Chapitre 15-1


Intrigués plus qu'inquiets nous la suivîmes, rebroussant chemin vers le couloir. Un peu gênée de laisser la pauvre Asmodée toute seule sur son lit, je me retournai vers elle.

— Ne vous inquiétez pas. Nous ne sommes peut-être pas très nombreux en ce moment mais heureusement, les patients non plus. Quelqu'un va venir examiner votre amie, nous dit notre guide arrivant devant la porte.

Cette dernière s'ouvrit à l'instant où elle allait poser sa main sur la poignée. L'impulsion fut si énergique qu'elle faillit se la prendre dans le nez.

— Oh, désolé Greta ! s'excusa un homme d'âge moyen en levant enfin les yeux de son portable. Nous avons un patient ?

— Oui, une patiente. Blessure par balle et possible entorse de la cheville, elle t'attend lit numéro deux.

— Humain ou non humain ? demanda-t-il en sortant un petit flacon de gel hydroalcoolique de la poche de sa blouse, avant de se désinfecter les mains.

— Humaine, mais c'est une sorcière. Pas besoin de faire attention.

— Ok, lui répondit-il avec un sourire franc qui le rajeunit aussitôt avant de se diriger d'un pas énergique vers Asmodée.

Nicolas et moi échangeâmes un regard surpris tandis que nous la suivions dans le couloir par lequel nous étions arrivés.

— Henri est médecin mais c'est aussi un métamorphe dauphin, nous expliqua Greta en refermant la porte. Il peut déceler les fractures et bien d'autres choses sans radio, échographie ou scanner. C'est super pratique mais difficile à expliquer à certaines personnes... surtout en ce moment. Votre amie sera fixée sur son état en moins de cinq minutes.

— Vu la question qu'il vient de vous poser, cela signifie que vous soignez aussi des humains non-initiés ici ? s'étonna Nicolas de nouveau sur le qui-vive.

— Ce n'était pas le cas avant. Mais depuis que vous et vos sentinelles avaient commencé à aider les humains victimes d'attaques, le bouche à oreille fonctionne plutôt bien et certains parviennent à nous trouver ou se font accompagner jusqu'ici. Lorsque, par chance, l'attaque ne les a pas contaminés, nous préférons nous faire passer pour des humains sympathisants de la cause métamorphe, c'est plus sûr pour tout le monde.

— Je n'étais pas au courant. Vous avez eu beaucoup de cas de ce genre à gérer ? lui demanda Nicolas, un pli soucieux barrant son front.

— Quelques un, mais heureusement, à chaque fois, il y avait eu plus de peurs que de mal. Ce qui nous amène justement au service que je voulais vous demander, nous dit-elle en s'arrêtant devant une des autres portes du couloir. Ils sont arrivés hier soir et... j'avoue que je ne sais pas trop quoi en penser.

Sans attendre elle frappa un petit coup discret sur la porte et poussa le battant. Une douce chaleur nous enveloppa aussitôt, provenant de deux convecteurs électriques disséminés. La pièce, qui devait servir de salle de repos, était chaleureuse et accueillante même avec l'absence de fenêtre. Un tapis moelleux recouvrait presque entièrement le sol de béton et supportait une table basse où fumaient plusieurs mugs colorés. Deux canapés disposés en L et recouverts de plaids complétaient l'ameublement. Un homme blond était assis nonchalamment sur celui de gauche, sa cheville callée sur son genou dans une pose décontractée et blottis au milieu des coussins de celui de droite, trois paires d'yeux nous fixaient.

— Moïra, ce sont les renforts dont je vous ai parlé. Voici Nicolas et Rose, nous présenta Greta ignorant totalement l'homme qui ne s'en formalisa pas.

— Bonjour, nous dit-elle d'une voix prudente tout en essayant de rassurer ses enfants qui nous fixaient comme si nous étions des monstres particulièrement laids.

Ils paraissaient avoir entre dix et douze ans, mais c'était difficile à estimer, rencognés comme ils l'étaient contre leur mère. Le garçon avait une bouille ronde, les cheveux en batailles et de grands yeux bruns particulièrement expressif, mais le regard de sa sœur était exceptionnel. Brune comme son frère, la ressemblance s'arrêtait là. Ses yeux bleu-vert braqués sur moi me fixaient intensément et son air sérieux et posé la faisait paraître plus vieille que son âge. Il y avait de la peur dans ce regard mais aussi énormément d'attente et de questions. Attirée malgré moi, je m'avançai d'un pas. Je vis ses yeux s'écarquiller, très vite imités par les miens lorsque son aura toucha la mienne, m'électrisant de la tête aux pieds.

— Vous... vous êtes un... loup-garou ?

La question, posée d'une voix timide et un peu essoufflée, me prit tellement par surprise que je ne réagis pas tout de suite.

— Comment sais-tu que ce n'est pas une métamorphe ou une humaine ? lui demanda Nicolas.

— Elle c'est une humaine, lui répondit-elle d'une voix un peu plus affirmée en désignant Greta d'un petit geste de la main. Comme mon frère et ma maman. Le médecin que l'on a croisé en arrivant c'est un métamorphe. Mais elle, c'est un loup-garou, comme lui, ajouta-t-elle en désignant cette fois le jeune homme blond toujours assis dans son canapé.

D'un seul mouvement nous nous retournâmes vers lui et je l'observai plus en détail. Des cheveux un peu trop longs, des yeux noisette, relativement grand et de corpulence moyenne, rien qui ne sautait aux yeux et certainement pas son aura. Si cet homme était un loup-garou, il devait être sacrément vieux pour pouvoir dissimuler son pouvoir de la sorte, surtout à Nicolas.

— D'accord, répondit Nicolas, se désintéressant du jeune homme qui n'avait toujours pas ouvert la bouche, et reportant son attention sur la fillette. Et moi, je suis quoi ?

— Je ne sais pas... vous êtes trop loin, lui répondit-elle d'une voix de nouveau hésitante.

Nicolas avança d'un pas, se portant ainsi à mon niveau. La gamine prit une grande inspiration comme si elle manquait d'air et ses prunelles se remplirent de surprises et de peurs.

— Alors ?

— Vous êtes un loup-garou, comme eux, finit-elle par répondre.

— Pourquoi as-tu peur de moi et pas des autres ?

— Parce que je ne vous connais pas.

— Tu ne connais pas plus Rose ?

— Vous êtes un homme et vous êtes puissant et vieux aussi... beaucoup plus vieux qu'eux même si ça ne se voit pas.

— Comment peux-tu savoir tout ça ? m'exclamai-je en la fixant bouche-bée.

— Je ... je ne sais pas, me répondit-elle d'une voix tremblotante, au bord des larmes. Je le sais c'est tout. C'est un des symptômes qui s'est développée après ma maladie.

— Ta maladie ? repris-je en interrogeant la mère du regard.

— Elijah, Mia ? Si nous allions grignoter quelque chose dans notre cuisine improvisée pendant que votre maman discute avec Rose et Nicolas ? Vous n'avez pas faim ? leur demanda Greta, un grand sourire engageant sur le visage.

Les deux enfants jetèrent un regard interrogatif à leur mère qui les rassura d'un petit signe de tête et les poussa gentiment vers la jeune femme. Debout, Elijah était plus grand que sa sœur de quelques centimètres mais il se dégageait de la jeune fille une aura puissante et étrange dont le pouvoir me donnait la chair de poule sans que je ne puisse l'identifier avec certitude. En traînant les pieds et après un dernier regard anxieux dans notre direction, ils sortirent dans le couloir en compagnie de Greta.

— Je vous les ramène dans une petite demi-heure, nous dit-elle avant de refermer la porte.

Un silence pesant suivit le départ des enfants. Nicolas le rompit en allant chercher deux des chaises disposées autour de la petite table poussée contre l'un des murs. Il m'en donna une et s'installa à califourchon sur l'autre, les bras croisés sur le dossier.

— Vous nous expliquez ? demanda-t-il simplement d'une voix calme, ignorant toujours le loup-garou silencieux toujours vautré dans le canapé.

Je savais qu'il avait conscience de sa présence et qu'il ne s'expliquait pas plus que moi pourquoi nous ne l'identifions pas comme l'un des nôtres. Mais il avait l'air d'avoir un plan, ou tout au moins élaboré une stratégie, je l'imitai donc et tournant le dos au blondinet, m'installait sur ma chaise.

— Nous nous sommes installés ici, il y a seulement quelques mois. Mon mari et moi venions de divorcer et... ça ne s'était pas très bien passé. Alors quand j'ai enfin obtenu la garde des jumeaux j'ai préféré partir et refaire ma vie ailleurs. Autant pour eux que pour moi, nous avions besoin de changer d'air. Nous avons été très bien accueillit et les membres de la paroisse de notre quartier nous ont prit sous leurs ailes. Je n'avais pas vu les enfants aussi heureux depuis des mois puis... Mia est tombée malade.

— Comme ça, subitement ? lui demanda Nicolas, voyant qu'elle ne reprenait pas son récit.

— Oui, du jour au lendemain. Les enfants avaient passé un super week-end avec leurs copains au centre pour jeune de la paroisse. Mais le lundi matin, lorsque je suis allée réveiller Mia pour l'école, elle était brulante de fièvre. J'ai d'abord pensé à une grippe, même si c'est plutôt rare en été, mais elle ne toussait pas. Je l'ai emmené chez le médecin, il lui a fait une prise de sang, des examens... tous les résultats étaient normaux.

— Mais la fièvre ne baissait pas ?

— Non. Elle a commencé à délirer, à devenir violente. Elle avait beau être alitée depuis plusieurs jours, elle semblait prendre des forces au lieu d'en perdre. Un jour, lorsque j'ai voulu l'aider à se lever pour aller aux toilettes, elle m'a projeté contre le mur et lorsqu'elle m'a fixé, ses yeux avaient changés.

— Changés comment ?

— Ses pupilles étaient devenues toutes petites, comme des têtes d'épingles et ses iris étaient... jaune. On aurait dit... des yeux de fauves.

Nicolas et moi nous regardâmes, ne sachant plus quoi penser. Mia n'était pas un loup, c'était une évidence, je l'avais clairement senti lorsque nos auras s'étaient touchées. Mais ce n'était pas une métamorphe non plus, son énergie était différente, plus brute, plus sauvage.

— Votre mari vous l'aurez dit, s'il avait été un métamorphe ? lui demanda quand même Nicolas.

— Oh... ! Oui... oui je pense que oui, mais... nous répondit Moïra d'une voix choquée. Vous croyez que ma fille est une métamorphe ?

— Ce serait l'explication la plus logique, mais je ne pense pas, lui répondit Nicolas le front barré d'un pli soucieux.

Le silence retomba de nouveau sur la petite pièce. Tout ce que venait de nous raconter Moïra tournait et s'entrechoquait sous mon crâne, mon esprit tentant de trouver une réponse logique qu'il ne trouvait pas. C'est alors que l'un des détails du récit de Moïra me revint subitement.

— Vous avez parlé d'une église et d'une paroisse. Comment s'appellent-elles ? lui demandai-je le cœur battant, sentant que je tenais peut-être quelque chose.

— C'est l'église « Liberté Nouvelle », mais entre nous on l'appelle L.N. 

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Alors, le nom de l'église à changé :-) Je l'ai aussi modifié dans le chapitre 10-2 où le nom apparait pour la première fois ^.^ 

Très bon week-end et à très vite ^.^

 Des bisous <3 <3 <3 

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