Hiver 1974 : un secret
Un jour...
Quand Sirius revint de la salle de bains, après s'être brossé les dents et avoir souhaité une bonne nuit à Mowgli, il retrouva Remus allongé à l'envers sur son lit, les pieds posés sur le mur, qui contemplait encore souriant et rêveur les dessins suspendus au-dessus de sa tête. Certains s'étaient décrochés et flottaient paresseusement sans se résoudre à tomber.
« Tu aurais dû faire de jolis dessins ! » avait ri James.
Evidemment. James voulait sa carte. Peter voulait des dessins d'Athenray, ou des sirènes sexy. Ils ne comprenaient pas. C'étaient des sorciers et pour les sorciers, si ça ne bougeait pas, si ça ne parlait pas, si ce n'était pas utile... Mais, de l'utile, pourquoi pas ? Ça perme bien de ne penser à rien, ou du moins, pas à soi. Evidemment. Sirius aurait dû faire des jolis dessins pour réenchanter les rêves de Remus. C'est toujours égoïste. C'était égoïste de lui dégueuler tous ses dessins en disant Joyeux Anniversaire, c'est mon cadeau, c'est si faux. Mais il a choisi d'être égoïste ou plutôt, il n'a pas le loisir d'être utile et Remus est là, qui regarde jusqu'aux traits qui ne ressemblent à rien, serait-ce par égoïsme ? pour penser aux autres et se libérer de la pensée de soi, de la même façon qu'il se noie dans la musique, qu'il danse pour oublier son corps ?
Parce que cela vient de bien plus loin
Quand Sirius revint de la salle de bains, après s'être brossé les dents et avoir souhaité une bonne nuit à Mowgli, il retrouva Remus, allongé à l'envers sur son lit, les pieds nus posés sur le mur, qui contemplait encore souriant et rêveur les dessins suspendus au-dessus de sa tête. Certains s'étaient décrochés et flottaient paresseusement sans se résoudre à tomber.
Où ils étaient pendant tout ce temps ?
Si tu savais ! Ils viennent tout juste de retrouver leur place.
Sirius griffonnait en classe, croquait à la bibliothèque, un peu, comme ça, à peine, trop occupé à rire, jouer des tours et, parfois, étudier. Tout s'arrêtait à la pleine lune.
Ce n'était pas à cause des absences de Remus, du moins, ce n'était pas à cause de l'inquiétude. Il y avait eu, une nuit, une première insomnie involontaire : il s'était réveillé, cela arrive. Il avait eu besoin de bouger, de quitter la moiteur agaçante de ses draps aux relents de cauchemar qui ne le laissaient pas dormir. Le lit de Remus était plus près de la fenêtre. Les rideaux étaient ouverts, comme d'habitude. Il avait souri, le cœur serré à la vue de sa couverture de laine abandonnée. Ce qui l'avait poussé à s'y glisser ? On ne révèle pas ce qui appartient à la nuit. Jamais Sirius ne le dirait. Il s'y était réfugié, comme un enfant dans le lit de ses parents, un chien perdu sur le tapis de son patron. A ce moment-là, la pensée de Remus était une chose évanescente, il ne voyait que cet asile offert. Contre quoi ? il ne le savait pas. Fait de quoi ? il le savait encore moins. Il y avait forcément un peu l'idée de Remus mais il y avait surtout un lieu secret et nouveau où réinventer le monde et la nuit car :
Au Commencement était la nuit
Une page toute recouverte d'encre noire, et, grattés dessus, les contours d'un paysage nocturne.
Nouvelle lune
Ce fut la première nuit
Après, il était allé dans la salle de bains, pour brûler les dessins au-dessus du lavabo, sous le regard attentif de Mowgli, avant d'allumer une cigarette du paquet qu'elle lui avait dégoté. Elles étaient moldues mais il n'était pas difficile de comprendre comment s'y prendre. La première bouffée le fit tousser, la petite goule toussa aussi par sympathie. La deuxième était déjà naturelle, la cigarette désinvolte entre ses doigts tachés d'encre et ce long et profond apaisement de tous les sens, comme la douleur se masque, juste après la prise d'une potion. Une pause dans l'angoisse, en caressant la petite tête chauve de sa goule.
Mowgli l'attendait chaque mois désormais. Au début, il se disait qu'il demanderait de nouvelles chansons à Remus, ensuite il avait oublié et n'entendait que les craquements du château, le sifflement du vent, les respirations douillettes. Sirius dessinait sans y penser parce que les mots, les faits étaient insupportables et se dérobaient à sa compréhension du monde. Les symboles, c'était plus abordable : plus sinueux et en même temps plus évident. Le temps passait lentement, lui assis en tailleurs, la planche d'une étagère sur les genoux, les rideaux fermés, lumière impénétrable. Il avait besoin d'une nuit pour hurler s'il avait le reste du mois pour rire. Dessiner sans relâche puis fumer une unique cigarette. Catharsis et Remus absent, qui prenait toute la place au point que Sirius ne le voyait plus, réfugié complètement dans sa présence au cœur de l'absence, dans le monde de son lit qu'il délaissait pour lui laisser la place de vivre, pour l'autoriser à vivre, pour supporter de vivre, Remus absent dont on tait l'absence, dont on tait la profondeur Remus absent à l'étourdir et parfois les larmes rageuses ne sont plus dues à la condition terrible de Remus mais à ces choses qu'il laisse dans son sillage mouvant quand il part incertaines que Sirius appelle ART pour mieux se le dire après tout ils ont la même grandeur et le même mystère et après tout ils sont tous les deux impossibles à posséder et après tout on n'en parle surtout pas chez les sorciers et après tout cela n'a pas de nom alors cela n'existe sûrement pas
C'était un moment de
silence
Un moment pour ne pas dire, même
Chut.
Chute
.
Quand Sirius revint de la salle de bains, après s'être brossé les dents et avoir souhaité une bonne nuit à Mowgli, il retrouva Remus, allongé à l'envers sur son lit, les pieds nus posés sur le mur, qui contemplait encore souriant et rêveur les dessins suspendus au-dessus de sa tête. Certains s'étaient décrochés et flottaient paresseusement sans se résoudre à tomber.
Il se redressa à son approche. Sirius passa naturellement une main dans ses cheveux en s'asseyant à côté de lui. Remus saisit une feuille de papier tout ondulée d'encre.
« Tu seras leur gardien » murmura Sirius.
Raccroche mes fils perdus dans cette force, ce courant qui me précède et me suit et contre lequel je ne peux rien.
Mais Remus s'entêtait à ne rien dire, depuis qu'il l'avait appelé artiste, au printemps dernier avant le départ en vacances, quand il avait posé sur son bras l'empreinte de sa main.
Remus tourna la tête, juste un peu, pressa à peine ses lèvres sur sa chevelure odorante et s'en écarta vite, comme si ça n'avait été qu'un spasme. Sirius en avait mal au ventre tant son cœur battait en même temps qu'il sentait un apaisement souverain l'envahir. Il se laissa tomber en arrière sur le lit, les jambes pendues en dehors et tira doucement sur le pull de Remus.
« Si je m'allonge, je m'endors...
- Dors
- J'arriverai pas si tu restes là...
- Faudrait savoir !
- Sois pas vexé, rit Remus, je ne te chasse pas. Ça me rend juste nerveux.
- Je sais. Pareil pour moi, je ne dors pas vraiment quand je ne suis pas seul.
- Le lit est petit.
- Et nous avons grandi.
Allez, viens. »
Remus s'étendit prudemment, la tête sur son bras ouvert. Au-dessus de sa tête, il avait suspendu les constellations, un peu à la manière du Prodomus Astronomiae.
Il avait dessiné Remus, une seule fois. Le portrait était étrange, il avait l'impression de voler un secret. Il avait oublié les cicatrices. Il l'avait brûlé très vite, avec ce sentiment de honte qui le suivait depuis quelques semaines.
... Mois ?
« Vous venez ? appela doucement James.
- Où ?
- N'importe où. »
Ils s'amusèrent comme des enfants dans les toboggans secrets, refirent la Grande Salle, Remus dansait sans musique dès qu'il y avait un espace libre quelque part, comme un sauvage, cette sauvagerie, voilée le jour, d'un enfant perdu, saccagé trop tôt, poussé comme une herbe folle – celles qui n'ont pas peur d'être libres.
« Est-ce qu'on invitera d'autres amis à venir avec nous, un jour ? s'interrogea James.
- Nan, trancha Sirius.
- Je ne parlais pas nécessairement de filles... »
A une heure du matin, ils étaient étendus sous la table des professeurs, têtes bêches. Sirius tendit la baguette, l'alluma, et commença à graver dans le bois.
« Méfait... Accompli ? » sourit Remus.
Il n'avait pas dormi depuis la pleine lune, la nuit dernière et de toute la journée, ils n'avaient mangé que des sucreries si bien qu'il se sentait flotter un peu lointain, frissonnant sans sentir le froid. On peut fumer. On peut boire. On peut passer son temps avec ces imbéciles heureux et tendres.
« Retournons au dortoir avant que Remus ne s'endorme ! signala Peter.
- Non, laissons-le là, je veux voir la tête de McGo quand elle le trouvera sous son siège au petit déjeuner demain ! Aïe ! »
Remus venait de tirer un épi de James, les yeux fermés, le sourire mutin. Il se redressa, frotta ses yeux et se remit en route. Naturellement, ses amis trouvèrent leur place à sa suite. C'était toujours Remus qui ouvrait la voie, même fatigué, il était de loin le plus alerte et discret et tandis qu'ils progressaient vers les classes du quatrième étage, un son étrange fit frémir son oreille. Un geste lui suffit pour arrêter sa troupe.
Un courant glacial circulait dans ce couloir, d'un froid plus pénétrant que le vent d'hiver. C'était une sensation insidieuse qui semblait pénétrer chaque pore comme pressé par une aiguille jusque sous la peau, pour s'infiltrer dans les veines, pour bleuir le sang. Peter claquait des dents. James lui maintint la mâchoire pour étouffer le bruit, d'une main lourde, amollie par une torpeur qui n'était pas celle de la fatigue et qui pourtant les faisait tous bailler. Remus chancela, et quand il retrouva ses esprits – combien de temps s'était écoulé ? - il rattrapa Sirius qui avançait vers une porte entrouverte. « Quoi que ce soit, n'y va pas... » Mais à sa grande horreur, il lui sembla que Sirius lui glissait entre les doigts, comme immatériel et qu'il n'avait plus assez de force pour le retenir.
Sirius repoussa la main de Remus, agacé. Il ne pouvait pas comprendre. Cette voix qui l'appelait avait tout d'irrésistible. Elle effacerait, il le savait, l'effroyable et l'incertain. Elle n'avait pas besoin de promettre : il lui suffisait de l'entendre pour avancer en toute confiance, comme jamais encore, vers cet apaisement brillant et désirable, et lui donner ce qu'elle voulait et connaître enfin la sérénité...
Un sursaut étrange
La nuit à nouveau, les mains chaude et froide, soucieuses, de James et Remus dans les siennes.
« Arrête tes conneries, on monte » marmonna James.
Oui, la nuit froide, et eux. Bien sûr que c'est ça que je veux.
C'était une drôle de sensation une drôle
De
Sensation
...
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