Printemps 1977 : un exercice
Un jour...
« Sirius, mais tu vas arrêter de faire ta mauvaise tête ? Tu te trompes de chemin !
- Pardon mais t'es qui ? Rappelle-moi, t'es qui pour juger mes choix de vie ?!
- Cachu, tu vas me parler sur un autre ton ?! Je suis majeur figure-toi ! »
Majeur ! Euphemia et Fleamont échangèrent une œillade lumineuse sous un vernis d'accablement ironique, comme s'ils se tenaient la main par le regard. Puis ils partagèrent avec Lyall les verres des quatre garçons, encore pleins d'hypocras. Si Remus avait apprécié le raffinement du vin rituel, ses amis l'avaient dédaigné pour leur chère bièreaubeurre. Et maintenant, ils jouaient dans labyrinthe.
En fin de journée, Remus et son père se recueillirent près de l'arbre d'Espérance. Ils ne dirent rien. Les paroles de regret étaient imbéciles. Ce jour n'était pas plus important que les autres : qu'importe l'heure, elle serait toujours morte trop tôt. Lyall n'était pas encore prêt à se réjouir du charivari de la jeunesse. Peut-être qu'il ne le serait jamais plus, et alors ? Il avait tout donné pendant vingt ans, c'était assez d'avoir connu cela. Il était mieux là maintenant dans la forêt, sous le frémissement du soleil qui dispensait ses piécettes à travers la canopée, coupole et bouclier, l'odeur d'écorce tiède, de feuilles en lambeaux sous ses pieds nus, la terre bruissant d'insectes, le monde qui malaxe et malaxe encore son énergie pour nourrir les racines du jeune érable. Il pouvait bien donner sa vie, lui aussi, à présent, se retirer comme un ermite ou jeter son corps dans la bataille. Cela n'avait plus d'importance.
Ils dînèrent dans le jardin des Potter, entourés de braseros aux étincelles magiques, et dormirent tous par terre, dans la chambre sous les combles. Remus et Sirius se tinrent la main toute la nuit, dissimulés par les couvertures. Ils retournèrent à Poudlard tôt le lendemain matin, par cheminette et, avant de faire apparaître le petit déjeuner, Dumbledore se leva pour faire une annonce :
« Les perturbations qui agitent en ce moment le monde sorcier deviennent sévères. Les familles de certains d'entre vous ont été touchées, plusieurs ont dû déménager, d'autres sont séparés de leurs proches. Il y a aussi eu des blessés. Nos pensées les accompagnent. Je tiens à vous rappeler en premier lieu que nous, professeurs et éducateurs, sommes disponibles, à votre écoute, à votre secours, si vous veniez à être submergés par la somme de ces événements anxiogènes, ou si vous avez besoin de ressources. J'insiste également sur la nécessité d'une solidarité implacable entre élèves. La vie doit continuer, et elle doit faire preuve chaque jour de davantage d'humanité. Entraidez-vous, soutenez-vous, et ayez toujours une main tendue pour celles et ceux qui en ont besoin, à votre échelle : cela peut être une oreille attentive, un soutien dans les cours, une activité plaisante à partager, ou le respect parfois d'un souhait de silence.
Une seconde chose.
Nous avons pris la décision de vous préparer à réagir en cas d'intrusion dans l'école. »
Il fit une pause parce qu'il s'attendait à une réaction cinglante. Mais il y eut d'abord un grand silence. Quelqu'un, près de Lily, souffla à peine :
« Comment, est-ce possible dans Poudlard ?
- Oh tu sais, un peu de Polynectar et voilà...
- Ou la force des Géants !
- Oh, c'est un nouveau jeu d'évasion ? » s'excitaient James et Sirius.
Les première année étaient excités aussi, parce qu'ils ne comprenaient pas encore bien : comme James, cela leur apparaissait sous la forme d'une nouvelle activité magique, et la vue de ces deux Maraudeurs enthousiastes les amusait beaucoup, les rassurait en fait. Lily arborait une petite moue indécise. Elle avait confiance en ses pouvoirs mais n'osait admettre ce qu'impliquait un tel entraînement. Sur les autres planait une inquiétude diffuse parce qu'on avait confiance en Dumbledore, que le Château était une forteresse. D'accord, ce ne sera qu'un exercice.« Le premier aura lieu après-demain, pendant une séance de cours : cela laissera le temps à vos directrices et directeurs de maison de vous faire répéter les consignes d'ici-là. A quinze heures, un signal sera émis depuis mon bureau. Il sera relayé par vos professeurs et vos préfets. A l'instant où ce signal vous parvient, le silence est de rigueur. Et oui, si besoin, cas de force majeur, nous vous ensorcellerons. »Sirius adressa un mauvais sourire au directeur.
« Les professeurs ou élèves qui en sont capables jetteront des sorts de dissimulation sur les tables sous lesquelles vous vous cacherez, puis un bouclier de protection maximale sur la classe entière afin de repousser les éventuelles agressions.
- On n'a pas le droit de...
- Non, monsieur Potter, seuls les professeurs seront autorisés à rester debout pour défendre la porte.
Les autres exercices seront effectués sur des horaires où vous ne serez pas en classe. Je vous donnerai les consignes en temps voulu. A partir d'aujourd'hui, j'invite fortement les élèves les plus jeunes à se déplacer accompagnés de camarades, et d'élèves plus âgés autant que possible. Je vous ai parlé de solidarité tout à l'heure, il n'est plus l'heure des querelles. Veillez les uns sur les autres. »
Un frisson traversa la grande salle. Il n'était pas animé que d'effroi, il respirait aussi une certaine excitation aux mains chaudes ; la confiance, les tablées soulevées ensemble par ce frisson rôdé, huilé, unité.
Le lendemain, James se tenait fièrement debout parmi les moniteurs des séances de duel.
« Où puises-tu cette énergie ? bâilla Remus.
- Je n'ai pas ton petit problème de fourrure...
- Il a une sacrée motivation, corrigea Sirius en désignant Lily du regard.
- Il faut que je me rattrape. La dernière fois, à Pré-au-Lard, je n'ai dit que de la merde, geignit James.
- Quel genre de merde ? Genre "Voldemort ne dit pas que des conneries" ou "ton père a volé toutes les étoiles du ciel pour les mettre dans tes yeux" ? »
James grimaça en pesant les options, mais l'entrée de Dearborn interrompit son dilemme. Quatre animateurs se proposaient d'accompagner une trentaine d'élèves, de onze à quinze ans, dont les difficultés étaient hétéroclites : manque de confiance en soi, confusion dans les réflexes à cause de mauvaises habitudes, crainte d'avoir mal, etc. Peter suivait ce cours supplémentaire pour rattraper ses amis qu'il savait meilleurs que lui. Sirius était venu par affection pour James, et il se figurait que c'était la même chose pour Remus, alors que Remus était venu parce que Sirius refusait toujours de se battre et n'admettrait jamais qu'il était un des cas problématiques.
Remus ne lui en parlait plus : après l'avoir invité par le jeu, houspillé, lui avoir manifesté son inquiétude, ne lui restait que le désemparement. Les professeurs n'avaient pas mieux réussi à le remobiliser, James et Peter ne s'en souciaient pas. Il finissait par se convaincre qu'il en faisait une affaire personnelle et ce n'était pas une bonne chose. Après tout, à douze ans déjà, Sirius réussissait à éviter les sorts de ses cousins. Il avait participé à deux camps de renforcement aux entraînements bien plus exigeants – oui, mais les Mangemorts aussi ! Maintient-on un tel niveau quand on ne s'entraîne pas régulièrement ? Le Quidditch exerçait son endurance et ses réflexes et même en classe, il n'était pas si réfractaire quand il s'agissait de reprendre ses camarades, s'en moquer gentiment et glisser des astuces dans les moqueries.
D'ailleurs, le voilà qui revenait d'avoir hué une deuxième année. Il posa son index entre les sourcils de Remus pour en effacer le froncement. Allons, ce n'était peut-être pas si grave. Sirius trouvait ses échappées, comme toujours, incapable de marcher droit, mais au moins il avançait.
« Qu'est-ce qu'il y a ?
- Rien. La fatigue. »
J'essaie d'avoir confiance en toi et je me déçois de ne pas y arriver.
« Va prendre un bain ?
- C'est ta réponse à tout ? sourit Remus.
Tu viens ? » chuchota-t-il encore.
Sirius répondit par une moue et désigna la classe.
« James m'a proposé de faire des passes, expliqua-t-il vaguement. Mais vas-y, toi. On se retrouve ce soir. »
Remus hocha la tête. Est-ce que cela sous-entend qu'il essaie ?
Arrête d'en faire une affaire personnelle.
Il n'alla pas prendre de bain, il préféra courir, secouer la tristesse qui refroidissait ses membres. Parfois, comme Sirius, il avait envie de se plonger dans le déni, se dire seulement : reste derrière le rideau, plus tard, d'accord, et peut-être que ce plus tard n'arrivera jamais, qu'on ne sera jamais obligés de se battre. C'est tellement effrayant quand les professeurs s'y mettent, ce ne sont pas des choses que nous sommes censés étudier. Est-ce que sur le champ de bataille, de toute façon, je saurai réutiliser ce que j'ai appris, qui dit que je ne serai pas tétanisé par la sidération ?
Sirius sait
Sirius l'a fait, j'en suis certain
Alors comment pourrais-je comprendre ?
Sirius qui en ce moment, les bras croisés, est en train de toiser le club de duel tout entier
Encore accablé par la mine de Remus, comme s'il la portait sur les épaules, sur la conscience
A-t-il regardé son frère, à la table des Serpentard, le jeune noble dégénéré
Dont les yeux crachent un venin qui ne creuse que ses cernes
Te voilà rongé par ton propre poison
Alors que du sang même, on en réchappe !
Et moi, je n'ai pas pu, je n'ai pas su
Je ne peux même pas te demander comment ils te traitent à présent
Remus, je n'ai pas su retenir le coup de Snape, et je l'ai jeté sur toi
Ça n'a servi à rien
Comment pourrais-je prétendre...
« Eh, Patoune. »
C'est James, un peu rude, comme le sol sous les talons quand on manque la dernière marche, comme la cloison où se cogne la bille de métal.
James, j'ai si peur de mes bras et de ma mauvaise tête.
« Quoi ?
- Viens.
- Et Lily ?
- Chut. »
Sois pas con, cherche pas d'excuses, viens. Ils traînèrent dans les couloirs les moins peuplés, parce qu'ils avaient envie de marcher sans se regarder, même rythme, même direction, les bras qui se touchent, même respiration. Dans les corridors les plus sombres, des vasistas dessinaient des carreaux d'or par terre et ils grimacèrent de rire en constatant qu'ils ne pouvaient pas résister à l'envie d'y sauter à pieds joints. Ils tapèrent dans leurs mains, James déplaça ceux de Sirius pour le faire manquer. Merlin de gamins. Il le rejoignit sur sa case, s'accrocha à son bras et ne le lâcha plus, l'un tourné vers l'est, l'autre vers l'ouest.
James n'était pas doué en paroles. Il était doué en conseils, à la papa. Mais pas en paroles. Alors il balança tout en vrac, en serrant le bras de Sirius, comme si l'émotion devait ne plus circuler, pendant un instant de répit, barrage.
« Tu sais, si tu enfermes ça, tu leur concèdes ta puissance.
Si tu ne te bats pas, tu leur laisses le pouvoir.
Tout ça, ce que t'as vécu, ça ne doit pas être vain.
Sirius, depuis quand tu t'arrêtes sur le passé ? Depuis que je te connais, tu as toujours été celui qui va de l'avant, qui piétine les convictions arriérées et réacs pour t'en faire un escalier. »
Il se cogna à son ami, lui fit une prise à laquelle il ne résista pas et le souleva sur son dos. Sirius laissa échapper un grognement de rire à contre cœur, les bras serrés autour de ses épaules.
« Grimpe, grimpe, je suis derrière toi, reprends confiance, et sinon, regarde-nous, regarde-moi.
Tu sais qu'on ne te laissera pas prendre le mauvais chemin.
Je te soutiendrai toujours.
Et moi, j'ai besoin de ta force. »
Si les élèves étaient galvanisés le jour du premier exercice, les Maraudeurs étaient déjà blasés – toujours un degré d'avance. Ils avaient passé les cinquante dernières heures à lancer des signaux de fumée, des pétards caqueteurs, à se jeter sous les tables au moindre prétexte, et surtout à inciter les autres à en faire autant.Le signal prit la forme d'un patronus en forme de raton-laveur qui surgit pendant le cours de Métamorphose.
« Oh, c'est Pomfresh ça !
- Potter, dix points en moins pour Gryffondor !
- Ah ouais, c'est v... » soupira-t-il avant de s'écrouler sous sa table, la tête sur les mollets de Sirius, bâillonné par un sort.
McGonagall dépêcha trois chats fantomatiques vers les salles suivantes, pendant que ses élèves maintenaient le bouclier maximal. Hagrid et Pomfresh, l'un par la force, l'autre par les sorts, tentèrent de forcer l'entrée, en vain.
« Félicitations, les sixième année !
- Vous pouvez nous récompenser de quinze points, s'il vous plaît ? » réclama la voix trop tôt retrouvée de James.
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