Printemps 1975 : densité


Un jour...



Cela faisait longtemps que Sirius ne l'avait pas entendu chanter.


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Il avait passé les dernières nuits à courir après le secret de Barnabas, sous la cape, avec James, sans succès.

« Je te jure, quand je suis descendu à l'infirmerie, il y avait une porte, juste là. C'est sûrement un secret extraordinaire ! Peeves a tout vu, mais il ne va rien révéler, tel que je le connais...

- On y retournera autant de fois qu'il le faudra. Mais pour le moment, il faut vraiment que je dorme : si McGonagall me revoit piquer du nez pendant son cours, elle va me foutre en retenue.

- Ou pire : te faire examiner à l'infirmerie... »

Sirius s'écroula dans son lit mais se releva aussitôt. Quelque chose grattait dans la taie de son oreiller. Sur le qui-vive, prêt à déjouer une farce, il le tapota du bout de la baguette avant d'y plonger la main. C'était un morceau de parchemin vierge.

« I wished on the moon for you, murmura-t-il.

- Mercredi, serre aux papillons, dix-huit heures » répondirent les runes anciennes qui apparurent fugacement sur le billet.


&


Sirius poussa la porte de la serre à dix-huit heures dix. Le soleil venait de se coucher dehors, mais à travers tous les carreaux, la lumière cascadait encore, surréelle. C'était un soir de printemps qui appelait déjà l'été, un été idéal que Sirius n'avait jamais connu mais dont il se bâtissait une image grâce aux histoires qu'il avait lues. Il ferait clair de lune le lendemain et James et Peter pourraient entamer la deuxième étape de leur métamorphose. Sirius essoufflé se rapprocha de Remus qui avançait devant lui, piqueté d'or dans le désordre de feuilles en dentelles, en nuages, en lianes, des plantes volantes, des plantes mouvantes qui sculptaient les rayons de cuivre et dessinaient sur leurs corps les mêmes reflets que l'eau sur le sable.

« J'ai un peu de retard, murmura-t-il, j'avais quelque chose à finir... Je t'en parlerai quand ce sera terminé. » Rien que de l'évoquer, son cœur s'emballait de nouveau. Chaque matin et chaque soir, il récitait la formule magique pour ensorceler la potion qui ferait de lui un animagus et voilà deux semaines qu'à ce moment rituel, il sentait, en lui pulser un second battement de cœur. L'euphorie qui le submergeait, c'était indescriptible. Dix fois, peut-être cent fois plus fort qu'un Patronus. Il en sentait la présence vivante, pas seulement magique, organique au fond de lui. Merlin, qu'il avait hâte, hâte.

Il tendit la main dans la lumière, vers Remus.

« Moony... »

Il a suffi d'un rien, ce minuscule signal pour qu'ils basculent

Une épaule dans le creux de la paume, un murmure

Et ton bras se brusque dans mon cou, sur les ailes de ton souffle passionné ; la suite du soir du serment, exactement pareil

Comme si rien ne s'était passé depuis, rien éteint, rien atténué,

Comme s'il y avait deux espaces temps

Trompe le monde car

Je n'arrête jamais d'être avec toi, à chaque instant

Errant consumé entre imagination et souvenir


Cette chaleur, cette moiteur, la souplesse de tes lèvres, la splendeur de ta saveur, à jamais, c'est si intime,

Si universel je le sais,

Mais juste toi et moi, c'est intime à jamais

Toi te toucher enfin toi

La densité de ton corps toi toi

Ton vibrant toi toi toi

Touche mieux, touche vraiment, touche plus fort, marque, prends

Tout est à toi, je veux être tenu dans tes bras tout entier, que rien d'autre au monde ne me touche

Leurs lèvres assoiffées murmurent des formules incohérentes entrecoupées de soupirs

Les pieds se cognent, les genoux se cherchent, les capes tombent, il y a un fouillis de plis de coton qui crissent sur la peau quand on presse la chair de ta taille qui s'irise dans la main

Sirius respire le contour blême de sa bouche, la racine de ses cheveux, les ombres des os de sa mâchoire, les cordes argentées des tendons de son cou, les vagues souples et brûlantes de la chair comme une terre battue de soleil ; il pose les lèvres sur sa gorge pour dévorer les grognements que Remus veut étouffer là, même si sa poitrine affolée vient se presser sur la sienne au rythme court de son émoi fulgurant

Remus tremble possédé, dépossédé, c'est dur à dire, sinon qu'il perd la tête et s'effraie

Il tremble d'anticipation car il connaît ce qui arrive et pourtant il ne sait pas ce qui lui arrive

Sous ses doigts, Remus a l'impression que son corps lui échappe

Les images cognent dans leurs têtes comme des papillons électrisés dans des jarres de cristal

Ils soupirent et gémissent rauque dans une grande incantation crue, imprécise, primitive, qui semblerait grotesque si

Si elle n'était révélatrice

Sa peau, sous le col, a la même odeur que les pastels à la cire du musée. Sirius y écrase son nez et ses lèvres, il mord dans le rêve brut de le sentir fondre sur sa langue et tapisser toutes ses visions de couleurs.

Ses doigts défont la cravate - le front sur celui de Remus, les cheveux collés par la sueur, et un seul regard, farouche, qui demande : d'accord ? - déboutonnent le col. Il puise dans l'essence de sa peau entre ses clavicules à grandes goulées, les mains étendues sur ses omoplates, et il laisse dans son sillage des halos de vapeur, par sa bouche grand ouverte parce que Remus tout entier est son seul cri

Le tissu crisse autour des boutons, frotte le cou, il tire encore à en laisser un échauffement écarlate quand sa main se pétrifie brusquement derrière l'épaule dénudée.

Et comme une vitre se craquelle et désintègre l'image, Remus le sent se tendre, glacé, soudain, lointain, dans ses bras.

Il gronde, encore étourdi de fougue

Avait-il oublié ? Comment pourrait-il oublier ?

Il ne s'était même pas rendu compte qu'il avançait vers là, imbécile. Nulle part, il n'est possible d'oublier Greyback, la façon qu'il a eue de fouiller lui aussi les odeurs de Remus, de violenter sa chair, voler la naissance du désir.

Cachu, Remus, je n'avais pas envie de m'interrompre, de tout gâcher.

« Qu'est-ce que ça te fait ? » murmure Remus.

Je ne veux pas te le rappeler.

« Et toi ? »

Ses mains sont pétrifiées sur la chemise, statue déglinguée de siamois ratés.

« Je ne sais pas. »

J'aurais aimé que tu ne t'arrêtes pas, surtout pas là-dessus.

« Je ne sais pas, moi non plus. »

Quelque chose est monté trop haut, est descendu trop brusquement et maintenant, c'est le silence idiot, la nausée qui anesthésie les lèvres. Sirius laisse ses mains glisser le long de son dos avec beaucoup de tendresse, il embrasse la tempe de Remus et l'attire contre lui, caresse ses cheveux

Et dans ses bras, Remus tressaille

Il fait sombre au crépuscule

L'air est lourd de la nuit, le silence oppressant soudain, et je m'y noie

Je ne veux pas de la légère moiteur du soir

Du parfum capiteux des sèves,

Du ciel vermeil,

Je veux hurler et repousser cet air qui nous accable et nous mortifie

Quelle gravité autour des corps, je sais bien, quelle densité !

La faiblesse euphorique dans mes genoux est en train de refluer,

Ne laisse pas l'ivresse me quitter !

Je veux perdre la tête,

Que répulsion et regrets, mes vieux ennemis, soient trop secoués pour coller aux parois leurs images corruptrices

Embrasse-moi, plonge les mains dans mes cheveux, la langue dans ma bouche, à m'étouffer

Hors de moi, extirpe-moi, retrouve-moi !

Bouscule-moi dans tous mes sens

Qu'on recommence, qu'on se retourne

Je ne veux que toi

Et que l'on cherche encore, dans ces endroits défendus, une apogée moins amère


Sirius dégringole sur un tas de sacs en toile de jute, sous un établi. Remus assis sur ses cuisses, défait ce qui reste de sa chemise. Il l'a si souvent vu torse nu que sa forme épouse en rêve ses doigts. Le corps de Sirius est constellé de sueur brillante, un millier de diamants sur la peau qui sont nés de toi, de tes baisers, de tes mains audacieuses, de ton regard. Remus pose un instant son front contre le sien. Ils halètent, il hésite. Sa main de danseur pleine de grâce, avance en tremblant. Il parcourt sa peau avec tant de tendresse que Sirius a l'impression de s'allonger à l'infini, qu'un Patronus intérieur s'épanouit hors des limites de son corps. Remus ferme les bras autour de sa taille, ses épaules, et, avec une force intimidante, droit dans les yeux, il le fait basculer, couché sur lui. Sirius s'accroche à ses cheveux parce que la tête lui tourne et que tout va trop vite. Remus explore du nez, de la langue, des lèvres, la soie de sa peau, incarnation de dunes lointaines, d'épices sèches, qui descend vers l'océan, tourbillon insaisissable dont le sel rouge jaillit derrière ses paupières. Ses canines grincent dans sa bouche, comme si elles grandissaient déjà. Le ventre de Sirius est baigné de salive mêlée à son vernis de transpiration, et le visage de Remus brille aussi de ce ventre qui palpite sous la langue

Moony

Il y a trop de sensations, d'un coup, trop d'un mélange brusque et étouffant qui court-circuite ma tête

Entre les sacs brûlants et les pierres glacées du sol, des feuilles déchirées entre les doigts

Sirius entoure son poignet immobile et murmure

Moony


Pardon


Moony, viens, comment peux-tu rester loin de moi ?


Sirius tire sur ses bras et ses cheveux pour le ramener contre lui, des genoux qui tremblent aux poitrines désaccordées. Sa main fébrile soulève la chemise humide de Remus sur la peau tendue de son ventre. Elle est ravagée, depuis cette lune, en deuxième année, où Remus métamorphosé a tenté de détruire ses entrailles empoisonnées, son sexe pervers. Il ne le sait pas, il sent vaguement que c'est froissé, que les poils ont repoussé de travers. Sirius, il faut qu'il touche là où ça fait le plus mal. Il ne regarde pas, il ne veut que ce ventre sur son ventre et l'embrasser encore. Il passe sa langue sur les longues dents pointues en riant, tout n'est que jeu, pour Sirius, c'est sa façon de négocier avec la colère, sa façon de mettre la peur à genoux, Remus avec, de s'ébrouer d'un désir prématuré. Il entremêle ses doigts aux siens et embrasse ses paupières bleues.


On rit, quand on est Sirius Black


Et quand on est Remus Lupin, on chante


Cela faisait longtemps qu'il ne l'avait pas entendu chanter. La voix de Remus est si grave qu'il a l'impression qu'elle vient de son imagination, la tête sur son torse, qu'elle naît des tréfonds lointains du monde même, comme ce second cœur à côté de son cœur.

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