Printemps 1973 : une proposition
Un jour...
Athenray revint très vite, comme pour tordre le cou aux rumeurs les plus sinistres. Quelque chose de nouveau rayonnait en elle, apporté peut-être par cette après-midi d'orage. Dans son sillage, soudainement, la fin de l'année se précipita et ce fut alors l'urgence. Un petit peu plus de jour le soir, un petit peu plus de temps pour grignoter la nuit, ne pas dormir, vivre un petit peu plus longtemps avec eux, s'enivrer de souvenirs pour supporter les mois d'enfer à venir.
Un tout petit peu de cette belle amertume qui rend la fête plus vive et réelle, un tout petit peu encore de nuits sans sable et
encore un peu de ses histoires
« Son nom, je l'ai trouvé : on va l'appeler Mowgli. Ça veut dire grenouille.
- Qu'est-ce que tu lui as encore fait lire, Remus...
- C'est le nom parfait, affirma Sirius : pour un gars comme une fille, elle vit dans l'eau des canalisations et elle a été élevée par Akela, le Père Loup... »
Il désigna Remus.
« Baloo l'ours ! »
Il pointa Peter.
« Et Bagheera la panthère noire ! acheva-t-il en secouant sa crinière brune aux reflets soyeux comme de l'eau.
- Et moi !?
- Toi, tu es le roi des Bandar Log ! Le peuple des singes, sans loi ! »
James éclata de rire et fit le tour de la pièce, bondissant et poussant des cris à en effrayer Mowgli.
donnez-moi encore un petit peu de quoi
m'offrir davantage que ce petit peu-là
Un soir, cependant, où ils furent moins prudents et Rusard plus alerte, ils furent pris en chasse par Miss Teigne. James lui envoya une bombabouse. Sirius qui la rattrapa de justesse, se laissa accuser car il ne voulait pas priver son ami de son dernier match de Quidditch. Le concierge, légèrement submergé par l'indignation, le chargea de remettre en état une vieille salle de classe. Des morceaux de parchemins, des plumes brisées jonchaient le sol parmi les moutons de poussière et grouillaient d'éléments indistincts que Sirius souhaitait ne pas approcher. Les tables collaient aux doigts, la peinture écaillée du tableau retenait des méandres de crasse, l'humidité avait laissé des traînées noires sur les murs. Il soupira et commença par nettoyer les carreaux afin d'avoir un peu plus de lumière, tira la langue au grand soleil qui le narguait et à Peter qui jouait au Ring Toss avec une bande de camarades. La poisse. Allez, pour James... Il frotta les tables et les murs avec une marée de lessive, inonda le sol de mousse, glapit quand un nuisible l'effleura, rougit tout seul de sa propre frayeur et mit tant de zèle à l'ouvrage qu'il parvint à rendre la pièce assez propre pour contenter Rusard. Il sentait le savon à des mètres à la ronde, ses articulations protestaient et il était immensément satisfait de son travail.
Tout en empilant les sacs de déchets que les Elfes feraient disparaître bientôt, il se félicitait que Peeves n'eût pas mis son grain de sel là-dedans quand une voix plus glaçante encore que celle du poltergeist lui arracha un sursaut. Il ferma les yeux. En une fraction de seconde un fol espoir naquit et disparut en lui, hérissant puis liquéfiant tous ses membres.Ils arrivaient. Ils venaient pour lui. Le couloir était vide, personne ne passerait là par hasard. Ils arrivent. Ça va arriver.
Ils sont là.
Sirius blêmit. Son cerveau fusait à mille à l'heure, pourtant il était incapable de prendre une décision, et il lui sembla que le temps ne s'écoulait plus pendant qu'ils se toisaient, interminablement. Narcissa, Crabbe et Rosier, ses cousins, mais aussi d'autres : Mulciber, Avery. Le cauchemar intégral. L'air arrogant, propre aux sangs-purs, qu'ils continuaient d'arborer, irradiait d'une sorte d'autorité bizarre. Un puissant sentiment de force et une unité quasi militaire émanaient de leur groupe. D'où cela venait-il ?
« Ah, Sirius, Sirius... les retrouvailles avant notre grand départ... » commença Rosier en s'avançant dans l'encadrement de la porte pour le rabattre vers la salle déserte. Sirius voulut crânement s'arrêter, quitte à encaisser son gros torse dans le visage, mais tous les autres brandissaient leurs baguettes. Rosier saisit sa cravate et tira jusqu'à ce que le nœud se refermât sur sa gorge. Mais pour une fois, il ne fit aucun commentaire sur ses couleurs.
« Il faut qu'on parle... » entendit-il.
Son visage odieux était trop proche de Sirius qui ne pouvait s'empêcher de remarquer chaque détail de sa peau, ses cheveux, son haleine. Beaucoup trop de sensations venaient se jeter dans ses nerfs, amplifiées par la peur, et il n'arrivait pas à réagir. Seul son cœur s'agitait horriblement fort, comme pour fuir son bon à rien de corps pétrifié.
« Je sais que ça fait deux ans qu'on se cherche, qu'on se taquine pas mal, déclara Rosier en replaçant sa cravate, en redressant son col. Et pour t'avoir éprouvé de toutes les façons possibles, je dois admettre que tu es sacrément bon en sortilèges. On aura réussi quelque chose ! » ricana-t-il.
Il pressa fraternellement l'épaule de Sirius.
« Nous n'avons pas été tendres, mais c'est ainsi que nous sommes faits, tu sais bien. Ce qui nous met à l'épreuve ne doit pas entamer notre loyauté, au contraire, c'est le signe même de notre fidélité, de notre force. Le monde n'est pas tendre, et nous le savons d'autant plus que nous sommes des sorciers.
Peut-être que nous nous y sommes mal pris avec toi, peut-être que tu n'es pas exactement comme nous... »
Il le sentait venir, le vieux refrain.
« Mais peu importe, nous te prenons comme tu es. »
Le cœur de Sirius manqua un battement. Ça, c'était parfaitement inattendu. Il tourna lentement les yeux vers Narcissa qui souriait. Elle s'approcha :
« C'est vrai que nous supportons difficilement l'idée que tu ne sois pas Serpentard mais au moment de te quitter, nous avons des choses plus importantes à considérer. Au fond, peu importe le chemin. Tu sais d'où tu viens. Il y aura toujours une place pour toi, là.
Je te parle de famille, Sirius. »
Chaud froid, Sirius se délitait et se perdait. Son souffle s'accéléra.
C'est quoi ce bordel ?
Rosier reprit :
« On t'a jugé trop vite alors que... Ce n'est pas facile pour toi, ce n'est pas simple. On le voit bien, quand on te regarde, avec eux, tes prétendus amis. Ça ne va pas vraiment, hein... J'ai de plus en plus l'impression que tu fais semblant, tu sais. On voit bien que tu fais tout pour retenir leur attention. Cette retenue, là, pour ses conneries. Faut pas le craindre, le Potter, il rit plus fort que tout le monde, mais il ne vaut pas mieux. Son père est coiffeur, alors... »
Craindre ?
Craindre James ?
Sirius eût ri s'il n'avait été si perdu.
« Et ses deux camarades ne sont pas plus fiers, ça tu le sais déjà. Lupin, je...
- Viens-en au fait. »
Rosier ne répondit pas immédiatement. Il scruta le visage de son cousin, se demanda s'il avait touché un point faible, s'il devait continuer de le bousculer ou garder cette carte sous le coude.
« Le fait, c'est qu'il est temps pour toi de redevenir toi-même. D'arrêter de faire semblant. Tu te cherches, bon, c'est normal de faire ses expériences. Mais il n'y a rien pour toi auprès d'eux. T'es pas de ce monde-là, Sirius ! Tu es né dans la plus prestigieuse des familles, tu as reçu une éducation solide, tu es promis à un avenir brillant. Tu as voulu nous faire rager, te pavaner avec tes amis sang de bourbe, comme une provocation ? Soit. Tu as fait ta petite crise d'ado, on t'a vu, maintenant arrête ce petit jeu. Reviens. Ta place est là.
- Sirius, nous sommes ta famille. »
Sirius eut un sourire triste en direction de Narcissa qui venait de répéter cette phrase. Était-ce Orion qui les envoyait déclamer ce discours ? Il ne pouvait s'empêcher de la trouver émouvante.
« On ne s'est pas compris, et je le regrette. Ça ne change rien aux liens qui nous unissent, à la loyauté dont nous devons faire preuve, à l'honneur que nous portons en étendard. Tout cela est si puissant que nous devrions en pleurer de reconnaissance. Effaçons nos travers et avançons. Quelque chose de grand est en train de se préparer, dans lequel tu peux nous rejoindre. »
Le sang se retira du visage de Sirius. Qu'est-ce que c'était encore que ce numéro-là ? Il tremblait, de rage indubitablement, mais d'anxiété également. Elle lui coupait la parole, il se tenait là, muet, comme si son cerveau tournait au ralenti. Le cercle se referma lentement sur lui pendant que Rosier s'approchait pour murmurer à son oreille, presque tendrement, en enlaçant ses épaules d'un geste protecteur. Des volutes argentées s'échappaient de sa baguette et illustraient ses paroles envoûtantes.
« Représente-toi ce monde dont nous rêvons tous : celui dans lequel les sorciers n'auraient plus à se cacher ! Imagine, la liberté d'user de tes pouvoirs au grand jour, un avenir serein pour les nôtres, l'assurance qu'ils n'auront jamais à avoir honte de leur magie ; toutes ces choses que l'on nous a promises... La crainte abolie, la sécurité, la vraie ; puissance infinie !
Justice, enfin !
Tout cela est en train de se réaliser. Et cette cause glorieuse n'attend que toi, toi aussi tu as un rôle à jouer là-dedans !... Viens, joins-toi à notre reconquête ! »
Les longues mèches de Sirius coulaient entre ses doigts, sa voix mélodieuse le transportait, il avait l'impression d'être entraîné dans une étrange valse.
« Parce qu'elle est là, la vraie vie. Elle ne consiste pas à choisir le copain le plus fort en gueule pour enchaîner des bêtises futiles, ou la fille la plus séduisante, elle ne consiste pas à finir tranquillement des études insignifiantes sous la coupe d'un sorcier dit puissant - qui a refusé le ministère pour végéter dans une école...- et qui assure te protéger. Te protéger, vraiment ? Nous sommes responsables de notre protection ! Nous ne sommes pas des chiens soumis en cage, parqués dans des quartiers ! »
Sirius trembla en se rappelant soudain ce que Remus lui avait raconté, son avenir probable dans un ghetto. Est-ce que Remus avait une place là-dedans, cette vision si brillante qu'elle en devenait éblouissante, et tous ses contours brûlés ?
« Mes amis... » balbutia-t-il.
Narcissa posa ses mains sur ses épaules, souriant toujours, plus tendre que jamais :
« Ils seront les bienvenus s'ils souhaitent nous rejoindre, il y a de la place pour tous ceux qui seront prêts à engager leur vie. Mais demande-toi d'abord s'ils en valent vraiment la peine. Tu sais, ils ne sont pas comme nous... »
Ils ne sont pas comme nous. Où avait-il déjà entendu ça ?
« Auront-ils ce courage ? Car cela demande du courage de changer le monde que nous avons toujours connu... Mais tu ne seras pas seul. A l'extérieur, quelqu'un nous attend. Un seigneur plus puissant que quiconque, qui pourra se dresser face à Dumbledore et révéler le seul monde que nous désirons vraiment. Il en faut du courage pour s'opposer à ces idées qu'il nous a bourrées dans la tête. Sirius, je sais que ça n'a pas toujours été facile, nous avons dû être durs mais tu sais que c'était pour ton bien. Nous ne voulons pas te perdre à l'aube de notre départ de l'école. »
Leurs mains pressées sur lui étaient insupportables pourtant quelque chose en Sirius voulait que jamais elle ne le quittassent. Loyauté, famille, des liens implacables qui rampaient dans son sang, plantaient leurs griffes dans sa gorge.
« Les saccages...
- Il y aura toujours des obstacles sur notre chemin. Ils n'avaient qu'à être raisonnables, et discrets, soupira Rosier, il y a mieux à penser, plus large, plus grand. Il n'y a pas de temps à perdre, pas de compromis, une cause si grande n'admet pas le compromis. Nous devons savoir si tu es avec nous ou si tu es contre nous. Rejoins-nous et tu n'auras plus jamais rien à craindre. Nous serons tous ensemble.»
Sirius sourit faiblement à Narcissa.
Des bouffées blanches passèrent devant ses yeux, il haleta.
Et il y eut le coup de grâce.
« Ton frère va arriver l'an prochain, nous serons partis... Pense à ce que tu vas lui laisser. »
Regulus ?
Mais, oh, Regulus !
Quelque chose naquit en Sirius en même temps que quelque chose s'effondrait. C'est comme ça qu'arrive la révélation.
Il avait eu tort, oh qu'il avait eu tort ! Il eût dû écouter Remus et James, passer plus de temps à jouer avec Regulus, le chatouiller, voler à balai, comme il le faisait si simplement avec ses amis, lui donner des livres, quitte à se faire punir, qu'importe ! Il eût dû le bourrer de tout cela. Il eût dû le prévenir de tout, de tout ce qui existait qui était beau et bon, de cette assurance que l'on peut devenir celui qu'on veut, et pas la simple descendance d'un autre... La liberté ? Qui vient me parler de liberté ?! S'ils savaient... S'ils savaient.
Comment pouvait-il hésiter ? Toutes les choses qu'il avait vu faire dans la famille n'allaient que de brimade à torture, maléfice et intolérance. Il se souvint des longues discussions dans la salle commune des Gryffondor, des révélations merveilleuses. Comment pouvait-il hésiter ?
Il releva les yeux.
Quel monde ceux-là allaient-ils créer ?
« Non. »
Il y eut un grand silence glacé et terrifié.
« Sans moi.
- Alors, c'est comme ça... Jusqu'au bout, tu es donc un traître à la famille !
- SIRIUS ! » vociféra-t-il comme on crache.
D'un geste vif et violent, Rosier enroula la cravate de Sirius autour de son poing qu'il abaissa, lentement, pour le forcer à se mettre à genoux puis à quatre pattes.
« Mais nous, on ne garde pas les branches pourries, les chiens galeux... »
Un des comparses lança un sifflement. Quelqu'un d'autre lui donna un coup de pied dans les côtes. « Oh le sale chien ! » railla Crabbe.
Un pied pressait sa tête contre le sol.
« Tu as tout gâché ! Tu as tout gâché, bordel, et tu vas te pavaner là, tranquillement, avec tes copains traîtres et sangs de bourbe, t'amuser à faire le singe à l'école, tandis que nous luttons pour la vermine comme toi ! Tu me dégoûtes !
- Flagro ! »
Dans le bras de Sirius, la brûlure que Narcissa lui avait imposée l'hiver précédent se raviva, projetant de longs coups de fouet dans ses veines et nerfs, jusqu'au bout des doigts qui lui semblaient exploser, jusqu'à l'épaule. Il étouffa son grognement de douleur.
« Prépare-toi. Ceux qui ne marchent pas avec nous seront contre nous. Prépare-toi. Tu n'as rien vu. Car nous sommes déjà prêts, même pour la guerre. »
La guerre ?
Est-ce du bluff ? Est-ce qu'on en arrive là ?
Est-ce que je vais vraiment les affronter ?
Est-ce humainement possible d'affronter sa famille ?
Comment en est-on arrivé là ?
Est-ce que les liens qui m'unissaient à mon frère vont se désagréger aussi ?
Sirius écrasa son poing sur le mur des toilettes où il s'était enfermé.
Que tout s'arrête
Et, lacéré par sa brûlure, serra son bras blessé par Narcissa, si douloureux qu'il semblait se détacher de son corps.
Ce n'est pas moi ! Qui se tient debout là dans ma peau ?
Qui doit vivre cette vie-là ?
Il souffla lentement. Desserra les doigts. Son empreinte, rouge d'avoir été serré, s'estompa, et son bras redevint blanc, le maléfice invisible. Sirius sortit des toilettes l'esprit si confus qu'il ne savait plus où ses pas le dirigeaient, machinalement
Loin, loin d'ici, hors de ce monde où je ne serai jamais libre
Un bruit de course, une main qui tape dans son dos lui arrachèrent un cri et un geste de défense.
« C'est le ménage qui t'a mis dans cet état ? »
Le petit accent de Peter, sa bouille stupéfaite et sa question stupide eurent raison de Sirius qui éclata d'un fou-rire incontrôlable. Il broya ses nerfs et les chassa ainsi, par grands éclats très bruyants, qui le secouaient de la tête aux pieds et le vidaient de son souffle.
« Oui... C'est exactement ça ! hoqueta-t-il.
- On est dans le parc..., expliqua son ami, décontenancé. Remus voulait monter te prévenir mais je devais venir boire de toute façon. Tu as fini, toi ?
- Complètement fini. » rit encore Sirius.
Il passa son bras autour de ses épaules.
Je ne servirai pas votre seigneur, se répéta-t-il en arpentant le corridor ensoleillé, à côté de Peter qu'il n'avait jamais tant aimé qu'à ce moment précis.
Vous vous trompez, je ne peux pas revenir : je n'ai jamais été là
Celui que vous voulez est mort depuis longtemps
Et moi, solide et bon comme l'or,
Je me suis découvert avec Eux.
Remus était étendu sous un saule, la tête sur le sac de James qui jouait un peu plus loin, à agiter ses cheveux et mimer ses exploits devant Mila et ses copines. Sirius s'allongea sur le ventre, à côté de lui, la tête enfouie dans les bras, dans le noir.
Remus chantait doucement, cela disait :
Yes, there are two paths you can go by
But in the long run
There's still time to change the road you're on
And it makes me wonder...Peter somnolait, après avoir joué, comme un enfant.
Une plume s'échappait du sac de James, elle chatouillait la peau de Sirius. Il la sortit, fouilla jusqu'à trouver une bouteille d'encre et du parchemin. Perdu dans ses pensées, il traça d'abord de grandes lignes noires. Puis des courbes, plus lentement, sinueuses et complexes, des arabesques dont la recherche de l'harmonie l'apaisait.
« Qu'est-ce que ça veut dire ? »
Une petite fée énervée s'agitait dans son cœur et il voulait comprendre.
Qu'est-ce que ça veut dire ?
Ses lignes devinrent plus précises. Il fit apparaître un portrait de Peter Pan, encadré par les figures des enfants perdus qui avaient son visage et celui de Regulus, des sirènes, des fées qu'il s'efforça de faire ressemblantes aux rires de James et Remus.
« Je n'arrive pas à l'attraper... »
Remus souriait à la vue de ses doigts tachés d'encre, ses cheveux emmêlés, la moue concentrée qui tirait son visage.
« Est-ce qu'il y en a d'autres, des comme ça ?
- Des livres comme Peter Pan ? Non. Mais il y en a d'autres tout aussi bien, différents.
- Je ne veux pas de différent. C'est fini alors ? Je ne retrouverai pas ça ?
- C'est le premier. C'est loin d'être fini. Je te promets qu'il y en aura d'autres. »
Sirius fit un petit soupir, entre le sanglot et le rire. Il n'y a pas de Pays Imaginaire. C'est autre chose, je veux dire et il n'y a pas de mystère pour dire, perdu, comment ça s'appelle simplement ?
Remus se redressa sur un coude pour contempler son dessin. Sa tête reposait naturellement sur son bras à la blessure invisible.
Sirius déclara, en ajoutant les derniers détails :
« Il n'y a pas de magie plus puissante que...
- Ton regard, coupa Remus. Quand tu lis. Quand tu dessines. »
Les livres, les chansons, oui, c'est beau, de belles choses que je mets entre toi et moi, pour mieux parler et se comprendre, pour ne pas te toucher, même en pensée. J'ai si peur des mots que je dirais, si ça devait être moi.
Sirius suspendit son geste.
« Tu vois... Tu sais faire ça, toi aussi.
Tu es un artiste. »
Sa voix était basse et infiniment délicate. Sirius baissa doucement la tête vers lui, comme s'il l'entendait encore. Leurs yeux se rencontrèrent. Qui tremblait ? Les frissons se communiquaient de l'un à l'autre, semblables à ces lignes noires, déliées, gardiennes de secrets, de simples traits d'encre devenus bien davantage. C'est ça. Quand ton dessin respire sans que tu ne l'aies ensorcelé. Quand tu vas dans un autre monde sans traverser de frontière. Les ténèbres de la journée grondaient âprement dans la tête de Sirius et la tentation était séduisante de se jeter du haut d'un balai, se fracasser le crâne sur un miroir, pour les détruire. Mais il ne pouvait pas, parce que la tête dorée de Remus reposait sur son bras et que sa douceur l'anéantissait complètement.
Un rire un peu plus éclatant de James tira Peter de sa léthargie. Il se leva pour contempler le dessin, félicita Sirius qui n'entendait pas vraiment. James et ses amies, intrigués, rentrèrent dans la confidence du saule et poussèrent des cris admiratifs. Sirius se fit prier, tira la langue et finit par dessiner sur les bras de tout le monde : un vif d'or pour James, des boursouflets pour les filles, une fée pour Peter. Ils rabattirent leurs manches en gloussant pour les cacher aux professeurs. « A toi ! » s'écria-t-il en faisant signe à Remus de venir, mais il secoua la tête en rougissant. « Allez... ! Personne ne verra rien. » Les autres étaient partis. Remus secoua la tête en triturant nerveusement le flacon d'encre qui lui échappa et se répandit dans l'herbe. Il lâcha un grognement agacé. « Bon, eh bien ça résout le problème ! rit Sirius. Tu n'as pas fait exprès, j'espère... » Remus maudit sa maladresse et puis... Il attrapa la manche de son ami, soudain, un éclat espiègle dans l'œil, en défit le bouton et la replia soigneusement jusqu'en haut de son coude. Il posa sa paume droite grand ouverte sur l'herbe toute humide d'encre avant de saisir, tendrement l'avant-bras de Sirius, là où Narcissa le brûlait encore
Là où se nouaient les serments inviolables
Il le tint longtemps et quand il s'en alla, il laissa l'empreinte de son étreinte. Avec le même soin presque sacré, il déplia la manche, la reboutonna à son poignet. Il se leva, tendit sa main propre :
« Viens, je vais me rincer. Et toi, va jouer et te baigner avec les autres ! »
Athenray et Eiffel étaient assises sur un ponton, côte à côte, comme des sœurs jumelles, pas exactement. Il n'y avait que Hagrid et elles pour être si familières, se mêler aux élèves. Remus s'agenouilla sur la berge et regarda sa main. Elle resterait noire encore plusieurs jours.
« Stairway to heaven », Led Zeppelin
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