Chapitre 29-2

*En ligne jusqu'au jeudi 08 Avril*


Dans un vacarme assourdissant, le plancher nous dégringola sur la tête dans une nouvelle explosion de poussière suffocante. Réfugiés in-extrémis sous le canapé, nous ne pûmes qu'attendre et prier pour qu'il tienne le coup. Recroquevillée, les bras protégeant ma tête, j'eus l'abominable sensation que l'éboulement ne s'arrêterait jamais. Le meuble grinçait, gémissait sous les assauts des débris et finit par s'affaisser, comprimant mon bras et ma hanche. La pression s'intensifia et je crus ma dernière heure arrivée. Malgré tous les dangers qui nous guettaient, j'allais mourir là, bêtement, écrasée sous un fichu canapé ! Le fracas cessa pourtant et bientôt seules quelques chutes sporadiques crevèrent encore le silence, devenu épais et assourdissant d'une autre façon.

Lentement je dépliai mes bras et à tâtons cherchais Thomas. Dès que mes doigts l'effleurèrent, je le sentis, avec soulagement, saisir la mienne et entrelacer ses doigts aux miens.

— Tu peux bouger ? lui demandai-je entre deux quintes de toux d'une voix horriblement éraillée.

— Je crois que oui, me répondit-il dans un murmure rauque, tandis qu'il commençait à s'extraire en rampant.

Il garda sa main dans la mienne le plus longtemps possible mais à un moment, il fut bien obligé de la lâcher. Lorsque ses doigts quittèrent ma paume, durant une seconde, je me sentis abandonnée. Seule au monde dans cet univers aveugle et suffocant. Privée de la plupart de mes sens et la respiration de plus en plus difficile, la panique commença à enfler dans ma poitrine. Nous étions seules, prises au piège et nous allions mourir écrasées ou étouffées si nous ne bougions pas de là immédiatement. Whisper commença à se déployer en moi, cherchant à s'extraire de mon corps, à retrouver l'air libre coûte que coûte... Je stoppai le processus dans un ordre mental impérieux. Whisper hésita et je saisis cet avantage pour conserver les rennes un peu plus longtemps. Mais si je voulais les garder, je devais trouver quelque chose à quoi me raccrocher.

Je voulus appeler Thomas, lui demander de me parler, de faire comprendre à ma louve que nous n'étions pas seules, mais j'eus peur que cela ne me déconcentre. Je me focalisai donc sur le bruit ténu du frottement de ses vêtements sur le sol. Tant que nous l'entendions, il y avait de l'espoir. Le pouvoir reflua et Whisper se calma légèrement, mais si nous restions coincées ici, cela ne durerait pas.

— C'est bon, j'ai réussi ! me parvint la voix assourdie de Thomas. A ton tour.

Doucement je posais mes paumes tremblantes sur le sol inégal, puis bandant mes muscles, je commençai à pousser sur mes bras pour me dégager. Lorsque mon épaule bougea, toute la structure qui me surplombait frémit et le poids s'accrut encore. Je me figeai aussitôt, le souffle court et le cœur dans la gorge.

— Je ne peux pas, lui dis-je en réprimant le cri de désespoir qui voulait sortir de ma gorge. Si je bouge, tout va s'écrouler.

Il ne répondit pas mais je l'entendis fourrager dans les décombres alentour, faisant de nouveau tressaillir l'édifice instable.  Mon instinct animal me hurlait de sortir de là le plus vite possible et je dus déployer tout mon self contrôle pour ne pas lui obéir. Un grincement strident déchira le silence tandis qu'une pluie de graviers dévalait les débris.

— J'ai trouvé quelque chose pour faire levier, me dit enfin Thomas. Dès que je te le dis, tu te dégages et tu sors de là, le plus vite possible. D'accord ? 

— O.k. lui répondis-je, sentant la peur et l'espoir se disputer la vedette au sein de mon esprit.

Dès que le signal retentit, je ne réfléchis pas. D'un mouvement brusque je dégageai mon épaule et ma hanche et me laissai tomber à plat ventre sur le sol. La douleur m'électrisa jusqu'au orteils mais je passai outre et sans même m'arrêter une seconde commençai à pousser sur mes mains. Le canapé tanguait et gémissait au-dessus de moi alors que je rampais à reculons à une allure d'escargot, me semblait-il. Un souffle presque imperceptible, un peu comme un soupir, résonna à mes oreilles et je sus que je ne serais pas assez rapide. Je poussais sur mes mains et mes pieds dans un ultime effort pour m'extirper de ce piège mortel, mais il commença à se refermer sur moi comme les mâchoires acérées et béantes d'un horrible monstre.

Soudain deux étaux d'acier enserrèrent mes chevilles et je fus brutalement tirée en arrière. Le canapé céda enfin et s'écroula, vaincu, à cinq centimètres de mes doigts. Je voulus me relever aussitôt et m'éloigner de la zone dangereuse, mais étourdie par le manque d'oxygène, mes membres étaient gourds et mes réflexes lents et émoussés. Thomas me saisit à bras le corps et m'entraîna avec lui, nous projetant sur le côté au moment où un morceau de plafond se détachait de l'amas et s'écrasait pile à l'endroit où je me trouvais encore quelques secondes auparavant.

— Merci, soufflai-je à Thomas, gisant à ses côtés sur le sol.

— Nous devons trouver une issue, ou tout ce que nous avons fait n'aura servit à rien, parvint-il à me répondre entre plusieurs quintes de toux.

Nous nous redressâmes lentement. Mon épaule semblait en feu et chaque mouvement étaient une torture. L'air était saturée de poussière et nous n'y voyions pas à un mètre. Sans trop y croire je levai les yeux vers le plafond, alors que Thomas se dirigeait déjà vers le mur, espérant certainement y déceler une brèche. Le câble électrique était toujours là, coincé dans un entrelac de poutrelles métalliques tordues. Et c'est là, à la lueur des étincelles, que je la vis.

— Thomas regarde, là-haut ! lui criai-je.

Ce dernier me rejoignit aussi vite qu'il le pu. A la lueur des étincelles électriques son teint paraissait terreux et ses lèvres commençaient à virer au bleu.

— A gauche du câble, tu vois, l'ouverture ?

— C'est trop petit, on ne passera jamais, me dit-il en essayant de masquer sa déception et son découragement sans y parvenir.

Il chancela sur ses jambes et je dus le retenir pour ne pas qu'il ne s'écroule.

— On pourra sûrement l'agrandir ou au moins appeler à l'aide. Il faut tenter le coup, c'est notre seule chance.

— Je... je ne suis pas sûr d'y arriver, m'avoua-t-il en se laissant glisser sur le sol. Je... je n'ai plus de forces.

— Reste là et repose-toi un peu. Je vais essayer de l'atteindre et si c'est assez large pour passer, tu me rejoindras.

Sans attendre sa réponse, je m'approchai de l'amas instable et prudemment, testai mes premiers appuis. J'allais me lancer, lorsqu'une nouvelle secousse survint.

— Bordel, c'est pas possible ! jurai-je, hurlant mon désespoir et ma rage alors que le câble oscillait dangereusement, tel un serpent fou, nous couvrant d'une pluie d'étincelles.

Délogé de sa prison de poutrelles, il descendit de plusieurs dizaines de centimètres, se rapprochant de nous et du sol. Je me précipitai vers Thomas pour l'aider à se relever et l'entraîner vers l'éboulis, le plus loin possible du câble électrique lorsqu'un nouveau pan de plafond glissa. Quelques gouttes d'eau nous éclaboussèrent avant que le tuyau ainsi révélé finisse de se déchirer, se mettant à déverser sur nous des litres d'eau glacée. En moins de cinq minutes, l'eau nous léchait déjà les pieds et le débit ne semblait pas vouloir ralentir.

— Soit on essaye, soit on meurt, me dit Thomas d'une voix méconnaissable, le regard rivé sur la brèche, heureusement toujours visible. A la prochaine secousse, le câble sera libéré et tombera dans l'eau, ou le niveau de l'eau montera suffisamment et là...

Pas la peine de préciser ce qui se produirait dans ce cas. Déjà transis et les pieds mouillés nous entamâmes l'ascension. Malgré son état, je laissai Thomas passer devant pour pouvoir le rattraper en cas de chute. Les premiers mètres ne posèrent pas de problème particulier et durant un instant je crus que, pour une fois, la chance était de notre côté. Puis le pieds de Thomas glissa et nous dégringolâmes dans l'eau. L'espace d'une seconde je faillis abandonner et je vis dans le regard de Thomas, qu'il n'y croyait plus. La rage au cœur, je me lançai une nouvelle fois à l'assaut des débris glissants, exhortant Thomas à s'accrocher et à ne pas abandonner.

Galvaniser par ma rage et mon envie de vivre, je parvins à couvrir la moitié de la distance, m'arrêtant sur une sorte de plateforme, petite mais stable. De mon perchoir, j'étudiai l'ouverture qui s'avéra plus grande que prévu.

— Thomas, on va pouvoir passer ! lui dis-je, ma voix transfigurée par le soulagement qui m'inondait. Rejoins-moi, c'est stable ici.

— Je suis désolé, Rose, mais je n'en ai plus la force, me dit-il avec un petit sourire triste, de l'eau déjà jusqu'aux genoux.

— Je vais venir te chercher, dis-je en amorçant ma descente.

— Non, c'est de la folie. Je suis trop lourd, tu ne pourras jamais me hisser jusqu'en haut.

— Et tu veux que je fasse quoi ? Que je t'abandonne ?! lui hurlai-je en continuant à descendre. Tu peux toujours courir, ajoutai-je en sautant dans l'eau à ses côtés.

Nous retentâmes la montée, mais au bout de trois tentatives infructueuses, je dus me rendre à l'évidence, il avait raison. Je ne pouvais pas trouver assez de prises et le tenir en même temps sans glisser.

— Rose arrête. Si tu continus, tu vas t'épuiser et tu ne pourras plus monter. Vas-y, va chercher de l'aide et je t'attends là.

Si nous partions, Thomas ne survivrait pas, c'était une évidence. Le câble n'était plus qu'à une cinquantaine de centimètres de la surface de l'eau. Il mourrait électrocuté avant que nous n'ayons atteint l'ouverture.  Même si je savais qu'il avait raison, je ne pouvais pas me résoudre à l'abandonner. On peut y arriver, souffla la douce voix de Whisper dans mon esprit. Fais-moi confiance, me murmura-t-elle encore m'emplissant de sa confiance et de sa certitude.

— Hors de question que je te laisse là ! rugis-je en fixant Thomas bien dans les yeux, mes iris virant déjà au vert émeraude désormais spécifique à Whisper. Alors dès qu'elle sera là, tu t'accroches de toutes tes forces et surtout, tu ne lâches pas ! lui ordonnai-je alors que le changement faisait muer ma voix et m'emportait dans son maelstrom de sensations et de douleurs.

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