Chapitre 1-1




Le rouleau semblait peser une tonne dans ma main alors que j'appliquais la dernière passe au mur désormais blanc me faisant face. Dans un soupir épuisé je laissai enfin retomber mon bras avant de m'affaler sur l'une des deux chaises en bois meublant la pièce en travaux.

— Du nerf, mauviette, me tança gentiment Lyn. Il en reste encore deux !

Son sourire goguenard et mutin était visible de l'autre bout du grand hall décrépit et humide dans lequel nous nous trouvions. Ses long cheveux noirs dégradés débordant de sa queue de cheval improvisé, étaient mouchetés de peinture lui donnant l'air échevelée d'une artiste bohème tandis qu'elle se penchait pour tremper son rouleau dans un pot rectangulaire posé sur le sol.

— Cette pauvre bâtisse à déjà attendu plusieurs dizaines d'années que l'on s'occupe d'elle. Ce ne sont pas quelques heures de plus qui feront la différence, lui répondis-je en essuyant mon front d'un revers de manche.

— Plus vite nous aurons terminé, plus vite vos invités permanents pourront déménager, et plus vite vous retrouverez un semblant de calme et de vie normale.

Une vie normale... depuis trois mois, ces quelques mots n'avaient plus beaucoup de sens, pensai-je lugubrement alors que les paroles anodines de Lyn me replongeaient dans l'horreur et le stress des derniers mois écoulés.

L'attaque planifiée par Kane et Ivory n'avaient été que le sommet d'un iceberg très gros et très profond, implanté en secret dans les tréfonds de notre société depuis très longtemps. Nous avions compris leurs desseins bien trop tard et sans en appréhender toutes les conséquences. L'attaque des humains par des loups-garous fraichement transformés avait mis le feu aux poudres, mais l'incendie qui couvait à petits feux était déjà hors de contrôle bien avant.

Quelques heures à peine après les premières attaques, les B.H.U faisaient leur apparition. Les Brigades des Humains Unifiés avaient envahi les villes comme des essaims de sauterelles, arrêtant et tuant arbitrairement et sans raison, tous les métamorphes répertoriés comme tels. Issues d'une branche secrète de l'armée, ces brigades constituées d'une douzaine d'hommes surentraînés, armés et équipés de munitions anti-métamorphes, avaient été chargés de ramener l'ordre par un gouvernement totalement dépassé par les évènements. Les humains, traumatisés, n'avaient pas lever le petit doigt devant les exécutions sommaires et les manières expéditives de ces nouveaux policiers sensés les protéger des vilaines bêtes assoiffées de sang qui voulaient leurs morts. Lorsque certains d'entre eux comprirent qu'ils avaient fait une erreur en laissant les rênes à l'armée, il était déjà trop tard pour reculer.

Dorénavant, les garous, comme ils nous appelaient tous à présent, Loup-garou comme métamorphes, étaient traqués sans répit. Un test cutané avait même fait son apparition et les contrôles, aussi aléatoires que fréquent, nous forçait à nous terrer comme des rats sous peine d'être arrêté, emprisonné... ou pire.

Ce climat d'insécurité et de suspicion était maintenu par les attaques qui se poursuivaient. Plus sporadique depuis la mort de Ivory et la disparition mystérieuse de Kane, elles demeuraient néanmoins et contribuaient à approcher chaque jour un peu plus le pays de la guerre civile. L'état d'urgence était déjà instauré dans la plupart des grandes villes et le couvre-feu sur le point de se généraliser à tout le territoire.

Nous étions parvenus à nous enfuir à temps, nous réfugiant dans un premier temps dans la communauté de Thomas. Nous avions dû attendre plus d'un mois de pouvoir revenir sur notre domaine, le temps qu'une sorcière encercle l'endroit d'un sort de protection. La résistance s'organisait doucement, Nicolas jouant un rôle plus qu'actif dans la mise en place d'un réseau sûr pour les métamorphes et jeunes loup-garou en fuite. Et nous pendant ce temps, nous jouions du pinceau ! Avec quatre membres de plus au sein de la meute, nous commencions à être vraiment à l'étroit dans la petite grange, aussi confortable soit-elle. J'avais conscience que notre tâche était tout aussi importante que celle de Nicolas, mais à chaque fois que j'étais de corvée de bricolage, je me sentais mise sur la touche.

— Bon, quand tu auras fini de ruminer et de peigner la girafe, tu pourras peut-être venir m'aider à finir de peindre ce mur ?! Ce sera beaucoup plus productif et moins déprimant, si tu veux mon avis.

— Pfff... rabat-joie ! maugréai-je en trainant ma carcasse courbaturée jusqu'au pot de peinture. Rappelle-moi à quelle heure on a commencé déjà ? Je ne sens plus mes bras !

— Tu as fini de geindre ?! Tu es une louve-Garou alpha, tu ne peux pas avoir de courbature !

— ça c'est un mythe ma chère ! lui rétorquai-je en secouant légèrement mon rouleau dans sa direction, l'aspergeant de micro-gouttelettes nacrées.

— Ah, tu veux jouer à ça ?! s'esclaffa-t-elle en sautant de l'escabeau sur lequel elle était perchée, avant de recharger son rouleau et de commencer à me poursuivre tout autour de la pièce en désordre.

— On s'amuse bien, à ce que je vois !

La voix amusée de Nicolas mis un terme à notre bagarre puérile tandis qu'il pénétrait dans la pièce d'un pas assuré. Ses cheveux bruns désormais coupés court, luisaient encore d'humidité, signe qu'il sortait de la douche. Ses vêtements intégralement noirs, jusqu'aux mitaines lui recouvrant la moitié des doigts, indiquaient quant à eux, qu'il s'apprêtait à partir en mission dès que la nuit serait assez sombre pour cela.

— Rose, tu sais bien pourquoi tu dois rester ici ? me dit-il d'une voix douce pour contrer mon air soudain renfrogné.

— Ce n'est pas pour cela que ça doit me plaire ! lui rétorquai-je en me dérobant à la caresse qu'il s'apprêtait à me faire sur la joue.

Agacée contre la situation plus que contre lui, c'est d'un pas énervé que j'allais plonger le rouleau dans le pot de peinture pour éviter qu'il ne sèche. C'est toujours le dos tourné que j'entendis son soupir désolé, vite suivi du son de ses pas s'éloignant sur le dallage en marbre.

— Rose, tu sais qu'il n'y est pour rien. Ne le laisse pas partir comme ça, tu sais que tu vas t'en vouloir toute la nuit, me tança gentiment Lyn.

Je levai brièvement les yeux du pot que je fixais sans vraiment le voir et croisai le regard, mi tendre, mi réprobateur de Lynda.

— Allez, rattrape-le ! Je vais terminer ici. Pour l'aide que tu m'apportais de toute façon ?! ajouta-t-elle en m'envoyant une nouvelle salve de gouttelettes ivoirines.

J'évitais sans mal son attaque traitresse et après l'avoir remercié d'un regard éloquent, rejoignis les doubles portes en bois gauchi. Malgré la pénombre de ce début de soirée d'octobre, je distinguai sans mal sa silhouette. De dos et immobile quelques mètres plus loin, il paraissait m'attendre, le regard perdu dans les dernières lueurs rosées du crépuscule.

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