Printemps 1972 : une confidence

Fanart : Alessia Trunfio


Un jour...


Les quatre amis étudiaient, le plus loin possible de madame Pince. Après avoir rapidement expédié ses devoirs, James avait déniché un livre de sortilèges d'espionnage, tandis que le pauvre Peter était retenu par Remus : « C'est confus, tu dois apprendre plus précisément le vocabulaire et les mesures... Répète après moi. » Sirius se balançait sur sa chaise, l'air ailleurs, l'oreille tendue. Remus savait qu'il l'écoutait. C'était un peu pour cette raison qu'il forçait Peter à travailler. Il lui fit répéter les propriétés des sangs de dragon, licorne et hippogriffe ; le classement botanique des plantes qu'ils étudiaient. Il lisait parfois les réponses sur les lèvres de Sirius et lui adressait alors un clin d'œil. Sirius tirait la langue et Remus riait silencieusement.

Le souvenir térébrant des cauchemars grinçait le long de son échine

Ça va aller

Sur les parchemins de ses cours, Sirius avait réalisé des petits dessins. Il y avait un dragon surmonté d'une étiquette joliment calligraphiée indiquant le nom de McGonagall, une caricature plutôt honnête de Snape, une paire d'yeux raturée, une constellation reliée par des barbelés, un tentacule de calamar géant, deux silhouettes sur un balai, les contours de la tour des Gryffondor, un cognard, un garçon qui ressemblait un peu à Sirius. « C'est ton frère ? » Le menton dans la main, il acquiesça d'un battement de paupières. Remus en oubliait de travailler, les mains pleines de papiers, sans oser lui dire j'adore, c'est beau, ou quoi que ce fût d'autre qui lui semblait trop banal. Le silence convenait à Sirius.

« Tu en as d'autres ?

- Par ci, par là...

- Ça te dérange que je regarde ?

- Mais non. »

James consulta l'heure et bondit en s'écriant : « C'est pas tout mais il y a entraînement !

- Chut ! riposta la bibliothèque entière.

- Vous venez regarder ? »

Remus avait senti un vent frais de déception voler entre eux lorsqu'il était revenu, le vendredi, après avoir manqué le match contre les Poufsouffle. Mais James n'était en rien rancunier. Sirius s'assit à côté de lui dans les gradins.

« Tu ne t'entraînes pas, toi, aujourd'hui ?

- Non. Dan et Margot n'ont pas le temps de s'occuper de moi. Mais ça me va.

- Tu ne trouves pas que James joue mieux quand il y a des filles qui le regardent ?

- Oh, Remus !

- Allez... !

- Oui, c'est vrai ! » rit Sirius.

Ils continuèrent de se moquer gentiment de leur ami, dans un semblant de conversation dont les silences étaient les plus complices.

« Ça devient long, j'ai envie de bouger. »

Ils descendirent au lac. Quelques élèves se baladaient, à pied ou balai, ils les évitèrent tacitement. L'odeur de l'herbe coupée flottait autour d'eux. Dans le ciel paressaient quelques nuages blancs et épais comme de la crème.

« Tu n'as pas envie de courir ?

- Non. Ça va. » sourit Remus.

Sirius avança sur un ponton. Il ôta son pull et ses chaussures, retroussa son pantalon et plongea les pieds dans l'eau glacée. Remus s'assit en tailleurs à côté de lui.

« Tu n'as pas trop chaud ? »

Remus ne répondit pas. Il aimait bien que son ami n'insistât pas, cela lui évitait de mentir. Sirius agita les orteils dans l'eau.

« Je vais devoir rentrer pendant les vacances de printemps. On fête la nuit de Walpurgis. »

Remus hocha la tête.

« Ma mère s'appelle Walburga... »

La phrase de Sirius s'interrompit. La voix de Remus demanda :

« Et ton frère ?

- Regulus. 

On s'aime bien mais... mieux de loin. De près, on n'arrête pas de se disputer. Il est insupportable. Il veut me copier mais en même temps, il fait tout pour être le chouchou de nos parents. Il me cherche tout le temps. Il n'écoute pas ce que je lui dis. Parfois... Parfois, on joue à la balle. »

L'ombre des cils de Remus dessinait des rayons sur son sourire.

« Tu n'as pas de frères et sœurs ?

- Non. J'aurais aimé, je pense.

- Grand ou petit ?

- Hum... les deux. Je suis très exigeant. Je crois que...

- Quoi ? » 

Derrière eux, les arbres de la forêt grinçaient paisiblement.

« Quoi ? demanda Sirius plus doucement, plus insistant aussi, à l'affût de cette ombre.

- Je crois que... Comme ça, j'aurais moins peur d'être seul ? »

Il pouffa aussitôt, en se frottant les cheveux, comme si c'était ridicule.

« On fera tout pour que tu ne le sois pas. » déclara Sirius sans sourire, et Remus frémit.

Une telle promesse, un an auparavant, eût été inespérée. Il venait de passer neuf mois au même endroit et personne n'avait deviné qu'il était un loup-garou. Ses amis ne lui tenaient même pas rigueur de ses humeurs et ses absences.

« Remus... Si je ne réponds pas à tes hiboux... »

Son pied provoqua un remous plus profondément dans l'eau.

« Peut-être que je ne recevrai pas les tiens. Peut-être qu'ils seront lus. Fais attention à ce que tu écris.

- D'accord, murmura Remus.

- En fait... Je préférerais que tu n'écrives pas, et les autres non plus. Je ne veux pas qu'on me prenne ça.

Et si je reviens changé... Je compte sur vous pour me ramener. »

Les longs cheveux noirs de Sirius étincelaient au soleil. Seul un garçon au nom paradoxal pouvait porter une chevelure si ténébreuse et lumineuse. Leur odeur envahissait l'air chaud, dilatait le cœur de Remus, plongé dans une sorte d'admiration mêlée de tristesse. Il avait envie de poser une main sur son épaule. Serait-elle malvenue ? Sirius adorait les accolades brutales de James mais rejetait l'affection tactile de Peter.

Alors, il murmura doucement : « Hey » pour que Sirius croisât son regard.

C'est donc vraiment si terrible, chez toi ?

« Ça finira un jour, murmura Remus. C'est ce que je me dis quand ça ne va pas. Tout a une fin. J'imagine que les vacances te semblent interminables. Cette année, on aura passé, en tout, neuf mois au château, sur douze. Il y aura encore six longues années à vivre à Poudlard, avec nous.

Et après, tu seras libre. » ajouta-t-il avec audace.

Sirius hocha la tête. Il battit encore un peu des pieds et plongea les mains dans l'eau pour envoyer des pichenettes vers le visage de son ami. Remus grimaça un sourire en recevant des gouttelettes.

« Tu n'as pas trop chaud ? »

Remus hésita, regarda furtivement autour de lui, comme pour vérifier qu'ils étaient seuls. Il défit fébrilement ses lacets et retroussa son pantalon sur un mollet marqué de stries rose vif, boursouflées, qu'il enfouit aussitôt dans l'eau. Sirius s'amusa l'éclabousser, avant de presser sa cheville sur la sienne pour l'empêcher de riposter, un sourire en coin sur les lèvres. Le soleil sur les vaguelettes brûlait. Remus s'allongea sur le vieux bois dur et odorant. La tête lui tournait légèrement. Les yeux fermés, il murmura :

« Tu es mon premier ami.

- Je n'ai jamais rien entendu de si triste. »

Sirius s'allongea à son tour, près de lui, presque avec prudence.

« Toi aussi, tu es mon premier ami.

- Non, tu avais James.

- Oui, mais... »

Ce n'est pas la même chose

« Je t'ai rencontré en premier. »

Sirius était si près que Remus sentait irradier la chaleur de sa peau tout le long de son propre bras. Étourdi de sensations, il tendit les doigts

Le loup grondait, quelque part, très loin, n'osant sortir au grand soleil qui illuminait leur rivage

Sa main se referma doucement autour de son poignet

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