Chapitre 19-2
Un long silence pensif et consterné suivit les bredouillements d'Abby, tout le monde se fixant par-dessus les reliefs du festin abandonné et refroidissant sur la table.
— Ooh, ça sent bon ici ! Il y aurait du rab ? demanda soudain Shane en poussant la porte de la cuisine, nous faisant presque tous sursauter.
Recouvert de poussière de plâtre et torse nu malgré la fraicheur automnal, il se tenait dans l'encadrement de la porte l'air fourbu et affamé. Bientôt rejoint par d'autres bricoleurs poussiéreux et épuisés cherchant à apercevoir ce qu'il se passait à l'intérieur.
— Bon, ce n'est pas grave, finit-il par dire en essayant d'y mettre une pointe d'humour. On va aller prendre une douche et on reviendra se faire un café après.
— Non, non, ne partez pas ! réagit Lyn en se levant. Nous avions terminé. Prenez nos places, je vais refaire du café.
— Et de l'omelette ? demanda un jeune homme que je ne connaissais pas d'une voix limite implorante.
— Pas de soucis, lui répondit Lyn avec un sourire communicatif. Vous allez m'aider les filles ?
Mia et Abby s'entreregardèrent avant que leurs regards ne dérivent vers Nicolas et Grant, toujours debout devant l'évier.
— Bonne idée, approuva Grant après une seconde d'hésitation. De toute façon, je dois vérifier que la propriété est sûre et que tous le monde est bien installé, vous venez avec moi ? nous demanda-t-il en se dirigeant vers la porte.
Abby semblait calme. Sous la supervision de Lyn et entourée d'une demi-douzaine de métamorphes, nous pouvions la laisser souffler un peu histoire de calmer le jeu.
— Tout va bien ? me demanda discrètement Shane alors que nous nous croisions. Il y a cinq minutes on aurait pu surfer sur la tension qui régnait dans cette cuisine.
— Oui. On a eu une petite crise métaphysique mais pour l'instant tout est sous contrôle. Garde quand même un œil sur Abby.
— Ok, me répondit-il en rejoignant les autres alors que je sortais de la cuisine à la suite de Nicolas.
Nous suivîmes Grant qui s'arrêta seulement quelques dizaines de mètres plus loin dans la grande salle à présent déserte. La cloison était terminée, masquant les stigmates du drame des mois précédents. L'odeur persistait toujours mais il faudrait sans doute plusieurs nouveaux mois pour en venir à bout. Grant se dirigea vers le coin salon, qui hormis la poussière, avait survécu à l'explosion. Je crus qu'il allait s'assoir mais à la dernière seconde, il détourna le regard et continua son chemin pour aller s'adosser à la cheminée.
— Tu es absolument certain que c'est une louve-garou ? attaqua-t-il aussitôt de sa voix acérée mais où pointait un soupçon de lassitude qu'il ne parvenait pas totalement à dissimuler.
— Aussi certain que l'on puisse l'être vu les circonstances, lui répondit Nicolas. Mais son énergie est celle d'une garou, pas d'une métamorphe.
— Et pour Mia ?
— Si je ne savais pas que c'était impossible, je dirais que c'est une lion-garou.
— Elle sent le félin et l'humaine à la fois, confirma-t-il d'une voix atone. Ce n'est pas une métamorphe, ça j'en suis certain mais son pouvoir est si proche du mien... un frisson le parcouru l'empêchant de terminer sa phrase. Franchement Nicolas, qu'est-ce que c'est que ce bordel ? Tu crois que c'est encore un coup d'Ivory et de sa clique ? Et qu'est-ce que les sorciers viennent faire là-dedans ? Ils ont toujours joué profil bas jusqu'ici.
— C'est parce que ce ne sont pas des sorciers ordinaires. Ceux-là ne lancent pas de gentils sorts de protection ou d'illusion, dit Azaldée en entrant dans la pièce.
Appuyée sur une béquille de fortune elle boitilla jusqu'à nous. Flottant dans ses vêtements d'emprunts trop grand et les cheveux encore humide de sa douche, elle paraissait avoir quinze ans. Pourtant, malgré la fatigue, son regard était grave et son ton posé et aucun soupir ne s'échappa de ses lèvres lorsqu'elle se laissa tomber dans l'un des canapés.
— Ce sont des sorciers noirs et plus précisément encore des sorciers du sang. Vous seul devez être en mesure de vous souvenir de leur engeance, ajouta-t-elle en se tournant vers Nicolas.
— Seulement de part les histoires et les légendes que mes parents nous racontaient lorsque nous étions enfants, mon frère et moi. Nous prenions cela pour des contes censés faire peur aux jeunes loup-garou téméraires. Mais ce que j'ai senti lorsque cette sorcière s'est emparée de mon esprit...
Ce fut son tour d'être parcouru d'un long frisson irrépressible auquel mon corps fit écho, rattrapé par nos souvenirs et les sensations partagés.
— Ce sont des sorciers dévoyés qui, il y a très longtemps, ont choisi la voix du sang pour asservir ceux qui était, à l'époque, les plus nombreux et les plus fort d'entre nous... les loup-garou. Ils pouvaient, comme vous l'avez apparemment constaté par vous-même, prendre le contrôle total de l'esprit et du corps d'un loup-garou, quelle que soit sa puissance ou son âge.
— Vous parlez comme un livre, jeune fille, dit Grant d'un ton méfiant. Pourquoi êtes-vous si bien renseigné sur la question ?
— Parce que j'étudie l'histoire de la magie. Je suis sensée être la prochaine enchanteresse de notre convent. C'est un mélange entre un sage et un historien, si vous préférez, ajouta-t-elle devant nos mines perplexes.
— Vous n'êtes pas un peu jeune pour ce genre de... responsabilité ? ne pus-je m'empêcher de lui demander.
— Oh, ma prise de poste n'est pas pour toute de suite ! me répondit-elle dans un petit rire soulagé. C'est une fonction dont les études durent trois fois plus longtemps que l'exercice de la fonction en elle-même.
— Et pourquoi un tel choix de... carrière, si je puis me permettre ? lui demanda Grant, visiblement toujours soupçonneux.
— Je n'ai pas vraiment choisi. On m'a laissé l'opportunité de refuser, bien sûr ! ajouta-t-elle précipitamment devant nos mines surprises. Mais j'ai toutes les qualités requises et ai toujours été un rat de bibliothèque. J'aime étudier, décortiquer les choses et l'histoire me passionne.
— Alors que faisiez-vous au sein du clan de Aaron ? demanda Nicolas en s'asseyant sur l'autre canapé, en face de la jeune sorcière.
— Au sein d'un convent, quel que soit son orientation principale, chaque jeune sorcière et sorcier doit se former et s'essayer à toutes les formes de magie avant de choisir sa voie. Même si la mienne est toute tracée, je me dois de m'y tenir encore plus que les autres. J'étais là-bas pour travailler la magie de protection et aussi car notre grande prêtresse n'avait aucune confiance dans le nouvel Alpha du clan. Elle voulait savoir si nous pouvions renouveler sans risque notre partenariat avec les tigres.
— Nous n'avons pas dû vous faire bonne impression, lui dit Nicolas dans un rire amer.
Azaldée sourit doucement et sous la jeunesse de ses traits, je vis déjà la sagesse et la douceur tranquille de sa nature. Sans que je puisse l'expliquer je lui faisais confiance, comme si un lien s'était déjà créé entre nous. Malgré sa jeunesse, c'était une belle âme et cela transparaissait dans son sourire.
— Bien au contraire, répondit-elle. Même si vous n'êtes pas un tigre, vous êtes puissant et digne de confiance. Si vous restez le chef de la communauté, nous resterons vos alliés. Si c'est Juan...
— Apparemment, il n'a pas attendu votre réponse avant de celer une nouvelle alliance, ironisa Nicolas d'une voix sourde. Comment cela se fait-il que vous ne les ayez pas sentis ?
— La seule raison que je vois, c'est qu'ils se sont téléportés.
— Téléportés ?! Comme dans Star Trek ! s'exclama Grant d'un ton incrédule qui m'aurait fait éclater de rire si je n'avais pas été si surprise par ce genre de réplique venant de sa part.
— Seuls les sorciers noirs en serait capable. Mais cela n'a toujours été qu'une légende et même si elle était vraie, ils n'auraient pas dû pouvoir passer notre bouclier. C'est l'une des raisons pour lesquelles je vous ais accompagné. Je dois comprendre comment ils ont fait. Car si il existe un convent de sorciers noirs assez puissant pour faire ça, nous devons le savoir et nous préparer.
— Nous préparer à quoi ? demanda Grant.
— A une nouvelle guerre, répondit-elle d'une voix triste et résignée.
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