Hiver 1974 : la rupture
TW : mention de sang
Un jour...
" Twinkle, twinkle, little star, How I wonder where you are ! "
Les trois jeunes hommes retinrent leur souffle. Un petit coup de coude relança le chanteur :
" Up above the world so high,
Like a diamond in the sky. "
Il soupira profondément et acheva :
" Twinkle, twinkle, little star,
How I wonder where you are... "
« Pas ce soir... » regretta James en se décidant à poser le miroir sur son bureau. Il ôta ses lunettes et frotta ses sourcils. Une seconde passa, puis deux, puis dix ; James avait beau se creuser la tête, il ne trouvait rien de drôle à dire, et plus les secondes filaient, plus ils se perdaient dans leurs pensées, au fond desquelles ils se consumaient d'inquiétude pour Sirius. Ils n'avaient même plus la force d'en parler, les mêmes phrases tournaient en boucle depuis leurs retrouvailles. Après avoir passé Yule en famille chacun de leur côté, James, Peter et Remus s'étaient retrouvés, comme promis, pour la Saint Sylvestre. Sirius n'avait pas donné signe de vie depuis le dernier samedi, le matin du départ. Remus sentait encore son étreinte, tout autour de lui, dans la salle de bains. Si ces bras aimés, si tendres, devaient disparaître, s'il ne devait plus y avoir de nuit comme celle... Oh, Remus, arrête. Tu ne peux pas rêver de cela. C'est indécent, surtout en ce moment !
« Si son miroir avait été brisé, tu le saurais ?
- Je ne sais pas. J'espère que c'est la moins... pire des options. »
A quelques lieues de là, dans le village de Flagley-Le-Haut, Sirius se terrait au plus profond de son esprit, comme le faisait Remus les soirs de pleine lune.
Plie l'échine. Mais se trahir n'apaisait guère les tensions, les moqueries, le mépris ; au contraire, et le plus venimeux était encore la haine de soi-même, le dégoût de ce qui coulait dans ses veines. Tout était insupportable, macéré dans l'odeur du manoir, la puanteur du sang-pur vert glauque, le rance avili des générations croisées et pourries jusqu'au fond de l'âme dérangée, aliénée, inhumaine. Un soir, Sirius pressa une lame sur sa peau simplement pour réjouir son regard d'un beau rouge profond qui fait du bien à l'âme. Il n'arrivait plus à convoquer le rire de James dans sa tête, le doux regard apaisant de Remus. Quoique pour lui, peut-être, ce n'était pas plus mal, de l'oublier un peu. Un peu de distance, pas trop de chaos, n'apporte pas ça dans sa vie, Sirius, n'oublie pas...
Qu'est-ce que je ne dois pas oublier, déjà ?
Tu perds la tête.
Eh bien, ce n'est pas si mal. Mon corps tourmenté fait si mal, un à la fois. Oublie qui tu es avec eux pour supporter d'être un Black. Il sera toujours temps de redevenir toi-même, ensuite
La survie
Tu sais qu'ils te retrouveront
Et Sirius sourit en serrant le sang dans ses doigts
« SIRIUS ORION BLACK ! Rendez-vous dans la bibliothèque, nous avons à parler ! »
« Et si nous contactions sa famille ? proposa Fleamont. Il ne serait pas déplacé de leur souhaiter la bonne année. Il me semble que vous êtes son collègue, mon cher Lyall, maintenant que nos enfants sont amis, ce pourrait être un discret moyen d'obtenir de ses nouvelles.
- Il est chez ses grands-parents, expliqua Peter, on ne connaît pas l'adresse. »
Les deux familles qui avaient sympathisé lors de leur rencontre aux Trois Balais, s'étaient liées d'amitié en quelques heures à peine. Les parents de Remus, habituellement solitaires, avaient fondu pour l'irrésistible bonté des Potter.
« Je ne peux pas vraiment me considérer comme son collègue...
- Sirius nous a dit qu'il avait du respect pour vous, s'écria Peter.
- Quelle affaire ! grimaça Lyall, et James reconnut là la droiture d'esprit qu'il avait transmise à son fils. Bien que nous soyons amenés à nous côtoyer, je ne le considérerai jamais comme un associé. Je sais qu'il est capable de se montrer affable mais ce n'est qu'hypocrisie, je connais ses valeurs, diamétralement opposées aux miennes. Le respect qu'il éprouve pour moi me brûle.
- Eh bien, Lyall ! rit le vieux et serein Fleamont. Oublions cette désagréable idée et réconfortons-nous, voulez-vous ? Allons nous promener dans la campagne, je suis certains que nos jeunes garçons ont besoin de se changer les idées. Montrons-leur comment distinguer les apparitions spectrales, et la différence entre la ciguë et la carotte sauvage !
- Oh papa, la ciguë ! On apprend ça en première année ! »
Ce fut un réveillon simple et délicieux. Espérance les conduisit au cinéma voir "L'île au Trésor" et en fin d'après-midi tout le monde aida à la préparation des amuse-bouches. Des sujets en pain d'épices voletaient dans la maison et une montagne de crème fouettée recouvrait chaque dessert, de la tarte au chocolat jusqu'au dernier lait chaud. Les trois amis avaient beau s'amuser comme des lutins de Cornouailles, il planait toujours une pensée inquiète pour Sirius et surtout le manque de Sirius.
Enfin, enfin, enfin, le premier janvier, peu avant minuit, le miroir sous l'oreiller de James murmura doucement : « Bordel, ces ronflements m'ont manqué ! »
Les trois bobines ébouriffées se pressèrent dans le cadre. On ne voyait presque pas Sirius, tapi dans l'ombre. Lui se rassasiait de leurs têtes réunies sans lui mais il n'éprouvait aucune once de jalousie. Il était pleinement heureux pour eux et n'avait que plus hâte de les retrouver.
« Je n'ai pas pu vous parler plus tôt, c'est tellement la fête ici, je n'ai pas une minute à moi. »
Il se cachait dans le placard de la salle de bains des enfants.
« Maintenant, ils sont fatigués du réveillon, je pense. Tout le monde dort.
- Et toi ?
- Je voulais juste vous voir. »
Il sourit, pressa le cadre dans ses mains en les écoutant raconter le film.
« Bonne nuit, les gars. Je ne peux pas trop traîner.
- Ne te mets pas en danger. C'est tellement bon de te voir... »
Sirius fit un semblant de clin d'œil avant de disparaître. Les épaules de Remus et Peter étaient pressées de chaque côté de celles de James. Après un petit moment de silence, il se leva, leur fit signe de le suivre, et ils descendirent avaler de grands verres de jus de sureau glacé.
De l'autre côté, Sirius s'était levé aussi. Trop étourdi pour se soucier d'être entendu, incapable de se coucher, il se dirigea vers la bibliothèque. L'escalier massif ne grinçait jamais mais il songea vaguement aux elfes qui travaillaient peut-être de nuit. Il se frotta les cheveux. Il lui semblait que ses muscles étaient devenus trop étroits pour lui et qu'ils grinçaient, il ne savait plus si c'était la tension ou les châtiments paternels. Il parcourut les rayons du regard, résistant au désir de mettre le feu aux ouvrages de théories discriminantes. Il n'y avait pas de livre de métamorphose où découvrir le secret des Animagi, par contre, un volume d'espionnage attira son regard. Il vérifia qu'il était seul, le feuilleta, arracha une page qui l'intéressait et la garda pour plus tard. Il s'assit sur le chesterfield glacé, contempla la neige qui tombait sur le jardin, les rosiers endormis tout vibrants de bourgeons à venir. Sa main tomba sur le lourd coffre de bois et d'ivoire qui jouxtait le canapé. Des bouchons de cristal dansaient sous le couvercle. Brandy Shadows. La première gorgée le brûla à un endroit qui n'avait encore jamais brûlé. Cela changeait. Il but une seconde gorgée, pour le plaisir, le défi, et la brûlure. Il but encore et un fourmillement, semblable à du bien-être, délassa ses nerfs. Il balança la tête en arrière, sur le dossier et se laissa glisser par terre. Le plafond tournait, l'entraînait dans une étrange impression, petit vertige semblable à celui du déjà-vu, l'impression d'être un peu décalé de son corps, de mettre les sensations à distance. Parfait.
Eh, allez tous vous faire voir !
Jusqu'où tout ça va nous mener ?
Quand il regagna son lit, Sirius se rendit compte que Regulus ne dormait pas. Avec lui aussi, c'était toujours la débâcle, sourire un jour, poignard dans le dos le lendemain. Mais quand Sirius adoptait le point de vue optimiste de Remus, il remerciait Merlin de lui faire partager la chambre de son frère et non celle d'un cousin, pour la durée du séjour.
Et s'il sentait l'alcool ? se demandait une minuscule voix terrée au fond de lui.
Et si je n'en avais rien à faire ?
Regulus alluma une chandelle, avec une allumette. L'odeur du souffre apporta un étrange réconfort à Sirius. Il se laissa tomber sur la couverture de fourrure. Luxe, luxe, encore du luxe et de la cruauté. Il rêvait d'un plaid de laine un peu rugueuse, souple et odorante, toute décolorée. Il en sentait les fils dénoués sous les doigts.
« Qu'est-ce que tu es allé faire ?
- Toilettes. Il faut vraiment se justifier de tout dans cette maison ou ce sont nos parents qui...
- Je demandais juste ! Tu étais long. »
Regulus soupira. Il ne se décidait pas à éteindre. Il chuchota :
« Je n'arrive pas à dormir.
- Dommage pour toi.
- Toi non plus.
- Pour la même raison que toi. »
Regulus ne répondit pas immédiatement. La franchise de Sirius l'avait pris de court.
« Sauf que c'est l'inverse. » marmonna-t-il.
Sirius ne répondit pas. Il n'avait plus envie que Regulus éteignît. Il n'avait pas envie de discuter, ça allait encore finir en pagaille. Alors comment faire ? Le fil était ténu entre eux deux mais au moins il existait encore. C'était ce que disait la douleur. Pouvait-il n'y avoir pas de fin ? Pourraient-ils toujours se tenir la main par-dessus le précipice qui séparait leurs chemins ? Sirius rit à cette idée. Il se voyait tracer à balai, aux côtés de James, tandis que Regulus s'enfonçait dans les précipices ténébreux de...
« Tu te moques de moi... » grogna le petit frère.
La douleur.
On connaît le cœur d'or béant de Sirius, prêt à aimer sans mesure, prêt à accueillir celui qui viendra.
Sale chien perdu.
Et si Regulus allait jusqu'au bout ?
« Pourquoi ça t'empêche de dormir ? murmura Sirius.
- Je ne sais pas, j'arrête pas d'y penser, j'ai tellement hâte ! J'ai de voir ce qu'on va faire et apprendre, de rencontrer des gens. De faire partie de cette grande aventure !
- Tu as déjà ça à Poudlard.
- On n'apprend pas la même chose. À Poudlard, c'est trop théorique, pas assez pratique.
- On apprend plein de choses pratiques. C'est la magie noire qui t'intéresse, c'est ça ?
- N'appelle pas ça comme ça, c'est péjoratif ! Ça fait partie de la magie et on devrait avoir le droit de l'apprendre. Sinon, c'est déséquilibré. On n'apprend que la Défense, c'est pas normal !
- Ça te semble normal d'apprendre des sorts de torture ou de manipulation ?
- Oui. Il faut savoir se battre, c'est un droit. On doit pouvoir se protéger. »
Sirius pressa ses côtes douloureuses.
« À quoi ça te mènera ?
- Agir pour un monde meilleur !
- Il ressemble à quoi, ton monde meilleur ?
- Un monde sans secret.
- Pourquoi vous y tenez tant ? Est-ce qu'on vit mal dans le secret ? On a autant d'espace qu'on le veut, nos sorts permettent de réparer la moindre erreur. On ne perd pas en liberté ! Vous vous focalisez là-dessus comme si c'était injuste... Mais on a enfin réussi à trouver un équilibre !
- Les moldus nous ont chassés, et brûlés !
- Donne-leur raison en les oppressant, tiens ! Bravo la sagesse... C'est une question de vengeance, c'est tout ?
- Oppression ?! Parce qu'on a des pouvoirs, ce serait à nous de nous cacher ? C'est injuste ! On devrait être les plus puissants !
- Puissant ça ne veut pas dire écrasant, être puissant c'est aussi protéger.
- Bon sang, Sirius, un peu de dignité ! »
Sirius étouffa un cri dans son oreiller et réfléchit à la façon dont il pourrait, peut-être, raconter à Regulus combien il avait appris à reconsidérer les moldus, les gobelins, peut-être même parler des loups-garous mais son frère était si abruti par les dogmes familiaux qu'il craignait ses rapportages.
« Ce sont des humains. Je ne peux pas le dire autrement, ce sont des humains. Et nous aussi. Et chacun sa place et ses propres pouvoirs. Nous sommes responsables de la façon dont nous les utilisons. Les miens ne serviront pas à tuer et terroriser.
- Reste caché, sale lâche, si ça te plaît.
- Non. On peut...
- Quoi ?
- Les fréquenter. Les découvrir avec toutes leurs merveilleuses créations ! Accepter l'idée qu'ils sont différents mais qu'ils sont nos égaux !
- Sirius, tu t'entends... ?
- Et toi, tu m'entends ? J'ai... A Poudlard, quand tu veux, je te montre ce qu'ils savent faire, tu verras... On leur donnera l'exemple...
- Tu as des objets moldus ! Au nom de Circé, Sirius ! Ne dis jamais ça à Père et Mère !
- Tu crois que j'en ai l'intention ? C'est à toi que je parle, petite tête ! Et il ne s'agit pas d'objets, ce sont des choses intouchables : de la musique, des histoires... C'est indescriptible ! Tu sais mes dessins que tu aimais tant, c'est la même chose, je pourrais te réciter des poèmes ou chanter, si tu es prêt à écouter, Regulus, je t'en prie, écoute...
- Tu es complètement fou ! Ça n'a rien à voir avec la magie, ce dont tu parles !
- Tu n'en sais rien. Tu n'as pas entendu !
- Tu te laisses complètement aveugler ! C'est lamentable ! N'essaie pas de m'entraîner dans ta chute. Je garderai la tête haute. »Le plafond tournait. Ce n'était plus l'alcool. Quand ils se furent tus suffisamment longtemps pour oser bouger, Regulus éteignit sa lampe.
Quelqu'un murmura :
« Je n'ai jamais eu envie de te perdre. »
Lorsque Sirius fut réveillé par le carillon familial, le lendemain matin, Regulus s'était déjà levé. Il grommela en s'habillant, déjà prêt à se faire rouspéter pour avoir osé dormir jusqu'au signal, contrairement à son frère et ses cousins qui...
étaient étonnamment silencieux.
Il s'attabla seul, engloutit une tasse de thé et deux verres de jus, assailli par une soif inextinguible, sous l'œil désapprobateur de ses parents. L'elfe Boxy lui apporta des toasts plus rassis que grillés. Le journal, pas la Gazette trop consensuelle pour les Black, un autre hebdomadaire du nom de Défense de la Magie, annonçait que les Greengrass et les Lestrange s'étaient joints aux onze familles de Sang-Pur qui avaient prêté allégeance au Seigneur des Ténèbres. Déjà plus personne n'osait l'appeler par son nom. Ses milices, tolérées quoique non-officielles, se déploieraient dans les rues pour faire régner l'ordre, ou du moins, un ordre nouveau. Tout cela glissait depuis longtemps des mains du Ministère. Un terme apparaissait dans cette presse-là : traître au sang.
« Janvier ! asséna son père en frappant le papier du plat de la main pour attirer son attention. Mois de résolutions et de promesses ! Vos cousins font leurs débuts dans la Milice aujourd'hui même. Votre frère se prépare à rejoindre les Camps de Renforcement mis en place l'été prochain par Avery et Mulciber, les plus proches collaborateurs de notre Seigneur. Chacun trouve sa place, rend service au monde sorcier et vous montre la bonne direction.
Qu'en est-il de vous ? »
Foutez-moi dehors. Je crois que je commence à considérer ça sérieusement. Foutez-moi dehors.
« Vous ne mangez pas ?
- Non. »
Il tendit son assiette pleine à Boxy qui s'empressa de débarrasser en se plaignant des caprices du jeune maître.
« Alors ?
- Je ne sais pas, Père. »
Un rire sardonique lui répondit.
« Si vous estimez n'avoir rien à apporter au monde magique, je suppose que les usines de balai Griffith & Boswell auront besoin de main d'œuvre. Ils croulent sous les commandes, maintenant que notre Lord a décidé d'équiper sa milice...
- Je vais passer l'été prochain à fabriquer des balais ?
- Vous semblez considérer cette option avec davantage de sérieux que les Camps.
- Ils embauchent des mineurs ?
- Non. Mais votre réaction est éloquente. A vrai dire, les Camps vont devenir obligatoires pour tous les jeunes de votre génération, et vous serez aux premières loges de ce formidable dispositif, jusqu'à vos dix-sept ans, où vous pourrez rejoindre la fange à votre guise. Estimez-vous heureux que je vous laisse poursuivre vos études.»
Sirius s'estima heureux de n'avoir pas mangé. Son père se leva, emportant le journal.
« Tâchez de vous faire oublier. Vos cousins patrouillent en ce moment-même dans les rues de Flagley pour veiller à la sécurité des villageois... »
Sirius ne s'appartenait plus vraiment quand il retourna dans sa chambre.
Ces camps deviendront obligatoires.
C'est en train d'arriver. On sait très bien ce qui arrive ensuite et les longues marées obscures de la destinée se déployaient dans l'imaginaire tortueux de Sirius. Il barbouilla des pages de noir, résista à la tentation de renverser l'encre et d'en recouvrir également les murs. Il traça de grandes lignes qui devinrent ailes, leur longue courbe suscitaient l'apaisement, comme de profondes respirations. Encore et encore... Des ailes à l'infini. Ses yeux hurlaient. Un vif d'or apparut, Sirius sourit dans les vapeurs de sa rage en pensant à James. Les yeux pétillants et toujours rassurants de James, son rire, leurs cascades à balai, ah, quelle hâte de le retrouver...
Il lâcha sa plume.
Au centre de ses vifs d'or, il avait inscrit des a.
Qu'est-ce que c'était que cela ? Lui ? Sans s'en rendre compte ?
L'image était pourtant familière. Il était persuadé de l'avoir déjà vue, où ?
Ici ?
Une intuition floue le titillait. Il glissa un parchemin dans sa poche et sortit.
Il contempla le jardin, secoua la tête à défaut de pouvoir secouer son cœur. Dans quelle direction se rendre ? Ses cousins avaient laissé des traces dans la neige et il les suivit comme il suivait son impression de déjà-vu. Il bifurqua, dévia de leur trajectoire pour s'infiltrer dans une ruelle. Oui, c'était bien ce chemin ! Il reconnaissait le parfum des arbres, la forme des cottages. Tout revenait, à chaque pas, comme les paroles d'une chanson oubliée. Quelqu'un attendait par ici, quelqu'un qui lui donnait envie de courir pour le voir plus vite, qu'il lui tardait de redécouvrir.
Oui, il se rappelait...!
Une main d'acier se referma sur son cœur quand il revit le jardin désolé. La neige même n'apaisait pas les meurtrissures de la terre et s'y changeait en boue quand les jardins alentours étaient habillés de blanc. Pouvait-il frapper à ce carreau derrière lequel brillait une lumière orangée ? Avait-il le droit de demander à entrer ?
« Qu'est-ce que tu fiches ici ?! »
Sirius sursauta. Bellatrix le toisait, les bras croisés, suivie d'Evan et Narcissa et de trois autres camarades. Ils arboraient tous les six un brassard vert orné d'un crâne qui crachait un serpent.
C'est vrai, il les avait oubliés.
« Ne me dis pas que grand-mère t'envoie !
- Non, pas du tout !
- Ne mens pas !
- BAH TU VEUX QUE JE DISE QUOI ALORS ? Dites-moi, vous n'êtes pas très discrets accoutrés comme ça !
- Mêle toi de tes affaires !
- On n'a pas à se déguiser en moldus ! »
Qui donc se cachait dans ce cottage aux lumières chaleureuses ?
« Dégage de là. Rentre à la maison, tiens, t'étais pas puni ou quelque chose comme ça ? Ça peut s'arranger...
Sirius leva les yeux au ciel.
« Je peux vous aider ? » dit une voix derrière lui.
La porte s'était ouverte.
Une vieille dame se tenait sous le porche. Sirius fronça un sourcil. Ce n'était pas exactement la révélation attendue même s'il avait envie de se blottir dans son châle de laine. Ses cousins se redressèrent, épaules contre épaules. Il s'éloigna d'un pas pour ne pas être confondu avec eux.
« Nous cherchions notre cousin, minauda Bellatrix, le voilà. Toujours à se fourrer dans des endroits... inappropriés.
- Inappropriés ? Cette impasse est... Je...
- Trêve de bavardage. Vous pouvez rentrer chez vous.
- Jeune fille, il me semble que je suis encore chez moi. Ce serait à moi de vous demander de partir.
- La rue est à tout le monde, vieille femme !
- Manifestement, ce lieu n'est pas à votre goût. Que cherchez-vous donc ?
- Ce ne sont pas vos affaires ! »
La femme soutint longtemps le regard des Black qui ne cillaient pas. Elle murmura, blême :
« J'en ai déjà vu, il y a longtemps, des jeunes habillés en uniforme qui ont voulu imposer leur loi. Jamais je ne me suis laissé donner d'ordre dans ma demeure »
Bellatrix ricana :
« Je n'apprécie pas vraiment d'être comparée à cette piètre armée moldue, vous savez ?
- Vous en avez vu, dites-vous ? interrogea Evan en prenant ses camarades à témoin. Eh bien... Vous n'avez encore rien vu ! »
Bellatrix braqua sa baguette sur la vieille dame.
« Maintenant, j'ai dit : rentrez chez vous ! »
Sirius bondit. Il y eut un grand fracas dans sa tête et pendant quelques instants, il n'y eut rien. Rien que la douleur, la vieille amie, dans le noir, et la colère qui irradiait autour de lui, comme des mouches autour d'une charogne.
« Toi ?! »
Cette voix...!
« Toi... » murmura Sirius.
Il ouvrit des yeux injectés de sang. Son champ de vision était brouillé de taches blanches.
La vieille dame était indemne. Elle avait porté la main à la bouche mais elle se tenait toujours fermement debout sous le porche. Son petit-fils, alerté par le bruit, la soutenait par l'épaule. Il se précipita sur Sirius sans savoir s'il devait l'aider ou l'accuser.
« Ce sont les autres jeunes qui l'ont poussé ! »
Sirius avait percuté et détruit la clôture de bois sous la force du sort de catapultage de sa cousine.
« C'est quoi ce bordel, encore, mamie !?
- Langage ! »
Le jeune homme dévisagea Sirius. Qui es-tu ? Je te reconnais. Le teint doré, même au cœur de l'hiver, pour se marier au rouge du sang et les yeux noirs. Le corps de Sirius avait beau être fracassé, il n'en réagit pas moins par un long frisson sensuel quand le jeune homme lui prêta une main et une épaule pour l'aider à se relever. C'était ça. Et moi j'ai préféré faire comme si je ne reconnaissais pas... cette magie-là... Cet indicible sentiment de magie.
Qu'est-ce qui t'a pris, Sirius, égoïste ! Tu l'as mis en danger monstre avec tes conneries !
« Décidément, toi, à chaque fois que je te vois...
- Je suis désolé, ça n'arrivera plus, marmonna Sirius en titubant jusqu'à la route.
- Ah non, il va falloir que tu m'expliques ! » menaça-t-il en retenant son poignet.
La douleur lui arracha un mouvement brutal pour se débarrasser de sa prise.
« Je ne peux rien te dire. Et si tu veux vraiment avoir une idée, demande à ta mamie.
- C'est quoi, un genre de mafia ? Ma grand-mère en découd avec des mafieux ? J'ai du mal à le croire. »
Sirius rit, la tête jetée en arrière, désespéré.
« Non. Elle est propre. Enfin, pour ce que j'en sais, ajouta-t-il après réflexion.
- Alors quoi ?
- Je n'ai pas le droit de...
- Tu me dois ça !
- Pas pour moi, pour toi ! J'ai l'air de quelqu'un qui n'est pas capable d'encaisser pour les autres ? »
Il ne se reconnaissait pas, à parler ainsi.
« Je te présente toutes mes excuses. J'aurais aimé te connaître dans d'autres circonstances.
- C'est quoi ce baratin ? »
Sirius, qui s'éloignait en boitant, lui adressa un vague signe de la main. A bientôt, dans une autre vie. Quelque chose de brutal et noble qui émanait de lui retint le jeune homme de lui courir après pour lui en demander davantage. Malgré sa jeunesse, ou peut-être à cause de la gravité de cette jeunesse, son regard ensanglanté et son rictus sauvage, il renonça.
Et, tout à coup, il avait oublié.
Il regarda la clôture démolie et soupira, en se disant qu'il était encore arrivé un saccage inexpliqué.
Il rentra faire chauffer le thé pour manger un reste de pudding avec sa grand-mère, tranquilles, innocents et inconscients.
Un peu plus loin, dans une ruelle en surplomb, Evan rangea sa baguette.
Il se tourna vers Sirius.
« Toi, mais t'es tellement mort ! »
Et pour ne plus voir le sourire triomphant de son cousin, Sirius ferma les yeux.
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