Hiver 1976 : mouvements

ART : Ian Curtis, Atmosphere


Un jour...


Sirius dormait toujours les rideaux ouverts pour contempler Remus ou l'écouter respirer au milieu de la nuit, tendre la main vers ses doigts qui le cherchaient même dans le sommeil. Remus l'appelait, avec son habituelle discrète urgence, qui prenait chez lui la forme de vapeur rouge dans les joues, yeux alanguis sous sa mèche châtain, baisers dans les toilettes du train avant la séparation muette. Sur le quai froid, ta tiédeur qui imprégnait encore ma peau est en train de s'affadir, un peu de ta sueur pique encore sous ma langue. La brève étreinte d'Euphemia effaça tout sauf la brûlure du manque qui rampait en-dedans : une vieille amie, le temps de la séparation.

James parla beaucoup, sur le chemin pour rentrer à Godric's Hollow, et Sirius ponctuait ses récits d'exclamations, d'anecdotes faciles. Ils s'installèrent rapidement dans leurs chambres puis se retrouvèrent en haut de l'escalier. « Tu veux faire quoi ? » Sirius haussa les épaules. Il ne se rappelait pas s'être jamais posé la question. Un fil d'air froid comme la lame qui l'avait séparé de Regulus lui rappela son reflet dans l'échine. Il se dépêcha de proposer :

« On va se balader ? J'ai une lettre à envoyer à Alphard.

- Il t'a écrit depuis la dernière fois que tu m'en as parlé ? C'était en octobre, je crois.

- Oui, c'est ça, octobre. Il n'a jamais été très bavard. Il ne m'a pas demandé de lui écrire moins mais il n'a pas répondu quand j'ai raconté un peu la vie à Poudlard, il s'en fout. Il ne m'a plus reparlé du reste de la famille. Là, je lui envoie juste des vœux.

- Ajoute Merci de ma part. »

Sirius lui donna une petite bourrade. Ils marchaient coude à coude dans les ruelles et continuèrent dans les rues plus larges. La volière de la Poste dégageait une odeur épouvantable.

« Hum, j'adore ! sourit Sirius.

- Dégueulasse.

- Ça sentait comme ça quand je suis arrivé l'année dernière. Pour moi, c'est l'odeur de l'espoir.

- Donc oubliée celle de ma délicieuse maison, du repas de Noël ?

- Le pudding, c'est trop facile. Il faut un contraste saisissant entre horreur et joie, tu vois, un truc qui pue le mérite ! Rien ne vaut la fiente de chouette. »

Un employé surgit, de sale humeur.

« Vous avez terminé ? Je dois nettoyer, encore.

- On termine, répondit James le plus aimablement possible, en se retenant de défendre les mérites de la puanteur des chouettes, il ne semblait pas très réceptif.

- Vous n'êtes pas du coin, vous, observa-t-il en toisant Sirius.

- J'ai emménagé l'année dernière.

- Mais on a encore deux ans à faire à Poudlard, c'est pour ça qu'on ne s'est pas croisés souvent. »

Le concierge haussa les sourcils.

« Et vous venez d'où ?

- De Londres, répondit Sirius, qui avait l'impression de cracher des cailloux.

- Vous n'êtes pas le seul. Toi, Potter, tu as bien dû voir tous les sorciers qui débarquent ici depuis deux ans ! Ah c'était bien de prôner l'ouverture d'esprit, la cohabitation avec les moldus, hein ? Mais maintenant que les villages mixtes sont la cible des Mangemorts, tout le monde fout le camp !

- Que voulez-vous qu'ils fassent ? trembla Sirius. Les Mangemorts sont puissants, leurs méthodes dangereuses...

- Et il y a dans ces villages des familles avec des enfants, renchérit James. Ce ne sont pas tous des Aurors...

- Oh, qu'ils assument ! Ils n'ont qu'à défendre les moldus puisqu'ils les aiment tant !

- Ah oui, contre des sorts impardonnables ! Bien sûr ! beugla Sirius.

- Pourquoi c'est le comportement de ceux qui fuient qui vous choque et pas de ceux qui attaquent ? s'écria James.

- Oh, la ferme, jeunes cons ! Vous ne savez pas de quoi vous parlez ! Moi, je...

- Ce que je vois c'est que vous n'êtes même pas foutu d'être solidaire avec les sorciers ! »

Les deux jeunes hommes quittèrent la volière si furieux que la neige fondait sous leurs pieds.

« Bouse de troll.

- Raclure de bandimon ! »

La porte claqua derrière eux, ils s'y adossèrent et soupirèrent à l'unisson. Fleamont venait de cuisiner des bonshommes en pain d'épices qu'ils croquèrent hargneusement, sans échanger un mot, les idées sombres. Un biscuit de Sirius lança une poignée de cannelle à la figure de celui de James qui éternua, appela un comparse à se venger et, l'instant d'après, les deux amis hurlaient des ordres à leurs armées, perchés sur des chaises, de chaque côté de la longue table de bois maculée du glaçage qui coulait des pauvres gâteaux démembrés. Euphemia prit très fort sur elle pour ne pas hurler et referma la porte. Après, seulement, elle s'autorisa un petit sourire. Le rire contagieux de son fils, et celui de Sirius, grotesque, lui flanquaient des frissons, le genre dont une mère ne se remet jamais.

Ils s'écroulèrent, la bouche pleine de sucre candi, les jambes tendues et emmêlées les unes aux autres pour continuer de se disputer à coups de pied. Une petite brèche dans l'air, c'est le souvenir de Remus qui s'invite entre eux, comme une prémonition. Remus dont il a encore le corps sous la peau, au point qu'il rougit comme lui, habillé de ses couleurs. « Tu souris... » murmura James en retirant ses jambes.

Sirius haussa les épaules, fataliste. Quelques secondes fuguèrent et James murmura encore, très bas, la tête tournée vers le sol :

« Depuis quand ? »

Et comme Sirius ne répondit pas, les lèvres pressées, il somma :

« Ne mens pas.

– Je ne mens pas. Je n'ai jamais voulu mentir.

- C'est ça...

- On a... fait des insinuations mais... Tu voulais rien entendre, ça nous foutait mal. Rien que ta réaction quand j'ai parlé de William, là...

- Eh ! Comprends-moi aussi, c'est choquant, là ! »

Sirius haussa les épaules. Sa gorge brûlait, les biscuits continuaient leurs mêlées dans son estomac.

« Remus ? murmura James, incrédule.

- Oui, souffla Sirius, gorgé d'ambre rose.

- C'est pas une bonne idée.

- Ce n'est même pas une idée, rit Sirius.

- C'est pas une raison, Merlin, moi aussi j'adore Remus, mais faut savoir se retenir !

- Tu l'adores au point de devoir te "retenir" quand t'es près de lui, toi ?

- Ah, merlin, ferme-la... Je ne veux pas savoir.

- Mais moi je ne veux rien raconter non plus, crétin !

- Tu aurais dû penser à lui, c'est ça que je veux dire !

- Attends, Merlin, qu'est-ce que tu crois ? Que je le force ? Qu'il ne sait pas ce qu'il fait ? Tu crois pas qu'il m'a cherché lui aussi ? Evans est à fond sur lui depuis des années, il n'a jamais répondu à ses avances ! On n'a rien choisi, rien décidé. Alors, nos vies sont dévoyées ? C'est un dérèglement ? Si tu le dis. Mais ce n'était pas une "idée". C'est sincère. C'était réel avant qu'on ait pu y penser. Merlin, James, tu le connais, toi, ce sentiment.

- Tu as honte ? »

C'était une question sincère. Curieuse, mal tournée mais honnête et même un peu préoccupée.

« Non. Et lui non plus. Ce n'est pas par honte qu'on ne t'a rien dit. »

James serrait les dents et les phalanges, le regard tourné vers le sol. Il se leva et marmonna :

« Range la cuisine.

- Pourquoi moi ?

- Parce que tu peux utiliser la magie, crétin. »

Il quitta la cuisine, se dirigea vers le salon et cria : « MOONY ! »

Rentré seul de la gare, Remus retrouva sa maison froide, sans feu, sans provisions dans les placards. Lyall n'était pas là et, ni vraiment en désordre, ni vraiment accueillante, il semblait que la demeure avait cessé d'être habitée. Il rangea quelques affaires en réprimant le plus longtemps possible les alertes de son cœur. Ce n'est rien. Il va arriver, il sera là quand je rentrerai des courses. En fin d'après-midi, Remus alluma un feu, se rongea les ongles jusqu'au sang et finit par jeter une poignée de poudre de cheminette dans l'âtre, d'une main hésitante.

« MOONY ! »

Sirius se précipita dans le salon en glissant si vite sur ses chaussettes qu'il fonça dans son ami.

« Ça va ? Eh, qu'est-ce qui se passe ?!

- C'est mon... C'est rien... C'est juste que mon père n'est pas là et ça m'a stressé... C'est stupide...

- D'accord. Écoute, ça va aller, assura James. Il va revenir. On va contacter le Ministère. Ma mère va appeler. Laisse-lui un mot sur la table et viens à la maison. Mais non imbécile tu ne déranges pas ! Tu viens maintenant !

- Il faut que je laisse à manger au chat.

- Bon, mais si tu n'es pas là dans un quart d'heure, j'appelle la Brigade. »

Il n'y avait pas de trace de Figaro. Ses gamelles étaient vides, et vu la poussière qui en tapissait le fond, son dernier repas n'avait pas été servi la veille. Remus écrasa ses poings qui tremblaient, en espérant que le chat se fût réfugié dans une meilleure maison. Papa, qu'est-ce que tu fous ?


Lyall rappela son fils le lendemain, en fin de matinée. Il avait confondu les jours, croyait être samedi, il s'excusa si platement que c'était embarrassant. Remus se dépêcha de saluer ses amis et remercia discrètement Euphemia qui bouillonnait de rage : « Ça va aller, ne vous en faites pas, merci beaucoup pour l'accueil... Merci pour tout. » Elle avait passé la matinée à appeler l'hôpital, la banque, le ministère et elle avait bien envie de garder Remus chez elle, mais le soulagement du jeune homme était tel qu'elle se retint d'entraver ses retrouvailles avec son père. « Bon, mais vous venez pour Noël, hein ? Et le réveillon également. Venez toute la semaine... » Remus salua la maisonnée d'un signe vague de la main, déjà tout polarisé vers son père, et sauta dans la cheminée.

Lyall était fébrile, mal rasé, les cheveux en pagaille, les yeux rouges. Il ne sentait pas l'alcool mais avait toutes les apparences de l'ivresse : maigre, préoccupé à l'excès par quelque chose que Remus ne voyait pas, un nuage de doxys invisibles qu'il essayait de chasser, autour de sa tête. Il jeta un nombre de sorts incalculable sur la maison. Remus tentait de lui sourire, tout pétri d'anxiété à l'intérieur. Seigneur qu'il semblait misérable. Pantin aux fils coupés, tout s'était effondré en lui, en deux semaines. Le jeune homme prépara un thé et l'invita vainement à s'asseoir. Lyall parlait de dossiers, du Ministère, mais Remus savait qu'il n'y travaillait plus. Il s'efforça quand même de rentrer dans son jeu pour le faire parler.

« Papa, dit-il plus fermement après une foule étourdissante de circonlocutions. Où étais-tu ? Qu'est-ce que tu fais ? Est-ce que c'est... secret ?

- Remus, dit simplement Lyall, les épaules basses.

- Je n'ai pas oublié, murmura son fils. Tu m'as dit que tu voulais faire davantage. Je sais que le Ministère ne te convient plus. »

Les yeux jaunes de Remus se plantèrent dans le regard noisette de son père. La sagesse n'avait pas disparu de ces pupilles-là, elle s'y était fractionnée.

« Dis-moi ce qui se passe. Tu peux pas me... »

Il s'interrompit, le souffle haché par un hoquet d'inquiétude. Lyall, enfin, lui fit signe de s'asseoir.

« J'enquête. C'est ce que je fais de mieux et je ne veux plus perdre de temps. Ils m'ont tout pris.

- Sur quoi ? demanda Remus, ignorant de son mieux l'aigreur de sa voix.

- Une série d'événements étranges, encore inexpliqués : de violentes destructions à Londres, qu'on a mises sur le compte de l'IRA...

- Je me souviens.

- ... Des tempêtes, des... séries de suicides. »

Un frisson glaça Remus.

« Tu te souviens de ton professeur, Sacarver ? »

Remus se contenta de hausser les sourcils. Ce nom seul le révulsait.

« Tu te souviens que je t'ai dit que je le connaissais ? C'était un chercheur réputé, mais instable, terriblement torturé par une force intérieure.

- Comme un cauque-mare ?

- Non, pas vraiment. Un grand mélancolique, tourmenté par l'existence, et qui voyait la magie comme un fardeau, une responsabilité trop lourde pour lui et pour l'humanité. Sa magie... Sa magie était puissante mais il n'a jamais pu la valoriser, à cause de ce tempérament si insécure qui suscitait la méfiance. Les sorciers plus sociables et équilibrés accédaient aux postes qu'il convoitait. Je pense que c'est pour cela que ton directeur lui a offert cette place l'année dernière : il voulait lui permettre de travailler et, tel que je le connais, l'avoir un peu à l'œil aussi.

Mais rien ne s'est passé comme prévu. Il était peut-être déjà trop brisé. Ou trop brillant pour enseigner à des apprentis. Il ne croit plus en l'humanité, et je pense que personne ne l'a jamais compris. Il a fini par être répugné par ces pouvoirs inutiles.

Personne n'est allé aussi loin que lui sur ce chemin.

- Quel chemin ?

- Ses recherches – très précises et fascinantes, pour la partie qu'il a pu publier et à laquelle nous avons accès du tout moins – ses recherches portaient sur la matière même de la magie. Il a tenté de comprendre ce qui la faisait émerger chez un individu, d'en cerner l'énergie, de l'isoler.

- Il travaille pour ... ?

- Le but de Sacarver n'est pas de créer des Obscurus, la souffrance le répugne. Mais sa démarche s'en rapproche, et elle déblaie forcément le terrain pour les recherches de Tu Sais Qui. Ce qu'essayait de faire Sacarver, c'était manipuler la magie, travailler sa matière, la distribuer, peut-être, comment savoir ? Nous n'y sommes pas encore arrivés. Mais je ne doute pas que le Seigneur des Ténèbres cherchera à s'emparer de ses études, de gré ou de force. Et je pense que c'est ce que Dumbledore cherchait à éviter.

- C'est insensé, gémissait Remus en boucle, le fil de sa manche entre les dents. Comment on peut être aussi dénaturé... Et comment tu as découvert tout ça ? Où est-il maintenant, que peut-on faire ? »

Lyall prit le temps de réfléchir

« C'est compliqué. Sacarver est solitaire et paranoïaque. Il faut discuter, empêcher ses dernières recherches de tomber entre de mauvaises mains. »

Remus hocha la tête.

« J'essaie de savoir si ses recherches ont mené à des expérimentations, s'il en a tiré des conclusions dangereuses. Si Tu Sais Qui mène aujourd'hui des expériences de ce type, et où. »

Remus reprit sa tête dans ses mains. Lyall caressa ses épaules et son dos. Les os et la chair de son enfant.

« Je ne peux pas ne rien faire..., souffla-t-il.

- Je sais..., murmura son fils.

- Mais je ne t'oublierai plus. »

Les jours suivants, ils allèrent au cinéma et en ville, errer dans les marchés de Noël, poursuivis dans le souvenir par le rire d'Espérance qui bruissait dans chacun de leurs silences. Ils se taisaient beaucoup, alors. Bien que Lyall lui proposât d'aller un jour plus tôt chez les Potter, Remus refusa. Il resta avec lui, même si ce n'était que pour boire du thé sur le canapé toute la journée, en faisant semblant de lire, de travailler ou de regarder la télévision. Tu veux me confier à eux, papa ? Je ne t'abandonnerai pas.

Et quand elle arriva, la fête de Noël fit du bien aux cœurs endeuillés qui en doutaient encore. Il y eut un grand repas, des jeux de société interminables, des rires de plus en plus sincères à en crevasser la surface de pierre.

« On remettra ça au printemps pour la majorité de Remus, promit Fleamont en guise d'au revoir.

- Et celle de ton fils ! rappela James, scandalisé.

- Mais c'est pas déjà fait, ça ? » répliqua Euphemia avec un clin d'œil pour Sirius, qui se sentit

fondre

dilater

un peu tout à la fois dans un grand sursaut bouillonnant qui s'incarna dans chaque éclat de son rire. Un à chacun, porte nous chance pour la nouvelle année.

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