Chapitre 11-2


Malgré sa mise débraillée, ses égratignures et l'épuisement qui défigurait ses traits, je la reconnu aussitôt. Le visage de Spéra s'éclaira brièvement lorsqu'elle me vit et c'est naturellement qu'elle claudiqua lentement vers moi, gênée par la silhouette avachie d'Eva qu'elle soutenait. Je me portai à sa rencontre tandis qu'une demi-douzaine d'autres personnes nous rejoignaient prudemment autour de la voiture, pris aussitôt en charge par mes compagnons.

Malgré leurs conditions de métamorphes, ils portaient tous les stigmates de leur fuite à travers bois. Hagards et couverts d'égratignures, ils grelottaient dans leurs vêtements trop légers et déchirés.

— Que s'est-il passé Spéra ? Où est Nicolas ? lui demandai-je en l'aidant à assoir la jeune femme contre le pneu de la voiture.

— Juan a pris le pouvoir. Il a d'abord essayé la ruse, puis la persuasion...

— ... pour finir par la torture et la prise de pouvoir sanglante, acheva Eva dans une quinte de toux inquiétante, en redressant lentement la tête. Il est devenu complètement fou.

— Il n'est pas fou, il est simplement avide de pouvoir. Il l'a toujours été. Si nous avions été moins divisés, et pour certain moins orgueilleux, rien de tout cela ne serait arrivé ! s'énerva Spéra en foudroyant Eva du regard.

— Spéra, où est Nicolas ? demandai-je de nouveau, à bout de patience, l'inquiétude me comprimant la poitrine.

— Parti chercher Cat.

— Et j'espère, remettre ce petit merdeux à sa place ! compléta Eva dans une grimace éloquente.

— Et c'est toi qui oses dire ça ?! s'insurgea l'un des métamorphes d'une voix outrée. Toi qui...

A présent, la colère prenait le pas sur l'inquiétude tandis qu'ils continuaient à s'écharper verbalement, la teneur exacte de leurs diatribes se perdant dans l'air frais de la forêt.

— ça suffit ! grondai-je, projetant involontairement une salve de pouvoir autour de moi.

Le silence se fit instantanément. Tous les visages tournés dans ma direction me fixaient, exprimant différents degrés de surprises. Storm et Cooper, leurs yeux mouchetés de paillettes émeraudes, frissonnaient légèrement, plus impactés que les autres.

— Jenny, te sens-tu capable de ramener tout le monde à la scierie ?

— La scierie ? Tu veux dire votre... votre Q.G ?

Je tiquai un instant et faillis éclater de rire en entendant le terme désuet qu'elle venait d'employer. Puis, je compris qu'elle avait seulement peur de faire une bourde. Nous n'avions découvert que récemment le passé du lieu où nous vivions. L'endroit avait été, tour à tour, une ferme, une résidence secondaire et un projet d'hôtel qui n'avait jamais vu le jour. Mais avant tout cela, c'était une scierie. Nous employions donc ce terme désormais pour le désigner avec discrétion, ce que Jenny ne pouvait pas savoir.

— Oui, répondis-je avec un petit sourire. Tu pourras les conduire jusque-là ?

— Sans problème, mais... il n'y a pas assez de place pour tout le monde ?

— C'est un break, le coffre est grand et en se tassant bien, ça devrait tenir, affirma une jeune femme brune, les bras enserrés autour de son corps pour se tenir chaud.

— Mais si on croise la police ? demanda Jenny.

Sur ce genre de route il y avait peu de chance, mais elle avait raison. S'il croisait la police avec une voiture remplie à ras-bord c'était le contrôle assuré et hormis Jenny, aucun autre ne devait avoir de papiers en règle.

— Tu as raison. Cooper, appelle Shane et dis-lui de prendre le vieux pick-up et de les rejoindre à mi-chemin, au vieil étang. Jusque-là ce ne sont que des routes forestières, vous vous rallongerez mais ne devriez pas croiser grand monde.

Jenny acquiesça en silence et commença à aider les métamorphes à s'installer du mieux possible dans l'habitacle.

— C'est bon ! me dit Cooper une minute plus tard en remettant son téléphone dans la poche arrière de son pantalon. Shane arrive.

— Qu'avez-vous en tête, Rose ? me demanda Spéra tout en grimpant dans le coffre aux côtés d'Eva.

— J'ai promis à Nicolas que je ne le laisserai plus jamais seul, répondis-je simplement en refermant doucement l'une des portières, essayant de ne coincer aucun doigt ni aucun orteil au passage.

Esperanza, me fixa de son regard sage et perspicace avant d'esquisser un petit sourire.

— Il a de la chance, murmura-t-elle alors que le coffre se refermait dans un bip-bip électronique, la dissimulant à ma vue.

Nous regardâmes la voiture cahoter sur le chemin, deux sacs à dos à nos pieds.

— Je ne vous ai même pas demandé si vous vouliez m'accompagner ! réalisai-je soudain fixant Storm et Cooper avec effroi.

Cela faisait à peine quelques heures que j'avais ma propre meute et je me comportais déjà en vrai dictateur. Ça commençait bien !

— Comme si tu avais besoin de demander ! ronchonna Storm d'un ton bourru en fourrageant dans l'un des sacs pour en sortir une arme.

— En plus, il n'y aurait jamais eu de place pour nous dans la voiture, ajouta Cooper en me faisant un clin d'œil. Bien sûr que l'on t'accompagne.

Il coinça un tazer dans sa ceinture et enfila l'un de sacs à dos. J'attrapai le poignard que Storm me tendait et fis de même avant de me tourner vers la forêt. C'est une fois en face de cette barrière sombre et dense que je réalisai n'avoir aucune idée du chemin à suivre.

— Moi je sais, me dis gentiment Storm. Je fais toujours parti des deux meutes, je ressens encore la présence de Nicolas.

Sans un mot je le laissai passer devant, un peu jalouse malgré moi. Lorsque nous arrivâmes en vu du mur d'enceinte encerclant la propriété d'Aaron, un drôle de frisson me parcouru. C'était ici que j'avais rencontré Nicolas. Nous nous étions même sauvés par ce même endroit. Malgré la pénombre je reconnaissais le vieux chêne moussu dont les racines noueuses avaient, en partie, fait s'écrouler le mur de pierre. A l'époque nous fuyions Juan et Eva, déjà pas très grand fan de Nicolas, la boucle était bouclée. Le destin m'envoyait un drôle de clin d'œil, me dis-je en sautant souplement par-dessus les pierres affaissées.

Nous continuâmes à avancer, le plus silencieusement possible, craignant les sentinelles embusquées. Pourtant aucun obstacle ne se dressa sur notre route. Même pas lorsque nous arrivâmes en vue de l'imposant manoir. Malgré le crépuscule proche, aucune lumière ne brillait aux fenêtres et aucun son ne filtrait de la bâtisse enténébrée. Il régnait dans la cours terne un triste sentiment d'abandon. Je m'approchai néanmoins de la porte d'entrée mais sans surprise, rien ne se passa lorsque j'en tournai la poignée.

— Derrière, me mima Storm avec sa bouche tout en m'indiquant avec sa main de faire le tour du bâtiment.

Toujours sans un bruit nous nous exécutâmes, tous les sens en alerte. Nous traversâmes un joli petit bosquet de buis taillés, disposé artistiquement sur le côté du bâtiment. Alors que je dépassais un cygne végétal, toutes ailes déployées, un souffle étrange me frôla. Je frissonnai, cherchant à savoir d'où venait ce pouvoir. Pourtant toujours aucun son, ni aucune trace d'une présence quelle qu'elle soit.

Alors que je tournais à l'angle du bâtiment, je me heurtai à une force invisible. J'avais beau mettre un pieds devant l'autre j'avais l'atroce sensation de marcher sur de la glue.

— Qu'est-ce que c'est que ça ? gémit Cooper, le souffle court.

— De la magie.

Storm et moi avions répondu en même temps. Dès l'instant où je l'eus nommé, l'enchantement qui nous emprisonnait disparu et ce qui était réellement en train de se passer à l'arrière du manoir, apparut soudain devant nos yeux. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top