Hiver 1975 : toits du monde
Un jour...
Ils passèrent la dernière nuit avant les vacances de Noël sur les toits, funambules célestes dans leur tête, sales gosses prétentieux aux yeux des fantômes, toujours irrités par les murs, les plafonds, même les plus magiques du monde. Sirius riait trop fort, secoué, oppressé, tourmenté par le bonheur d'être devenu Animagus et la terreur du retour au Square Grimmaurd ; l'un comme l'autre le faisaient rire. Il ne se débarrassait pas bien de l'amertume d'être devenu chien, rien qu'un chien.
Remus jouait avec la neige, il ne savait pas encore. Parce que Peter était très déçu, ils avaient décidé de le lui annoncer seulement au retour des vacances, en se remettant leurs cadeaux, l'esprit de Noël plus franc lors d'une deuxième fête généreuse, débarrassés des inquiétudes. En espérant que Sirius ne revînt pas trop brisé.
« On ne peut pas t'attendre, Peter, soupira James, je suis désolé, mais regarde dans quel état Remus rentre ! t'as envie qu'il vivre ça encore une nuit de plus ?!
- Mais si ça sa trouve, ça ne marchera pas !
- Peter ! aboya Sirius, qu'est-ce qui te prend de dire ça ?
- Si c'était vous, je vous aurais attendus...
- Si j'étais à ta place, je vous laisserais y aller sans hésiter ! riposta Sirius.
- Mais si c'était Jim, on l'attendrait ! »
James le toisa, excédé :
« Et si c'était toi dans la situation de Moony, on se précipiterait le plus vite possible pour t'aider ! On sait que tu es déçu ! Franchement ça se comprend, et répète-le autant que tu veux, et on râlera avec toi ! Mais ne le fais pas souffrir plus longtemps à cause de ta déception. Tu vas nous rejoindre très vite, maintenant que tu nous as vus, je suis sûr que ça va aller...
- Ouais tu parles, c'est pas ma faute s'il n'y avait pas de clair de lune, et qui sait quand il y aura encore un orage...
- Eh bien va dire ça à Moony, tiens !
- Moony, il m'attendrait !
- ON SE CALME, les gars ! Cachu, je pensais pas que ce serait pour un truc pareil qu'on se disputerait ! On en reparlera après les vacances, d'accord ? » trancha James.
Cela aussi, avait un peu terni la victoire. Sirius s'en lamenta auprès de James, tout bas, dans le lit de ce dernier.
« Je pense qu'il est jaloux : toi et moi, on a le Quidditch, et on s'entend bien avec tout le monde. Moony est réservé, mais il est préfet. Peter, ben... On l'aime bien, mais c'est pas pareil.
- Ouais ben, ça ne l'aidera pas d'être aussi désagréable. »
&
Le premier matin des vacances, quelques élèves, toujours les mêmes privilégiés, quittèrent la Grande Salle à la suite de Slughorn. Sirius traînait à table, Regulus passa devant, James lui adressa un grand signe idiot de la main. Les Maraudeurs emboîtèrent le pas à la petite procession, jouant à demi la comédie de tirer Sirius par le bras. Remus garda son poignet un peu plus longtemps dans la main, parce qu'il se débattait un peu plus de ce bras-là, le cœur de plus en plus serré à l'idée de ces deux semaines sans lui. Depuis la conversation avec James qu'il lui avait rapportée en plaisantant à moitié, ils étaient plus prudents, encore plus retenus le jour, encore plus ardents la nuit. Remus se rappelait le mythe de Tristan et Yseult : l'amour empoisonné, l'exil dans la forêt du Morois, toute autre présence devenue insupportable aux amants maudits. Trois ans d'une passion magique et solitaire qui donne naissance à un sentiment plus humain, plus jaloux aussi, qui ravage tout le monde autour de soi.
James devant, donna à Regulus une bourrade familière et inconvenante. « Eh, t'es fâché pour le match ? C'est le jeu... Tu battras peut-être les Serdaigle, ne t'en fais pas... ça arrive à tout le monde de perdre un match – enfin sauf ton frère et moi. » Il éclata de rire. Le préfet Taylor le fusilla du regard et rappela Regulus à ses côtés. « L'année prochaine, tu seras plus averti, plus redoutable ! J'ai déjà hâte ! » Sirius plantait ses ongles dans le poignet de Remus, dans l'ombre. Il s'en détacha seulement pour jeter une poignée de poudre dans la cheminée. Il se retourna, son invincible sourire bravache aux lèvres, et se frappa le cœur, là où battait désormais toujours son second cœur, la magie qu'il emportait partout avec lui, en regardant James.
Ta joie, Sirius, ta joie.
C'est la plus glorieuse de tes insolences.
&
Remus rappelait le souvenir de ses lèvres dans la morsure du vent de décembre. Il se sentait à côté de lui-même comme on peut l'être quand on est ivre ou harassé : une seconde pour réfléchir à la question - pourtant simple - qu'on t'a posée, les yeux qui le cherchent tout le temps, alors qu'ils l'ont bien vu disparaître dans un voile de flammes vertes. Et ce froid, partout, qui ne sera consolé d'aucune étreinte ce soir. Il reviendra, il est encore là, dans les croissants de lune écarlates qu'il a imprimés dans ta peau, le bout de galaxie mordu dans ton épaule, le bruissement des étoiles électriques dans tes entrailles à la seule pensée de lui. Et même dans ce sentiment de manque, il est encore là.
Espérance avait préparé du vin chaud, la douce demeure des Lupin embaumait l'orange et la cannelle. A elle aussi, Remus trouva un regard étranger, plus fatigué que d'ordinaire, plus blême. Il remarqua un petit panier, près de la cheminée.
« Vous avez un chat ?
- Eh bien oui, il errait dans les parages, perdu probablement..., balbutia Espérance.
- Sans doute, sourit Remus. Il a trouvé une bonne maison. Comment tu l'as appelé ?
- Figaro, comme dans Pinocchio.
- Et les Noces de Figaro.
- J'aimerais bien que tu le voies...
- Peut-être. Il y a un chat dans mon dortoir, on se tolère de loin. Il ne faudrait pas que Figaro se sente chassé !
- Oh, il ira dans la remise, il y a passé quelques semaines avant qu'on ne réussisse à l'apprivoiser. Tu n'aurais pas besoin de nouveaux vêtements, toi ? proposa-t-elle en inspectant ses manches usées et trop courtes.
- Je n'ai pas tellement grandi, éluda-t-il. Mais on peut quand même se promener au marché de Noël, demain !
- J'ai beaucoup de travail en ce moment, s'excusa Lyall en se levant. Je ne vais pas pouvoir vous accompagner mais normalement, je serai quand même libéré le 25 décembre.
- Il se passe quelque chose ? »
Son père termina lentement de chausser ses lunettes. Remus songeait au petit chat de sa mère. C'était une compagnie, en fait.
« Qu'est-ce que tu sais, toi ? Des dernières nouvelles, qu'est-ce qui t'est parvenu, à l'école ?
- Pas grand-chose, gronda Remus. Que le Ministère est débordé entre les crimes et les leurres des Mangemorts. On a suivi de loin les scandales concernant le petit Timothy... »
Il réfléchit et continua :
« Je me demande si nos professeurs ne font pas quelque chose aussi. Slughorn a repris contact avec ses amis vampires. Hagrid s'est absenté le mois dernier, peut-être pour discuter avec les Géants ? Mais je ne sais pas pour quelles raisons, c'est tenu secret. Est-ce qu'on essaie de s'attirer leurs alliances ?- En quelque sorte, oui. On fait de la diplomatie. »
Remus accusa le coup.
« Mais ce n'est pas logique : Voldemort ne jure que par le sang-pur, les sorciers qui dominent sur les autres Êtres. Il ne va pas leur offrir l'égalité, si ? Dans ce cas, pourquoi iraient-ils vers lui ?
- Je sais que les Êtres sont rongés par les vieilles lois qui les étouffent, ils ont besoin de changement, quel qu'il soit. Je ne sais pas ce que Voldemort leur propose mais devenir sa force de frappe, c'est devenir une force, avec une vraie place, une valeur. Avec, aussi, la possibilité d'enfin se retourner contre le vieil oppresseur... »
C'est la seule alternative qui reste ? Seigneur, comment le monde a-t-il pu se roidir à ce point dans deux extrêmes invivables ? N'ai-je vraiment aucun autre choix, aucun autre droit ?
« Je ne dis pas qu'ils le rejoindront, précisa Lyall, mais c'est une bonne occasion de nous remettre en question, il était temps.
- Qu'est-ce qu'ils en disent ?
- Mes collègues ? La plupart est...
- Mais non ! pesta Remus. Les Êtres !
- Oh... Oui, pardon. Ils essaient de se faire entendre, évidemment, depuis longtemps mais leurs moyens sont si limités, et l'opinion publique si lourde.
- Dumbledore et Wilk ne peuvent-ils pas témoigner ?
- Wilk n'exerce plus...
- Et Dumbledore me tient caché. Mais je suis déjà fiché, partout où j'irai, je devrai me signaler. Est-ce que ce n'est pas le bon moment pour témoigner ?
- À mon humble avis de personne non-concernée mais qui travaille dans un milieu hostile, non. Un témoignage ne fera aucune différence, sinon risquer de te faire chasser de Poudlard.
- J'ai bon espoir, on n'arrive déjà pas à exclure Sacarver...
- Je ne déciderai pas pour toi, je juge simplement plus prudent que tu termines tes études.
- Si Dumbledore accueillait d'autres enfants, soupira Remus, si on se fréquentait davantage, on serait moins seuls et bizarres, les autres s'habitueraient. Mais j'imagine que s'il l'annonçait dès la rentrée, plein de familles retireraient leurs enfants, et si on le révélait plus tard, ils se sentiraient trahis, ce serait un... un scandale. Dumbledore risquerait une condamnation, non ? Ça s'est bien passé quand je l'ai avoué à mes amis parce qu'ils me connaissaient bien, mais les autres ne sont pas prêts, et je ne parle même pas de l'influence de leurs parents qui pourraient les retirer sans leur demander leur avis... Enfin, il y en a plein qui l'accepteraient quand même je pense, ça ferait un autre débat, peut-être... Peut-être qu'on serait assez nombreux ? Peut-être que je mettrais Poudlard en péril ?
- Peut-être, souffla Lyall.
- J'ai l'impression d'être un couard favorisé.
- Non. Tu es un jeune homme qui mène des études, comme tous les autres. »
Un jeune homme amoureux comme tous les autres.
« Je déteste les vieux réacs, grommela Remus. Ils auraient dû mieux l'écrire, cette histoire. »
S'ils avaient été abreuvés à la révolte de Sirius ! Mais même sa révolte s'effraie de ce qu'elle pourrait perdre et se tient cachée, dominée, dans le tunnel sans fenêtre qu'ils ont écrit pour les gens comme nous
"Jamais je ne les laisserai toucher à ça"
Remus posa sur la platine un album de Billie Holiday. I don't want to cry anymore
Nighttime when there is moonlight
"Ça " quoi ? La liberté dérobée. Un masque cache ma face à ceux qui refusent la lucidité d'une vérité dérangeante. Seigneur, je ne peux pas m'empêcher de culpabiliser. Je n'y peux rien, je suis fait ainsi, insupportable à ce monde qui nous cache, rit de nos danses sans que personne ne défende, menace nos carrières et fait grimacer nos amis.Lyall posa les mains sur les épaules de son fils et murmura :
« Prends à ce monde ce qu'il te doit, sans scrupules, jamais. Tu as déjà ta part de comptes injustes à rendre, et je te soutiendrai toujours, quoi que tu décides. N'y ajoute pas le poids de ta conscience. »
&
Les cousins discutaient entre eux avec des airs d'initiés, Regulus avec eux. Sirius regardait par la fenêtre en songeant que s'il avait été chez ses grands-parents, il eût pu se promener dans le village, chercher la maison du jardinier. Avait-il fini par quitter Flagley-le-Haut, chassé par cette puissance indistincte ? Il était affamé et incapable de rien avaler.
« Tant mieux, marmonna son parrain. Tu devrais arrêter de boire.
- J'bois pas ! » rétorqua-t-il.
Remus chantonnait un air d'Aerosmith. Sirius le repoussa en secouant la tête. Il ne parvenait pas à rêver, à rappeler les souvenirs de Poudlard, il craignait de les salir ou les dévoiler, qui sait, à la lueur qui ne manquerait pas de paraître sur son visage.
« Mais lui, ce n'est pas pareil, il est bien intégré. Il a juré allégeance, il ne cherche pas à en faire autant que les sorciers, il accepte.
- Ils disent que la situation est injuste alors ils vont faire de nous des toutous à moldus ?! après tout ce qu'on a fait pour récupérer enfin un peu de liberté ! »
Qu'est-ce que je fais là
Sirius remonta dans sa chambre, très calmement, désincarné. Son esprit l'attendait ailleurs. Debout sur le plancher, il parcourut la pièce des yeux, le cœur comme des vagues inarrêtables soulevées de plus en plus haut par des secousses telluriques. Il observait. Il réfléchissait. L'impression comme Remus que la moitié de son esprit et son deuxième poumon étaient restés loin et qu'il n'arrivait à pas être vraiment là.
Ce pressentiment, toujours le même, d'une menace diffuse, cet état d'alerte permanent, épuisant, ce n'est pas un endroit pour vivre.
Il parcourut l'espace des yeux, ses banderoles rouges, ses posters provocateurs, et puis rien d'autre : aucune lettre ne lui parvenait plus depuis longtemps, ses affaires d'école étaient restées à Poudlard. Il y avait seulement le Polaroïd qu'il avait collé là, celui qui plaisait trop à son frère. Les Maraudeurs se tenaient par l'épaule. Remus lui adressa un clin d'œil, Sirius contempla longtemps ses beaux traits fins en écoutant battre son cœur de chien, cette force qu'il avait invoquée au plus profond de lui avant d'avoir pu soupçonner qu'elle existât, j'ai réussi à faire ça.
Tout ce qu'il te faut est là, au fond de toi,
Il n'y a rien d'autre ici pour toi
Sur la photographie, James ébouriffa les cheveux de Remus pour attirer l'attention de Sirius. Il plongea, à travers l'image, ses beaux yeux d'ébène dans les siens, comme avant le grand saut à balai, et articula silencieusement
Allez, vas-y, vole, n'aie pas peur, il est temps ! je suis derrière toi.
Sirius hocha doucement la tête. La porte s'était ouverte dans son dos. Les cousins entrèrent, leurs robes fluides ondulaient comme une marée noire imprécise qui les engloutissait en les confondant, Regulus serré au milieu.
« Eh, Sirius ! Nous ne t'avons pas vu à Pré-au-Lard ! » déclara Evan, doucereux.
Sirius fronça à peine les sourcils. Pré-au-Lard ?
« Mais oui, nous voulions rendre visite à notre cher cousin, loin du bouclier de Dumbledore, vois-tu ?
- Ah, ne fais pas cette tête, il plaisante, ricana Bellatrix. Nous étions venus voir les Harpies. Elles sont pas contentes en ce moment.
- Pas contentes du tout..., soupira Narcissa en secouant la tête.
- Elles commencent même à s'énerver sérieusement, de ne pas avoir les mêmes droits que les sorciers, d'être surveillées lors de leurs déplacements en milieu moldu.
- C'est compliqué pour trouver des petits enfants à dévorer !
- Alors nous leur expliquons que cela ne se fait pas, que tant qu'elles se comporteront de cette manière, ce ne sera pas possible, pour le bien des moldus. Mais que veux-tu, elles sont ainsi faites.
- Alors qu'en dis-tu ? Trouves-tu cela juste, toi, le grand ami des moldus, des hybrides et des sous-êtres ? Non, mais je te pose sérieusement la question, là, j'aimerais bien savoir ce que tu proposes. »
La main de Narcissa empoigna son bras. Une déflagration le parcourut jusqu'à l'épaule et lui arracha un cri rauque. Vipère ! Regulus serrait la mâchoire. Et toi, toi, toi ? Tu ne dis rien, tu laisses faire, tu acceptes ?
Oui, disait son regard fuyant.
Viens, petit frère viens. J'veux pas t'abandonner, cachu,
Je sais ce qu'ils te font, je hais cette maison.
Il ne comprend pas, il se tient enfin parmi ses cousins, c'est presque un grand maintenant. Il lui en veut à mourir pour le match, gamin, désespérément gamin.
« C'est bien ce que nous pensions, tu te plains, tu te plains, mais quand il s'agit de proposer des solutions...
- Étais-tu encore en retenue ?
- Il t'a prévenu ?»
Sirius grimaça d'incompréhension en désignant Regulus qui fronça les sourcils, indigné.
« Pas lui, crétin. Il n'a pas intérêt. »
Le cadet accusa la menace de son cousin et secoua vivement la tête.
« Smith, alors ? »
William ?
William est soupçonné ?
« Alors ?
- Quoi ? Je ne l'ai pas revu, je ne voulais revoir aucune de vos sales gueules de Mang... »
Sa voix s'étouffa dans sa gorge. Aveuglé, il se débattit contre – quoi ? Une sensation de noyade si vive qu'elle l'affola en un éclair. Ses bras battaient vainement l'air autour de lui, et il s'étranglait dans le vide, et il en pleurait de panique lorsqu'il recouvra ses esprits, à quatre pattes, ridicule, insouciant du ridicule, au-delà : dans l'épouvante.
« Maintenant : avoue ! Tu t'es dépêché de cafter à Dumbledore pour Gwendolyne, hein ? »
Une nouvelle déflagration le frappa, dans la poitrine cette fois. Sirius serra les dents. Un filet d'épaisse salive rouge dégoulina entre ses lèvres tandis que son cœur tourmenté repartait péniblement. Un battement, lourd, interminable comme une mécanique enrayée. Cachu, encore un battement, ne t'arrête pas, oh Merlin, c'est dur, je sais, allez encore un...
Sirius, les yeux écarquillés, injectés de sang, recommença à haleter, tremblant de tous ses membres.
Je L'ai vue de près
Regulus détourna les yeux, dégoûté.
« T'es vraiment le pire de tous. T'as mis sagement la queue entre les pattes quand t'étais parmi nous pour mieux cafter ensuite !
- J'ai... Pas demandé ça !»
Sirius rassembla ses dernières forces et cracha son sang sur les pieds de Bellatrix.
L'instant d'après, il regretta d'être vivant
Il eut le temps de s'étonner de cette idée, de s'y accrocher, à celle-là seule sans savoir pourquoi
En dépit des mille et une fois où j'ai sauté dans le vide pour tenter le diable, c'est bien ma veine
Je suis toujours vivant
Il ne faut pas croire qu'on puisse être si flagellé qu'on oublie, que ça se mélange, qu'on s'y fait, c'est faux, tout est subtil, intact, précis
La douleur dérobe des chemins inconnus, explose en raccourcis, dans toutes les strates insoupçonnées de ton pauvre corps,
Juste assez pour ne pas perdre connaissance, Jeez, ils savent s'y prendre
Comment Sirius pouvait-il penser à tout cela ?
Sans même la force de souhaiter que cette torture prît fin Je suis toujours vivant
Les étoiles maudites dansent devant ses yeux
« Viens, c'est l'heure du brandy. »
Evan tira son coude. Un grognement informe déchira sa gorge irritée d'avoir crié. Il rejeta le soutien menteur de son cousin. Les blessures invisibles lardaient tout son corps, de la peau brûlée aux plus profondes fibres des muscles, ses pieds déchirés par des lames de rasoir à chaque pas. Ils le tenaient comme un trophée en tenue de soirée, et, comme un pantin, Sirius ne parvenait plus à se mouvoir, à vouloir, à rien.
« Ton filleul ! » clamèrent-ils en le poussant vers Alphard.
Il se laissa saisir fermement par le bras, guider vers son parrain, immobile, près de la cheminée. Il voyait encore flou. Hypocrite. Tu ne peux pas ne pas savoir ce qui se passait là-haut.
Les cousins reprenaient leurs places dans les fauteuils, grisés de satisfaction. Alphard cligna des yeux et dévisagea Sirius. Lentement, il saisit le verre qui lui était destiné. Il le remit cérémonieusement entre ses mains qui tressautaient et pressa fort les doigts de son neveu autour, jusqu'à ce qu'il grimaçât et croisât son regard.
Arrête de boire
Du poison ?
Non ? Je perds la tête.
"Veritaserum." dit Alphard dans sa pensée.
Ils le cherchent. Ils cherchent William. Ils ont vu qu'il y était arrivé quelque chose entre lui et moi, dérobé dans ce court interstice hors du temps, entre le saccage du village moldu et le retour au Camp. S'ils l'apprennent, cette chose immorale, ils ne s'arrêteront pas là, ils remonteront jusqu'à Remus et moi.
Sirius regarda son verre, puis son père qui ne le quittait pas des yeux, probablement prêt à le soumettre à l'imperium, puis chaque membre de sa famille qui le scrutait l'air de rien, leurs faces de triste cire morte et consanguine, effroyablement semblables, presque inhumaines, figées par l'aigreur et défigurées par la haine. Le cœur de Sirius avait recommencé à battre de ces battements qu'il reconnaissait à leur brutalité pleine de résolution, à leur lenteur gorgée d'alerte, la bonne alerte : celle des méfaits. Avec un signe de tête mesuré et un mouvement élégant du poignet en levant sa coupe, il articula à l'adresse de son parrain :
« Merci. »
Et à toi, famille, merci d'avoir été ma boussole pendant toutes ces années : vous montriez le sud j'ai pu emprunter la direction salvatrice,
Merci pour votre entêtement qui m'a poussé à puiser plus profondément en moi les ressources de la survie,
L'essence même de toute ma personne, réduite à peau de chagrin, peut-être, mais au moins pure et authentique,
Je ne sais pas mieux que vous quelles capricieuses Parques m'ont fait naître ici, mais peut-être que je vous dois au moins d'avoir forgé un caractère assez affûté pour rencontrer, dehors, les meilleures personnes qui soient
et en être reconnu.
« Mère, salua Sirius, Père...
Regulus » ajouta-t-il avec un vrai sourire, le plus triste du monde.
Alphard posa une main sur son épaule.
Sirius baissa les yeux. Dans son verre brillait à présent une poignée de sable étincelant.
Et, si violemment que des braises jaillirent et enflammèrent le tapis, son parrain le poussa dans les flammes.
« Godric's Hollow » somma-t-il dans les hurlements
Et il disparut.
Il dégringola dans l'office de Poste, au milieu des chouettes qui s'agitaient, reines de la nuit. L'opéra de Mozart éclata dans sa tête. Ballet déboussolé, les plumes volaient autour de son corps étalé par terre, mêlées de neige, paresseusement.
Il resta longtemps couché là dans le froid, tous les membres encore suppliciés par le mal invisible de ses cousins,mêlées d'éblouissements blancs
Abruti de douleur
Respire
Lève-toi, tu vas mourir de froid
Il n'y avait personne dans les rues enneigées, tapis scintillant de carte postale, sous des lampions. Des chants bruissaient dans les revers du vent. Derrière toutes les fenêtres, des lueurs colorées et des comètes de rires. Cachu, je vais déranger. J'attendrai demain. Je vais retourner à la poste, envoyer un dessin à Remus, faire le tour du quartier, leur chercher des cadeaux au marché, ne pas arriver les mains vides demain matin. Il y a peut-être une auberge ouverte quelque part. Sirius chancelait dans le froid. À chaque pas, il prenait davantage la mesure de ce qui venait d'arriver.
Qu'est-ce qui va arriver à Alphard, maintenant ? Il est assez grand pour se défendre, hein ?
Je suis parti. Je suis parti pour de bon.
Est-ce qu'ils vont me poursuivre ? Qu'est-ce qu'ils feront aux Potter ? Est-ce qu'ils estiment que j'ai été assez puni
Il arrivait au cimetière. Il fit demi-tour et remonta vers le centre pour emprunter une autre ruelle.
Et, dans la maison qu'il croisait, un immense éclat de rire retentit, plus lumineux que l'étoile du berger.
« On attend quelqu'un ? » demanda une grosse voix derrière la porte à laquelle il venait de frapper.
Sirius recula d'un pas et s'apprêta à déguerpir en courant. Mais ses jambes n'obéirent pas et la porte s'ouvrait déjà toute grande sur un jeune adulte souriant dans l'encadrement. D'autres visages curieux passèrent la tête dans le couloir. Les cousins de James, il les avait déjà aperçus dans le miroir. « MAIS C'EST LE SIRIUS ! » Hébété, il n'arriva à rien articuler le temps que son ami déboulât, ni à franchir le seuil, ni à écouter les propos qu'on lui adressait gaiement. Dans le fracas d'un escalier dévalé, James parut, soleil de sa vie. Il pressa les mains sur sa bouche, hurla quand même, et lui sauta au cou. Sirius ouvrit la bouche, submergé par une montée d'angoisse qui menaçait d'exploser en une avalanche de larmes et qui sortit sous la forme d'un long et abominable fou-rire à vous glacer le sang. James riait et pleurait avec lui, pieds nus dans la neige, rouspété par ses parents. Ils se tenaient par les épaules, les poignets, le col, les doigts crispés, en balbutiant, acquiesçant, se cognant affectueusement, bredouillant encore, la voix suraiguë de nervosité, coupés de rires bordéliques et azimutés et de grognements un peu plus virils.
« Tu comprends ce qu'ils disent ? souffla Fleamont à son épouse.
- Non, mais ils semblerait qu'ils se comprennent entre eux... observa Euphemia, fascinée.
- Oui, bon, ça suffit, toute la maison se refroidit ! Vous parlerez aussi bien à l'intérieur, hein !
- Pardon, balbutia tout à coup Sirius en les saluant, oh pardon...
- Ne dis pas de bêtises, rabroua Fleamont. C'est vrai, on t'attendait plus tôt, mais tu es là maintenant, c'est tout ce qui compte. »
Sirius se tut, alors, terrassé par la grande main paternelle qui se posait dans son dos.
Il suivit James qui lui présentait à la fois sa famille et sa maison, dans un grand bazar chamarré, chaud et bruyant dont son cerveau ne distinguait pas les détails. Ce fut Euphemia qui remarqua la crispation de ses traits blêmes, et elle monta avec eux dans la chambre de son fils.
« Comment es-tu arrivé ici ? demanda-t-elle.
- Cheminette », répondit-il en haussant les épaules.
James s'assit sur le lit, il l'imita. Maintenant qu'il était calmé, la tension se retirait en grinçant dans ses tendons.
« Restez un peu ici au calme, tous les deux, je vous apporte du lait de poule.
- Non, répliqua Sirius, y a le cousin Igor qui m'a provoqué au Quidditch, il faut que j'aille honorer mon...
- Du Quidditch en pleine nuit, moui tout à fait », acquiesça-t-elle avec une moue dubitative.
Elle leva une main vers son front qui se déroba par réflexe. Il se laissa faire la seconde fois, vexé par le rire moqueur de James.
« Tu as faim ? On va manger quelques restes tout à l'heure mais je peux te faire une assiette maintenant, si tu veux.
- Non. Ça va. »
Il n'était pas capable de desserrer suffisamment les dents.
« Merci. »
Elle lança un regard appuyé à son fils avant de sortir. Sirius grimaça en tirant sur sa lavallière, fiévreux.
« T'es ra-vi-ssant habillé comme ça, pouffa enfin James qui n'en pouvait plus.
- Oh, ta goule. Tiens, je te le donne ce costume, bougonna-t-il en se déshabillant péniblement. De toute façon, c'est tout ce que j'ai emporté.
- Hey. T'as pas à me donner quoi que ce soit. »
Sirius haussa les épaules. Il n'y avait pas vraiment réfléchi. Il avait un peu d'argent - si toutefois ses parents ne l'avait pas encore ôté de son compte. Mais il ne resterait pas ici, enfin, ce n'était pas en ces termes qu'il y avait pensé. Il n'avait pas vraiment pensé.
Pour changer de sujet, maladroitement, James désigna ses côtes :
« Tu veux une pommade pour soigner ça ? »
Sirius baissa les yeux, même s'il savait déjà. Il sourit doucement en secouant la tête. Les maléfices des parents ne laissent aucune trace, tandis que les mains de l'amant muselé écrivent sur sa peau tout ce qu'ils ne peuvent révéler par la parole. Nous sommes fabriqués à l'envers. James lui prêta un pull démesuré.
« Il te va mieux qu'à moi, même trop grand comme ça. Tout te va, j'suis dégoûté !
- Toi aussi, tu grandiras, un jour... Ou pas... »
Sirius passa un bras à ses épaules dans les escaliers et s'arrêta pour fourrager dans ses épis adorés. Enfin.
Ils jouèrent à des jeux de société à peine plus sages que le Quidditch, regardèrent de vieilles photographies, taquinèrent le chat, petites joies étourdissantes qui laissaient Sirius rêveur dans ses douleurs. Personne n'osait l'en déloger, on attendait seulement qu'il revînt parmi les autres. James parfois pressait son genou pour lui sourire. Il demanda une seule chose, en fin de soirée : un chocolat chaud à la crème. « On lui écrira tout à l'heure » murmura James tandis qu'il faisait couler le breuvage sucré dans sa gorge.
Au moment de se coucher, Sirius monta dans le lit de James et s'endormit dans ses bras, serré au plus fort, de toute son amitié, les neurones de fraternité désintégraient une à une les particules de l'angoisse, explosions lointaines dans le ciel noir.
Il raconta, au réveil rouge dans l'aurore d'abord par la fenêtre, encore allongés sur le lit, puis rose sur la neige, accoudés à la fenêtre, drapés dans la couverture. Il raconta comment Alphard l'avait aidé, ses cousins menacé – sans trop en dire -, comment il s'était décidé n'importe comment, sans prévenir. « Il était juste temps, hein ? » sourit James avant de se bagarrer avec lui jusqu'à ce qu'ils fussent interrompus par un appel de Fleamont qui annonçait le petit déjeuner.
Le soir, après une journée de Quidditch et de batailles de boules de neige que Sirius défendit avec rage, battu d'élancements qui le déséquilibraient, à en faire crier les spectateurs et hurler James de rire, Euphemia et Fleamont l'installèrent dans la chambre d'amis que les cousins venaient de quitter. James vint y dormir la première nuit, allongé par terre. Au milieu de la deuxième, Sirius le rejoignit dans la sienne. Il ne dormit pas vraiment des vacances, suspendu entre chez lui et Poudlard, pas en sécurité encore, même s'il essayait de s'en convaincre. C'était comme plonger des engelures dans un bain chaud : les sens et émotions, choqués, s'alarment et disent que ça fait mal, et il faut tenir le coup, insister, serrer les dents.
Il attendait le châtiment de sa famille. Dix fois par nuit, il s'apprêtait à filer ; seule la respiration profonde, endormie, inconcevablement sereine de James le retenait. Et quand il se rendait compte qu'il avait cessé d'attendre, il culpabilisait.
Viendront-ils me chercher ? Non, voyons, je n'en vaux pas la peine. Est-ce que je devrais tenter de contacter Alphard ? William ? William les a quittés. Il m'a écouté. Comment m'expliquer avec les parents de James ?
Il était à fleur de peau, traversé régulièrement de décharges magiques. Il pouvait s'énerver pour un rien comme rire d'un rien. S'effrayer pour un rien, comme ce jour où il brisa maladroitement un verre et se précipita pour en ramasser les morceaux, livide, alors qu'Euphemia n'avait crié que de crainte qu'il se fût blessé.
Convalescent.
Convalescent de toutes ses injustes meurtrissures.
Et plus tard, bien des années plus tard, il se maudirait de n'avoir pas pu profiter simplement, pleinement de ces journées éblouissantes de simplicité, gorgées d'amour, tant qu'elles lui étaient offertes.
Dès le deuxième jour, Remus leur répondit un charabia indéchiffrable et extatique, transporté par le même hibou exténué. Sirius et lui s'écrivirent toutes les nuits suivantes, ils dessinaient, remplissaient des feuilles de fragments de rien du tout qui apaisaient le jeune fugitif tant que sa plume grattait le papier et le réjouissaient avant même d'avoir décacheté l'enveloppe, pressée sur son cœur. « Il faut que je te fasse écouter quelque chose. C'est fabuleux, c'est plus que fabuleux. Elle, c'est une vraie sorcière.
- Une sorcière de la poésie, j'espère. »
Angel looks down at him and says, "Oh, pretty boy,
Can't you show me nothing but surrender ?"
Johnny gets up, takes off his leather jacket,
Taped to his chest there's the answer,
You got pen knives and jack knives and
Switchblades preferred, switchblades preferred
Then he cries, then he screams, saying
Life is full of pain, I'm cruisin' through my brain
And I fill my nose with snow and go Rimbaud,
Go Rimbaud, go Rimbaud
(2'20)
https://youtu.be/oNMnWTNCFSU
Our lives are now entwined, we will fall yes we're together twining
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top