Hiver 1975 : Nocturne
Une nuit...
Le jour, quand il aperçoit Sirius le flamboyant, Remus frémit et rougit, et Sirius éclate de rire.
La nuit, quand il distingue Remus plein de grâce, Sirius tremble et se noie, et Remus sourit.
Dans la pénombre dorée de la salle commune, son visage s'illumine quand il voit que son ami porte son tee-shirt des Rolling Stones sous une veste noire.
« Je n'ai rien de plus beau à me mettre. »
Je sais.
« Oh, je sais... » chuchote Remus.
Il est vêtu d'une vraie tenue de soirée moldue : pantalon à pinces et veste noire un peu trop grands, sur une chemise blanche rehaussée d'un nœud papillon épatant. Mais Sirius n'a d'yeux que pour ses pieds nus. Ils se détaillent sans pouvoir s'en empêcher mais puisqu'ils le font tous les deux, ils ne s'embarrassent pas. Ils sourient juste un peu plus chaleureusement quand leurs yeux se retrouvent. Ils ne se sont pas encore touchés et maintenant, ils n'osent plus, ou pas encore.
Remus murmure :
« On y va.
- Où ? »
Il est déjà parti, discret comme un loup dans l'ombre, la main tendue derrière lui que Sirius remarque après, viens. Ému, Sirius y glisse la sienne pour descendre les escaliers de la tour des Gryffondor avant de rejoindre un tableau mobile. Très vite, il faut se lâcher pour arpenter les corridors secrets mais ils se collent volontiers l'un à l'autre quand ils passent les recoins étroits en faisant semblant de s'excuser, laissent les mains traîner sur les épaules et les hanches, ôtent de la poussière sur les cuisses et genoux. Les pieds de Remus font un son mat, secs sur le sol. Sirius rêve de le voir pieds nus tous les jours de l'été, au soleil dans des herbes folles, à la mer, peut-être : il n'a jamais vu la mer.
Parfois dans les espaces pleins d'ombre, l'image de William resurgit. Depuis Londres, elle arrive pour un rien dans la journée. Le visage est inchangé dans sa mémoire mais son émotion devient éphémère et irritante comme de la fumée, insaisissable. La cape invisible de l'anxiété le surplombe et le suit, il frappe dedans à grands coups de joie brillants comme des coups d'épée.
Parfois, ils s'immobilisent pour consulter la carte, questionner les statues à la baguette magique, essayer des mots de passe. Ils croisent quelques elfes qui ne daignent pas les aider - Mowgli a préféré rester jouer avec le bus rouge qu'ils lui ont ramené de Londres.
Parfois, ils se plaisent à se laisser distancer pour mieux courir et se rattraper parce que rien n'atteindra le plaisir de la course
C'est une nuit plus grande que toutes les autres
Au bout d'un moment, Sirius se rend compte que l'endroit que Remus cherche, il ne le connaît pas encore lui-même. Il a fait demi-tour, ouvert des couloirs qu'ils n'empruntent finalement pas. Il pose la tête sur son épaule, concentré sur la carte, et murmure, déçu :
« Cachu. Je pensais que ça pouvait être ici... »
Mais les murs éclairés par sa baguette sont lisses. Les jeunes hommes sont très haut dans le château à présent, ils l'ont vu par une lucarne quelques minutes auparavant.
« Les coursives ? devine Sirius.
- Tu te souviens ? »
Bien sûr. C'était au retour des vacances de Yule, en troisième année, allongés sur la table des professeurs :
Elle est où la seconde étoile ?
Là-haut, dans les coursives.
« Tu as cherché ? Quand ?
- Un soir, avant la pleine lune. L'idée de te faire la surprise, ça me... (il balaie l'air de la main) soutenait, tu vois ?
- Alors on cherche encore un peu.
- Non, il est tard.
- Tu veux rentrer ?
- Oh, je n'ai pas dit ça... ! »
Remus lève un doigt pour appuyer sa remarque et presse le nez de Sirius avec un sourire malicieux.
« Ferme les yeux...
- Pas question de perdre une minute de la contemplation de ta sublime personne ! » réplique Sirius en avançant pour l'embrasser.
Remus esquive et dans le même haussement d'épaules il ôte sa veste. Le cœur de Sirius fuse, à la vue tout ensemble de ce geste parfait, des chouettes bretelles qu'il découvre, ses épaules, là ! Il n'a pas le temps de s'interroger que Remus lui adresse un clin d'œil et lui couvre la tête de son vêtement. Ses bras se referment sur lui pour ne pas qu'il l'enlève.
« Écoute-moi bien et fais ce que je dis, sinon on va tomber dans les escaliers et ameuter tout le monde ! » murmure-t-il de sa voix grave.
Un petit rire. Sirius pose les mains sur le bras chaud qui entoure son torse.
« Monsieur Lupin, je ne vous savais pas si...
- Si... ?
- Autoritaire.
- Cela vous plaît ? »
Il prend une grande inspiration pour s'imprégner de son odeur nichée dans les tous les fils du coton, avant de souffler :
« Beaucoup... »Le bras de Remus presse son épaule pour avancer. Vibrants d'excitation, ils progressent, hésitants et maladroits d'abord, débordants de prudence superflue. Ils s'ajustent, ils s'accordent. Remus finit par défaire son étreinte pour glisser son bras sous le sien mais Sirius ne se dévoile pas tant qu'il ne le permet pas. Il ne joue pas avec la confiance de Remus et surtout, il explore la sienne. Il ne lui trouve aucune frontière, s'étonne et s'émerveille lui-même de son étendue
Il rêve de l'infini, perdu dans le noir
Non, pas perdu
Ils montent comme un seul corps les escaliers des passages secrets qu'il reconnaît parfois à leur mot de passe, même si Remus parle très bas.
« On arrive » murmure-t-il pour le rassurer
C'était presque trop court. Remus pousse une porte qu'il entend rouler dans ses gonds. Une bise fraîche éveille un frisson, elle sent des parfums de nuit
Nous sommes dehors, mais cela ne ressemble pas au parc
« Tu as froid ?
- Oui. »
Où diable sommes-nous ?
Remus glisse derrière lui, les mains sur ses épaules, pour lui faire passer le seuil. Il l'étreint encore, il n'a pas pu s'en empêcher, et murmure l'incantation qui réchauffe.
« Non » corrige Sirius.
Je veux sentir tout ce que tu m'offres, jusqu'au vent glacé qui est un secret à lui tout seul, si cette nuit est toute à nous
« Alors, ne bouge pas, attends le signal.
- Lequel ?
- Tu le reconnaîtras. »
Il prend quelque chose dans la poche de sa veste et rit bas : tu peux enlever ça de ta tête. Un sort d'agrandissement, un cliquetis. C'est le transistor qu'il a transporté jusque là.
« Get your wings ! »
C'est le mot de passe de Radio Coraline.
Sirius ouvre les yeux, renverse aussitôt la tête en arrière. Ils sont au sommet du Château, à l'entrée de la passerelle qui mène à la Tour d'Astronomie, fichés au plus près du ciel qu'il est possible. Remus fait un clin d'œil, la fossette mutine. Ce soir, il est à son plus rayonnant. Le plancher paraît soulever ses pieds nus qui dansent. Les étoiles éclatent sur sa silhouette, cascadent dans les plis de ses vêtements ; s'il passait la main sur sa veste, il en jaillirait une poussière de fée. Toute la splendeur du ciel descend s'offrir, incarnée fugacement dans le mouvement de ses doigts, de ses chevilles, de sa tête. Il danse. Sirius, médusé, voudrait l'arrêter pour le serrer dans ses bras, éprouver sa réalité et sa dévotion, caresser ses membres pour les posséder un peu, saisir la merveille par essence insaisissable de leur grâce, en même temps qu'il ne peut se résoudre à ce que sa danse se termine. Il est comme un poème limpide et nébuleux.
Alors Sirius ouvre les bras et tourne entre les étoiles et les ombres des piliers, stroboscopique, chaotique, épileptique, épidermique, grands enfants éperdus au ciel de nulle part. À contre-nuit, ils contemplent leurs courbes de statues. Remus connaît la forme de ses épaules, son dos et son ventre, il les imagine danser nues, les épaules nues, les reins nus, les fesses nues, les cuisses et mollets, nus, nu. Le désir palpite quelque part, si profondément en lui que tout est chaviré et qu'il tremble, les larmes aux yeux. Envie, épouvante, où s'arrête la première, où commence la deuxième, dans cette nausée iridescente ?
Remus sait. Il sait ce qui arrive, ce qui s'ensuit, comment ça se passe et ne veut pas de ça, faire mal, avoir mal
Faire mal
Oh, il pense bien, il imagine, il suppose que ça puisse être différent puisque tout le monde en a envie, les autres en parlent beaucoup, lui aussi le rêve maisIl se rappelle qu'il a croqué sa nudité jusqu'au sang, dans son appétit démesuré de possession jusqu'à l'absolu de la mort, il
En a encore le goût terrible et sublime sous les lèvres
Et l'odeur de Greyback autour de sa tête, alors
Alors : Chut.
Danse, danse, danse !
Le désir est une ivresse et, comme un homme saoul, Remus se raccroche à Sirius pour marcher droit.
Apprends-moi
Ils courent vers la tour, Remus saute lestement sur le rebord de pierre et funambule tout droit dans la lumière
« Oh ! » panique Sirius.
Remus piétine un peu, les mains dans les poches, la tête baissée
Il attend
https://youtu.be/FagNOVmZfhQ
La musique s'était arrêtée, Sirius ne s'en était pas rendu compte, suspendu à celle qui pulsait de son cœur, mais une note claironne et fait corps avec lui, comme un frisson soufflé par sa propre âme. Sirius saura plus tard que Remus a demandé à Emmeline de la passer pile à cette heure-là. Alors, élégant à se damner, le danseur fait trois pas de foxtrot pour se tourner, à trois, vers lui.
Le sourire radieux, il lui tend la main.
Tout s'empare de Sirius en même temps : les mains de Remus sur sa taille et ses doigts, sa danse dans laquelle il glisse comme on s'abandonne, le claironnement des couronnes de cuivres
Retiens-moi
Rejoins-moi
Il ferme les yeux, les rouvre aussitôt pour sa beauté dans la lumière, les referme afin de se perdre dans
Une sorte de rêve dont tu ne disparais pas quand j'ai les yeux clos
La joue sur ta tempe, le souffle sur ta joue
Et personne cette fois pour nous toiser ni nous séparer
Toi et moi, toi à moi.
Sirius embrasse son cou
Toi et moi, moi à toi.
Remus le détache en souriant mutin pour le faire valser, Sirius revient chercher ses lèvres, mais son ami se dérobe. En tirant la langue, il se promet de mordre sa bouche dès qu'il le pourra.
Mais d'abord, il fond à nouveau dans le rythme chaloupé de la danse, la musique qui murmure puis éclate tour à tour, on dirait nous deux, intenables et toujours un peu imprévisibles
Ses mains entourent la taille de Remus, remontent dans son dos, et redescendent s'émerveiller, lentes, longues, elles dessinent la plus belle des lignes, son dos du bout des doigts
Quelle délicatesse
Puis sa paume épouse la rondeur des côtes sous la veste. Plus fortes et pleines à présent, elles pressent le creux des reins, comme s'il cherchait à le garder dans la mémoire de ses mains
Remus sent dans sa caresse que rien ne sera oublié
Rien ne l'arrêtera, pas même les cicatrices qu'il sent sous le fin tissu de sa chemise ; les mains de Sirius s'étendent sur son ventre, là où tous les sentiments se répandent, peut-il en sentir le vrombissement, les empoigner par brassées et y enfouir son visage comme dans une chevelure ?
Sa paume remonte le torse, le long des bretelles, et s'arrête près du cœur, là où la chair est plus dense. Sous la bretelle où il a glissé son doigt, il trouve une perle qui frémit et se précise. Ils ont les yeux fermés tous les deux, ils ne savent plus depuis quand. Leurs souffles se heurtent sur la joue, le front, le cou, cahotants comme s'ils essayaient de parler
Tentative vaine, seul ton cœur me répond
Danse faussée
Retiens-moi
Tout bat si fort, tout frémit, tout pulse, vrombit, tonnerre intime
Ils sont si proches, et crispés que leurs hanches s'effleurent quelquefois. Il y a autre chose qui se cherche dans ces jeux de jambes, qui se déclare, qui se sent
Remus s'écarte doucement, comme s'il dansait encore. Presque dans le même balancement, il redescend. Un faux pas dans la valse, il se tord les mains. Sirius saute seul plus loin, et fiche son regard ardent dans le sien.
Rejoins-moi
Dans l'œuvre commune
Tu danses, moi je dessine
Alors, lentement, égaré dans l'ivresse et la faim, Remus avance. Il entoure son visage de ses très grandes mains fraîches, embrasse son front, son nez, ses joues, mille fois, du bout des lèvres. Il rit de son grognement et se laisse surprendre
Par sa bouche charnue, adorable, dévorante, adorée
Sirius glisse avec avidité sa langue entre ses lèvres, et il retient celle de Remus entre ses dents, à sa surprise exaltée
Leurs doigts s'enfoncent dans la chair de leurs bras et leurs hanches. Sa lèvre, son oreille, son épaule, son cou, ils se découvrent par à-coups imprécis et retenus, comme une combinaison occulte, en soufflant pour ne pas gémir, en gémissant pour ne pas grogner. La chaleur afflue sous sa peau éraflée par l'émail, Remus la sent sur le bout de la langue et des lèvres et Sirius se presse plus fort contre lui, jusqu'à étouffer son frisson d'effroi, jusqu'à ce qu'il ne sente plus l'air entre leurs corps, parce qu'il est devenu brûlant comme eux, partagé, une communion physique qui ne dit plus qui est où, parce que l'air entre nous est le seul qui nous appartienne vraiment
Ses poings se déploient doucement. Un ou deux doigts descendent lentement sa nuque, entre les omoplates, la ligne du dos - front contre front, les bouches encore entrouvertes et impatientes de happer au vol un gémissement qui émerge -, le creux des reins et la courbe de ses fesses.
Hey
Remus ne respire plus. Sirius le caresse doucement. C'est intime, timide. Grisant. Il embrasse ses paupières roses et dénoue ses mains qui hésitent
Hey
Les yeux fermés, elles y voient mieux, hésitantes et dévorantes. Remus danse à nouveau, il ne peut pas s'en empêcher, en caressant Sirius dans l'étourdissement qui brasse le désir
La musique est terminée, le présentateur de nuit reprend la parole. Il fait froid maintenant. Ils n'osent plus bouger, jusqu'à ce qu'ils tremblent trop pour feindre encore de l'ignorer. Remus incline doucement la tête, embrasse la tempe de Sirius. Son nez est glacé.
« On rentre ? »
Sirius n'arrive ni à parler, ni à le regarder, il hoche la tête. Remus passe le bras sur ses épaules et l'entraîne vers l'escalier, puis en direction du dortoir en réfléchissant à un endroit meilleur que le dortoir sans oser le dire.
« J'aimerais bien fumer une cigarette. »
Remus acquiesce, il en a bien envie lui aussi, rien que d'en parler, même s'il n'aime pas trop l'amertume que ça laisse aux baisers qui suivent.
« Mais tu en as ?
- Non, on devrait finir par en trouver, si on fait quelques greniers... »
Remus acquiesce silencieusement. S'il s'écoutait, il l'embrasserait encore. Il s'arrête en bas des escaliers pour consulter la carte. Sirius aurait oublié.
« Sir Nicolas... lit-il sur l'étiquette.
- Qui ? »
Remus lève les yeux au ciel.
« Nick quasi sans tête ! »
Les tableaux, ils ont l'habitude : à part ceux des directeurs, dans son bureau, ils ne savent pas dire grand-chose et ne rapportent rien. Les fantômes, c'est une autre affaire, Sirius songe depuis quelques mois à créer une alliance avec Peeves. Dans l'escalier, Remus soupire silencieusement. Le revenant peut-il sentir leur présence ? Nick erre seul, interminablement, dans le couloir qu'ils doivent traverser. Son cœur se serre. Quel genre d'existence mène-t-on ainsi pour l'éternité ? Remus n'aura pas une vie longue, il le sait déjà. Est-ce que les fantômes s'ennuient encore, toujours, après des siècles sans dormir entre deux mondes ; est-ce qu'ils s'habituent ? Il étouffe un frisson, mi-froid, mi-lassitude et réfléchit à une excuse mais Sirius doit en avoir quelques unes d'avance. Sirius qui s'amuse à tirer légèrement sur sa bretelle pour la faire rebondir. « Arrête... » Il répond par son grand sourire dévoré et malicieux, en posant un doigt sur sa bouche. Chut, tu vas nous faire repérer. Remus le chasse d'un coup de langue.
« Jeez... » souffle Sirius étranglé.
Puis, brusquement, son ami se lève et tend la main. Viens.
En bas de la tour des Gryffondor, McGonagall les attend dans sa robe de chambre à carreaux.
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