semblant de calme et de faire la dernière chose qu'il restait à faire... me mettre à appeler à l'aide.
Me rapprochant de l'ouverture, je me mis à hurler, à m époumoner, y mettant mes dernières forces. Je ne sais combien de temps je hurlai mais ma voix avait presque disparue lorsque je crus entendre quelque chose. On aurait dit des murmures, comme un souffle irréel charriant des sons incompréhensibles et je crains que ce ne fut juste mon imagination ou des hallucinations dues à mon extrême fatigue.
— Où êtes-vous ?
Les mos parurent électriser mon cerveau et le soulagement et la joie me redonnèrent l'énergie qu'il me manquait pour répondre.
— Ici, on est ici !
Le filet de voix qu'il me restait ne portait pas beaucoup, pourtant une main apparut dans l'interstice.
— C'est qui là, en bas ?
— Rose et Thomas. Sortez-nous de là, l'eau monte et Thomas est gravement blessé.
Un petit cri retentit au-dessus de ma tête et la main disparue aussitôt.
— Attendez ! Revenez !
— Rose, c'est Cat. On va vous sortir de là mais on va devoir agrandir ce trou pour vous atteindre, tu peux te mettre à l'abri ?
— Je peux redescendre avec Thomas mais Cat, faites très attention il y a un câble électrique dans l'eau.
— Merde ! l'entendis-je jurer. On arrive, me dit-elle alors que le premier coup résonnait déjà, faisant dangereusement trembler mon appui précaire.
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