Hiver 1974 : positions et oppositions

Un jour...


« VOUS ALLEZ ME TUER ! »

Les vociférations de Walburga Black suffoquaient Sirius, retenu par les infatués Evan et Bellatrix, qui lui coupaient le souffle à chaque fois qu'il tentait de contredire leurs odieuses paroles.

« Mais qu'avons nous fait pour mériter cela !? Quelle abominable tare vous pousse ainsi à traîner sans relâche notre noble famille dans la boue ? Vous êtes... complètement... fou ! et perdu ! perdu !

- Assez ! »

Orion, glacial comme la nuit stérile du désert, écarta son épouse. Son fils et lui se toisèrent jusqu'à ce qu'ils ne plus se reconnaître, étrangers incrédules, l'un d'avoir engendré ce rejeton, l'autre de devoir la vie à cet homme haïssable et répugnant. L'acier de leurs regards fondait des ciseaux destinés depuis le premier jour à trancher le ruban fatal qui les liait – sinon à se planter dans le cœur du mal-aimé. Les membres de la famille, sous les pampilles de cristal, cernés par les aïeux peints dans les tableaux, se penchèrent imperceptiblement en avant. Comprimé par les mains de ses cousins, aveuglé par leur ressemblance mortifère, Sirius perdait sa consistance. Cette face, ce n'est pas moi ! ce n'est pas mon identi...

there's a starman

- Interférence -

waiting in the sky

« Catapultage !

- Plaît-il ? riposta Orion d'une voix blanche, outré par son impudence.

- Bella lui a lancé un sort de catapultage ! Cette dame ne nous menaçait pas, ce n'était pas de la défense !

- Cafteur, tu ne comprends décidément rien ! » gronda Evan en lui tordant le bras plus fort dans le dos.

Orion le coupa d'un geste.

« Le Seigneur des Ténèbres est peut-être puissant mais il n'a pas (Sirius se retint d'ajouter "encore") pris le pas sur le Ministère ! C'est pour ça que les Camps d'Avery ont lieu en été, hors de l'école, et qu'Evan a effacé la mémoire de cette dame ! Vous n'avez pas le droit de vous en prendre aux moldus. Si elle avait été blessée, les conséquences auraient été trop importantes pour vous.

- Tu t'es interposé par charité, c'est ça ? railla Bellatrix.

- Pas pour toi ! Mais tu ne peux pas me le reprocher, pas vrai ? Quelle que soit la raison pour laquelle je l'ai fait, ça t'arrange bien ! »

Evan se renfrogna, fâché de le reconnaître, mais Bella, furieuse, cracha :

« Tu avais donc une occasion de me voir punie et tu as préféré protéger cette vieille ? (elle éclata d'un rire grinçant, un peu jaune) Vraiment, tu me fais rire ! Sacré Sirius, va ! Qu'est-ce qu'on va faire de toi ! Et pourquoi tu traînais là-bas d'ailleurs, hein, tu ne l'as toujours pas...

- Sirius, Regulus, nous rentrons à Londres » coupa Orion.

Le public n'avait pas bougé, juge austère du duel des cousins, de la posture épineuse d'Orion, de ses tentatives pour demeurer solennel et affirmé alors qu'il dégoulinait d'humiliation enragée. À cette dissimulation, père, je suis meilleur que vous, le pire des hypocrites.

« Comment OSEZ-vous ? »

La voix d'Orion tonna dans le Square Grimmaurd et le front de Sirius heurta la pierre blanche de la cheminée dont il venait de sortir. Il poussa un cri déchirant, lacéré par un éclair jusqu'en bas de la colonne vertébrale. Ses mains levées trop tard, incapables de le défendre, se rattrapèrent au marbre, et il haletait, ébloui de douleur et de panique. Oh... Oh, woah, attends, qu'est-ce...

« Semer ainsi le désordre dans notre famille ! » La voix de son père s'enfonçait comme un couteau dans son front. « Mettre vos cousins en porte à faux ! »

Une force invisible précipita Sirius sur le miroir mural dont le fracas ne put couvrir sa plainte épouvantée. Des éclats par dizaines se fichèrent dans ses joues, ses cheveux, ses mains. Le souffle coupé, Sirius ne sentait pas encore la douleur, il y avait plus urgent :

Respire !

« Vous ne comprendrez

JAMAIS

RIEN ! »

Mes yeux... Mes yeux sont intacts... ?

Père ?

Oh, je l'ai vraiment poussé hors de lui cette fois

Père

La tête entre les genoux, les mains lacérées autour du crâne qu'elles n'osaient toucher, hérissé de verre, Sirius haletait, arrachant à chaque souffle un feulement de bête angoissée. Des gouttes de son sang maculaient le plancher. Son cœur désaxé, l'imbécile ! propulsait encore plus de pression dans les membres meurtris, dans sa vision brouillée depuis le choc sur la pierre

Est-ce que ça se soignera ? Je vais m'en remettre ?

Non

Il va me tuer

Il va me tuer !

Mais Orion déclara, dans le plus grand des calmes :

« Walburga, vous auriez du conduire Regulus à l'étage. »

Il avait vu. Il avait assisté à tout. Sirius serra les poings sur les éclats de verre, la gorge fermée sur son cri, à défaut de pouvoir retenir ses larmes. Orion mentait : il était enchanté que Regulus eût tout vu, il en profitait même pour glisser un reproche à son épouse, odieux jusqu'au bout. « Reparo... Montez ! » ordonna-t-il, et Sirius entendit leur pas pressé. « Et vous, sale bête... » Il empoigna son col pour le relever. Le verre brisé avait disparu. « Sale bête... l'échine courbée, je te dresserai... je te dominerai ! » Sirius, au cœur du désastre de son visage laminé, darda les yeux dans ceux de son père. Une gifle lui arracha un rugissement. Quand il se redressa, Orion regardait sa main, les traits avilis par une sourde répugnance. L'arrogance de son fils avait réveillé ses bas instincts. Il l'avait touché. Il l'avait frappé comme un moldu.

Quelques heures passèrent, combien ?

Sirius ne dormait pas mais il n'était pas conscient

Il n'y a rien, il n'y a rien

Il a tout effacé, sur la peau, le médicomage complaisant,

Reste la douleur, spectre de vos maléfices, qui ondoie dans tous mes nerfs, c'est presque pire : je ne me vois pas guérir

Il n'y a rien

C'est la nuit

Laquelle ?

Je compte encore les nuits, vieux réflexe

Il y a quelque chose à venir

une chose que j'attendais avec... quoi déjà ?

impatience ?

qui me rappelle le chant de l'ambre


Sale bête

Je te dresserai, je te dominerai

Je me jetterai sur les murs des cabanes hantées et des manoirs, et je détruirai mes mains faute de pouvoir t'étrangler

Je vais crever ici, n'est-ce pas ?


Ils vont me garder, maintenant, j'ai été trop con, je ne comprends rien, c'est vrai, j'aurais dû

Faire la bête bien dressée, hypocrite

Mon père, il

il était prêt à - ?

Non, c'était une correction, c'est tout, tu l'as poussé à bout

Tu ne sais pas y faire avec lui – avec personne d'ailleurs

Depuis, la milice est sûrement retournée voir la vieille dame, tu attires le mal autour de toi, tu enchaînes les erreurs et tu ne sers à rien

Il n'y a rien, il n'y a rien il n'y a rien


Sirius ferma les yeux


Les larmes dévalaient sur les joues de Remus sans qu'il ne parvînt à les arrêter. Il n'arrivait plus à respirer, le ventre si crispé qu'il en avait mal. Il allait étouffer, il fallait qu'il réussisse à... arrêter.

Il gémit difficilement :

« Pitié... James !

- Maaaais euh... » balbutia James dépité, arrêté au milieu de son mime, d'une petite voix enfantine.

Et leur fou-rire reprit de plus belle. James tira une troisième carte :

« D'accord, euh... Haha, ça c'est tellement Remus et ses petits problèmes de fourrure !

- Fourrure ? demanda distraitement Euphemia. Tu peux parler, mon chéri, avec tes épis...

- Mais non, c'est pas ça ! » voulut expliquer Peter avant que tous les deux ne réalisassent leur gaffe.

Ils se frappèrent le front d'embarras, Remus frotta son crâne avec gêne, un éclair de colère protectrice passa dans le regard de Lyall, James blêmit sous les doigts qu'il écartait devant ses yeux, pour regarder. Mais le jeune homme posa la main sur l'épaule de son père et déclara : « C'est pas grave, les gars. Je viens de passer trois jours chez vous : je sais d'où vient la bonté de James. Je vais vous expliquer. »

Le deux janvier, le père de Peter, qui rattrapait un jour de congé, fut invité à se joindre aux prolongations de la fête chez les Potter. Il s'appelait Boniface, arborait le même visage rond aux beaux yeux bleus que son fils, seulement sa figure s'était burinée et durcie, sa mâchoire inférieure renfrognée, les plis autour de sa bouche marqués. Il ne semblait pas rire beaucoup. Il travaillait dans la brigade de la police magique et maudissait le Ministère de se laisser déborder par les événements – peut-être complaisamment.

« Que voulez-vous dire ? blêmit Espérance.

- Officiellement, c'est sûr, le discours est toujours en faveur du Secret, on va vous dire que les discriminations anti-sangs-mêlés ou moldus sont condamnables, et compagnie. Vous avez entendu la dernière allocution d'Eugenia Jenkins ? C'était fort joli, hein, comment elle a dit, déjà ? "Quand on frappe un moldu, c'est l'humanité qu'on insulte" ? Nous, police, avons des ordres de plus en plus stricts pour encadrer ces manifestations mais nous n'en sommes plus au temps des marches anti-cracmols et la répression du Ministère est clairement en train de faire le bénéf' des milices de Vous-Savez-Qui. Jenkins est à côté de la plaque, elle ne répond pas aux besoins de son peuple. Il faut arrêter de se mentir, allez, on le sait bien : elle n'a pas la carrure si elle veut faire face au Seigneur des Ténèbres. Je vais vous dire, moi, parce que je les côtoie chaque jour : les sorciers en ont marre du Secret ! Purement et simplement. Il faut partir de là. C'est beaucoup trop la crise du Secret, et ça dure depuis trop longtemps. Les sorciers n'ont plus envie de respecter les moldus, ni de les défendre, depuis qu'ils ont vu de quoi ils sont capables – je parle de leur guerre, dans les années quarante. »

Il se resservit un verre. Lyall éloigna précautionneusement la bouteille après avoir fait semblant de se resservir lui-même.

« Il faut les comprendre. C'est vrai, c'est déséquilibré : nous sommes plus puissants, eh oh, il faut dire les choses hein, nous sommes plus puissants ! Et les moldus ne sont pas protégés actuellement, pas à la hauteur de leur connerie - je dis pas ça pour vous madame. Mais les moldus – la plupart – manquent de sagesse. On le sait, faut pas se cacher, il faut dire ce qui est. On le sait bien : la santé fragile, l'espérance de vie courte, leurs technologies bancales, d'accord, on comprend. Note que s'ils n'avaient pas exterminé les sorcières au seizième siècle, on aurait pu leur faire profiter de tout ça, hein ! Hé hé. Enfin...

Pour protéger et agir en faveur des moldus, ils veulent un champ d'action plus large, et franchement, on en a bien besoin ! Et ç'a toujours été refusé par le Ministère ! »

Il poussa un immense soupir à la lisière du gémissement.

« C'est tellement la merde au ministère. Bon sang de Viviane – pardon mesdames. Je soupçonne Jenkins d'être elle-même en crise, à demi convaincue par Vous-Savez-Qui.

Et vous savez quoi ? Ça donne à réfléchir.

Ah je dis pas hein, les attaques gratuites, c'est vraiment dégueulasse. Mais en même temps, le ministère est gelé et il n'y a aucun dialogue avec les sorciers, sinon émeutes et répression ! Moi je dis, briser le secret, pourquoi pas. Non, comprenez. C'est plus comme avant. C'est plus le même monde que nos parents. Il faut inventer un nouvel ordre. Les familles de sang pur se joignent à Vous-Savez-Qui. C'est lui le seul à proposer autre chose que cet ancien discours qui ne correspond pas à nos nouvelles générations. Et au moins, ça donne l'impression d'avancer.

Ah, je sais ce que vous pensez. Moi, les moldus, j'en vois tous les jours. Les interventions sont épuisantes. Avec l'état d'urgence on multiplie les gardes. C'est pas beau à voir et on n'en perçoit pas le bout. Ça finira par s'enflammer. Heureusement que Peter est à l'internat, je ne sais pas comment je ferais. Mais il faut encore les payer les frais de scolarité ! Merci, hein, pour l'avoir pris pour le réveillon. C'était pas un joyeux Noël cette année encore, enfin. C'est un bon gars, il serre les dents. Je sais qu'il est bien à Poudlard. Avec vos p'tits gars hein !! Des sacrés ceux-là ! Les Black... Vous savez, il faut discuter avec ces gens-là, ils ont sûrement des choses à nous apprendre. Je veux dire, on peut se fier à leur jugement : ils sont sorciers depuis tant de générations, ils ont un vrai regard sur le monde et l'Histoire.

Enfin ouais. C'est pas tout blanc ou noir, hein. Mais c'est clairement la crise. Moi, je ferme pas mes portes, j'ai pas d'opinion claire, j'ai pas... Pas le temps de penser, vous me direz. Mais je trouve pas de discours convaincant, alors... »
Il reposa lourdement son verre. Enfin Remus se dit que ce bruit devait être ça. James, Peter et lui échangèrent des regards lourds avant de remonter discrètement dans la chambre de James. C'était une pièce quasiment ronde sous les combles, toute en bois, barrée de poutres où il suspendait des jouets, des babioles qu'il fabriquait. Ils avaient étalé les matelas par terre pour dormir comme dans une cabane.

Peter dit doucement :

« Je crois qu'il ne faut pas dire à mon père que tu es un loup-garou.

- Oh, je suis encore désolé d'avoir gaffé ! s'excusa James.

- Ça va, répondit Remus. Ça va comme ça. »

Équilibre fragile toujours, entre le secret et l'honnêteté.

Plus tard, quand Remus et Peter furent partis, James descendit l'escalier en glissant sur la rambarde pour prendre un dernier lait de poule devant la cheminée avec ses parents. Il recouvrit sa tasse de sucre caramélisé et de crème qu'il dégusta avec le doigt.

« Remus adore la crème fouettée ! déclara-t-il.

- J'avais remarqué. Quel jeune homme agréable, sourit Euphemia, je suis ravie de l'avoir accueilli, ainsi que ses parents. Vous avez eu des nouvelles de Sirius ?

- Pas beaucoup, juste le soir du premier de l'an mais il n'a presque rien dit. Je pense que ça ne va pas.

- Tu lui as dit que notre porte était ouverte ?

- Si celle de ses parents l'était aussi, il se serait déjà carapaté, j'en suis sûr... maugréa James en touillant son breuvage sans réussir à le boire. Le pire, c'est que je suis sûr que McGo sait tout ça mais elle ne fait rien !

- Je suis certaine qu'elle agit de son mieux, même si elle ne raconte pas tout aux plus impertinents de ses élèves, ajouta Euphemia en avertissant James du doigt. Ce n'est pas simple. Je suis désolée James, je crois que c'est la phrase que je t'ai dite le plus souvent de toute ta vie, mais ce n'est pas simple.

- Ce que tu me dis le plus souvent, c'est "James, non".

- Après tout, Sirius est toujours à Poudlard, malgré le fait qu'il n'ait pas été envoyé à Serpentard.

- Leur Seigneur Machin Truc y était, tu savais ça ? Il avait un autre nom.

- Oui, je l'ai entendu dire. »

Sa mère n'était pas censée savoir qu'il avait entendu le père de Peter. James joua à faire voleter des étincelles dans le feu.

« Eh, maman ! Tu sais comment Dumbledore fait quand Remus a son problème de fourrure ? Il ne l'enferme pas dans les cachots, ni rien ! »

James expliqua le stratagème à sa mère, raconta le plus délicatement possible comme c'était éprouvant pour lui et comme les trois amis voulaient soutenir leur camarade – sans lui dévoiler leur projet de devenir animagus, toutefois, peut-être aurait-elle une meilleure idée. Euphemia le regardait avec fierté. Elle qui était devenue mère sur le tard après avoir tant espéré et désespéré, s'abreuvait depuis le premier jour de l'énergie lumineuse que son fils dégageait, sans limite. C'était devenu un grand garçon, brave, loyal toujours aussi intrépide et toujours positif, et elle voyait désormais la droiture se dessiner avec de plus en plus de netteté dans son tempérament. Il avait pris la première grande décision de sa vie, et celle-là était loin d'être une connerie.

Enfin, pas que.


« Elle est où la deuxième étoile ? »

Sirius ouvrit les yeux.

La tête chaude de Remus était pressée contre la sienne, allongés sur la table des professeurs de la Grande Salle.

« Là haut, dans les coursives...

- Je t'emmènerai là-haut, un jour. »

Remus rit d'un vrai rire sonore, éclatant comme de la musique.

Sirius pressa ses mains sur son visage pour ne pas hurler.

Je suis rentré !

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