Printemps 1978 : la fin


Un jour...


Sirius faussa compagnie à ses amis et caracola dans un escalier. Son grand diable de rire ricocha sur les marches et se tut. Dans son dos, le tumulte festif de la Grande Salle s'atténua lui aussi mais sans cesser tout à fait, sans se laisser oublier. D'une main fébrile, il alluma une cigarette qu'il coinça dans la courbe de son sourire en coin. Il colla ses épaules au mur, soupira profondément, et se laissa glisser à terre, la tête baissée entre ses genoux.

Les basses de la musique pulsaient au loin, un peu déformées entre ses tempes battantes.

Il releva vivement le menton, tira une grande bouffée et frappa sur le carrelage du mur, derrière sa tête.

« Eh, Mowgli, tu es là ?

Écoute.

J'ai quelque chose d'important à t'annoncer. »


 Attends, il faut que je te raconte, avant,

Tu n'as pas vu Remus nous faire réviser, pieds nus dans l'herbe du Parc. Son bachotage, c'était d'une violence, je n'ai jamais travaillé autant. Mais devine quoi ? J'ai réussi ma potion de morte-vivante. Moi. J'aurais dû postuler pour être Auror finalement. Non, je rigole. Mais imagine quand même.

Ça veut rien dire pour toi, petite tête, je sais, je raconte seulement.

Je me suis assoupi, dans le Parc, après l'examen. Il m'a réveillé en caressant mon nez avec un brin de lavande. Juste derrière, il y avait son sourire, et derrière, il y avait trop de soleil pour que je distingue autre chose.

Tu n'as pas vu James et Lily sur un ponton, à contre-jour du couchant. La ceinture de Vénus était parsemée de nuages aux contour délicats, mouchetés de rose, ourlés de corail et d'or. On aurait dit que les couleur savaient ce qu'elles faisaient, qu'elles se plaisaient même à se décliner en nuances de plus en plus fines, pour nous, pour eux. On aurait dit une peinture, s'il est possible qu'une peinture soit parfaite. Pourtant, une telle harmonie, je ne peux pas l'attribuer au hasard. Ils se sont tournés vers moi pour la photo. Sous leurs yeux, j'ai senti mon cœur et mon ventre s'habiller de ces couleurs-là. Je croyais en être indigne, mais James ne l'a jamais pensé. Comme le Lac insondable et ténébreux reflète fidèlement le couchant, il y a désormais un ciel entier dans mon cœur, rien que pour eux deux. Je voudrais les y tenir pour toujours, protégés de toute corruption, de tout.

Et comme je suis con, j'ai dit :

« Eh, James ! Mets-toi sur la pointe des pieds pour la photo, Lily est plus grande que toi ! »

Il a répondu :

« Et alors ? Elle est très belle comme ça ! »



« Tu te rappelles de cet hiver où je t'ai sortie du Château sur mon balai ?

D'accord, d'accord, arrête de crier !

Ça n'a rien à voir avec ce que j'ai à te dire. »


Après les examens, on n'a pas vu Remus pendant deux jours entiers à cause de la pleine lune. J'ai peur des jours où il sera malheureux quand on vivra ensemble. Ce n'est pas que je ne saurai pas quoi faire, ou que ça me mettra mal à l'aise, ce n'est pas pour moi que j'ai peur.

Espérance et inquiétude sont sœurs jumelles.

Un jour, je caresserai sa face de monstre de mes mains nues


Remus c'est

Un amour qui habite ma peau et qui dépasse mon corps

Sept ans après, il brûle et me dévore encore,

et pourtant jamais je ne me suis senti si vivant


« Tu te rappelles de la première fois que nos yeux se sont croisés, le tien tout globuleux et le mien à moitié défoncé ? »

Je venais de pleurer

A cause de mon père

« Franchement, je peux te le dire maintenant : j'ai eu le coup de foudre. » On a emmené Peter et James dans le ciel étoilé de la Grande Salle, sans leur dire, bien sûr, qu'on y était déjà allés

On s'est accoudés sur la balustrade en silence et on a gardé les yeux ouverts toute la nuit

Ça tourne encore dans certains de mes rêves

Comme dans un coquillage, on entend la mer

Là haut, James a gravé dans la pierre :

Moony

Queudver

Patoune

Bois D'or


« Merci pour toutes tes astuces, ces jours à Poudlard n'auraient pas été les mêmes sans toi »


On en aura légué derrière nous au fil des années des constellations de graffitis sous les tables, sur les plinthes, derrière les carrelages, sur les poutres, sous les lits, des dessins surprises dans les livres de la bibliothèque et, la semaine dernière, quelques farces à retardement. On a marqué le terrain, tu vois, histoire de pas partir


Pas partir comme ça, je veux dire.

Pas partir

comme ça


« Hey, Mowgli,

Je vais partir » 


Cette année, la fête des Maraudeurs a lieu dans la Grande Salle, tu entends ? Il va sans dire que cette fois elle ne s'appelle pas la fête des Maraudeurs, mais il y a le Juke-Box de Remus, nos lumières, les danses qu'on a inventées, le rire contagieux de James, les reparties embarrassantes de Peter, tout.

Mais pas tout le monde. Il y en a qui

tu penses bien

Qui ne sont pas venus

Ceux que nous n'avons pas retenus

Ceux que nous n'avons pas sauvés


« Tu comprends ce que j'essaie de dire ? Tu as vu que nos affaires étaient rangées. Tu as l'habitude quand vient l'été, bien sûr. Mais cette fois, c'est pour toujours.

C'est con, mais j'aimerais être sûr que tu comprends ce que ça veut dire

Je ne veux pas que tu te sentes abandonnée »



La nuit dure longtemps, si longtemps que je me demande si Dumbledore n'y a pas mis un peu du sien pour allonger les secondes. 


 « Mowgli ?

Je ne peux pas t'arracher à ce château qui est le tien »



Et McGonagall

Je n'ai pas encore réussi à lui dire au revoir, il faudra bien que je me décide mais

Je suis tellement en colère

Tellement


Je suis tellement

...



« Alors, voilà.

J'ai tout raconté.

J'espère que tu vas m'oublier, comme ça tu ne seras pas triste trop longtemps » 



 « Allez, bye. »



https://youtu.be/ZcGMCnxY3Ug

Un jour... 


 La locomotive exhale une plainte de fonte rouge, et Sirius clame « Sunflower ! » en sautant le premier sur le pavé, éclaboussé par les rires et la lumière de midi sous la verrière, entre les arcs de métal.

Le quai de la gare chavire sous mes yeux qui voltigent, incapables de se tenir.

Bientôt tout le flot des élèves est descendu. Au milieu des effusions, Peter chantonne joyeusement un air grave des Doors :

« This is the end, beautiful friends ! Of our elaborate plans, the end !

- Ah non, proteste Sirius. Ce n'est pas la fin. C'est le début ! »

Il avance vers la sortie avec résolution. Dans ma tête à moi, il y a les synthétiseurs désorientés de Bowie. Leurs notes paraissent onduler, comme déformées par la chaleur ou le doute. Pourtant quand éclatent la guitare et la batterie, tout est renversé. Comment une musique peut-elle rayonner en même temps d'une nostalgie si vibrante et du comble de la hâte ?

Comme s'il avait la réponse, ou qu'il s'en fichait, Sirius éclate de rire

Comme s'il était la réponse

James nous sourit. Ses beaux yeux bruns passent de lui à moi. On n'en a toujours pas parlé. Je crois qu'on n'en parlera jamais. Mais il déclare, en nous regardant l'un et l'autre : « Si c'est la fin, alors c'est une fin heureuse. »

Il salue Peter, qui discute plus loin, puis il prend la main de Lily et, si vite, si tôt, il disparaît derrière la barrière magique le premier, et elle, juste après.

Il reste Sirius et moi. Il marche dans les pas de James en direction de la sortie, mais il se retourne encore une fois. Il me tire la langue. Je lui réponds par un clin d'œil. Toutes les particules de mon être se précipitent vers son âme grand ouverte, mon passé, notre avenir, une existence tout entière.


Et il jure solennellement :


« Je t'attends de l'autre côté. »



~ FIN ~

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top