Printemps 1973 : un miroir

Un jour...


Sirius crucifia son reflet dans le miroir de deux clous d'argent ; impitoyable héritage paternel. Il saisit ses cheveux à pleines mains et tira en poussant un cri inaudible, les yeux toujours plantés droit devant l'insurmontable. Ses poings se réunirent devant sa bouche. Il pensa à Remus, à sa rage des nuits de pleine lune contre laquelle il ne pouvait lutter, et il se demanda si sous leurs rires au canines coupantes et blanches de jeunesse, ils ne cachaient pas tous un monstre prêt à s'automutiler. Remus. Remus. Remus... Il ne faut pas qu'il me voit comme ça, Remus qui n'a pas le choix de montrer ses cicatrices. Sirius poussa un grondement aigu, hurlement réprimé, en relâchant la pression de ses dents sur ses phalanges. Quelques cheveux lui restèrent dans les mains, qu'il fit disparaître dans le lavabo où gisaient les cendres d'une lettre de ses parents.

James ouvrit la porte pour se brosser les dents, après le petit déjeuner. Sirius, dans le miroir, souriait, calme, en refermant sa trousse de toilette, les yeux écarlates.

« Merlin de connasses d'allergies de printemps. »

La noisette de dentifrice de James chut en même temps que sa mâchoire.

« Ah heu... Ouais, c'est clair ! »

Sirius renifla agressivement. James fourragea dans ses cheveux avant d'inspecter son sourire impeccable. Les garçons levèrent la tête et échangèrent un regard dans la glace. On entendait quelque chose dans le couloir. C'était le printemps, tintinnabulant comme les clochettes qui venaient d'éclore sous les saules du lac. C'était Remus, qui fredonnait un air primesautier des années 20. Il s'interrompit en les voyant : « Oh... Je ne pensais pas que vous seriez là, je... J'ai l'habitude de chanter quand je suis seul, désolé...

- MAIS POURQUOI TU T'EXCUSES ! IL FAUT CONTINUER ! » rugit James.

Mais son ami était déjà trop embarrassé. Il brossa énergiquement ses dents à la dérobée de son reflet rougissant. Ce ne fut qu'ensuite qu'il remarqua le rouge des stries sur les joues de Sirius, ses doigts et le contour de ses yeux, comme s'il clignotait.

« Tu l'as lue ? demanda-t-il en désignant le parchemin noyé dans le lavabo.

- Oui. Je dois rentrer pendant les vacances.

- Bordel de merde, siffla James.

- Fichtre, renchérit Remus.

- Remus, tu ne fais aucun effort. »

Ils pouffèrent sans joie. Sirius poussa un soupir à la limite de la plainte.

« Tu es content de revoir ton frère, quand même ?

- ... Aucune idée. Il n'écrit plus, je ne sais pas à quoi m'attendre.

Je... J'ai toujours voulu me tirer de cette famille maudite, mais lui il fait l'hypocrite pour leur plaire. Mais il y a des fois où... On joue, on plaisante, et il me semble qu'on est moins différents. Ou alors il a juste pitié de moi, mais écoute, se disputer c'est un divertissement comme un autre.

- T'inquiète, quand il arrivera ici, l'année prochaine, on le corrompra. »

Quelque chose se passa. Il leur fallut quelques secondes pour reconnaître l'étrange bruit des canalisations. Remus se leva le premier, discret comme s'il avait été chaussé de soie. Il glissa son oreille le long du mur, toute la peau aux aguets. Le bruit résonnait légèrement dans la salle de bains vide. James et Sirius se pressèrent dans son dos.

« Eh, les gars, il faut y aller, les cours vont commencer ! appela Achille de la salle commune. »

Ils échangèrent un regard entendu. Hors de question d'aller en classe. Remus hésita certes une seconde mais une série de petites vibrations résonnèrent encore. James suivit leur progression en tapant en même temps sur les carreaux de faïence : « Qui es-tu ? » jusqu'à un évier bas qui ne servait qu'aux Elfes de maison, pour le ménage. Le robinet vacilla puis tomba. Remus frémissait d'appréhension et Sirius d'excitation.

Dans le tuyau, un œil apparut, très rond, la paupière grisâtre, la pupille brun verdâtre, épaisse comme celle d'un batracien.

Les garçons bondirent.

L'œil disparut aussitôt.

« Oh non, reviens !

- James, bordel, c'est peut-être dangereux !

- C'est pas possible qu'il y ait du danger à Poudlard ! répliqua James en collant son œil au trou. C'est peut-être un elfe !

- Pourquoi un elfe se cacherait dans les canalisations ?! »

James regarda à nouveau.

« James, si tu perds ton œil...

- Oh mais c'est une goule ! jubila-t-il.

- D'accord. Une goule, ne jubila pas Sirius, pas du tout impressionné.

- Mon père en a apprivoisé une quand il était petit !

- Le mien chassait celles de la maison, maugréa Sirius. Elles volaient dans les cuisines. Il nous donnait sa baguette et nous demandait de leur jeter des sorts. Ça le faisait rire quand elles criaient. »

Une gêne glacée s'abattit sur les épaules de ses amis. Sirius se leva pour mieux ignorer leurs regards effarés et se dirigea vers la porte de la salle de bains. Il s'accroupit, frappa doucement sur un carreau qui sonnait creux : « Vous vous rappelez ? On croyait le voir bouger tout seul parfois l'année dernière... » Les garçons s'y précipitèrent. Bien que légèrement mobile, la dalle ne se laissait pas desceller, aussi James appela : « Eh ! Petite goule ! Gougoule ! Goulette ! » sous le regard scandalisé de Sirius. Remus se doutait que James surjouait pour amuser leur ami. Le truc, c'est que lui-même était déjà très amusé.

« Donne-moi le scone que tu as gardé ce matin ! » somma James en tendant la main vers Remus qui l'avait gardé pour Sirius, qui avait quitté la table dès qu'il avait reçu son courrier, sans avaler quoi que ce fût. Il déposa l'offrande près du carreau et les trois garçons attendirent en retenant leur souffle. Puis en le relâchant car l'attente durait. Remus regarda alternativement James, concentré comme au milieu d'une prière, puis Sirius, légèrement dubitatif, préoccupé. Soudain, une étincelle éveilla son regard.

Une petite main grise s'empara du pain avec la vivacité d'une langue de caméléon et disparut aussi sec, sous un claquement sonore quand la dalle retomba avant qu'ils n'eussent pu l'attraper.

« Eh ! Mais reviens ! Tu pourrais dire merci !

- Les goules parlent notre langue ?

- Aucune idée, mais il faudra bien lui apprendre ! »


« Vous étiez où ? geignit Peter lorsqu'ils rejoignirent leur classe après avoir manqué le premier cours de la journée.

- On te racontera... » murmura James qui avait remarqué le regard inquisiteur de Snape.

C'était le dernier jour avant les vacances, l'atmosphère s'allégeait d'heure en heure sous un soleil festif. Au fond de la classe, Sirius dessinait et Remus se perdait dans la contemplation des lignes d'encre, si souples, ces rubans sombres qui ajoutaient peu à peu de la profondeur à ses croquis. « Peter Pan ? » murmura-t-il en voyait apparaître un petit garçon espiègle. Sirius sourit, on ne voyait que cela sous la cascade de ses boucles noires. « Mes parents m'ont envoyé plein de livres, tu pourras en prendre avant de partir...

- Comment ils s'appellent ?

- Le Fantôme des Canterville, Vingt mille lieues sous les mers, Le Livre de la Jungle ...

- Encore.

- Le tour du monde en quatre-vingt jours, il y parle de ballons d'air chaud.

- Génial ! Je veux celui-là.

- Silence ! » glapit Snape devant eux.

Sirius arma sa plume comme un poignard dans son dos retourné. Pour avoir déjà tenté de lui en emprunter une, Remus savait que la pointe était terriblement affûtée par son écriture. Sirius avait une graphie magnifique mais très nerveuse, et personne d'autre que lui n'arrivait à écrire avec ses outils.

« James a reçu deux miroirs à double sens pour son anniversaire. Il m'en a donné un. Il est bête, il a eu peur que tu sois jaloux, il ne te l'a pas encore dit.

- Il est très bête.

- Irrécupérable. Tu pourras lui envoyer des lettres pour moi ? Il me les montera. »

Le sourire de Remus était tout proche.

Sirius pressa son épaule contre la sienne pour dessiner une étoile sur le coin de sa page. Remus en dessina une autre, à droite. « Et tout droit jusqu'au matin ! » murmurèrent-ils d'une seule voix. Pus ils se turent, serrés l'un contre l'autre si près qu'ils s'entendaient respirer, les joues pressées de rouge.


Les garçons chipèrent des victuailles à la petite fête de Beltane et, le soir venu, après que la plupart des élèves furent couchés, retournèrent dans la salle de bains pour appâter la goule, en vain.

« Une goule ? Mais pourquoi tout ça pour une goule ? demanda Peter interloqué.

- Oh, c'est James, tu sais... soupira Sirius. C'est à onze heures le train, demain ?

- Oui. Et toi, tu pars quand ?

- Je n'ai pas encore répondu à Slug. Je vais essayer d'attendre votre départ.

- Je ne prends pas le train demain, murmura Remus. C'est la pleine lune mardi. C'est mieux que je reste ici. Je pense que je rentrerai par cheminette en fin de semaine prochaine.

- Je te remercie de trouver une excuse mais Slug n'acceptera jamais d'attendre jusque là !

- Tssssk, ricana James, et Remus fut soulagé qu'ils en rissent. Quels profs restent ici pendant les vacances ?

- Hagrid. Je suppose que Dumbledore aussi.

- Il n'a pas de famille ?

- Je ne sais pas...

- Je ne supporterais pas de passer ma vie au même endroit... Même ici.

- Ouais, d'ailleurs, tirons-nous de cette salle de bains, ça ne sera pas pour aujourd'hui. » capitula James.

Il attrapa Sirius pour le serrer contre lui, le bras de Remus s'enroula autour de sa taille, et sa propre main trouva une épaule de chacun pour s'y s'agripper.

« Allez, dis-le, James...

- Je vous aime.

- Méfait accompli ! » rirent-ils.

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