Printemps 1975 : Engagements

Un jour...


Après le dîner, Peter les retrouva dans le lit de Remus, sous la voûte de runes protectrices, sur la couverture de laine multicolore, tête-bêche. Remus, adossé à ses oreillers, lisait, la bouche plissée en une petite moue concentrée. Sirius, étendu en chien de fusil, regardait au loin, par la fenêtre, le bras entourant familièrement les genoux de son ami. Quand il se retourna pour lui faire face, Peter constata que sa lèvre était guérie. Sirius lui envoya un baiser aérien, taquin même dans l'épuisement nerveux.

« Je suis allé à l'infirmerie, murmura-t-il lentement, comme hébété.

- Je vois ça. »

S'il savait, s'il pouvait sentir, mais il ne faut pas, comme ils sont encore fiévreux et tremblants, incapables de parler. Peter hésita toutefois, retenu par une certaine gravité dans l'air, le regard vitreux et distant de Sirius et sa taciturnité. Il s'assit sur son lit, se releva, donna une petite bourrade à son ami qui grogna, riposta en tirant sur sa manche, en posant le pied sur son épaule, ils se bagarrèrent mollement jusqu'à que Peter s'écroulât en pagaille sur eux. « Ça vous dit qu'on dorme tous ensemble ? » proposa-t-il en se trémoussant pour bien forger sa place sous les longues jambes que Remus soulevait pour lui, collé au dos de Sirius qui approuva dans un grommellement satisfait.

Il se tint là, silencieux, pendant une seconde entière.

« Mais avant : tournoi de Ministre de la Magie contre Troll ! On a fait venir Paul et Ali dans notre salle commune, ça va être épique ! James est déjà en train de chauffer le public. 

- Je suis trop vaseux... articula Sirius. Pomdapi m'a assommé avec une potion douteuse. Je suis sûr que c'est pour que je ne fasse plus de bêtises. Pour aujourd'hui.

- Oh, allez...!

- Une autre fois... »

Peter fit une petite grimace. C'était rare, ça n'était jamais arrivé que Sirius dédaignât un jeu, refusât de piétiner crânement ses faiblesses. Il tergiversait mais Sirius lui donna un petit coup de poing dans la main, se fit tirer les cheveux, montra la langue.

« Remus, tu viens jouer, toi ? »

Remus leva un visage si impassible que Peter crut qu'il n'avait pas entendu et qu'il ne le voyait pas vraiment non plus.

« Ah non, je suis con, t'es en train de lire...

- Je vais surveiller le malade. Amuse-toi bien, et James aussi.

- J'ai pas besoin qu'on me surveille !

- Oh, ça, oui, se réjouit Peter sans écouter Sirius. Il y a Lily... »

Il leva les yeux et les bras au ciel, Remus lui adressa un clin d'oeil. Il ferma la porte et déjà Sirius était revenu se blottir face à Remus. Il n'avait pas bu de potion calmante, il n'était pas hébété. Il rabattit la couverture sur eux. 

Encore un vol de nuit, d'accord ? Après, on efface à nouveau les traces

On lisse la surface, on s'ignore

Même s'il est impossible de ne pas être de ta présence possédé

Comment peut-il exister un amour aussi frais et lumineux que celui que James porte à Lily, et un aussi ardent et sombre que celui qui nous empêche de détacher nos mains serrées à en faire mal, et moites, complètement cachés sous la couverture, entre deux lits, où nous ne pouvons pas respirer ?

Comment peut-on faire des promesses de la taille de toute une vie et être balayé, l'instant d'après, à la surface, par l'air insouciant des jeux adolescents ?

Remus tremblait très doucement comme une perle de rosée sur une toile d'araignée, toute prête à tomber, ses mains serraient toujours celle de Sirius, et son goût cuivré hantait sa bouche avec la persistance d'un écho dont on n'attend que de retrouver la consistance, la chaleur et la vie

Je crois que je suis encore effrayé mais je ne sais plus par quoi, peut-être seulement l'immensité, quelle qu'elle soit, parce que tout ce qui touche à nous est insondable 

De l'autre main, Sirius caressait sa pommette aiguë. Leurs jambes s'emmêlèrent, en un instant le nez dans le cou, mes doigts dans tes cheveux sur ta nuque, ton gémissement étouffé dans mon oreille, comme si c'était leur forme naturelle

Ce qui compte c'est d'être collé à toi, collé, collé à toi

Je brave follement tous les dangers cette nuit, on ne se quittera pas

On rêvera que la lune est rouge et capiteuse comme un vin de Bohême

Elle nous engloutira dans ses reflets bordeaux

comme les profondeurs mystérieuses de ta bouche et de ton sang

je rêverai que je m'engloutis dans ta chair

Et jamais désaltéré

je te le promets

encore

on ne s'apaisera pas


&



L'hiver s'acheva le lendemain.

« Hey, Moony, je m'en rends compte si tard..., s'inquiéta James en consultant son agenda pour la première fois du mois, la pleine lune tombe le jour de mon anniversaire !

- Oui, je sais, mais ne t'en fais pas, j'aurai terminé de préparer le jeu... » balbutia Remus.

James lui fit une pichenette sur le front.

« Mais t'es con ou quoi ? La question c'est qu'il n'est pas question de faire la fête sans toi.

- Oh, si on commence à se caler sur moi...

- MAIS OUI ON SE CALE SUR TOI. Tiens, le premier avril, quatre jours plus tard, c'est pas une bonne date pour un grand jeu ? »

Le visage de Remus s'éclaira et il frappa dans la main de son ami.

« Tu en es où ?

- J'ai presque terminé. Il faut que tous ceux que veulent jouer m'aient confirmé leur participation ce week-end, comme ça je finirai tranquillement, j'ai prévu quelques cartes d'avance et...

- Tous ceux ? Il y a de la place pour tout le monde ?

- Oui, tout Poudlard peut jouer, c'est un jeu assez simple à organiser.

- Oh, fit Sirius déçu.

- Difficile à jouer. Mais simple à organiser.

- Hm hm... Et tout Poudlard va jouer ?

- Oh non, loin de là, peut-être... Soixante-dix personnes.

- AH OUAIS QUAND MÊME !

- C'est pour ça que j'ai abandonné mon idée originale : avec la nouvelle, les plus jeunes peuvent jouer et on peut ajouter autant de monde qu'on veut. Et franchement, si ça tombe le premier avril, ça va être vraiment... enfin... plutôt sym...

- Absolument fantastique.

- Plutôt sympa. James, tu connais ce deuxième année, Maverick Tennenbaum ? »

Pour mener à bien ce mystérieux jeu, Remus investiguait, observant ses camarades pour en tirer le meilleur, pour tenter de faire durer la partie le plus longtemps et qu'elle fût le plus équilibré possible. Il ne connaissait pas personnellement tous les apprentis sorciers, mais James si. A coup sûr, il donnait des détails, comme : « Il a un frère aîné qui était à Serdaigle, maintenant, il élève des hiboux. Il a fait un peu de Quidditch mais il a quitté l'équipe. Son père connaît personnellement Ollivander ! Elle fait partie du club de Slug, apparemment elle a eu un O en potions ! A le vertige, n'a jamais pu monter sur un balai. Il est sorti avec Dorcas mais ça n'a pas duré... Alors lui, son Patronus, c'est un moustique !

- Oh ! ça doit être le mec le plus énervant du monde ! »

Les candidats au jeu les voyaient comploter ostentatoirement, faire semblant de les étudier puis de détourner les yeux, de prendre des notes, de rire sous cape ; et leur hâte grandissait.

« Tu joues, Evans ? » minauda James.

Lily interrogea Remus du regard, mi lasse, mi perplexe. Remus savait déjà qu'elle jouait, pourquoi James insistait-il ?

« Moony, j'ai une idée..., fit James avant de murmurer à son oreille un charabia qui était plus un prétexte qu'une idée, pour faire bisquer son amie.

- Trouve-moi un rôle qui me permette de ne pas interagir avec Potter, somma Lily à demi souriante, en continuant son chemin.

- Eh, c'est pour mon anniversaire ! »

James grimaça en se frottant subitement l'oreille.

« Ah ! Ça siffle, soudain...

- Quelqu'un dit du mal de toi, plaisanta Remus.

- Hein ?

- Superstition moldue.

- Ça doit être ce con de Taylor qui te cherche, regarde... !

- Ou l'autre... »

A l'étage supérieur, dans l'ombre des balustrades, Taylor discutait avec un camarade, talonné par Snape dont le visage et la posture confirmaient leur impression qu'il lorgnait vers les Maraudeurs l'instant d'avant. Depuis l'altercation du préfet des Serpentard avec Black, Snape ne les quittait jamais des yeux, et toujours dans le sillage de Taylor.

« Arrête, il fait pitié... intima Remus.

- IL NOUS FAIT CHIER SURTOUT ! » gronda James.

Snape se précipita de son pas saccadé et lourd vers un couloir où il s'engouffra.

« Cache-toi, ouais... Me regarde pas comme ça, Moony ! Ne lève pas les yeux au ciel non plus. »

Remus leva les bras de dépit. Lily et lui avaient rêvé de voir cesser leur querelle, c'était manifestement l'heure du réveil. La trêve que James n'avait finalement pas si mal respectée était rompue depuis que Taylor s'était montré injuste. Remus ne pouvait plus prêcher l'apaisement. Parce que si ni Snape ni Taylor ni aucun autre Serpentard ne représentait la milice tout entière, ils ne s'en désolidarisaient ni ne cherchaient à masquer leur intolérance au sein même de Poudlard. Plus inquiétante encore était leur façon circonspecte de s'isoler, de créer un entre-soi exclusif dans lequel circulaient on ne sait quelles paroles.

James emmena ses acolytes dans le parc, à la recherche d'un sortilège mineur à parfaire pour mûrir sa revanche. Remus traînait des pieds, Sirius lui donna une bourrade.

« L'autre jour, tu as dit qu'ici, c'est une école. Mais Tu-Sais-Qui était étudiant à Poudlard.

- Je sais.

- Alors l'école n'a pas fonctionné sur lui.

- Hum, admit Remus.

- Tu as entendu Dorcas dire que Taylor avait changé. Il y a des choses injustes qui se passent ici : tu as entendu les insultes envers les nés-moldus, tu vois leur mépris, et que certains ne leur adressent même pas la parole, même quand on fait des binômes ! Ça, c'est brutal. Faut pas attendre de l'école que son exemple tacite et discret et bien poli fasse évoluer les mentalités de ces dégénérés, ça ne marche pas ! Il faut les empêcher de dire ces choses dégueulasses, il faut les faire taire !

- Mais on ne peut pas les censurer, ils vont faire leurs victimes ! plaida Peter. Je pense qu'il faut les laisser baver, défaire leurs arguments, et chacun se fera son opinion...

- On nous a appris que tenir ces propos était illégal, non ? Si quelqu'un a la moindre petite tendance, à cause de son éducation, à faire de la discrimination, il va être très content de se conforter dans son opinion et se précipiter là-dedans. Il ne faut pas les laisser trouver la possibilité de justifier ça, tu vois ? 

- Remus, continua Sirius, maintenant. C'est maintenant que c'est en train de se passer, c'est trop tard pour leur Lord et les Mangemorts : ils ne sont pas prêts à compatir et il ne nous reste que ça, nous battre, pour les réduire au silence, les empêcher de commettre des méfaits. Il faut les arrêter, non ?

- Mais les Mangemorts sont dehors, nous ne pouvons pas...

- Taylor est ici, et Snape, et d'autres, tous prêts à se jeter dans son armée. Et s'ils y sont déjà, si pour eux c'est trop tard comme je le crois, pense à ceux qui fréquentent la même école et la même maison qu'eux. Il n'est pas question de les laisser se faire laver le cerveau en croyant qu'ils finiront par comprendre miraculeusement que ce n'est pas bien. »


« Remus ?

- Je réfléchis. »

Je sais déjà Remus, mais je te laisserai faire le chemin. Toi, tu as ça en toi, plus fort encore que moi, et comme on te l'a gravé dans la peau et fondu dans ton sang-mêlé, tu t'es habitué à croire que tu n'avais pas le droit à ta place ici. Ça me brise le coeur. Je sais aussi que la révolte coule en toi, que la justice et toutes ces choses qui brillent comme des constellations idéales au-dessus de nos têtes sont ta seule boussole. Je sais que ce sont de grandes idées et que le jour où nous jetterons notre corps dans la bataille, ça ne sera ni avec une cape pourpre, ni un glaive rutilant, il n'y aura aucun drapeau et le son des tambours ne battra pas pour nous. Cette lumière ne rayonnera qu'en nous, venue de ceux qui nous auront précédés, des deux côtés : les Circé, les Merlin ; les Ginsberg les Van Gogh, les Simone et les Kitt. T'es pas un enfant sage, Remus, t'es un enfant muselé, et quand tu hurleras, personne ne sait où se ficheront tes éclats.


&


En cours de potions, Marlene - qui n'était pas la plus habile dans cette discipline, tout le monde le savait, mais si dépourvue de susceptibilité qu'elle n'éprouvait aucune difficulté à signaler ses échecs, rendant service par là à des camarades plus timides - demanda à voix haute comment cela se faisait que sa préparation moussât au lieu de prendre une consistance crémeuse.

« Peut-être parce que t'as foutu tes baies roses sans faire ta décoction ! » répondit Snape avec un agacement évident, avant même que Slughorn n'eût pu commencer sa phrase.

Sans doute par pitié, il ne reprit pas son élève, approuva son observation et aida Marlene à reprendre l'étape précédente.

« Oh làlà, on ne coupe pas la parole comme ça, c'est pas bieeen, nargua James.

- Franchement, je sais pas où t'as été élevé...

- Moi au moins j'suis pas traître à mon sang, fulmina Snape.

- Non mais si tu veux, nous on s'en tape du sang, ça permet de se concentrer sur les valeurs, tu vois, expliqua James.

- Et de se faire de vrais amis. Ton sang n'a pas l'air d'intéresser grand monde... gloussa Peter.

- La ferme, siffla Snape avant de renifler.

- Ah mais Peter, tu utilises un langage inconnu pour lui, t'es pas sympa, il peut pas savoir ce que c'est un ami, tellement il agace tout le monde en moins de deux... »

Sirius retint de justesse le chaudron de James projeté dans son ventre par un sortilège à peine murmuré. Un peu de potion s'en échappa et tacha sa robe.

« Fils de Harpie... gronda-t-il.

- Ah, tu fais chier, Snivellus... » grogna James en se bouchant une oreille qui sifflait à nouveau.

Remus soupira, la tête dans les mains. Snape eut un ricanement et siffla :

« Des amis comme le vôtre... »

Lily eut un hoquet indigné. Le choc fut si violent pour Remus qu'il sentit son champ de vision se réduire, suffocant. Quand il reprit ses esprits, deux secondes plus tard, Sirius était debout et il rugissait : 

« Tu sous-entends quoi, là ? Allez, crache ! Vas-y, dis ce que t'as en tête !

- Monsieur Black !

- Mais allez-y, laissez-le insulter vos élèves !

- Qu'avez-vous donc dit, monsieur Snape ?

- Rien, c'est lui qui me cherche ! Il m'a traité de fils de Harpie !

- Black !

- Et toi, va au bout, allez, on sait très bien ce que tu penses, assume au moins !

- Monsieur Black, asseyez-vous ou c'est la porte !

- Elle est belle la noblesse des Serpentard, ouais !

- Nous nous rencontrerons tous les trois à la fin du cours pour en discuter. J'enlève déjà quinze points pour votre incivilité.

Et non, monsieur Potter, je n'ai pas besoin de témoin. »

Sirius se rassit. La main de Remus l'avait empoigné. Ils étaient au fond de la classe alors il en profita pour la laisser dans son dos, humide et brûlant. Il tremblait de rage. Snape n'osait plus se tourner vers eux mais on le voyait continuer de préparer sa potion avec la suffisance de celui qui sait déjà qu'il échappera à la sanction. 

« Ne te fais pas punir pour des conneries.

- Des conneries ?! Tu l'as entendu ! Tu sais ce qu'il voulait dire ! Là, c'est plus des gamineries : tu le chatouilles un peu, il finit par déclarer que... toi... il sait, tu crois ?

- J'en parlerai à Pomfresh et Dumbledore. Ils feront le nécessaire pour que ses soupçons disparaissent, d'accord ? acquiesça Remus, un peu pâle.

- C'est dégueulasse. Effacer ses soupçons ne le rendra pas plus intelligent. Je veux lui casser toutes les dents une à une, je suis sûr qu'il y a un sort pour ça.

- Ça le rendra plus intelligent, ça ? Moi, je veux juste lui prouver que je suis meilleur que ce qu'il croit. Ne lève pas les yeux au ciel. Je ne veux pas que ses provocations te mènent au renvoi.

- Je ne me ferai pas prendre, et puis je m'en fous : ce qui compte, c'est que jamais je ne trahirai ce que je crois ! Jamais je ne laisserai Snape, ni Taylor dire de mal des nés-moldus, ni de toi. J'ensorcellerai chaque personne qui osera encore dire de la merde sur toi. »

Remus frotta discrètement sa cuisse, le temps de dénouer sa gorge.

« Sirius. Ne te lance pas au combat n'importe comment. Travaille dur et regarde bien haut et loin. Ne tombe pas dans la première embuscade venue. Je ne veux pas que ces conflits t'enlèvent à moi. »


&


Peut-être que ce fut ce qui encouragea Sirius à se montrer plus sérieux - non, pas sérieux, évidemment, c'était déjà très sérieux - plus canalisé lors des duels suivants dans les cours de Sulimane. Il parvint sans effort à rafler la tête de la classe, vibrant d'une aura inquiétante et écrasante.

Toujours sur le fil d'une concentration coupante comme une lame de rasoir, comme au Quidditch, mais c'est sur les fils bien tendus qu'on avance le mieux.

Ce fut peut-être parce que Snape était déjà capable de réaliser des sorts informulés, ou que Remus franc et brut comme un diamant l'encourageait à mobiliser son énergie prodigieuse, à la lueur de ses yeux de loup.

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