Hiver 1975 : évitements
Un jour...
Sir Nicholas de Mimsy-Porpington avait surpris Peeves en train de préparer un sale coup impliquant des veracrasses fermentés dans leurs propres secrétions devenues gluantes comme de la poix et terriblement malodorantes. Lorsqu'il avait remarqué que sa cible était composée de deux impertinents Gryffondor qui se dirigeaient vaguement vers leur tour, certes sans beaucoup d'empressement, Nick avait jeté l'esprit frappeur dans la chasse d'eau avec sa mixture, et en remontant des égouts dans une longue plainte furibonde, Peeves avait réveillé la directrice. Les deux spectres avaient été sommés de s'expliquer. Le temps qu'elle jugeât l'affaire assez sérieuse pour intervenir, les jeunes hommes avaient eu le temps d'atteindre le septième étage. Ce fut Remus, qui n'oubliait plus de consulter la Carte, qui remarqua qu'elle avait quitté sa chambre et qu'elle se dirigeait vers leur couloir à une vitesse qui traduisait une sacrée résolution.
Harpie ! Sirius posa la main sur le bras de Remus pour les faire revenir sur leurs pas et se cacher imparfaitement derrière les colonnes d'un corridor perpendiculaire, le temps de réfléchir. Dans le gris de ses yeux, Remus voyait les rouages s'activer. Qu'importait qu'ils fussent en retenue ; le plus difficile n'était pas de perdre des points mais d'expliquer à James pourquoi ils étaient sortis sans lui.
L'étiquette au nom de McGonagall arriva à l'entrée de la Salle Commune.
« Elle ne va même pas nous chercher ici... Elle va monter directement au dortoir... »
Remus ferma les yeux, priant très fort n'importe qui, même Barnabas le Follet, grossièrement représenté sur la tapisserie en face d'eux.
« Mais que vois-je, murmura le danseur, des élèves dans les couloirs, la nuit et patati patata...
- Ouais ben t'as un train de retard, Peeves a déjà cafté, McGo nous attend devant notre porte.»
Sirius prit Remus par la main pour l'éloigner de la directrice mais Remus, interloqué, lutta pour revenir se cacher.
« Si ! Viens, on va à l'infirmerie, ça fera une excuse !
- Attends... Qu'est-ce qui sent comme ça ? »
C'est alors que Peeves apparut devant lui, manquant de faire défaillir Remus. Sirius avait dégainé avant lui, plus blême que la brume. L'esprit frappeur empestait et il irradiait d'un argenté presque solide, comme s'il était rouge de fureur.
« ICI ! » hurla-t-il d'une voix plus crispante que de la craie sur un tableau.
Sirius se jeta sur lui comme s'il eût pu l'étrangler « Traître ! Pour notre alliance, tu peux courir ! » , Remus saisit son ami par le bras et l'emmena vers le dortoir, foutu pour foutu, autant se rendre la tête haute.
Mais Sirius n'était pas décidé à se rendre. Il le ramena sur leurs pas.
« Pour pouvoir, il faut déjà... Vouloir ! »
Les jeunes hommes n'eurent pas le temps d'interroger Barnabas : ils entendaient s'approcher le pas de McGonagall. Sirius ouvrit la porte d'un placard, y jeta Remus avant d'y entrer, et là seulement, il se demanda vaguement pourquoi ils ne s'y étaient pas cachés plus tôt, avant de se rappeler qu'il n'y avait pas du tout de placard sur ce mur une minute auparavant.
Bouche-bée, Remus pressait son bras.
Ils étaient dans le dortoir. Le vrai dortoir, avec James qui marmonnait en dormant dans une position improbable, Peter qui ronflait, Galatée qui ronronnait sur l'oreiller d'Achille.
Sirius se retourna et rouvrit la porte : elle donnait sur le couloir qui descendait à la salle commune et, en tendant l'oreille, on entendait la discrète McGonagall grimper les degrés.
Trois marches plus tard, ils étaient au lit.
Encore trois, quatre.
Toc Toc.
« Messieurs ? Je vais devoir ouvrir.
« Qu'est-ce que vous avez encore fait ? grogna Achille.
- Ouais, James, qu'est-ce que tu as encore fait ? grogna Sirius.
- MAIS.
Entrez professeure, on est présentables. »
McGonagall poussa la porte et trouva Remus enroulé dans sa couverture, une trace d'oreiller sur la joue, Sirius assis au milieu des draps froissés, en tee-shirt, cheveux emmêlés, la main sur ses yeux éblouis « Cachu James éteins ! », James interloqué mais déjà tout éveillé, un demi-sourire incrédule accroché aux lèvres, à l'affût du moindre méfait. Peter seul s'inquiétait : « Qu'est-ce qui se passe ? Un problème ? ».
Les vestes des amoureux étaient roulées en boules sous leur lit et ils portaient encore leur pantalon. Si elle leur demandait de se lever, ça grillerait.
« Un méfait ? Pourquoi on n'a pas été invités ?
- Potter, n'en rajoutez pas. »
La directrice eut pour chaque élève un regard appuyé, regard de chat qui voyait dans le noir, et un petit peu dans le passé et l'avenir.
« Bien. Je vous prie de m'excuser. Fausse alerte.
- Qui nous a balancés ? Je veux des noms !
- Bonne nuit, Potter. »
Dès qu'elle eût refermé la porte et descendu sept marches, James sortit sa cape d'invisibilité.
« Vous voulez pas aller voir ce qui se passe ?!
- C'est sûrement rien, marmonna Achille, si c'était sérieux, elle ne serait pas venue calmement dans notre dortoir, elle aurait convoqué tous les élèves en bas...
- Sirius ? »
Sirius ne pensait qu'à se glisser dans le lit de Remus mais il était incapable de mentir ouvertement à son meilleur ami.
« Non mais sérieusement les gars, vous n'allez pas sortir à deux heures du matin parce que McGonagall a entendu Peeves éternuer ? bougonna Remus.
- Bah pourquoi pas ? » gloussa James.
Il rangea toutefois la cape.
« Si on a manqué quelque chose à cause de toi, je ne te pardonnerai pas.
- T'auras manqué une retenue. »
James rit, spécula encore un peu autour de ce qui avait pu arriver, et se rendormit. Sirius avait fini par somnoler, réveillé de temps à autres par des petits sursauts de joie incrédule, et Remus essayait de le suivre mais au fil des songes disparates, il se perdait en chemin dans l'ombre où l'excitation descendue avait laissé monter un étrange malaise, un regret lointain vaste comme la voûte céleste.
Il se redressa, crut dissimuler un reniflement dans le froissement de ses draps.
Ça va ?
Remus ne répondit pas à l'interrogation muette. Il regardait ses yeux, ce qu'il en pouvait voir dans le noir de la chambre.
Ses yeux, les premières et les dernières étoiles.
Non, le regard dévorant de Sirius ne me fait pas peur. Son désir ne me fait pas peur, seigneur ! Il était si inespéré, aujourd'hui encore je ne peux pas y croire,
et partagé !
Je te veux, je te veux vraiment je le sais, et je veux te donner ce dont tu as envie car ce regard-là me bouleverse. Il a tout changé, à lui seul.
Non, je n'ai pas peur. Ce qui afflue en moi, c'est une sorte de répugnance et de honte. C'était beau dans tes bras mais les souvenirs et ce désir se confondent et je n'en vois plus que la frénésie bestiale et grotesque.
Oh tu ne me répugnes pas, c'est ce qui arrive inévitablement après toi, par toi qui me répugne. Ce qu'on fait, ça n'a rien à voir et ça a quand même tout à voir, je voudrais que ça puisse n'avoir
rien à voir
Hey
Remus ne répondit pas.
Il tendit la main et le doigt de Sirius se crocheta au sien.
Il caressa doucement la peau qu'il avait mordue dans l'escalier.
Il eut une espèce de frisson que Sirius crut ressentir dans sa propre chair.
Toutes ses pensées étaient suspendues à ce doigt qui retenait le sien, à travers le malaise, concentré sur cela uniquement, ce doigt assez petit pour être circonscrit dans sa main
Laisse-moi m'accrocher encore et pour toujours à une sensation, tes doigts, ton odeur, ton image dans ma tête, ta chanson, un truc à nous, rien qu'à toi,
le rendre assez obsédant et grand pour faire disparaître vraiment Greyback derrière, même si ce n'est qu'un voile et que le souvenir revient ensuite,
qu'au moins avec toi, je ne sois qu'avec toi
qu'il ne s'immisce pas entre nous
Laisse-moi sentir la force de ta main, ta douceur, la puissance plus que magique qui sait, du bout des doigts redessiner mon corps meurtri, et je n'ignore pas que c'est une autre envie qui fait frémir ma peau, un espoir ridicule, le souhait insensé que cette main descende pour, voilà, pour redessiner toutes les autres pièces ébréchées, accomplir tous les rêves
Et si, en ce moment, tout réside dans la croyance que tu effaceras le souvenir, je sais déjà que cette croyance est vaine,
Et je te donnerai mon corps comme on donne une charge
Pardonne-moi, ce n'est pas une belle façon de donner et d'aimer
&
Pendant ce temps, McGonagall parcourait le chemin qui menait à son bureau, songeuse. Elle savait qu'elle avait été dupée mais elle était bien incapable de le prouver.
« Je les ai vus de mes yeux vuuus..., narguait Peeves autour de sa tête.
- Silence... marmonna-t-elle.
- Dans les cachettes du troisième étage... Ils se donnaient des baisers ! »
La professeure sentit son cœur manquer un battement. Elle ne douta pas un instant des paroles du spectre, et pourtant elle ne s'en était jamais doutée. Le si discret Lupin, et cette furie de Black ? Ils gravitaient tant autour de Potter qu'elle ne se les envisageait pas se tourner l'un autour de l'autre.
Homosexuels, alors ?
Eh bien...
Elle dissimula sans effort son étonnement à Peeves et se vit, plus qu'elle ne le fit, balayer l'air de la main en déclarant :
« Eh bien ! Grand bien leur fasse ! Pendant ce temps, au moins, ils ne font pas de bêtises. »
&
« Qu'est-ce que c'était que cette porte ? chuchota Sirius à Remus lorsqu'ils passèrent dans le couloir.
- Je n'en sais rien... »
Le mur était redevenu lisse. De sa tapisserie, Barnabas lui fit un clin d'oeil.
« Une porte qui mène au dortoir ?
- N'importe qui pourrait l'utiliser...
- Comment on a fait pour la faire apparaître ? »
Sans répondre, Remus lança une boutade à James qui se tournait vers eux. La batteuse des Poufsouffle salua chaleureusement Sirius, puis Ian lui rappela que cela faisait bien trop longtemps qu'il lui devait une revanche à Wizards Legion. Sirius et Remus recommencèrent à graviter autour des autres pour ne plus entrer en collision. Ils avancèrent vers leur classe, le coeur soulevé par les souvenirs de la nuit qui laissaient des traînées lumineuses sur leur joues.
Cette fois-ci, la salle de Suliman était déjà ouverte lorsqu'ils arrivèrent. Le professeur Quirell se tenait à côté d'elle sur l'estrade, aussi tendu et mal à l'aise qu'elle était désinvolte et assurée.
« Déposez vos affaires au fond de la classe, vous n'aurez besoin que de votre baguette aujourd'hui. »
Sirius frémit, une poigne soudaine dans le ventre mais il ne l'écouta pas. Autour de lui, les camarades bourdonnaient d'impatience : les duels ! Tout le monde connaissait un peu ça, à la manière de jeux : sorts de chatouillis, maléfice du saucisson, ils les avaient tous pratiqués pendant les récréations, et puis avec Eiffel, ils avaient appris à parer et désarmer. Cela devenait vaguement plus sérieux en classe, mais on pouvait compter sur les adolescents pour porter l'insouciance au-delà de tout. Et parfois, c'était salvateur.
« J'ai fait venir le professeur Quirell : ses connaissances en magie noire et sa vivacité nous seront précieuses, cela permettra également de diviser la classe en deux afin de mieux vous encadrer.
Vous travaillerez par trois : deux duellistes, un arbitre. Toute infraction aux consignes de sécurité mènera à une exclusion du cours. »
James se tourna vers lui mais Sirius se déroba : « On se met avec Moony et Peter, t'inquiète.
- T'inquiète ? mais comment ça t'inquiète ? j'ai pas du tout...
- Potter, silence. On commence par réviser le sort de désarmement, permission de contrer avec le bouclier. »
Elle leva une main. Le mobilier de la classe disparut, le mur s'amollit sous l'épaule de Sirius qui s'y était adossé nonchalamment. Son pouce battait contre sa cuisse, une chanson venue de nulle part qui surgissait dans sa tête.
Elle fit signe à Quirell de rejoindre l'arrière-salle avec une partie des élèves.
« Posture ! Le dos droit, libérez votre voix, il faut respirer, n'oubliez pas de puiser vos énergies intérieures ! Tout le monde a un partenaire ? Action ! »
Les incantations et baguettes volèrent dans la classe, secouées par des rires nerveux puis amusés, des exclamations de triomphe surpris.
« Eh, fais gaffe, Félicie !
- McKinnon, vous tenez une baguette, ce n'est ni un fouet ni une canne à pêche !
- A toi Sirius !
- Non, entraîne Peter, il en a plus besoin que moi !
- Elle est à qui la baguette que j'ai reçue dans l'oeil, là ?!
- Ah mais moi, j'ai trop peur... Je vous regarde.
- Mais si, monsieur Foster, vous allez participer vous aussi, allons !
- Expelliarmus ! Ah ça me stresse !
- Pettigrow, voulez-vous bien recommencer, je crois que vous pouvez vous améliorer... »
Suliman eut un regard pour Sirius, qui voulait bien dire : je t'ai vu, même si on n'en parle pas maintenant, et après avoir corrigé Peter sur sa posture indolente qui ne lui permettait pas de contrer avec suffisamment de vigueur, elle se dirigea vers Sally qui n'osait pas entrer dans la bataille.
« Rictusem...
- Oh le tricheur ! glapit Sirius.
- Protego ! jubila Remus.
- Je te mets en conditions réelles ! » gloussa Peter.
James et Remus dépassaient la tête de la classe, habitués à se chamailler. Un bon quart d'élèves, progressa rapidement et Suliman les autorisa à s'affronter dans des duels à plusieurs coups qu'elle supervisait, laissant les débutants à son collègue. Sirius les suivit. Marlene et Mary le taquinèrent, il les envoya balader deux fois, à la troisième, il souriait. Dans sa tête, la même chanson tournait en boucle, aussi rassurante qu'irritante. Il n'était même pas certain qu'elle existât vraiment.
« Expel...
- Protego ! Petrificus...
- Prote... Ouah MERDEUH !
- POTTER LANGAGE ! »
La classe avait trouvé son rythme, les arbitres devenaient autonomes et Suliman, libérée, s'assit près de Sirius. Il ravala sa moue de dépit sans parvenir à s'en aller.
« Eh bien, vous allez m'expliquer, somma-t-elle avec son habituelle autorité qui ne prenait ni détours ni contrariété.
- Quoi ?
- Pourquoi vous n'avez toujours pas participé. »
C'est vrai. Avait-il fait exprès ? Laissé complaisamment les autres travailler sans lui ? Il ne savait même pas si c'était conscient parce que cela lui avait semblé naturel.
« Je sais déjà tout ça. »
Elle le scruta, de ses yeux couleur labradorite, une seconde unique, pour ne pas lui insuffler trop de pression face aux autres élèves, mais une seconde suffisait. Elle savait forcément, et peut-être que les autres aussi, d'ailleurs savaient, qu'il avait appris à se battre l'été précédent. C'était dégradant, cette tache que les Camps faisaient sur lui, un respect malvenu à l'ombre duquel personne n'irait se réfugier.
Sirius soupira :
« Je peux le prouver si vous voulez. »
Elle eut un rire rauque.
« Je ne suis pas détective, je ne cherche pas de preuves. Je suis là pour vous apprendre à vous défendre.
- Je sais me défendre.
- Des sortilèges ? Je veux bien vous croire. Mais ce retrait, là... Il me dit que quelque chose vous est plus pénible que les sorts.
- Je n'ai pas peur, je n'ai jamais eu peur d'avoir mal. »
Elle hocha la tête. Ils regardaient James et Remus, agiles comme des mousquetaires. Ses sous-entendus faisaient leur chemin tortueux sous le voile opaque qui couvrait les souvenirs.
« Glennie, on PARE et on NEUTRALISE ! Ici, on n'agresse pas ! » s'écria-t-elle.
La professeure quitta Sirius pour refaire un tour de classe.
James se tourna vers lui.
« Tu viens ? Viens jouer ! »
Viens.
« Purpurissum capila...
- Protego ! rugit Sirius.
- Bordel, mais il est trop long à dire, ce sort aussi », geignit son ami.
La moquerie, la familiarité, l'affection, la complicité, l'espièglerie, l'amitié, la malice et mille autres choses encore piétinaient sa colère et son anxiété au spectacle de cette grande pagaille.
« Où est ma baguette ?! Evans, c'est toi qui m'as désarmé, tu l'as attrapée ?!
- Pitié que quelqu'un me libère, je vais tomber, je vais, aaaaah ! »
Edgar Wilk, muet, faisait désespérément signe à Remus de lever sa malédiction.
« Peter, c'est ma baguette que tu tiens, attent... »
BOUM !
« Woah, refais ça ! » s'écria James extatique, avant d'éclater d'un grand ricanement contagieux.
Sirius ne put le retenir : un rire lui échappa, comme une explosion, comme un oiseau de malheur. C'était un rire qui éclatait et le dépassa, rire trop libre, débridé, rire déjanté, désaxé, rire fou qui arracha des frissons à ceux qui l'entendaient.
Viens jouer, viens jouer
Comme des animaux civilisés qui,
entre quatre murs,
apprennent à se bagarrer avec leurs frères,
apprennent les gestes pour se battre
jeter des sorts idiots, contrer
c'est la même chose qui nous attend dehors
Cette idée ne me quitte plus
Il ne me reste qu'à rire pour ne plus trembler
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