Printemps 1974 : un débat
Un jour...
Si Sirius avait essayé d'ôter ses pensées de sa tempe, elles eussent déchiré sa peau sous forme de cristaux. Cela faisait longtemps qu'il ne s'était pas réfugié dans la brûlure vivifiante de sa colère. Elle savait tout faire, elle savait le détourner de la trop massive culpabilité.
Sandmann savait pour l'incube.
Et McGonagall ?
Le professeur de Défense contre les Forces du Mal s'était-il précipité chez elle pour l'alerter ou pour chercher sa compagnie ?
Avaient-ils, James et lui, intercepté ce message vital ?
Les cristaux se ramassèrent dans son ventre, il en sentait tout le poids et les arêtes incriminatrices. Mais Sandmann n'était-il pas mille fois plus fautif ? Sirius convoqua toute sa force pour soutenir de son mieux le regard glauque de son enseignant, crocheté à lui. Sandmann savait que le monstre se dirigeait vers le bureau de McGonagall. Savait-il aussi qu'il avait... contacté Sirius ? Pourquoi ne l'avait-il pas dénoncé auprès de la directrice dans ce cas ? Qu'attendait-il ?
Pourquoi diable toute l'école n'était-elle pas en branle pour arrêter l'incube ?
Comment James et lui pouvaient-ils à présent avertir leur directrice sans se dénoncer ?
Ce qui arrive aux garçons imprudents qui écoutent aux portes...
Sirius s'estimait heureux de n'avoir pas été vraiment attaqué. James avait raison. Il était trop habitué à l'angoisse, trop coriace.
« Hey, murmura-t-il en lui donnant un petit coup de coude. Je suis sûr que McGo a été réveillée, après qu'on est partis. Arrête de te tracasser. »
Remus les trouvait étranges, ils n'avaient pas réussi à s'accorder sur un mensonge plausible. Il s'était méchamment abîmé le bras par-dessus une ancienne cicatrice et il portait ses manches longues, même en mai.
Ne vous souciez pas de moi. Rah, ne regardez pas, c'est dégoûtant.
Mais si, on regarde, on s'en fiche.
Allez, Remus, on supporte bien la tronche de Snape en classe, alors une petite blessure, comme ça...
Remus leva les yeux au ciel.
Il ne reste qu'un mois, pensait-il, tâchons d'être joyeux.
« Sirius, dépêche-toi ! s'écria James dès la fin du cours de Sandmann, et son cri soudain fit vaciller le silence compact.
- Quoi ?
- On a cours dans la Forêt Interdite tout à l'heure ! Comment as-tu pu oublier ça ?! »
Les autres aussi avaient oublié. Un raz-de-marée en cravate rouge et or dévala les escaliers, du quatrième étage au hall d'entrée, avant de s'étaler dans le Parc. « LAISSEZ PASSER ! » claironnait Sirius, sur le ton de l'urgence, en glissant sur la rambarde. Pour la deuxième fois de leur vie, James et lui furent les premiers arrivés en classe. Chourave voulait effectuer des boutures de bouleaux sibériens, les arbres les plus touchés par le cauque-mare justement, Hagrid l'accompagnait : ils n'étaient pas trop de deux enseignants pour surveiller la classe.
« C'est vrai qu'il y a des licornes dans cette forêt ?
- Bien sûr ! répondit Hagrid, rose de fierté, mais vous ne les rencontrerez pas ici à la lisère. »
James donna un coup de coude à Sirius.
« Quand on sera devenus... Il faudra qu'on aille un peu plus loin que la lisière...
- Et des centaures ?
- Ah mais vous ne voulez pas rencontrer les centaures. Ils sont hostiles et se tiennent aussi éloignés que possible des sorciers.
- Et des loups ?
- Des enfants de loups-garous, oui. Les seuls au monde !
- Les enfants de loup-garous ne sont pas loups-garous aussi ?
- Si, sauf s'ils sont conçus pendant leur métamorphose. Dans ce cas, ils sont seulement loups. Des loups exceptionnellement futés, alors n'allez pas les titiller !
- De toute façon, vous n'en aurez pas le loisir ! coupa Chourave. Je veux des groupes de trois élèves. Vous couperez trois tiges sur l'arbre qui vous sera attribué. Les tronçons doivent être coupés en-dessous d'un œil, semi-herbacés, comporter une partie ligneuse et une partie encore verte, mesurer entre vingt et trente centimètres. Vous tremperez le bas du rameau dans la potion de bouturage avant de le planter à un tiers de sa hauteur. »
Le hasard, guidé par la main de fer de Chourave, il faut bien le dire, voulut que les Maraudeurs travaillassent dans quatre groupes différents. La chance, obligée par le charme implacable de James et la finesse de Lily qui n'avait rejoint ce dernier que parce que son amie Mary était avec Sirius, réunit leurs trios dans le même bosquet. Il y avait donc James, Lily et Marlene ; Remus, Achille et Peter ; Sirius, Mary et Edgar. James exultait car il était accompagné de deux filles. Il reçut deux coups de baguette, amortis par ses épis.
« Ça veut dire qu'il y a des loups-garous qui ont des enfants loups..., murmura Mary.
- Et genre, ça veut dire qu'ils ont fait des trucs avec une louve... Oh DAMNED c'est beaucoup trop dérangeant !
- T'imagines, ton gosse c'est un animal quoi !
- Boh, tu le gardes, ça te fait un chien ! »
Sirius ouvrit la bouche, le regard furieux, James, moins sanguin, posa la main sur son bras. Leurs camarades ricanaient.
« C'est peut-être pas plus mal qu'ils aient un endroit pour vivre... poursuivit Achille.
- Sans doute, murmura Marlene qui doutait quand même un peu. Je me demande s'ils s'entendent bien avec les vrais loups. Ça doit être déchirant de savoir que tu as un enfant quelque part et de ne pas pouvoir le rencontrer.
- C'est pas vraiment un enfant, hein, t'imagines la gueule du truc ? Je ne comprends même pas qu'ils aient le droit d'en faire.
- Se changer en loup une nuit par mois ne fait pas de toi un mauvais parent, soupira Lily. On est nombreux à avoir des parents qui travaillent de nuit !
- Oh s'il te plaît ! Tu sais que ce n'est pas que ça. D'accord, non, tu ne sais pas », constata-t-il en se rappelant qu'elle était née-moldue.
Sirius s'était approché de Remus et le dissimulait aux regards des autres. Il avait arrêté de travailler : son ami s'agitait suffisamment pour que personne ne le remarquât. Il n'avait jamais posé la question, il savait désormais que la malédiction pèserait sur sa descendance. Non qu'il songeât à en avoir une, on n'y songe pas sérieusement à quatorze ans – sauf chez les Black, tressaillit-il – et puis ses désirs déglingués le portaient tristement ailleurs. Les boucles noires de Sirius étincelaient au soleil. Il ne parvenait pas à s'énerver contre Achille, lui-même était répugné par l'idée de donner naissance à un animal.
« Franchement non, je ne vois pas ! s'enflamma Lily. C'est qu'une nuit par mois, s'ils s'enferment et tout, en quoi ça leur enlèverait leurs droits le reste du temps ?
- Mais c'est pas juste qu'ils sont absents une nuit par mois ! Ils deviennent des monstres, ils sont dangereux. La preuve, leur rejetons sont des animaux ! Et sinon, ça fait encore plus de loups-garous, on n'en viendra jamais à bout si on les laisse se reproduire !
- Tu en parles comme si c'étaient des animaux, mais ce n'est qu'une nuit par mois ! T'es grave inhumain !
- C'est pas si simple », intervint doucement Edgar.
Edgar était minuscule, si blond qu'il en paraissait transparent mais sa voix aussi ténue fût-elle, amena le silence quand il expliqua :
« Mon père travaille à Sainte-Mangouste. Il travaille avec des jeunes victimes maintenant, dans la recherche et aux urgences. Avant ça, il a passé de nombreuses années dans le ghetto. »
Remus ne savait pas s'il avait envie d'entendre la suite. Son ventre le mettait à la torture, et il avait envie de déchirer toutes les feuilles des arbres. Il serra son poignet blessé dans sa main en respirant le plus fort possible.
« C'était... Il n'avait pas le droit de tout nous raconter, mais il a été éprouvé. D'ailleurs, personne ne reste longtemps dans ce service. Il est devenu complètement maniaque de sécurité, depuis. Il a vu des cas horribles : des enfants démembrés, des femmes qui ont perdu leur bébé ou qui ont donné naissance à des créatures innommables.Mais il a aussi vu des loups-garous redevenir humains et se tuer après avoir réalisé ce qu'ils ont fait. C'est ça qui lui a donné envie de travailler dans les centres, pour les accompagner, les comprendre, peut-être les soulager un peu. Mais la plupart de ses collègues, trop traumatisés, n'avaient pas la force de voir leur humanité et les lycanthropes étaient maltraités ou manipulés. Privés de leurs droits, comme disait Lily. Et puis fichés, donc discriminés, partout où ils vont. Comment voulez-vous qu'ils viennent s'enregistrer au Ministère, quand ils savent ce qui les attendent ?
- C'est un devoir !
- Ça le serait, répliqua Marlene, s'ils étaient également protégés, et accompagnés, pas seulement déclassés.
- C'est le monde à l'envers !
- Vivre en société, déclara James, c'est trouver ensemble les moyens d'accompagner tout le monde, pas d'exclure ceux qui dérangent !
- Il y a de tout, chez les loups-garous. Il y en a de toutes les classes : des érudits aux marginaux. Il faut arrêter de croire que ça ne touche que les cas sociaux. Il y a des furies comme Greyback qui sont très contents de leur puissance et finissent par devenir complètement animaux. Mais il y en a aussi qui finissent déprimés, ne s'alimentent plus, ne parlent plus et se laissent mourir doucement pour ne pas faire de victimes. »
Sirius tendit le bras derrière lui sans quitter Edgar des yeux. Ses doigts trouvèrent la manche de Remus et parcoururent la peau fine de son poignet.
« Il y en a dont les familles se déchirent parce que c'est insupportable de voir un de ses membres s'enfermer dans une cage une nuit par mois. Il y en a qui luttent, qui parviennent à mener une vie à peu près normale pendant quelques années en venant se faire enfermer avant la pleine lune. Et qui craquent, soudain. Et ils crèvent de culpabilité après. Il y a un taux de suicides inconsidéré, on n'en parle pas parce qu'on ne les considère pas comme des humains. Et pour cette même raison, les services en charge des lycanthropes ne reçoivent quasiment aucun financement. On ne peut pas les soigner et à moins d'une découverte miraculeuse, ça ne changera pas demain. On doit protéger les autres, c'est indéniable. Que faire ? Il ne faut pas oublier qu'en premier lieu, ils ont été mordus. Ce sont des victimes avant tout. Mon père dit qu'ils méritent notre compassion.
- Victimes... marmonna Achille.
- Tu considères que ceux qui ont été mordus l'ont cherché ?
- Non, j'ai pas dit ça... Mais personne n'ignore ce que les loups-garous sont capables de faire et il faut savoir ne pas les provoquer. »
James lutta très fort pour ne pas lancer une imprécation.
« Ta gueule, Achille, soupira Marlene.
- Tu n'y connais rien, c'est une position de né-moldu idéaliste, ça !
- Achille... ! gronda Sirius.
- Mais c'est pas une critique bordel ! J'essaie de leur faire comprendre. S'ils ne sont pas capables de se contrôler, ils ne peuvent pas vivre parmi nous. C'est peut-être tragique mais on ne peut pas séparer le loup de l'homme. La seul moyen d'éviter la contamination, c'est de les éloigner des hommes.
- Et si ils ont des talents exceptionnels ? Ils peuvent faire plus de bien que de mal.
- Il y a assez de sorciers dans le monde, personne n'est irremplaçable.
- Ils ont le droit de vivre, s'entêta Marlene.
- Et de tuer ? Qu'est-ce que tu proposes ?
- Financer la recherche, créer des centres plus accueillants où ils deviendront plus équilibrés et plus humains, plus forts pour lutter...
- Personne ne voudra financer ça. Lily, ce sont des monstres. On ne paie pas pour des monstres. Tu aurais plus vite fait de demander des financements pour leur euthanasie !
- Merlin Achille !
- C'est pas moi qui le dis, bordel !
- Achille, intervint Remus d'une voix grave et si calme qu'elle fit sursauter tout le monde, ceux qui pensent comme toi nourrissent le sentiment d'exclusion des loups-garous. Et quand ils sont exclus de chez les sorciers, où vont-ils ? Qui leur ouvre la porte ? Si le camp du mal existe, il est nourri par tes beaux discours de puriste. »
Achille détourna les yeux, confus un instant et répliqua :
« Justement, on se bat contre les forces du mal, non ? Je croyais que tu avais peur des loups-garous, toi !
- Mais ta gueule, cracha Sirius, Sandmann avait ordonné de ne jamais en reparler !
- Justement, je travaille à neutraliser ma peur, pas à la rejeter dans un endroit qui n'existe pas ! Si ça arrivait à quelqu'un que tu connais, vraiment, tu serais prêt à l'euthanasier ? Non mais c'est qui le monstre ici ? »
Achille le fusilla des yeux. Le visage de Remus brûlait de colère, il redoutait que ses cicatrices ne le trahissent, mais son camarade recommença à aligner les idées reçues, jusqu'à la fin du cours quelques minutes plus tard, où Chourave les sanctionna pour n'avoir pas terminé le travail. « Vous qui étiez si contents d'aller dans la Forêt, ça donne envie de recommencer, tiens... »
Remus toussota et déclara :
« Je vais aller courir.
- Non, Remus, tu viens déjeuner », somma James.
Il soupira mais lorsqu'il voulut profiter de la foule pour s'éclipser, son ami le rattrapa par les cheveux.
« Aaah mais t'es tordu, mec !
- Je crois qu'on a mis Remus très en colère, il ne nous avait jamais insultés, avant ! »
Remus gronda
« Allons déjeuner ensemble. Et tu iras courir avec Sirius, et je te suivrai en balai avec Peter. On ne va pas t'emmerder à discuter, ni rien...
- Enfin, je te pousserai peut-être dans le lac si tu exagères.
- On est ensemble », assura James en bâillonnant Sirius.
Remus accepta parce que son bonheur d'être entouré ne diminuait pas, même quand il était irrité au fond de l'âme. Après la course, il présenta sa blessure à Pomfresh pendant que les trois autres compères parcouraient les livres de la bibliothèque à la recherche d'un sort pour révéler la lettre de McGonagall. Ils en trouvèrent trois qui correspondaient à peu près à ce qu'ils cherchaient, et en notèrent deux autres, plus éloignés du sujet propre mais on ne savait jamais. Marlene et Alice s'étonnaient et s'agaçaient de leur désordre. Sirius prétendit qu'il essayait de déchiffrer un message codé remis à Remus par Lily de la part d'une fille dont personne ne voulait lui dire le nom et que franchement, les filles c'était bien compliqué, qu'il se cassait trop la tête pour quelqu'un qui n'avait pas l'air d'avoir tant que ça envie d'être lue mais que bon, il aimait trop les défis. Cette fille devait bien le connaître.
« Ah, ben c'est Mary ! s'exclama Peter, atomisant leur prétexte en toute innocence.
« Comment tu sais ? bouda Marlene à qui ce petit jeu avait bien plu.
- Elle arrête pas de le regarder. »
Marlene et Alice considérèrent tout à coup Peter avec un grand respect.
« Tu as plus l'œil que tes copains !
- J'ai vachement l'œil quand je veux ! protesta James. Il y a juste tellement de filles intéressées par Sirius que je ne savais pas laquelle.
- Ça ne te fait pas grand-chose, Black ! Alors, tu as quelqu'un ou pas ? Le mystère fait parler, tu sais...
- Je suis marié à mon travail », répliqua-t-il très sérieusement, en consultant la table des matières de son grimoire.
Ils éclatèrent de rire, même les filles manquèrent d'être exclues de la salle de travail. Les maraudeurs se dénoncèrent pour quitter les lieux et retrouver Mowgli, la gardienne de leur parchemin.
Aucun des sortilèges ne fonctionna. Sirius s'entêta pour éviter le regard de James, tourmenté par la culpabilité qui avait pris la forme d'un étrange spectre et l'avait traversé pour s'infiltrer dans ses veines et irradier dans chaque mouvement.
Il sait.
Ton heure viendra.
L'homme et la bête, sujet sensible
PS : merci à Rustica pour ses conseils en botanique.
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