Hiver 1975 : pensées croisées
Un jour...
Sirius raya la date de son agenda d'un beau trait noir, vif, brillant d'encre. Plus que dix jours. Il leva les yeux vers Remus qui arborait sa moue la plus concentrée, le nez plissé sur les lèvres, comme on regarde un porte-bonheur, comme si la feuille de mandragore allait rallier sa cause et se coller sagement à son palais. Il parlait un peu moins, riait un peu moins fort pour la garder là. Son genou cogna doucement celui de Remus jusqu'à réveiller un sourire, et sa main descendit, invisible, pour le faire cesser.
Plus que neuf jours et une nuit.
Sirius se glissa dans le lit de Remus et referma les rideaux derrière lui. Remus sourit placidement, ni surpris ni tranquille, mystérieux. Il se coucha sur le dos, un espace entre eux depuis la Saint Valentin, si bien que le bras tombait de l'autre côté, ces lits sont si petits. Il tourna la tête vers Remus avec son grand sourire espiègle et bravache, incertain en-dessous. Remus lui fit un clin d'oeil en retour. Le truc c'est qu'on s'est sentis tellement mal avec ces malentendus du 14 février qu'on a été incapables de se parler alors que lorsqu'on se retrouve, c'est avec l'évidence primitive qui nous a toujours, toujours couverts de sa main : c'est là que je respire. Sirius n'était pas naïf, il voyait bien que Remus était secoué par des idées sombres, mais s'il se figurait celles des cauchemars au visage de Greyback, il ignorait tout des autres.
« Je n'ai pas peur de toi » murmura-t-il.
Remus fronça les sourcils. Sirius jouait avec un fil de laine échappé de la couverture.
« D'accord, c'est ce que dirait quelqu'un qui a peur. Mais je te jure que je n'ai pas peur. »
Il se tourna sur le ventre, un bras en travers du thorax de Remus, le visage sur son épaule. Ses yeux descendirent sur les lèvres de Remus. Il continuait de sourire très doucement. Merlin, si je pouvais, là, dessiner la perfection de ce sourire. Si je pouvais lover ma langue dans le fruit trouble de ses lèvres, il ne croirait plus que je le fuis. « J'ai une dernière chose à régler... » expliqua-t-il. Remus ne demande jamais, c'est son plus grand défaut, taillé dans son caractère juste et droit, comme les cicatrices de sa peau. Sirius est en train de les caresser sans s'en rendre compte, sur son ventre, si chaud qu'il se confond avec la couverture. Il frémit quand il réalise que sa main est entièrement sur sa peau, toute froissée par dessus les muscles nerveux, et il l'étreint plus fort. « Est-ce que toi tu as peur ? » Remus caresse ses cheveux, absent, songeur. « Je n'ai peur de rien, rien que de moi. » Il ne sait plus ce qu'il voulait entendre, ce qu'il voulait. Il ferme les yeux et plonge dans sa félicité inquiète.
Plus que sept jours.
Sirius gratta vivement sa plume sur le parchemin. Peter grimaça à son crissement. Lui aussi avait toujours sa feuille sous la langue et cela semblait vexer James plus que le reste – il ne l'avait pas clamé, bien sûr, mais Sirius le connaissait suffisamment pour savoir son ego légèrement éraflé. « Eh, au moins, tu as gagné le match », « ouais ouais... ». Les travaux pratiques sur terrariums leur donnaient accès aux serres pour se procurer des extraits de mandragore, si bien que James n'aurait plus à les demander à Regulus. Franchement, ce n'était pas plus mal parce que tout cela n'était pas très honnête vis à vis de Sirius. Mais franchement, il n'avait pas envie de mettre fin à ce "tout cela" qu'on ne pouvait pas appeler confiance, ni même relation ; ce quelque chose, pas grand, pas grand chose, cela qui existait et attachait un peu Regulus de son côté. Avec Sirius, c'était tout de suite brut et incendiaire, un agacement épidermique. Était-ce dû aux camps ? A ce qui se passait à la maison et dont il ne parlait pas ? Les premières fois que Sirius avait évoqué son cadet, pourtant, l'affection roulait dans sa voix comme une chanson, entre les deux-trois mots, à peine, qu'il avait dévoilés.
Plus que cinq jours
Remus s'étira pour la dixième fois en une demie heure, comme si quelque chose de trop grand poussait sous sa peau et qu'il fallait le laisser respirer.
« Je vais aller courir... » déclara-t-il doucement, presque discrètement.
Il pleuvait, une fine bruine froide. James frissonnait rien qu'à l'idée de mettre le nez dehors. Le Quidditch sous la pluie, d'accord, à condition que ce soit une vraie tempête.
« Je viens avec toi, laisse-moi finir ça, marmonna Sirius, concentré sur les dernières lignes d'un exercice.
- Vous nous laissez tomber ! gémit James, mutin.
- Mais oui ! J'ai bien le droit à des moments avec mon Moony préféré ! » rit Sirius en enlaçant ostentatoirement Remus dont les joues fines se glaçaient de carmin.
James détourna la tête en haussant les sourcils, dédaigneux. D'accord, brut et incendiaire, sauf avec Remus. Sa diversion, son antidote. Un truc comme ça. James n'avait pas ce pouvoir-là sur Sirius. Peter s'était lancé dans un puzzle de 1546 pièces animées, rien qu'à le regarder, James en avait déjà mal aux yeux et à la tête.
« Marre de l'Histoire. Je descends à la serre voir où en est la plantacule. Tu veux venir, Lily ?
- Je finis mon Histoire, je te rejoins après.
- Je peux t'attendre.
- Mais non, vas-y. »
Cette histoire de Saint Valentin tournait dans sa tête. Seulement, accuser les Maraudeurs eût prouvé que Severus s'était fait avoir et il n'avait pas besoin de cela. De toute façon, les remarques de Lily coulaient sur eux, et sa colère les faisait plus rire qu'autre chose. Comment leur faire comprendre, les faire arrêter ? Elle avait envisagé de s'adresser à Remus même s'il s'affirmait trop peu, mais il était à côté de ses pompes depuis plusieurs mois et elle n'arrivait pas à discuter avec lui. Le mettre en porte-à-faux vis à vis de ses amis eût été assez malvenu. Elle craignait de le perdre, lui aussi, autant qu'elle mourait d'envie de le secouer. Lily ne supportait pas cette situation : il fallait se résigner à s'occuper de ses affaires. Super. Ils ont gagné.
« Bon, ben je passerai par la bibliothèque d'abord, on se retrouvera en bas. »
Elle se frotta les yeux. Marlène lui pinçait le coude en riant. Pourtant, ça ne sonnait pas comme une invitation débile, pas comme les fois précédentes pleines de regards appuyés et de sourires en coin, ou comme quand Sirius s'éclipsait avec Daisy pour le plaisir de voir le nuage de fumée des rumeurs derrière lui. Comme c'était agaçant, cette propension à se faire remarquer. C'est bon, quoi, on le sait que vous avez des copines.
Mais quand elle le retrouva dans la serre, James ne leva pas la tête. Il tenait une sorte de ver au bout d'une pince et consultait un grimoire, probablement pour en retrouver l'espèce.
« Il y a plein de ces trucs dans l'aquarium, ils se reproduisent à toute vitesse : j'en ai vu trois vendredi, là ils sont plus de quinze ! Chauffer l'eau ou la refroidir n'a aucun effet sur eux... »
Il lui tendit son spécimen. Elle le regarda du plus loin possible.
« Ça ressemble à des planaires. Il y en avait dans l'aquarium de mes parents. On peut intégrer leurs prédateurs : des combattants ou des gouramis.
- Ah, génial ! »
Lily se pencha sur leur création. Le lys et la plantacule cohabitaient, c'était une bonne surprise. L'aquarium n'était pas aussi enchanteur que le terrarium de Remus et Vanessa dont le frêne dansait sous les quatre saisons, entouré d'oiseaux qui le rendaient manifestement heureux, mais ils revenaient de plus loin, il faut le dire. Les longs filaments de leur trouvaille évoluaient dans l'eau, effleuraient le lys, avec une délicatesse prudente comme de la curiosité. Leurs sommités quasi invisibles faisaient de petits reflets de lumière, comme des étincelles à la surface.
« Il y a bien quelque chose de magique là-dedans...
- Pré-Au-Lard, nous voilà ! »
Lily ne répondit pas.
« Eh, au fait, tu participes à l'excursion en terrain moldu ?
- James, je suis moldue.
- Née-moldue. Mais on s'en fout, ça va être marrant. Même Remus vient et il n'a rien à apprendre.
- Vous allez faire quoi ?
- Se balader à Inverness et Londres, regarder les magasins, interroger des gens dans la rue. On va étudier une matinée dans un collège moldu. Et on va aller au cinéma ! »
Lily ne put s'empêcher de sourire.
« J'ai déjà fait tout ça.
- Il reste plein de places... »
Leur sourires se ternirent légèrement.
« Tant pis pour les imbéciles. Viens. »
James eut un petit geste prudent – calculé, pensa-t-elle. Il réveilla le souvenir de la main de Snape qui avait manqué la sienne, avec son déferlement de colère et de tristesse. Pourquoi maintenant, comme ça, au moment où nous devenions presque étrangers l'un pour l'autre ? Est-ce que c'était seulement une impulsion débile à cause de la lettre débile de James ?
Lily s'éloigna de son camarade. Elle n'aimait pas sa proximité. Il fallait qu'elle respirât. Ils se faisaient face, chacun de son côté de l'aquarium, les yeux baissés sagement vers leur composition pour ne pas s'affronter.
« Pourquoi tu as choisi cette plante ?
- Je ne sais plus. Elle était hors de l'eau quand je l'ai trouvée, toute gluante. Je pensais que t'allais refuser.
- C'était ce que tu voulais ?
- Que tu refuses ? »
James sourit. Il préleva un fragment de filament argenté.
« Je n'y tenais pas plus que ça, à cette plante. Je voulais rigoler, te chercher un peu. Tu étais déjà mécontente d'être avec moi, alors... Je ne sais pas comment expliquer.
- Tu n'arrêtes jamais.
- Ben pourquoi je...
- C'est pour rigoler que t'envoies des ballons roses et des lettres à Severus pour la saint Valentin ?
- C'est qui Severus ? Ah... Snivellus ? »
Ce sourire de merde. Paf, tout à coup, ce n'était plus le même gars.
« Ça va, on ne lui a pas fait de mal... Il a eu des chocolats ! Tout le monde n'a pas eu cette chance.
- Oui bien sûr, tu as fait ça par affection...
- Oh Lily, pardon...
- C'est pas à moi, commença Lily étonnée par cette résignation si rapide, que tu dois...
- ... Tu voulais te déclarer et je t'ai coupé l'herbe sous le pied, c'est ça ? Oh, c'est terrible ! Je suis désolé d'avoir gâché votre moment. »
Les avait-il vus ? Ce sourire mesquin disait que oui. Mais comment ? A moins que ce ne fût un moyen détourné de savoir si elle et Severus étaient ensemble. A cette idée, elle rougit.
« T'es vraiment grave si c'est ce que tu crois. Si c'est tout ce qui t'intéresse.
- Ce qu'il y a entre Snif... Lui et toi ? Ça ne m'intéresse pas plus que ça, non. »
Elle n'est pas le genre de James Potter, dieu merci.
« Tant mieux.
- Ouais ? acquiesça à demi James qui ne saisissait plus trop l'issue de cette conversation. Ouais, t'inquiète, pas besoin de te mêler à ça pour le plaisir de l'embêter !
- Que je sois impliquée ou pas, c'était nul de l'humilier, c'est ça que je veux dire. »
James leva les yeux au ciel.
« Tu sais, ton petit pote il est peut-être plus discret que moi, parce qu'il est moins honnête, mais question humiliations, il n'est pas mieux. Tu n'as bizarrement pas entendu les saletés qu'il rapporte à Sirius de la part de sa famille, ni les horreurs qu'il lance au sujet de Remus, et même... »
Il s'arrêta avant de parler des nés-moldus mais curieusement, Lily semblait avoir entendu sa pensée.
« Ah bizarrement, ça, il ne le dit pas devant toi. Alors occupe-toi de tes affaires, encaisse si ça te convient mais laisse-moi défendre mes amis ! Pourquoi t'en parles, d'ailleurs ? On était bien sur notre travail.
- Parce que ça me dérange, je trouve ça nul, ça ne s'arrête pas et ça fait mal à tout le monde. Ne lève pas les yeux au ciel. »
Il ne répondit pas, elle se tut également.
Plus que trois jours.
Une éclaircie dehors, les quatrième année faisaient un match amical, Lily marqua, James qui avait retenu Dirk Cresswell lui adressa un V de la victoire. Sirius s'efforçait de ne pas avoir à interagir avec Dorcas et Remus patinait sur le Lac gelé, apaisé par les larges cercles qu'il parcourait sans fin.
James rejoignit Lily, sourire en coin. Il lui donna une toute petite bourrade sur l'épaule.
« Bravo Evans.
- Merci Potter.
- Tu ne veux pas rejoindre l'équipe ?
- J'hésite. J'aurais trop à te côtoyer. »
James afficha une mine scandalisée et s'élança en pirouettes véloces autour d'elle. Il ne la touchait pas mais l'air agité la déséquilibrait, lui fit lâcher un cri plein de rire qu'elle trouva stupide sans pouvoir le retenir. Il attrapa la brosse de son balai pour l'immobiliser, avec un autre sourire.
« Mais tu crois que tu vas me convaincre, comme ça ?
- Tu souris !
- Écarte-toi » murmura-t-elle.
Snape sortait du château, James ne l'avait pas encore vu. Il cherchait le regard de Lily. Ils le cherchaient tous les deux. Moi, je suis là, à sourire à ton rival au tempérament que je déteste et au caractère admirable. Parce qu'il a beau être un peu impertinent sur les bords, il est incapable de dissimuler ses intentions et, d'ailleurs, il n'en a pas envie. Clair et solide comme un cristal de roche. Peut-être qu'il a simplement de la chance d'être né du bon côté.
Ce n'est pas juste.
Mais il y a bien Sirius.
« Je peux te demander une trêve ?
- Une trêve ? Qu'est-ce qu'on a... Oh (il leva les yeux au ciel) avec Snape ? Oh Lily, sérieusement... »
James leva les yeux au ciel et s'en alla pirouetter plus loin. Lily se sentit bête. Elle ne faisait pas le poids, il allait se moquer, lui demander pour qui elle se prenait. Soudain James eut un soubresaut maladroit. Il porta une main à son ventre en même temps qu'il s'efforçait d'atterrir sans encombre. Lily se posa à ses côtés, inquiète, sans savoir que faire. Il se tordit en deux, secoué par une crampe intestinale douloureuse, le visage verdâtre. Sirius poussa Lily sans ménagement et serra son épaule.
« Jimmy ! »
Il se tordit à nouveau en deux, sous le coup d'une toux effroyable et cracha une immense limace gluante.
« Oh bordel ! »
Il leva la tête vers Snape, le regard incendiaire.
Sirius vit, et il fut le seul, la déception dans le regard de Lily.
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