Chapitre 17-1


La discussion qui s'en suivit fut longue, houleuse et magiquement éprouvante. Allistaire ne maîtrisait tellement pas sa nouvelle nature que son pouvoir fuyait, ricochant sur celui de Nicolas. Ils finirent quand même par parvenir à un accord, lorsque je suggérais qu'il suffirait de masquer la vue d'Allistaire pour régler une partie du problème ! Vu qu'il accepta aussitôt - proposant même de faire tout le voyage dans le coffre si cela pouvait nous rassurer – Nicolas finit par accepter et nous pûmes passer à autre chose. Même nous payer le luxe d'une douche, d'un repas et de quelques heures de repos, car entre temps, un pied à terre de secours avait fini par être trouvé.

Nous nous étions réparties entre les voitures de Allistaire et Moïra et une ambulance, prêtée gracieusement par le dispensaire. Elle n'était plus de prime jeunesse mais fonctionnelle et nous permettait d'emmener Ethan avec nous. Il avait repris des forces un peu plus vite que prévu, surprenant tout le monde et lui donnant une chance de nous accompagner. Cooper était bien sûr au volant de l'ambulance dans un uniforme d'infirmier, encore une fois prêté par Greta. Cat voyageait à l'arrière avec le blessé, car depuis qu'elle était réveillée, elle ne l'avait pas lâché d'une semelle.

Storm conduisait la voiture d'Allistaire. Ce dernier à ses côtés, un masque de nuit sur les yeux et Nicolas et moi installés sur la banquette arrière. Moïra nous suivait dans sa voiture avec Azaldée et ses enfants. Notre drôle d'équipage fendait déjà la nuit depuis plusieurs heures et je me demandais pour la énième fois où nous allions. Seuls Nicolas et les chauffeurs non-humains le savaient.

J'aurais pu mal prendre de ne pas avoir été mise dans la confidence, mais étrangement pas du tout, au contraire. Je me laissais bercer par le roulis et le doux bruit du moteur et durant quelques précieuses heures, m'imaginais que tout était normal. Pas d'attaque, pas de guerre, de rébellion, de sectes cachées... rien qu'un trajet en voiture avec mon petit ami pour quelques jours de vacances. Je savais que ce doux rêve n'en était qu'un et que la réalité me rattraperait assez tôt, mais j'avais besoin de cette petite parenthèse pour recharger mes batteries psychiques. Et je réalisai véritablement à quel point, lorsque nous arrivâmes enfin à destination.

Grant nous attendait devant un grillage à-demi affaissé, dans une posture figée et le regard emplie de douleur sourde.

— Ne me dit pas que nous sommes bien là où je pense que nous sommes ? chuchotai-je à Nicolas d'une voix encore enrouée par le sommeil, même si le choc m'avait parfaitement réveillé.

— Si et avant que tu ne montes sur tes grands chevaux, saches que c'est Grant qui en a eu l'idée.

— Tu plaisantes ?!

— J'ai bien peur que non, renchérit Storm alors que nous sortions de la voiture.

Mes jambes ankylosées par leurs longues heures d'immobilités, protestèrent lorsque je les dépliai et fit quelques pas hésitants sur la terre meuble et humide du chemin.

— On peut lui enlever son bandeau maintenant, ou non ? reprit Storm à l'intention de Grant en aidant Allistaire, toujours aveuglé, à sortir de l'habitacle.

— Oui, finit-il par répondre d'un ton très mesuré, trop peut-être. Il n'a aucun moyen de deviner précisément où nous sommes. Maintenant ou dans quelques minutes cela ne fera pas grandes différences et puis comme ça, vous n'aurez pas besoin de le materner.

Ce n'était pas dans les habitudes de Grant de parler autant, surtout pour balancer des évidences, me dis-je alors qu'une brusque flambée de pouvoir, épicée d'une pointe de colère fleurissait soudain alors qu'Allistaire relevait la tête.

— Je n'en ai jamais eu besoin de toute façon, répliqua-t-il d'un ton ulcéré tout en clignant des yeux, agressé par la clarté de l'aube filtrant à travers les arbres.

Je sentis le pouvoir de Grant frémir en même temps que ses lèvres, mais il ne dit rien et se contenta de tourner les talons, marchant sur le sentier défoncé s'enfonçant dans les arbres au-delà de la clôture avachie. Je n'étais venue qu'une fois dans la communauté de Grant, mais cette dernière avait été assez mémorable pour que je me souvienne qu'il existait une certaine distance entre les limites extérieures de son domaine et les bâtiments constituant celui-ci. Surprise que nous ne reprenions pas les voitures, j'emboitai tout de même le pas au métamorphe, Nicolas à mes côtés.

— Tu es certains de ta décision ? demandai-je malgré tout lorsque je parvins à sa hauteur.

— Oui, répondit-il après un long silence. Il n'y a plus de protections, mais les alarmes magiques fonctionnent toujours et sont indétectables. Les bâtiments sont voués à la démolition, ils ne viendront jamais nous chercher ici... ou du moins pas de prime abord. Nous devrions être tranquille pour un petit moment.

— Je croyais que le terrain avait été racheté ? demanda Nicolas.

— Oui... par moi, lui répondit Grant sans se retourner. Je l'ai racheté pour le compte de l'une de mes sociétés.

— Tu as pour projet de revenir t'y installer ?

— Non. Trop de souvenirs, trop de morts. Je voulais en faire une réserve naturelle. Un endroit neutre où les métamorphes pourraient venir courir en toute liberté.

— C'est une très belle idée, dis-je doucement, sincèrement touché par son projet.

Grant était réservé, bourru et paranoïaque dès qu'il s'agissait de sa fille mais s'il vous laissait la chance de l'approcher, il gagnait vraiment à être connu.

— Qui sera très difficile à mettre en place en l'état actuelle des choses, souffla Grant d'une voix lasse. Je me suis dit qu'en attendant des jours meilleurs, vous accueillir serait déjà un premier pas dans la bonne direction.

— Nous t'en sommes très reconnaissant,

— Même si vous pensez certainement le contraire, je ne l'ai pas fait pour ça. Je crois que j'avais surtout besoin de me rendre utile. Et... peut-être pas assez de courage pour revenir ici tout seul, nous avoua-t-il d'une voix serrée en continuant à avancer d'un bon pas.

Je sentis mon cœur me serrer. Cela n'avait pas dû être facile pour Grant. Habituer à régner sur son propre territoire depuis des années, il s'était retrouvé blessé et propulser au sein d'une meute de loup-garou. Lui, le seul métamorphe et félin qui plus est, avait dû ravaler sa fierté et s'adapter à un mode de vie qui n'était pas le sien. Il avait dû se sentir seul et abandonné.

Nicolas tendit soudain le bras et attrapant le poignet de Grant, d'une poigne douce mais ferme, le forçat à s'arrêter.

— Trop de souvenirs et d'émotions, sûrement. Mais un manque de courage, ça jamais ! affirma Nicolas d'une voix sincère, stoppant net le recul instinctif du métamorphe. Tu n'es pas seul. Nous n'avons peut-être pas été très à l'écoute ces dernières semaines et je m'en excuse, mais maintenant nous sommes là pour toi. Et si tu le souhaite, tu ne seras plus jamais seul. Il y aura toujours une place pour toi dans notre meute, loup ou pas.

Les deux hommes se fixèrent durant de longues secondes, puis Grant poussa un long soupir avant de fermer lentement les yeux. Nicolas s'approcha et avec précaution posa doucement une main sur son épaule. Voyant qu'il ne réagissait pas, il l'attira à lui dans une étreinte fraternelle. Storm et Allistaire, qui nous avaient suivi de loin, nous rejoignirent à l'instant où les deux hommes se séparaient.

— J'ai dit à Cooper de passer par l'autre entrée du domaine. Il a relayé l'information à l'autre véhicule qui vous accompagnait, nous expliqua Grant.

— Je sais, Cooper m'a prévenu, mais je n'étais pas inquiet. Et je suis flatté que tu aies penser à nous pour t'accompagner.

— Je ne me sentais pas de le faire seul...

— Nous sommes là, lui répétai-je en posant à mon tour une main sur son bras.

Puis, sans un mot de plus, nous repartîmes. Allistaire, qui ne devait rien comprendre à ce qu'il se passait, suivait sans un mot. Ce dont je lui étais extrêmement reconnaissante. Car à mesure que nous avancions, je sentais l'appréhension monter. Son geste me touchait mais qu'allions trouver au bout du chemin ? Resterait-il un endroit où s'installer, même provisoirement ? Ou devrions-nous camper dans un champ de ruines ?

Environ une demi-heure plus tard, nous arrivâmes en vue du bâtiment principal. Dans mes souvenirs c'était une grande maison de plein pied style ranch. A présent, seule la partie droite était intacte. Le reste de la demeure et de ses dépendances s'était affaissée sur elle-même dans un enchevêtrement de poutres noircies et de métal tordu. Mais le pire, c'était l'odeur. Même le temps n'avait pas eu raison de l'horrible remugle de fumée froide et de bois détrempé, mélangé aux odeurs ténues mais bien présentes de poudre et de sang.

— Combien de personnes sont mortes ici ? demanda Allistaire de sa voix de flic, d'où émergeait une colère froide et rentrée.

— Trop... beaucoup trop, lui répondit Grant. Ma fille et moi sommes les seuls survivants.

— J'espère que les responsables sont morts ?

— Les instigateurs de l'attaque, oui. M/ais leurs chefs... je n'en suis pas sûr.

— Dites-moi que cela a un rapport avec L.N ? nous demanda Allistaire, des éclairs dans le regard.

— Il y a fort à parier, lui répondit Nicolas.

— Alors on les fera payer, affirma-t-il à Grant qui le fixait d'un regard approbateur mais légèrement surpris.

— Je croyais que vous étiez flic ? finit-il par lui demander d'une voix sourde.

— Oui, mais je peux sentir la terreur, la douleur... votre douleur, expliqua-t-il à Grant d'une voix étranglée. Mais surtout la joie et le sadisme de ceux qui ont fait sauter la bombe. Vous ne le percevez pas ? nous demanda-t-il d'une voix suppliante et un peu effrayé.

Puis, ses yeux se révulsèrent soudain et il s'écroula comme une pierre sur le sol froid et couvert de feuilles. 

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