Printemps 1977 : corde raide
https://youtu.be/1rpLTRiJyRA
Un jour...
They say some days you're gonna win
They say some days you're gonna lose
I tell you I got news for you
Your losin' all the time you never win
C'est l'album des dix-sept ans de Remus. C'est Sirius qui le lui a offert, parce qu'ils n'arrêtait pas de murmurer les paroles, siffler les violons, taper sur ses cuisses au rythme de la batterie. Il a marchandé avec Emmeline, une de ces négociations amicales aux contreparties absurdes. Une boîte de fizwizbiz, un tatouage qui bouge et une invitation au prochain concert d'Electric Light Orchestra. Le tour inaugurateur de ma future moto, un vol à dos d'Hippogriffe, un atterrissage en haut de Big Ben. Un dessin. Un dessin ? Tu me cèdes cet album pour un simple dessin ? C'est le genre de musique qui te colle à la peau, transparente : tu te vois au travers avec toutes tes iridescences indécises. Il rythme tes jours sans que t'aies rien demandé, le genre de musique qui t'empêche de te réveiller le matin tant que tu n'as pas commencé à la chanter en esprit, et puis Sirius tire la langue, de l'autre lit. Les paroles ne sont pas optimistes mais ça ne les dérange pas de chanter la fin du monde sur un air joyeux. No Future. Tout ce que nous avons acquis était interdit : les études, la famille, l'amour aussi, alors inventons le concert de la fin du monde. Je marche sur la corde raide, sur les rambardes des escaliers mouvants, sur les balustrades en haut des coursives de la grande salle, la gorge enflammée par un mauvais rhum volé en cuisines. C'était l'idée de Sirius, pas du tout, c'était la tienne Moony ! l'alcool passe du goulot froid à ta bouche, à ma langue qui vient y chercher le sucre, les rires grésillent, se parent de hoquets et soupirs quand dérapent leurs mains sur la pierre, déséquilibre, tu es ma gravité, dans tous les sens du terme, mon space opéra. Remus danse sur ses longues jambes, sans grâce, c'est bien pire, seul dans sa tête à ce moment-là et Sirius le regarde, allongé sur le sol, à moitié déshabillé, la main dans son vêtement mais pas pour se caresser : pour se sentir, presque se rassurer. Ils cacheront les égratignures pendant le petit déjeuner, et oublieront sitôt qu'il sera proposé d'aller se baigner. Dans l'herbe, à l'ombre fragmentée des aulnes, Remus aide un groupe de cinquième année à réviser. Le soleil est si ardent qu'on entend les graines des ajoncs crépiter dans leurs gousses. Sirius barbote dans l'eau, taquine les poissons, glapit, et veille veille veille. Peter n'a pas cessé de cacher des bombabouses sous la table des Serpentard et Sirius n'a pas cessé de tenir tendue dans le coin de son esprit la vigilance insufflée par Dearborn. Il croit naïvement qu'il la laissera derrière lui quand il prendra le train pour la maison de James. Il efforce de s'en convaincre sans y croire, pour ne pas détester trop fort Dearborn qui assombrit ses bons moments entre les vieilles pierres et les tableaux. Il déteste Dearborn car il sait que ce n'est pas sa faute : il n'a jamais été serein. Il idéalise, il redessine ce qui ne lui plaît pas. Avant, c'était la famille, maintenant ça. Demain ? You're losing all the time, you never win. Eh, je la perdrais bien l'anxiété, semée derrière moi, dévorée par les pies voleuses et la vermine. Est-ce quelque chose dont on peut se débarrasser ? You never win. Mais la joie, Remus, il y a la joie ! Tightrope, c'est pire que conduire un balai dans la tempête : pour avancer sur la corde raide, il faut respirer sans erreur et faire descendre la gravité. La gravité, la gravité pèse dans mon ventre, celle des yeux de James lors de la dernière sortie à Pré-au-Lard, et il n'était pas question de Lily, il était question des étrangers déboussolés, des ombres plus nombreuses à la Tête de Sanglier, ce bar-là n'est pas un de ceux où l'on se retire volontiers quand les autres sont blindés. Losing all the time, c'est pas perdre le pire, on s'y fait au vide ; le pire c'est ce cœur cabochard qui s'accroche à tout ce qui passe, comme du gui parasite. C'est l'inattendu. C'est l'envie de provoquer ce pas de côté, pour clouer le bec à l'espoir agaçant qui palpite trop fort ; Alerte ! Mais je sais, cachu, je sais ! Alerte ! Arrête de crier !
If you believe that's how it's gonna be I'd better
Put you down
Get off your tightrope up there come down on
The ground you gotta save me now
Je n'aurais pas dû boire. Je devrais boire tout le temps. Bordel, que ça m'a manqué, le nœud qui se défait dans le ventre, la chape dans la tête qui devient brume, je sais qu'elle ne disparaît pas, mais dans le brouillard au moins, on peut danser. Remus danse. Quand il danse, il se confond avec les volutes de mes pensées noires, il les apprivoise, insolent, comme si c'était des serpents. Bientôt, il avalera une nouvelle gorgée de rhum, avant de descendre me sucer. Frisson de l'interdit, dénicher les endroits les plus incongrus, se moquer des endormis en bas, des gémissements qui déchirent la gorge, qu'on fait semblant de vouloir retenir et qui t'enflamment. Sirius a envie de s'ôter la peau comme Remus ôte ses vêtements et prendre les couleurs du ciel au levant. La mélancolie danse en habit de serpent entre ses mains, Remus pèse sur lui de tout son corps et c'est bien là qu'il voudrait se réfugier à jamais. On vit les jours l'un après l'autre, on s'envoie en l'air, on se défonce, on se pousse à bout, on tire à bout
portant
à boulets rouges
pourtant
On ira au festival, cet été. On viendra chez toi. Lyall veut déménager, il ne supporte plus de vivre dans la maison vide, il veut un petit appartement. Il sait déjà que Remus ne reviendra pas. Quand l'école sera finie, son fils ira étudier ailleurs. Sirius revenu sur lui tire un bout de langue. C'est qu'il retrouve vite son masque de malice. Peut-être pas seul, tu sais. Remus hausse les sourcils, l'émotion de son regard fugue. Ce qu'on fera quand Poudlard sera terminé, on n'en parle pas sérieusement, on jette des idées en l'air : celles qui tombent, on les regarde avec dédain mais celles qui restent accrochées dans le ciel sont indistinctes, trop lointaines.
Quand la guerre sera terminée, peut-être qu'on s'aimera au grand jour, ou dans la nuit des concerts, ce qui revient au même
When I closed my eyes, I was so surprised
Somebody had thrown me down the line
Stopped me drownin'
Du chahut en bas, pas le même que d'habitude. Sirius se presse contre Remus, il s'est évadé des caresses tout à l'heure, et voilà qu'il n'a maintenant plus qu'une envie : épouser sa peau et sa chaleur, faire l'imbécile heureux. Ils s'installent pour le petit déjeuner, après avoir regardé le lever du soleil magique sur le plafond, un faux soleil, une illusion, une fausse nuit. James feuillette la Gazette dont le contenu ne devrait même plus s'appeler nouvelles. On dit que les Géants ont été vus autour du village de Loutry, bien plus près qu'ils ne sont jamais descendus, et qu'ils observent. Plus loin, à la table des Serpentard, Regulus se vante des relations de Malfoy avec les Gobelins « Ils lui mangent dans la main. »
Les bruits de couloirs, c'est comme s'ils sinuaient dans ses veines mêmes
Comme s'ils sinuaient dans ses veines et le galvanisaient contre son gré
Ses oreilles se tendent, et il sent ses pupilles se dilater, aux aguets
Ses muscles se contracter et son corps forgé pour ça
Se préparer au combat
~ Fin de la cinquième année ~
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