Printemps 1973 : une alliée
ART : illustration des Chroniques de Spiderwick
NDA : La goule dont il s'agit ici n'a rien à voir avec la créature diabolique représentée dans la plupart des récits. Chez J.K. Rowling, c'est plutôt une sorte d'elfe inoffensif, quoique pénible. J'ai choisi de rester dans cette vision =)
Un jour...
Tous les jours, les garçons se précipitaient dans la salle de bains dès la fin des cours, au moment où elle était déserte. Ils déposaient de la nourriture dans le lavabo des elfes ou près de la dalle mobile et attendaient sans patience que la créature se laissât voir. Parfois, ils commençaient là leurs devoirs. Au bout de quelques dizaines de minutes à peine, ils trépignaient, et très vite se résignaient. Quand James et Remus ne filaient pas se dépenser à balai ou à la course, ils étudiaient tous les quatre à la bibliothèque, à développer leurs plans du château, ou dénicher des sortilèges amusants. L'un d'entre eux devint particulièrement populaire ce printemps-là : les victimes se donnaient à elles-mêmes une claque sur la joue. On ne comptait plus le nombre de défis lancés en classe, à celui qui tenait une plume chargée d'encre, ou à table, de préférence les jours où était servi un dessert crémeux. Le soir venu, en allant se doucher, les garçons constataient la disparition des offrandes, partagés entre la joie d'avoir suscité une réaction et la déception de ne pas avoir patienté assez longtemps pour surprendre l'objet de leur convoitise. Si la goule s'emparait de certains aliments avec avidité, elle en délaissait d'autres après y avoir goûté. Sans grande surprise, ses préférences portaient sur les sucreries et la viande, ainsi que le fromage le plus odorant possible. Un jour, les garçons avaient retrouvé le miroir mural brisé, sans doute par le jet furieux d'une pomme verte à peine entamée.
Mais arriva un soir où ils furent retenus par des punitions. Rusard avait pensé bien faire en séparant James et Sirius, chargés de nettoyer les sanitaires des quatrième et cinquième étages, mais c'était sans compter sur les miroirs à double vue qu'ils emportèrent avec eux. Après avoir dissimulé leur artefact dans une cabine, les garçons se dépêchèrent de s'acquitter de leur tâche en bavardant.
« Sérieusement, je veux bien faire des travaux d'intérêt général, mais à quoi bon faire des trucs ultra lents et inutiles quand on pourrait utiliser la magie...
- Brrr, ils sont vraiment dégueu ces lavabos... Eh, tu entends un bruit dans les tuyaux, toi aussi ? C'est peut-être notre copine qui vient nous rendre visite !
- Ah non, hein, pas maintenant que j'ai tout nettoyé !
- Oh, t'es pas charitable !
- BLACK ! »
Rusard surgit, manquant de fracasser la porte dans l'espoir de surprendre le coupable.
« A qui parlez-vous ?!
- Personne ! Je chante ! Écoutez-moi ça, on les appelle : les Beatles !
- Débarrassez-moi de ces blattes !
- Mais non, ça fait : Love love me do ! You know I love you ! I'll always be true ! So plea-a-a-ase ! Love me do-o ! »
Un tintement battait la mesure dans les tuyaux, créant une cacophonie peu harmonieuse.
« BLACK ! »
Sitôt que Rusard fut sorti en fulminant, Sirius se précipita vers son miroir :
« Merlin, mais quel talent ! applaudissait James. Qui t'a appris ça ?
- Les filles ! Marlene est fan de John Lennon, et Mary de Ringo Starr. Quel nom ridicule. Imagine, tu t'appelles "étoile" !
- ...
- ...
-Dis-moi, tu connais bien les goûts des filles.
- Il suffit de les écouter. »
Le pas traînant et la respiration sifflante de Rusard s'approchèrent alors dangereusement des toilettes du quatrième tandis que les coups portés dans les canalisations s'intensifiaient du côté de Sirius.
« J'ai presque fini, j'arrive ! » glapit James.
Tempe contre tempe, les garçons scrutaient, sans prononcer un mot, très concentrés, le trou des toilettes fraîchement lavées. « Beau travail, Black ! » murmura James. Un bruit de succion leur arracha un frisson de dégoût et un sursaut de recul. Lorsqu'ils osèrent s'approcher à nouveau de la cuvette, la goule se tenait là, les mains noueuses agrippées aux rebords blancs. Elle était malingre, la peau verte et luisante. Sa tête chauve, dépourvue d'oreille, dodelinait, trop lourde pour son corps frêle. Ses yeux, aux pupilles noires bien plus larges que celle d'un humain, et sa bouche tombaient légèrement, lui donnant une expression plaintive. Mais son regard se colora bien vite de fermeté lorsqu'elle tendit la main vers eux.
« Je rêve ou tu me réclames ton repas ? »
James tapa dans la main tendue : « J'ai rien sur moi, rendez-vous dans deux heuraaaaaïeuh ! »
Elle tira à elle, dans son petit poing fort comme l'acier, un doigt qui vira au bleu. Sirius fouillait ses poches avec désespoir :
« J'ai rien, j'ai rien... Tiens, prends cette noise en acompte ! On revient ce soir, promis !
- Oooiiir... caqueta la goule.
- Ce soir. La nuit !
- Uuuuuu... iii... ! » sonna comme une menace.
Elle arracha la pièce des doigts de Sirius et l'examina. Juste à ce moment, Rusard arrivait en trombe. James rabattit le couvercle des toilettes, cela fit un grand « bong » et les garçons échangèrent un regard paniqué. Le clapotis de l'eau fut étouffé par les cris du concierge : « La goule ! Vous avez vu la goule ? Créature de malheur, si je t'attrape ! J'ai bloqué son accès en bas, elle ne m'échappera pas... Des tuyaux percés ! Des siphons bouchés ! Et son raffut ! A n'en pas dormir de la nuit ! »
James et Sirius, côte à côte, les mains dans le dos, tels deux petits anges bruns, répliquèrent de leur voix la plus innocente :
« Il n'y a pas de goule, monsieur ! »
Sirius essuya la faïence avec son chiffon, très consciencieux, avant de le glisser effrontément dans la poche de la blouse démesurée du concierge.
« On peut y aller ?
- Hummm... »
Un cri venu de l'étage supérieur les fit bondir :
« QUI A INONDÉ LES TOILETTES DU CINQUIÈME ? »
Rusard détala. James se frappa le front, consterné.
« Ne me dis pas qu'il a saboté les toilettes lui-même...
- Niark niark niark ! fit un rire qui dévalait les étages.
- Je dirais que Peeves l'a aidé ! »
Depuis le retour des vacances, les jours s'allongeant, les élèves étaient autorisés à sortir après le dîner. Certains jouaient au quidditch, en mélangeant des joueurs des quatre maisons. James et Sirius étaient de vraies furies ; bons perdants sans doute, mais surtout prodigieux vainqueurs. Le premier progressait de semaine en semaine et son instinct d'observateur s'aiguisait à mesure qu'il développait son sens de la stratégie. Pour Sirius, c'était toujours la même envie de se battre, contre personne en particulier, contre toutes les limites. Son jeu était brutal, instinctif, toujours sur la ligne rouge. La première fois, on lui accordait le bénéfice de la chance du débutant, et à la quinzième, on ne pouvait toujours pas s'empêcher de se cacher les yeux de crainte quand il frappait un cognard au dernier moment. Les camarades de Remus pouffaient en le sentant se crisper. Ils ne regardaient le match que d'un œil, préférant bavarder en évoluant sereinement autour des arches du château.
« Et ta maman, comment va-t-elle ?
- Ça va... dit-il trop vite. Ça va, ça vient. »
Le match s'acheva sur une victoire de l'équipe de Sirius et James. Dirk Cresswell, de Poufsouffle et Dorcas Meadowes, de Serpentard, chantèrent des hourras, et James invita Mila sur son balai avant de l'emmener à la conquête du ciel rose et lilas. Emily, une amie de celle-ci, eût volontiers fait de même avec Sirius, mais il regardait ailleurs.
« Eh, tu vas au Reading festival, toi ? demanda Marlene à Remus.
- Festival ?
- Comment, tu ne connais pas ? J'ai presque convaincu mes parents d'y aller, cet été, ce serait bien de se retrouver là-bas !
- Qu'est-ce que c'est ?
- Des concerts, surtout, il y aura plein de groupes super chouettes ! »
Marlene se donna soudain une puissante gifle. Déséquilibrée, elle lâcha un cri et se laissa rattraper par Remus.
« Oh BLACK ! »
Sirius tournoyait autour d'eux, avec un rire diabolique.
« Pourquoi t'as fait ça ? » demanda bêtement Remus, abasourdi.
La joue de son amie était écarlate, elle retenait difficilement une larme.
« C'est toi que je visais !
- Eh bien tu vises mal ! cria Lily, énervée. C'était super violent !
- Mais tu ne tires jamais dans le dos... »
Sirius tira la langue, désabusé en les survolant, la tête en bas. Mais quand Remus tendit sa baguette vers lui, son visage s'éclaira :
« Pétrif...
- Protego ! »
D'autres élèves les rejoignirent et s'amusèrent à lancer et esquiver des sortilèges, jusqu'à ce que Frank, les cheveux verts, décrétât que la soirée était terminée. La nuit montait, une bonne odeur de printemps s'élevait de la terre humide et des fleurs nocturnes. Remus trouvait toujours l'été un peu long mais il aimait le début de la saison, les journées entières à lire, pieds nus sur le plancher, ou dans l'herbe, retrouver son tourne-disque et danser... La mélancolie reviendrait les jours d'orage, les jours de pluie, mais il ne la fuirait pas. Un festival, peut-être ? Pourvu qu'il ne tombât pas durant la pleine lune.
« J'ai fait ce que vous avez dit, vous savez, murmura Sirius en remontant vers le château. Un soir où il faisait beau, comme aujourd'hui. Avec Regulus, on a joué à la balle, pendant que mes parents étaient à une réception. Il m'a confié qu'il aimerait jouer au Quidditch, mais nos parents jugent ce jeu indigne de notre rang. Au bout d'un moment, je lui ai dit qu'il devait vivre pour lui-même.
- Bien dit !
- C'est du McGonagall, ça. Mais Regulus a prétexté qu'il devait la vie à ses parents. Alors j'ai répondu que si ça voulait dire mener la vie qu'ils veulent, je préférerais ne pas être né. »
James passa son bras sur ses épaules mais son ami s'en défit doucement. Remus murmura :
« Il a répondu ?
- Il n'a rien dit. Il est juste rentré à la maison, comme ça. »
Il tut les crises d'angoisses, et les menaces d'Orion, les coups, la nuit. Regulus faisait comme si cela n'existait pas. C'est une maison de dégénérés.
« Et toi, tu as envie de reprendre ?
- Parfois... Mais ça va vite m'énerver à nouveau.
- Tu peux participer au jeu sans faire partie de l'équipe, comme en début d'année. Ou faire juste des parties amicales, comme ce soir.
- Il faut que j'y réfléchisse. »
Ils se douchèrent après tout le monde et s'assirent en rond autour de la dalle de la goule.
« On dirait une invocation... » gloussa Peter en découpant en deux morceaux le fromage qu'il avait dissimulé à table.
Lorsque la petite figure parut, il lui donna une des parts et lui montra la deuxième :
« Allez, on se connaît bien maintenant, fais-nous confiance et sors de là. »
A leur grande surprise, la goule s'exécuta.
« Hey, tu sais leur parler, Peter... » susurra Sirius.
Peter lui jeta un sort que Sirius ne prit pas la peine de contrer. Il grimaça en se donnant une tape.
« Et toi, tu parles ? » demanda-t-il.
La goule secoua lentement la tête, le regard plein de méfiance.
« Mais tu comprends ? »
Signe d'acquiescement.
« Tu vis ici ? »
Non.
« Remus ! Apporte ta carte ! »
Remus se précipita le plus silencieusement possible dans le dortoir et saisit la chemise cartonnée dans laquelle il rangeait ses ébauches. En les dépliant, il se rendit compte de leur insuffisance : elles étaient trop fragmentées, imprécises... La goule n'y comprenait rien. Sirius dessina des croquis des salles principales, mais elle demeura perplexe.
« Bon... C'était cool quand même » fit Peter en lui donnant le second morceau de fromage.
Ses petits yeux trop noirs passèrent du morceau de fromage à Sirius puis James. Elle murmura : « ... Rsaaaard...
- Rusard ?! » » paniquèrent Sirius et James.
Elle fit la grimace et maugréa une suite de syllabes indistinctes et gutturales qui sonnaient durement comme des malédictions.
« On ne l'aime pas trop, nous non plus. » approuva Sirius.
Elle se leva et leur fit signe de les suivre.
« Euh... Elle nous conduit à Rusard ou on peut lui faire confiance ?
- Si on ne la suit pas, on ne saura jamais... »
Le couloir était désert. Elle s'arrêta devant un portrait de Merwyn le Malicieux et fit un bruit semblable à un éternuement : « Mischief !
- "Méfait" ?!»
A ce mot, le tableau pivota et laissa apparaître une glissière. La goule s'y engouffra sans hésiter, les garçons la suivirent, Peter le premier, poussé par les autres, puis Sirius, Remus et James. « Lumos ! » c'était un colimaçon immense : lorsqu'ils se penchaient, ils n'en voyaient pas le centre. Ils glissaient rapidement pourtant. Remus frissonna dans le sourire, Sirius et lui se tenaient par les manches de leurs robes de chambre. Ils atterrirent au rez-de-chaussée, derrière le second portrait de Merwyn.
« C'est pas exactement ce qu'on voulait mais c'est encore plus fabuleux !!! s'extasia Sirius. Quand je rentrerai par cheminette, la prochaine fois, on pourra se donner rendez-vous là !
- Je crois qu'elle vous remercie pour tout à l'heure.
- Merci Peter, on avait compris !»
Mais la goule avait disparu. Des fantômes flottaient dans le hall, aussi les amis préférèrent-ils retourner derrière la toile. Le toboggan aussi s'était évaporé ; à sa place, des Elfes de Maison circulaient dans leur galerie, les bras chargés de linge. Ils rouspétèrent contre ces indésirables qui dérangeaient leur travail mais Remus reconnut Nim, la jeune elfe qui lui apportait régulièrement ses repas à l'infirmerie. Il la salua avec un grand sourire. Ses joues grises prirent une tinte plus sombre et elle en laissa tomber sa pile de torchons.
« Eh, dis-moi ! Il n'y a pas une goule qui traîne parfois par ici ? »
Tous les elfes se figèrent sur place, leurs yeux se plissèrent de colère :
« Ah non, pas elle !
- C'est une voleuse !
- Une maraudeuse !
- On ne veut plus la voir par ici !
- D'accord, d'accord, chut ! » supplièrent les amis.
Ils prononcèrent la formule et cette fois une échelle magique apparut qui les souleva jusqu'à la tour des Gryffondor.
Le lendemain, au petit déjeuner, ils échangèrent un regard entendu en considérant d'un autre œil les tableaux qui ornaient le mur, derrière la table des professeurs.
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