Printemps 1975 : fragments

Un jour...


« Franchement, avec tous les travaux d'intérêt général qu'on a fait depuis notre arrivée, quand on va quitter Poudlard, l'école sera en meilleur état que quand on est arrivés !

- J'espère qu'ils nous feront l'honneur de donner notre nom à une salle...

- Il faut qu'on devienne directeurs.

- D'accord, mais uniquement si on l'est tous les deux, en même temps. »

Sirius éclata de son rire énorme, si vif que Rusard le rappela à l'ordre. Les acolytes étaient bien entendu séparés, mais ils communiquaient grâce à leurs miroirs magiques. Le concierge ne le savait pas, aussi se figura-t-il que l'ultime branche de la famille Black avait finalement atteint la dégénérescence.

« Je ne pense pas que ça me plairait d'être directeur, reconsidéra Sirius. Les petits me taperaient très vite sur les nerfs – juré : je me saoule moi-même. Toi, t'es un vrai leader, ça te correspond bien.

- Alors tu seras le concierge, ce sera facile : tu connaîtras toutes les conneries d'avance. Et contrairement à Gus, tu as des pouvoirs magiques, ça facilite pas mal la vie.

- Merci le boulot ingrat... marmonna Sirius en reniflant et rejetant en arrière ses cheveux trempés de sueur. Brrr, on dirait que je suis coiffé en Snape.

- Quoi, le boulot ingrat ? Qui fait le boulot ingrat ? C'est NOUS ! Les élèves punis ! Toi, tu seras les pieds sur ton bureau, en train de bouffer les chocogrenouilles que tu auras confisquées, avec des lunettes de soleil, un chat noir sur les genoux, un préfet de chaque côté, à qui tu n'auras qu'un geste à faire pour qu'ils s'occupent des délinquants, sans même avoir à leur parler, mon portrait au-dessus de ta tête pour se taper dans la main quand on ne sera pas dans la même pièce...

- Mais d'où tu tires tout ça ? riait Sirius.

- Tu aimerais faire quoi, au fait ? »

Sirius n'aimait pas ce genre de question. Il n'aimait aucun genre de question, rectifia-t-il en lui même. Il préférait révéler des parcelles au fil des conversations, des parcelles qui, dispersées, ne signifiaient pas grand-chose aux oreilles distraites mais que les amis qui le fréquentaient tous les jours pouvaient recueillir et collecter, en devenir les gardiens. Aurait-il vraiment le choix de sa carrière, de toute façon ? Il y avait la pression de ses parents mais il savait qu'il finirait par la contrer, de quelque façon que ce fût. Une seconde chape, plus lointaine et sourde pesait là-haut, l'impression que tout pourrait basculer, que le monde qu'il retrouverait en sortant de Poudlard serait un monde dans lequel il ne saurait vivre.

« Je ne sais pas. Pas travailler au Magenmagot en tout cas. Ni enseigner. Je veux dire, j'adorerais apprendre des conneries aux petits mais pas les avoir en classe. Guérisseur, je n'ai aucun talent pour ça. L'administration, jamais de la vie. Le commerce, à voir, ça avait l'air sympa chez Flume.

Ouais...

Tout compte fait, ouais : je serai cambrioleur.

- Espion !

- Ah OUI !

- Black ! »

Sirius s'essuya le front et reprit son rabotage du parquet avec un grognement. Cette retenue-là, elle était bien salée. Ils ne soupçonnaient pas que McGonagall pût être si fâchée pour quelques nuits blanches vaguement rattrapées pendant son cours. Ils admettaient que cela fût irrespectueux mais pas plus qu'un florilège d'autres de leurs sottises. Ne concevant pas qu'elle se souciât de leur santé, ils finissaient par croire qu'elle leur cachait une raison intrigante de s'inquiéter. Mais ils tenaient bon : en dépit de multiples convocations dans son bureau ou chez Dumbledore, ils n'avaient rien révélé. Ils ne pouvaient cependant nier que leur fatigue avait miraculeusement diminué depuis que la sortie du dortoir était surveillée la nuit – quoique James complotât avec Mowgli pour trouver un passage secret dans la maison Gryffondor elle-même. L'agacement de la professeure était toujours manifeste, même en classe où James ne manquait pas de la taquiner, par exemple au moment de transformer une théière en loir. Sirius sentait le fou-rire remonter dangereusement au souvenir de cette séance. James avait été le premier à obtenir un bel animal aux yeux doux et vifs, au pelage brillant. Très fier, il avait interpellé McGonagall mais sa professeure, occupée à soutenir Philipp qui avait la phobie des rongeurs, l'avait rabroué puis ignoré. Il avait mimé le désespoir dans son dos pour amuser ses camarades, puis l'ennui avant de faire semblant de ronfler en choeur avec son nouvel ami, baptisé Jerry. Dorcas, Sirius, Marlene, Achille, au fil de leur succès dans l'exercice, avaient suivi son petit jeu. Quand l'enseignante s'était retournée, la classe entière feignait de dormir et quatre loirs s'étaient échappés. La fin du cours fut pour ainsi dire douloureuse pour Philipp.

Sirius aspergeait le plancher d'eau en retenant encore son fou-rire quand James le rejoignit.

« Tu as déjà fini ?

- Tu te casses le dos pour rien, allez, viens, c'est déjà pas mal comme ça. »

Mais Sirius parcourut encore une fois toute la salle, gratta quelques aspérités, lissa les planches dans la paume de sa main pour vérifier leur ponçage.

« Il faut que je mange un truc avant d'aller à la bibliothèque... Tergeo. »

Sirius secoua ses cheveux et sa chemise tout propres et retourna son sortilège à James.

« T'inquiète, Moony et Peter doivent avoir des bonbons sur eux. »


Leurs deux amis riaient, le plus silencieusement possible, penchés sur un grimoire. James se laissa tomber à côté de Remus et fit craquer ses doigts crispés en grimaçant.

« J'espère que vous avez bien avancé nos devoirs !

- Il est génial ce livre, plein de petits maléfices qu'on pourra utiliser en duels ! Celui-là fait loucher... Celui-là modifie la gravité...

- Celui-là fait gonfler la tête ! »

Remus partagea sous la table une barre chocolatée dont il leur passa en douce les morceaux.

« Tant qu'on y est, je vais voir si je trouve un sort insonorisant, lança Sirius en se relevant pour aller consulter d'autres volumes.

- Je ne pense pas que ça suffira, celui que McGo a foutu sur le dortoir détecte la présence. » bougonna James.

Sirius haussa les épaules et passa la tête de l'autre côté du rayon pour tirer la langue à Remus, qui mordit son sourire.

Avec ces retenues, les entraînements de Quidditch, les devoirs, ils n'avaient plus que des baisers dérobés, des regards qui coulaient. Sans cesse, furtifs, forcément, ils se cherchaient du regard, laissaient monter des mains sur les cuisses quand ils étaient à table et sur les reins quand ils étaient dos à un mur dans la salle commune, se dévoraient des yeux dans les miroirs de la salle de bains, se faisaient des clins d'œil en classe, s'effleuraient les doigts dans les couloirs et se heurtaient dans le parc à la faveur d'un jeu, s'embrassaient fougueusement derrière des tapisseries, avec des sursauts d'inquiétude venus d'un rien, avant de courir dans des escaliers séparés, prétendant avoir été retenu par lui, elle, un enseignant, un fantôme

Se faisaient remarquer et désintégraient chaque soupçon

Et crevaient, crevaient de ne pas se toucher tout le temps.

Le pied de Remus trouva les siens sous la table.

« C'est la Gazette ? demanda James. Tu me la prêteras ? »

Il fit une petite moue.

« En fait, c'est un journal moldu... Ma mère me l'a envoyé, après avoir trafiqué la couverture. Mes parents pensent qu'il vaut mieux savoir ce qui se passe côté moldu aussi. Mais c'est compliqué, les affaires internationales...

- T'as pas à te cacher de lire un papier moldu.

- Tu sais que si. Il y a des sorciers qui se font exclure de leurs clubs pour port de tenues inappropriées... Tee-shirts ou baskets, quoi. »

Sirius approcha sa chaise de celle de Remus pour lire avec lui.

« Tu nous expliques ce que tu as compris ? »

Remus rassembla les parchemins que sa mère lui avait préparés, sur lesquels elle avait résumé de son mieux les événements internationaux de ces dernières années de Guerre Froide, expliquant les oppositions entre les communistes et la capitalistes, exposant les crises de Berlin et de Cuba et les conséquences apocalyptiques qui auraient pu en découler. 

« C'est terrible, c'est... s'effarait James. Pourquoi n'avons-nous pas de mot à dire, là-dedans ? Nous partageons la même planète ! Je ne parle pas d'autorité, hein, je parle de... Conseil, ou... ?

- Ce serait la même chose, bougonna Peter. Il y aurait des sorciers dans chaque camp, sauf qu'au lieu d'armes nucléaires, ils se menaceraient de sorts impardonnables.

- Ouais mais même... Il doit y avoir des solutions...

- Eh bien, ils cherchent. Ça fait, quoi, Remus ? Trente ans ? Qu'ils cherchent à communiquer, ces deux blocs.

- Je regrette qu'on n'étudie pas ça en classe. Tu dis que ça donnerait des arguments aux suprémacistes ? Moi je crois que c'est pire encore de nous le cacher : ça amène chacun à croire à n'importe quelle source, à propager n'importe quelles idées... Alors, d'accord. Les moldus ont le pouvoir de détruire la planète d'un seul coup. Et ça donne envie aux suprémacistes sorciers de les neutraliser et asservir. De les détruire. 

- Ils n'ont pas eu besoin de ça, ça fait des siècles qu'ils...

- N'avaient pas d'argument valable. Là, ils peuvent plaider la menace.

- Il faut que ça se sache. 

- Prudence, Remus...

- Vous avez confondu vos répliques, les gars. » fit Peter avec un petit sourire.



&



C'était un printemps timide et froid, qui avançait sur la pointe de pieds, sur les pas japonais de nuages épais et immobiles. Le temps est calme,

ici.


Ils dégringolèrent

Remus enfouit ses mains dans les cheveux de Sirius, son nez dans le cou, le serra de toutes ses forces. Ils chutèrent derrière un rocher, près du lac où ils étaient allés courir beaucoup trop tardivement, en sautant par la fenêtre de l'infirmerie. Son dos frottait sur le sol sec. Ils se feraient sûrement encore punir en rentrant. Sirius comptait vaguement sur la bonne réputation de Remus, sur son droit à sortir exceptionnellement à cause de sa putain de foutue de – il ne supportait plus le mot – condition ; il espérait passer auprès de lui pour un bon ami, il espérait que ça ne mettrait pas Remus dans la merde, il comptait les jours avant les vacances de Walpurgis et serrait plus fort son cou

ta peau, ta peau,

mais je vais la dévorer

J'étouffe

Moi aussi, j'étouffe.

Dormons ensemble cette nuit

On avait dit plus jamais, c'est trop risqué...

Je dirai que j'ai fait un cauchemar, on s'en fout...

Les mains de Sirius remontèrent son tee-shirt. La terre était dure et froide, et les herbes piquaient la peau du corps brûlant de Remus, ses éraflures pourraient tout aussi bien laisser couler des rayons de lave, de lumière. Il murmurait Non ne touche pas, ne regarde pas, en couvrant ses yeux de son coude, le souffle court

Ils auraient pu aller dans un grenier, s'embrasser dans une de ces cachettes où d'autres ont sans doute déjà vécu leurs premières fois à en voir les cravates et chaussettes abandonnées, les papiers de bonbons, les fioles de potions étourdissantes ou stimulantes et les mégots

C'était trop explicite pour eux, trop convenu, trop galvaudé

Trop représentatif, figuratif, trop cru, trop vrai

Non, eux ? il leur fallait encore réinventer

La façon qu'avait la lune de décroître et croître encore à travers les lucarnes

La façon dont presse la crainte d'être nu, que ma chair me trahisse,

L'abandon, la crainte de l'abandon, 

Réinventer l'abandon, rêve

Une façon plus spectaculaire de courir après les étoiles, un truc à nous, rien qu'à toi

Je veux un orage, je veux un orage, je veux un orage

Est-ce que les doxys empoisonneuses qui tournent dans ma tête ne pourraient pas tenir lieu de vraie tempête

Et là je perds le sens de la réalité

Envahi à jamais par les images de Remus, vivantes, mouvantes, un truc à nous, rien qu'à toi

Je te serre dans mes bras et à la pensée de ces deux semaines en exil, c'est comme si tu me manquais déjà. Appuie plus fort tes membres sur moi : les coins de tes os, les plis tendres, les fibres de tes muscles, ta peau qui frotte ; laisse-les s'incruster sur moi, longtemps, pour que j'aie froid quand tu partiras dans tous les endroits où tu m'auras brûlé, que j'en sente toujours la pression dans mes courbatures, que je me les rappelle dans la chair même loin de toi

Tels qu'ils se sont enroulés, exactement, dans mes jambes, mon dos, mon cou

Comment me déraciner de toi deux semaines, après tout ce qui est arrivé depuis l'hiver ?


Le soleil déclinait trop vite comme une bille sur la surface incurvée du ciel, il effleurait déjà le haut des collines au loin. Sirius se releva d'un bond.

« Il faut qu'on rentre, viens. »

Remus ne discuta pas, malgré la tristesse étrange qui s'emparait de lui, à voir le triste, glauque, crépusculaire Sirius avancer rapidement devant, sans l'attendre :

Le secret, matin et soir.

Leur préfet tenta de les arrêter, Sirius le bouscula, courut jusqu'à sa cachette, où il trouva aussi James et Peter, pendant que Remus donnait une excuse, parce qu'il était comme ça, même quand il ne savait pas pourquoi. Il était arrivé juste à temps : ses amis étaient déjà en train de réciter l'incantation.  « Tu fichais quoi, Merlin ? » râla James. Sirius s'agenouilla silencieusement et s'empara de sa fiole dans ses doigts encore tremblants. Il approcha sa baguette de son coeur. Sa voix rejoignit celles des amis, comme un ruban tissé. Il eût pensé à une prière, s'il avait su ce que c'était, mais comme il ne savait pas, il en connaissait l'émotion olympienne sans pouvoir la comparer. Lentement, avec plénitude, son cœur essoufflé de la course s'apaisa en même temps que le petit battement jumeau le rejoignait. Longtemps. A ne plus vouloir le quitter. 

Remus sortait de la douche. Sirius effleura son bras et entra dans la cabine qu'il avait laissée ouverte, embuée, le corps enflammé, le cœur en apesanteur

Et ses mains parcouraient son corps dans les sillons éclatants que dessinait l'eau

Que l'eau creusait dans sa peau de lune 

Et les mains, dans tous les coins, les plus secrets

Caresses brûlantes comme nos étoiles, 

Sillons vifs des déchirants désirs

Des secrets, les secrets, nos secrets

Éblouissants de plaisir



Déjà ? Seigneur, je n'ai pas vu ces jours passer.


La dernière nuit, ils ne dormirent pas complètement. Leurs mains errèrent un moment sur leurs corps, très lentement, pour se rassurer, pas pour se provoquer. Retrouver la courbe parfaite de ta hanche et plus tard, le rebond de tes fesses sous le tissu du pyjama. Ensuite, le dessin de tes clavicules, de ta mâchoire, de tes pommettes, ton pied froid serré contre les miens. Vraiment, tout cela sous mes mains, vraiment ? 

Je dors, murmuraient-ils avant de tendre les lèvres.

Oui, oui...

Il faisait trop chaud, trop étroit, pour bien dormir à deux. Ils étaient épuisés et ne se résolvaient pas à se séparer, poisseux, les cheveux collés au front, de la buée autour de la bouche, les torses moites sous la prudence du tee-shirt. Le ventre noué. Dormir : se séparer. Dormir, cauchemarder.

Ils passèrent le petit déjeuner collés l'un à l'autre, du pied, de la main, n'importe. Au moment de sortir de table, Slughorn fit signe à Sirius. Regulus les attendait à la sortie de la Grande Salle. Son frère leva le yeux vers lui, impassible. James et Remus saluèrent le cadet avec un petit souffle d'espoir. Ils descendirent l'escalier jusqu'aux cachots dans une atmosphère étrange, lançant des boutades qui se désintégraient dans la tension ambiante avant d'avoir pu faire mouche, sans vraiment se parler les uns aux autres, parlant quand même pour ne pas se laisser oppresser. Ils prenaient de temps en temps à témoin Regulus qui ne savait plus trop sur quel pied danser, peu habitué au second degré, incapable de répondre sur le même ton.  

Devant la porte du professeur,  James donna une petite tape affectueuse sur l'épaule de Regulus avant de l'entraîner dans la salle. 

Sirius prit Remus dans ses bras. Il murmurait à son oreille, en caressant les petits cheveux fous de sa nuque. De là, même sous les capes, ils sentaient leurs coeurs protester. Remus embrassa sa joue et marcha avec lui jusqu'à la cheminée. 

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