Printemps 1973 : captifs
TW : sang
Un jour...
Laissez-moi sortir, je vous en supplie, laissez-moi sortir...
Tu m'as dit que ça finirait un jour
Alors laisse-moi y mettre fin !
Sirius quitta l'école le premier, juste après le petit déjeuner. Ses cousins l'appelèrent deux fois pour sortir de table, avant de lui jeter une décharge. « Maintenant, tu viens ! » cracha Narcissa. Remus, Peter et James les suivirent jusqu'au couloir des cachots, la mort dans l'âme et les regards goguenards de la famille pesaient trop lourd sur eux pour que Sirius osât les saluer avec chaleur.
Misère, cette odeur... C'était bien le pire. Pire que les murs tapissés de teintes sombres qui avalaient toute la lumière, pire que les ornements archaïques qui cachaient mal la laideur en-dessous, pire que les ancêtres qui médisaient sur son passage, pire que la tension qui engluait l'air ; cette odeur, rance, primitive s'infiltrait en lui dès la première bouffée pour glacer son sang, envahir son cerveau et anéantir les pensées heureuses.
« Bonjour Père, bonjour Mère » articula-t-il de son mieux en se redressant dans le salon.
Ses parents semblaient à peine l'attendre, installés à la grande table recouverte d'un service à thé, de parchemins et de journaux. Orion leva les yeux au ciel tandis que Sirius se débarrassait maladroitement de la suie qui collait à ses cheveux et, d'un geste de la baguette qui ressemblait à un coup de fouet, il fit disparaître ses boucles, en guise de salutations.
« Montez vos affaires et changez-vous avant vous asseoir à table, dit sa mère, d'un ton qui tenait davantage de l'ordre que de l'invitation. Si cela est possible, ajouta-t-elle en le jaugeant de haut en bas. Vous avez grandi. »
Regulus aussi avait grandi, Sirius en eût le cœur frappé en le croisant dans les escaliers où il jouait avec Kreattur. Il passa sur son crâne une main que le petit frère repoussa avec hargne. « Ne me touche pas ! »
Dans sa chambre quasi vide, il abandonna son uniforme à la fière cravate rouge et or dans son sac qu'il glissa sous le lit. Le tissu d'une ancienne robe, qu'il trouva dans son placard, était souple et solide, la coupe seyante, les broderies fines passementées de fils d'or mais il eût tout donné pour pouvoir se balader dans le parc avec ses brailles de Quidditch lourdes et boueuses.
Il redescendit. Regulus n'était plus dans l'escalier. Il n'était pas non plus à table.
« Nous allons vous faire tailler de nouvelles robes, déclara sa mère quand il s'assit.
- Encore faudrait-il qu'il les porte ! » siffla Orion.
Walburga se tint coite. Orion déplia un parchemin d'un geste sec du poignet.
« Ce cher Horace nous a tenus au courant de tes faits et gestes, ce trimestre. »
"Ce cher Horace", allons donc ! Quelques mois à peine auparavant, Sirius entendait encore : "Ce bonhomme d'Horace", ou "ce brave Horace" mais à présent qu'ils pouvaient s'associer pour lui taper dessus, ils buvaient ensemble à ce champagne-là.
« Vos résultats s'améliorent. »
Sirius leva la tête vers son père. Orion, les yeux sur le parchemin, ne daigna pas croiser son regard.
« Je ne vous cache pas que cela m'a agréablement surpris. Je m'étais résigné à l'idée d'avoir mis au monde un fils ignare, une bécasse entêtée, un cas désespéré. Il était temps. Vous avez arrêté le Quidditch.
- Oui, répondit Sirius quand il comprit que cette affirmation attendait une réaction.
- Très bien. Sport populaire de dégénérés. Vos amis ?
- Un peu tout le monde.
- Je veux des noms.
- Je n'en ai pas, je m'entends bien avec tout le monde, alors ça va être long de faire la liste de tous les Gryffondor, de tous les Serdaigle, de tous les Pouf...
- Slughorn m'a parlé de Potter, Pettigrew et Lupin. Pas les meilleures fréquentations, manifestement, étant donné que vous avez cumulé... Déjà une douzaine de retenues ?
- Slughorn n'est pas mon directeur.
- La plupart causées par des conflits avec vos propres cousins, qui étaient pourtant disposés à vous accueillir et accompagner lors de votre entrée à Poudlard.
- Je suis entré chez les Gryffondor.
- Plaît-il ? »
Orion se pencha sur la table et toisa son fils. Sirius ne flancha pas.
« Slughorn n'est pas mon directeur. Avez-vous demandé au professeur McGonagall ce qu'il en était ?
- Êtes-vous en train de mettre en doute la parole de notre confrère et celle de vos cousins ?
- Je n'ai mis en doute la parole de personne. Je vous demande simplement pourquoi vous ne vous adressez pas à ma directrice, les choses se font comme cela à Poudlard, que vous le vouliez ou non, je suis de la maison des... ! »
La porcelaine vacilla. Une veine palpitait sur le front blafard du chef de famille.
« CESSEZ ! Pour qui vous prenez-vous ? De quel droit m'adressez-vous la parole sur ce ton ? Je suis à chaque fois plus effaré par votre conduite, vous ne nous épargnerez rien, n'est-ce pas ? Sans vous soucier de l'embarras, voire la douleur dans laquelle vous nous plongez, à n'en faire qu'à votre tête, simple esprit tordu ! Tous, nous avons suivi des études brillantes à Poudlard, vous êtes la seule mauvaise bête, et il a fallu que cela tombe sur moi... Gâchis de sang pur. Ce sera peut-être mon épreuve, cela dit. Je ne romprai, ni ne plierai, je dompterai cette sale caboche. »
Walburga n'avait plus prononcé un mot. Elle ne regardait que son époux.
« Montez dans votre chambre. Vous ne serez autorisé à siéger à table que lorsque vous connaîtrez vos leçons de potions à la virgule près. En attendant, vous déjeunerez en cuisines, où vous sera servie la bouillie de Kreattur. Tant que vous continuerez de vous comporter comme si vous ne valiez pas mieux, je vous traiterai comme vous l'exigez. Gagnez votre chambre.»
Le visage toujours inexpressif, Sirius nia la montée d'humiliation qui lui saisissait le corps. Slughorn, je vais te tuer, même si ça doit être la dernière chose que je ferai à Poudlard. Ses jambes défaillirent sitôt passée la porte de sa chambre et il s'écroula silencieusement au pied de son lit. Des poings cognaient dans ses poumons, son cœur à éclater peut-être, ou alors sa magie.
Ne cède pas, il te châtiera !
Mais si, vas-y, mets le feu !
Laissez-moi sortir. Sortir ! Partir loin, libérez-moi ! Je n'ai pas demandé ça, je n'ai jamais voulu ça ! Laissez-le à cet imbécile de Regulus, s'il le souhaite, s'il estime qu'il ne mérite que de bouffer dans une gamelle, mais ma place n'est pas ici !
Sirius respira, serra les poings, se noya longtemps dans les pensées ténébreuses à défaut d'y noyer son horreur. Le cœur révulsé, il mémorisa ses leçons. Il les répétait toute la nuit sans pouvoir dormir, il les écrivait mentalement sur les murs de sa chambre. Il n'avait rien d'autre à faire. Il entendait sa famille aller et venir pendant la journée, des murmures devant sa porte, c'était tout. Regulus le regarda à peine quand ils se croisèrent, comme s'il était souillé et contagieux. Personne ne lui adressa la parole. Kreattur crachait autant de porridge que d'insultes à son hôte infortuné pendant leurs tristes repas. Sirius frottait ses tempes endolories sans rien dire. Il se méprisait si viscéralement lui-même, qu'en avait-il à foutre du reste ? Il mémorisa tout, en essayant vainement de comprendre les recettes, pour peut-être trouver un jour comment guérir Remus. Mais il ne récita rien à Orion. Il resta muet, sans se dire pourquoi, pour garder une dernière carte, ça n'a aucun sens. Pour le narguer, même en secret. Orion jubila pendant deux jours et explosa le troisième.
« Vous allez me réciter ces leçons ou je vous jure que je saurai vous y forcer ! »
Sa baguette frémissait dans son étui, comme un dragon prêt à cracher des flammes. Sirius hésita. Et il abattit sa dernière carte. Il récita tout d'une traite, pendant de longues minutes, la bouche sèche, comme s'il était encore enfermé dans sa chambre et qu'il lisait sur les murs. Les cours de Potions lui donneraient encore longtemps la sensation de revenir dans la demeure glauque, lacéré d'humiliation. Quand il acheva enfin, Orion ne montra aucune satisfaction, bien entendu. Son visage n'exprimait que l'aversion.
« Tenez-vous à la place qui vous est assignée, celle pour laquelle vos aïeux et moi-même nous sommes battus et qui est servie sur un plateau d'argent à votre belle gueule insouciante ; sans quoi, je vous assure, petite pourriture, que je saurai démolir votre réputation avant même qu'elle n'ait été établie. Le nom de Black sera pour vous maudit et il n'y aura rien, ni entreprise, ni administration ni même la plus petite et misérable épicerie qui acceptera de vous employer. Jamais je ne tolérerai un héritier infamant. Vous qui n'avez jamais voulu comprendre à quel point ma, votre, famille est puissante, vous êtes à ma merci. Je peux vous faire interner. Je peux faire de vous un prince... ou un vagabond. »
Sirius détacha les yeux de ceux de son père, tourna lentement la tête vers la fenêtre. Un vagabond, rejeté hors des villes, dont la réputation misérable le précède ? tiens, cela me rappelle...
« Et vous ne réagissez toujours pas. Vous êtes décidément dégénéré... » articula Orion avec dégoût.
La faute à qui ? songea Sirius.
« Retirez-vous donc dans votre chambre. »
Les recettes martelaient encore la mémoire de Sirius. Plus tard, dans la soirée, sous ses paupières fermées, des couleurs de la salle commune, du plafond étoilé de la Grande Salle se déployèrent timidement. Il les laissa venir, craignant de les effrayer s'il les convoquait trop impérieusement.
Une pensée heureuse, et tu t'envoles
« La deuxième étoile à droite et tout droit jusqu'au matin ! »
Laisse-moi sortir !
Laisse-moi sortir !
LAISSE-MOI SORTIR !
JAMAIS !
Un choc sur la tête, plus violent que les précédents, fit valser des étoiles pourpres devant ses yeux. Ce n'était pas suffisant.
Tue-le !
MEURS !
J'ai faim ! Laisse-moi sortir !
MEURS MEURS !! Tu ne l'auras jamais !
JAMAIS !
Le loup se jeta à nouveau contre le mur. Un craquement épouvantable retentit. La douleur étourdit le monstre un instant mais sa rage le tenait éveillé
Et Remus recommença
Encore ! HAHAHAHAHAHA !!
Recouche-toi ! Écrase-toi !
Jamais ! Jamais plus !
Après le départ de Sirius, Remus avait accompagné ses camarades à la gare de Pré-au-Lard et était remonté au Château dans une calèche, avec Hagrid. Le géant l'avait invité à prendre le thé dans sa cabane, à se promener à la lisière de la Forêt Interdite où il lui apprit à reconnaître les traces de pas de Wolpertingers : « Il y en a ici ?!
- Bien sûr ! D'ailleurs, ils nidifient en ce moment, ce sera bientôt la naissance des petits... Viens avec moi, on va leur préparer des gamelles de fanes de légumes ! »
Ils avaient parcouru des livres sur les créatures magiques durant tout le week-end mais son intérêt pour les goules avait légèrement déçu le gardien qui s'entichait de créatures moins inoffensives. Si Remus se sentait un peu seul le soir dans le dortoir vide, la pensée qu'il avait des amis à attendre suffisait à le réconforter. Il lisait, s'inquiétait pour Sirius et écrivait à James et Peter.
Jusqu'à la nuit Remus s'était endormi en se chantant une berceuse oubliée, tourné vers le lit vide, ouvert, de Sirius
Ce fut d'abord une odeur
Une odeur familière et terrifiante, terriblement attrayante qui mettait tout son esprit en alerte et son corps en appétit. Dans son sommeil, son bassin ondula entre les draps tandis que sur sa peau s'épanouissait une vapeur rose. Il étira ses membres qui n'étaient plus ni douloureux ni difformes mais puissants, magnifiques, les membres d'un corps noble qui ne demandait qu'à bondir. Un demi sourire, moue de désir, étira ses lèvres écarlates et, entre ses dents pointues, un gémissement s'exhala.
Et il le retrouva.
Où était-ce, d'ailleurs ? Ni les couloirs, ni les prés, simplement le lieu informe des aspirations qu'offre parfois le rêve.
Il était là. Il courait à perdre haleine.
Sa fuite était comme un appel. Son corps se mouvait avec grâce, hypnotique dans ses pulsions de vie. Tout autour de lui, comme une aura, la peur odorante taquinait les sens. Il le rattrapa, l'encercla dans une danse de désir et de mort, se réjouissant de la sueur qui soulignait d'argent le contraste de ses joues rouges sur la pâleur de l'effroi. Il tenta encore de s'échapper, mais il était trop tard. N'en pouvant plus, il bondit pour s'emparer de lui tout entier. Son corps était à défaillir, la peau souple, ferme, chaude qui, en se débattant, le pressait encore plus contre lui. Ses cris de terreur muèrent en gémissements, ah l'abandon ! C'est un sommet exquis, à capturer là dans ses lèvres, dans sa langue qu'il léchait et croquait, ses épaules rondes, son dos musculeux à la chute interminable, ses fesses charnues, comment te posséder ? La peau cède sous les crocs, elle éclate et laisse le sang couler, si ardent sur la peau de neige. Le loup affolé de désir ne sait même plus comment s'y prendre alors, dans son sommeil, la main de Remus descendit vers son ventre, vers son sexe tendu douloureusement
ah... !
Oui, c'est ça,
c'est exactement ça
FAIS-LE c'est si simple, fais-le...
Oh
c'est si bon...
Si...
Sirius...
Sirius !
Remus se réveilla au milieu d'un spasme de jouissance, dans l'horreur, le corps noyé dans le plaisir
Hors de lui-même
Repoussé, aliéné
Il bondit, réveillé tout à fait. Un haut le cœur retourna son estomac à la vue des draps souillés de semence et sa course vers la salle de bains lui arracha une seconde convulsion, tant l'odeur de son corps lui répugnait. Sous l'eau glacée, il poussa une longue plainte qui glaça le sang des elfes venus nettoyer la chambre, secoué de tremblements, espérant défaillir là, sous l'eau.
Ce n'est pas vrai, ce n'est pas vrai, ce n'est pas vrai
Jamais ça ne s'était passé comme ça ! Jusque là, le loup traquait, et dévorait mais là, qu'était-il arrivé ? Qu'avait-il, Merlin ! osé faire, ces choses ignobles, à un Sirius terrorisé, en se touchant, en...
Sa main le brûlait, il avait envie de se l'arracher, et s'arracher le sexe aussi, tant qu'à faire, libérez-moi...
Combien de temps resta-t-il sous l'eau glacée ? Il suffoquait, entre les larmes, les nausées, les grelottements. Sors de ce corps. Sors !
Il avança vers le miroir sur lequel il fracassa sa tête. Mais la pleine lune décuplait sa puissance : rien à faire. Le loup ne voulait pas mourir. Le reflet dans la glace brisée dessinait encore plus de cicatrices.
Remus erra dans les sanitaires glacés, incapable de prendre une décision, de revenir à lui. Il enfila ses vieux vêtements de pleine lune, haillons misérables qui signaient sa malédiction et se précipita à la cabane hurlante, pieds nus dans l'herbe, sauvage.
Il se roula en boule, dans un coin de la cabane et
attendit
Une caresse tiède l'effleura, une caresse d'air. Remus ouvrit péniblement ses yeux brûlants et secs, si difficilement qu'il oublia son intention et abandonna. Son corps était recroquevillé, aliénant de douleur. Un second mouvement le réveilla tout à fait. Il redressa la tête. Un ange ? Ah... Non. C'était un patronus de Dumbledore, un superbe phénix qui semblait même porter des couleurs. Remus poussa une longue plainte qui n'avait encore rien d'humain. L'oiseau s'en retourna et il referma les yeux.Madame Pomfresh hurla.
De très loin, cela lui rappela le cri de sa mère, il y avait bien longtemps de cela.
« Au nom de Merlin tout puissant Circé, Baba Yaga et tous les sorciers du Panthéon, qu'as-tu fait ?! Remus ! »
Ses cheveux emmêlés laissaient apparaître des bosses d'où coulait un sang épais, encore noir de loup. Jamais ses morsures n'avaient attaqué la chair si profondément. Mais surtout, son ventre et ses cuisses étaient écorchés, comme s'il avait passé la nuit à ramper sur de la pierre.
Elle se précipita à genoux devant lui pour le relever :
« Qu'est-ce qui t'a pris ? »
Remus avait la lucidité éblouissante, et cruelle. Lumière chirurgicale depuis ses cinq ans à l'éveil prématuré.
« Il y a autre chose, n'est-ce pas ? »
C'était plus tard, dans l'infirmerie. Madame Pomfresh l'avait enveloppé dans une couverture. Il n'arrivait pas à avaler son chocolat chaud, qu'il tenait de la main gauche. La plupart de ses blessures étaient en train de guérir.
Il lui en voulait.
« Remus... Tu ne manques pas de courage. »
Il ferma les yeux.
« J'aimerais tellement t'aider... Je ne sais pas de quoi il s'agit mais tu n'as rien à craindre, nous sommes des professionnels, n'aie pas peur de nous effrayer ou... je ne sais quoi. »
Remus hocha la tête avec un sourire convaincant.
« Je saurai m'en souvenir. »
C'était trop tard. Raconter qu'il dévorait Sirius, c'était déjà si honteux qu'il n'y était jamais arrivé. Mais raconter qu'il le violait et se touchait ? Impossible !
Il m'a pourri... Il m'a empoisonné jusque là !
Oh Sirius, quelle horreur...
Oui, c'est moi. Je vis avec ces rêves, je vis avec... lui.
D'où que cela me vienne, il faudra bien que ce soit moi qui le vainque .
Et si ça n'est pas possible, il me restera encore le pouvoir de nous tuer.
De me tuer, moi.
Et cette pensée était la plus rassurante.
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