Hiver 1978 : Lupercalia
Un jour...
C'est la fête des Lupercales et, tu sais quoi ? pas de fertilité pour nous, pas même de purification, pas de tragique chant du bouc, ni mort ni renaissance, rien que notre amour grand et furieux comme l'Olympe
Soyons orgueilleux, Remus
Le murmure de Sirius coule à son oreille comme un rayon de soleil poudreux qui nourrit ses nerfs d'adrénaline
Nectar et ambroisie, pour rien au mode je ne saurais vous échanger cette voix
Remus sourit, de ce sourire lointain, silencieux qui rend Sirius fou quand il le regarde trop longtemps, qui ranime l'urgence suppliante
Eh, je suis là, je suis au plus près de toi
Ses mains parcourent son corps trempé de sueur, catalyseur, elles font pulser, clignoter
Les réseaux de brûlures laissées là quelques heures plus tôt par une poigne trop serrée sur ta hanche, une morsure trop avide dans ton cou ;
Elles font pulser, clignoter
Les cicatrices lointaines des monstres et des familles,
Ses mains ravivent toutes les histoires qu'on ne confie pas avec des mots ; sous ses mains seules elles peuvent se révéler sans le pétrifier d'angoisse. Il sait les superposer dans le désir cathartique, électriser les corps et voir en esprit les estafilades et crevasses de ces blessures anciennes se combiner dans un nouveau tableau : monts et failles, zodiaques divinatoires, océans, qu'importe
Purifie-moi, demande Sirius, si sérieux que Remus ne peut pas rire
Ah, je ne saurais pas faire ça
Au contraire, mieux que personne, c'est de ça que j'ai besoin, de cette matière
Purifie-moi à notre manière puisque celle des autres est illicite, fertilise-moi de visions qui m'assailliront : rien d'autre ne grandira en moi que notre amour et l'art auquel tu m'as initié. Inventons nos Lupercales, n'est-ce pas pour ça que nous nous sommes croisés ? Pour réinventer les croyances, le monde et l'amour ?
Croisés ? Nous sommes-nous seulement croisés
Entrechoqués
Bouleversés
Fiancés
Épousés - à bout
Remus murmure un sortilège qui déguise leurs bruits ténus. Les autres garçons dorment encore dans le dortoir ; ne circule dans la nuit qu'une flamme inarrêtable, entre leurs bouches et leurs jambes que leurs mains assouvissent. C'est toujours une chose très grave que de faire l'amour ainsi, mais finalement, ce n'est pas parce qu'ils sont hommes, brûlés aux trousses par cette urgence qu'ils n'embarrassent plus de honte, ou de décence. Il n'est plus temps pour la honte.
Brûlons-la avec le reste du monde ancien, dans un feu de joie, incandescent comme tes yeux d'or
Un truc à toi, rien qu'à nous
Notre Apocalypse
Abigaïl,
Je m'appelle Remus Lupin. Je vais avoir dix-huit ans le mois prochain. J'ai été mordu quand j'en avais cinq. Tu viens de vivre tes trois premières pleines lunes. Je me souviens que les miennes étaient...
Remus s'interrompit, laissa ses yeux divaguer sur le feu de cheminée et se pinça mentalement.... que les miennes étaient terrifiantes : je ne savais pas ce qui allait arriver, je me réveillais en vrac le matin suivant. Je suppose que c'est un peu la même chose pour toi. Il y a plein d'autres choses dont je pourrais parler avec toi, si tu as envie. Parmi toutes ces choses, il y en a des belles. J'aurais aimé pouvoir te proposer ce contact dès le mois de décembre mais je.
Remus effaça la dernière phrase.
Je confie ce courrier à Pye, il m'a dit qu'il te visiterait. Je ne te demande pas d'y donner suite, tu feras comme tu voudras, ce qui te semblera le mieux. Et tu peux répondre dans plusieurs semaines, ou mois, si un jour tu en as brusquement envie. Sache que tu n'es pas seule. On en bave bien de cette malédiction, alors il faut qu'on s'entoure des personnes qui nous traiteront en humains.
Remus n'était pas sûr de la dernière phrase, mais il n'avait pas envie de dire : "bon courage", ou de parler au futur.
Alors fie-toi à toi-même avant tout. Ne laisse pas ta vie t'échapper à cause de cette morsure dont tu n'es pas responsable.
Une onde invisible secoua la salle commune. Sirius surgit, fulminant. Il revenait d'un entretien d'orientation avec McGonagall, le quatrième, à ce qu'en savaient ses amis, mais ils n'en savaient pas grand-chose car Sirius partait au quart de tour quand on évoquait la fin de ses études. Il déblatérait des conneries et s'irritait quand on lui réclamait de vraies réponses. Le cœur de Remus se serra.
« Elle a dit que je n'étais pas sérieux ! explosa-t-il. Mais j'étais très sérieux !
- Quoi, quand tu lui as dit que tu allais ouvrir une caverne d'Ali Baba ? Elle abuse. » compatit James.
Remus ouvrit la bouche pour répliquer, le regard perçant, mais Sirius ne lui laissa pas le temps d'en placer une :
« Mais non ! j'en suis pas là ! juste quand je lui ai dit que je voulais entrer comme recrue chez les Aurors.
- Les Aurors ? », répéta stupidement Remus.
Derrière lui, James grinça des dents.
« Ouais, exactement comme ça, elle l'a dit, avec le même dédain et... EH REMUS ! pesta Sirius
- Tu n'es pas sérieux.
- La ferme.
- Non mais... Auror ? » rit Remus.
James eut l'impression qu'ils avaient échangé leurs esprits et que l'âme moqueuse de Sirius insufflait ce sourire en coin à Remus. Pour la première fois, c'était lui qu'il avait envie de faire taire.
« Tu détestes te battre ! Tu es...
- Pas exceptionnel en Potions, tu vas dire ? Ou pas discret ? Merci, elle l'a déjà fait ! Oh et aussi : trop spontané pour devenir agent double. »
Et elle avait probablement dissimulé son inquiétude dans ces réserves, en cela, Remus la rejoignait. Sirius a trop souffert des pressions et de la magie noire, il n'aurait rien de bon à tirer, sinon une rachitique vengeance, dans une carrière d'Auror, une vengeance stérile et trop cher payée.
« Auror ? Mais d'où tu sors ça, déjà, qu'est-ce qui te prend ? Eh, non, attends, Sirius reste ici ! »
Remus lui sauta dessus au moment où il s'apprêtait à franchir la porte, secoué de colère.
« Eh, maintenant on cause, là ! Dis-nous tout !
- Je SAIS me battre ! rugit Sirius. De tout façon, rien ne m'intéresse : la loi, la politique, le soin... Je ne suis pas comme James et toi, vous aimez vraiment ça, vous avez des passions et des valeurs. Mais je ne suis pas si stupide, je sais bien que je suis nul en dissimulation, je ne pourrai jamais être espion et je déteste ce ministère pourri, je ne veux même pas bosser pour Michum, je ne suis rien de tout ça... Je ne suis rien...
- Tu plaisantes ? Tu as une passion, Sirius. Bien plus grande que les nôtres.
- Non, aucune matière ne me...
- L'art.
- Pff, ouais, eh bien... ça m'avance vachement, hein ?
- T'étais fier de raconter à ton parrain que tu allais devenir tatoueur, non ? Il a le chic pour te sonder l'âme, lui aussi.
- Non mais... Je n'étais pas sérieux...
- Oh, tiens, murmura James. Je n'avais jamais entendu ça. »
Remus souriait aussi, et il n'osait pas encore lever les yeux vers lui. Il semblait à Sirius que quelque chose de dur et opaque comme un bouclier venait de tomber.
« La seule fois où tu as parlé de l'année prochaine, chuchota Remus, c'est quand tu as cherché un appartement. Tu as dit que tu ne voulais qu'un atelier pour dessiner.
- Remus...
- Il y a bien des nés moldus qui deviennent sorciers. Toute la magie que tu as apprise ici, tu peux choisir de la délaisser pour te consacrer à ce qui te plaît vraiment. »
Tu te souviens de ce que tu m'as dit, une nuit, entre deux étoiles du plafond de la Grande Salle ?
"Il n'y a pas assez de magie dans la magie, le monde est élargi, la quête impossible, on ne touchera pas la poésie"
S'il existe un moyen de contourner le Secret, de faire vivre la magie parmi les moldus et l'art parmi les sorciers - car c'est bien l'art qui t'a sauvé
Et donné la soif de continuer : un pas de plus vers l'inaccessible,
Un qui n'a rien de décourageant
Ce n'était pas moi, je sais, c'était le mystère et ça me va ; il te fallait quelque chose de trop vaste puisque la vie t'est si étriquée -
Si quelqu'un peut le faire... !
J'ai vu tes dessins, sans magie. Je vois tes fresques recouvrir Londres, dessiner le nouveau monde, dessiner l'alliance
Si quelqu'un peut le faire, c'est toi, Sirius
Au-delà du Secret
Mais Remus, tu ne... nous ne... Je ne gagnerai pas d'argent, si ?
Tu ne seras pas riche, tu seras merveilleux
(C'est Marilyn qui a dit ça)
Nous serons peut-être un peu précaires, mais les jobs ne manquent pas, on ne mourra pas de faim.
Je nous vois déjà, confondus avec les héros de nos livres aux semelles crevées, aux héros de nos chansons sur le bitume bardé de pluie. On crèvera de froid, et on se disputera à cause de la fatigue avant de rire pour des conneries...
Embrasse la bohème, les chemins de traverse. Il n'y a que l'appartement d'Emmeline qui t'ait donné envie d'un foyer.
On sera pauvres – je l'ai toujours été. On sera souvent inquiets. On a toujours la guerre au-dessus de la tête.
On n'aura pas d'avenir
L'avenir, il appartiendra à ce que tu feras de l'encre, de la suie et du pollen doré
Il appartient à ton art
« Rassemblez tout le monde dans la salle commune ! James, donne-moi ton bras ! »
Les yeux illuminés, Sirius orna des poignets de plantes mystérieuses, des biceps de dragons mouvants et sirènes séduisantes, les mollets de Dorcas, Marlene et Mary d'un triptyque labyrinthique à assembler. Le lendemain, les Gryffondor exhiberaient tous leurs trophées, les sourires un peu rebelles. Mais en fin de soirée, entre les rideaux de leur lit, Sirius tenait le poignet de Remus dans sa main et souriait sans se décider. La manche de son ami était retroussée sur son bras qui avait retrouvé un peu de chair, à croquer.
« Alors, qu'est-ce que tu vas me faire ? »
Son pouce dansait sur son poignet, il réveillait leur sérénité sensuelle de la nuit. Sirius plongea la plume dans l'encre. Ne regarde pas. La pointe fine piquait un peu le grain de sa peau. Remus divaguait parmi les dessins de son lit, comme si les rêveries de son ami le pénétraient, jusqu'à ce qu'il sentît un souffle frais sur son bras. Sirius faisait sécher l'encre. Il baissa les yeux. C'était un loup, la tête très noire comme Patoune, le rayonnement d'une étoile autour, halo d'un patronus doré. Il ajouta, juste sous le pli du poignet, une seconde étoile, à droite, sur la petite cicatrice en forme de V. Sa main serra plus fermement le poignet de Remus, tandis que ses yeux le sondaient. Son ami hocha imperceptiblement la tête, le sourire éperdu et incrédule. Oui. Fais-le. Sirius hocha la tête aussi, le cœur battant. D'accord.
Il ensorcela la pointe de sa plume
Lequel des deux défaillit le plus fort quand elle perça sa peau ? Sirius s'appliquait, si concentré, possédé ; un point après l'autre, toi et moi, toi en moi. Une étoile à cinq branches, un peu irrégulière, maladroite et baveuse grandit sous sa peau cicatrisée, la plus belle des mondes, poussée par les battements frénétiques de leurs cœurs.
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