Hiver 1973 : un livre
Art : Alessia Trunfio
Un jour...
James et Remus correspondirent quasiment chaque jour des vacances, ils s'écrivaient au moindre prétexte : une partie de vol, une créature appréhendée par le père de Remus, des taquineries des cousins de James, tous plus âgés que lui car ses parents avaient eu leur fils sur le tard. Des missives spontanées, extravagantes, riches en interjections et dessins animés. Remus avait l'impression que James était avec lui pendant ces deux semaines. Il entendait son rire dans les points d'exclamation.
Le soir de leur retour à Poudlard, Sirius arriva très tard, par cheminette, comme l'année précédente. Cachés sous la tapisserie du Sapiens pour se soustraire au couvre-feu, ses amis l'entraînèrent dans la nuit blanche promise. La reprise des cours ? Leur frime adolescente, pensée magique de rois du monde, l'envoyait valser. Cachés dans la volière, ils allumèrent des feux au bout de leurs baguettes. La plupart des hiboux étaient absents, ceux qui demeuraient les scrutaient de leurs beaux yeux sages, lâchant parfois un hululement approbateur.
« Ça m'étonne que McGonagall ne soit pas une chouette... réfléchit James.
- C'est très rare d'être un animagus oiseau, expliqua Peter. Vous croyez que Dumbledore est un phénix ?
- Vous savez que mon père est un expert en apparitions spectrales... murmura Remus.
- Oui. D'ailleurs, mon père a de l'estime pour son travail, ajouta Sirius. Pour ce que ça vaut... »
Remus sourit.
« A l'occasion, il me laisse consulter ses dossiers et m'entraîne à réfléchir sur certains cas. J'ai réussi à lui demander avec mille détours s'il existait un sortilège pour repérer la présence de quelqu'un...
- Oh oh oh ! s'écrièrent ses trois amis, enchantés.
- Il ne connaît pas de sort type sonar, il m'a parlé de sorts de détection pour protéger un lieu, repérer une présence invisible mais rien de très précis ni... global comme on voudrait, sans compter qu'ils sont assez difficiles à maîtriser. Mais ! Assez par hasard, il a parlé d'un sort qui permet d'imprimer l'image de quelqu'un sur une carte.
- Oh !
- Le Ministère s'en sert pour surveiller les criminels en conditionnelle. Je crois qu'il y a des villages comme ça...
- Ça veut dire qu'il va falloir se remettre sérieusement à cartographier le château !
- Je vais quand même préciser que l'utilisation de ce sortilège est illégale en l'absence d'une condamnation du Magenmagot.
- Pardon, tu disais ?
- Qu'on va avoir du mal à trouver la formule. Tiens, par contre, j'ai apporté ça ! »
Il sortit de sa poche un sachet de confiseries rondes. Sirius croqua dans une bille rouge. Sous la coquille de sucre, il découvrit une gomme étrangement élastique :
« C'est ça les chewing-gums ? C'est rigolo ! »
James en jeta trois dans la bouche béante de Peter, poursuiveur un jour, poursuiveur toujours, et ils mâchèrent vigoureusement pendant quelques minutes. Quand leurs chewing-gums eurent perdu leur saveur et que Sirius confirma que l'intérêt était limité, Remus fit éclater une bulle sous son nez en haussant les sourcils, mutin. Ils s'échinèrent aussitôt à l'imiter, s'efforçant de ne pas cracher sa gomme. Peter perdit la sienne le premier, sur la poche de sa robe.
« On enlève ça comment ?
- Euh...
- MERLIN, LES MECS !!!
- Chut, tu vas nous faire repérer !
- Dans les cheveux, ça doit être dément, ce truc.
- Je te raconte pas du nombre de franges qui sont nées à cause d'un chewing-gum mal bullé... Attention à toi, Sirius !
- Je pensais : dans les cheveux des Serpentard.
- Oh, Sirius, tu parles à mon cœur, susurra James. Eh, vous savez que mon père travaille sur des lotions capillaires ?
- Oui, ça se voit très bien sur ta magnifique chevelure, si disciplinée et soyeuse...
- Chut. Bref, j'ai rapporté du shampooing en poudre, je pensais en jeter sur la tête de Snape depuis l'escalier.
- Ce serait trop lui rendre service. »
Ils passèrent le reste de la nuit à échafauder des plans pour accéder à la réserve de la bibliothèque (James et Peter étaient encore interdits de bibliothèque tout court), et aux alentours de deux heures du matin, un peu écœuré, les yeux brûlants, chacun se prit à rêver d'une bonne douche chaude. Comment purent-ils regagner la tour sans se faire surprendre, cela demeure un mystère, un dernier miracle de Noël. Sur la pointe des pieds, ils se glissèrent dans la salle de bains sans prêter attention aux remontrances de la Grosse Dame. Ils se déshabillèrent en désordre, jetant çà et là une écharpe, une chaussette, une chemise. Le cœur de Remus s'emballa. Ses mains fébriles parvinrent à détacher sa cape, ôter son pull, mais pas davantage. Il resta planté, un peu perdu au milieu de ses amis en sous-vêtements, avant de se glisser dans une cabine. Cela pouvait passer pour de la pudeur un peu prude, acceptable bien qu'étrange. James sifflait sous la douche. Ce devait être habituel, car Peter l'accompagna bientôt. Lorsque Remus sortit, le pyjama collant à sa peau moite qu'il n'avait pas réussi à bien sécher dans la condensation, ils faisaient des glissades sur le carrelage mouillé, enveloppés dans une vapeur épaisse, très blanche dans la nuit du château endormi. James se rattrapa à lui en riant et l'entraîna face au miroir, Sirius sous l'autre bras. Peter se glissa contre Remus. La tête de James, les yeux dans le vague sans ses lunettes, dodelinait de l'un à l'autre.
« Je vous aime, les gars... »
N'importe quelle fille eût rêvé de recevoir une déclaration avec cette voix.
« Oh, Merlin, James... grogna Sirius.
- Chut.
Arrête de faire ça.
- Quoi ?
- Tu sais bien... Froisser. »
Sirius fit la moue et passa une main dans ses épis que l'eau ne parvenait pas à aplatir. Sa tempe rejoignit celle de son ami, les yeux fuyants à cause du miroir. Peter posa sa tête sur l'épaule de Remus, et comme Remus ne trouvait pas où poser la sienne, il contempla. Blottis l'un contre l'autre, la serviette simplement roulée autour de la taille, dans la moiteur qui faisait rougir leurs joues et brouillait leurs traits, James et Sirius formaient un tableau à couper le souffle, Castor et Pollux incarnés. La chaleur lui montait à la tête, aussi oppressante que l'angoisse, que la main de James, si protectrice, sur son épaule, un sombre pressentiment. Sirius avait la peau très pâle, presque laiteuse, elle forgeait ses muscles dans les dernières rondeurs de l'enfance. Remus remonta à son visage avant qu'un frisson ne l'assaillît. Ses yeux s'ouvraient, justement, et il lui tira la langue, dans le miroir.
Les explorateurs les plus intrépides et rebelles de Poudlard admirent que quelques heures de sommeil ne leur feraient finalement pas de mal. Seuls Sirius et James, les plus entêtés, poursuivirent un semblant de conversation, relayé par des ronflements extatiques de ce dernier dès qu'il eut touché son oreiller. Remus déboutonna sa chemise de pyjama, humide d'avoir été enfilée trop tôt sur sa peau mouillée, et passa un tee-shirt.
« Qu'est-ce que c'est ? »
Remus retint un cri de justesse. Il se retourna, blême.
« C'est un tee-shirt, balbutia-t-il. Un vêtement... »
Et dessous, mon épaule mutilée, c'est de ça que tu parles ? L'avait-il vu se changer ? S'il avait aperçu son dos ou ses bras...
« ... Moldu, je sais. Mais... ça ? »
Il désignait le dessin. Le coeur de Remus s'apaisa, à peine, le lâcha, plutôt. Il se laissa tomber sur son lit en rassemblant ses idées.
« C'est un zeppelin. Un aérostat. C'est... un engin volant. Enfin, il n'y en a plus aujourd'hui, c'était surtout dans les années 20. La partie que tu vois, là... C'est un ballon d'air chaud, ça permet de voler. Et les navigateurs peuvent entrer dans l'habitacle, qui est là, on ne le voit pas bien. »
Sa voix gagnait en assurance.
« Ça fait un gros ballon pour un petit vaisseau ! C'est vraiment l'air chaud qui permet de décoller ?
- Oui, c'est de la physique... »
Il saisit une plume échappée de son oreiller et alluma une flamme au bout de sa baguette. La plume s'éleva dans la colonne de chaleur.
« C'est... »
Sirius sourit.
« Ne le prends pas mal mais ça a l'air ridicule : cet immense ballon pour un si petit véhicule... »
Remus sourit aussi.
« On n'a pas le choix. Les lois de la physique sont différentes de celles de la magie !
- ... C'est pour ça que c'est pas ridicule en vrai. C'est un beau vaisseau. C'est intriguant. Vous les peignez même sur des tee-shirts !
- Ah oui mais, c'est pas pour ça ! Led Zeppelin, c'est un groupe de musique. C'est du rock... »
Remus hésitait. Sirius haussa les épaules, amusé. Il écoutait. « Le chanteur a une voix incroyable, je parie qu'il peut jouer toutes les notes du monde... Le batteur est encore plus génial, et le guitariste, c'est un virtuose. On n'a jamais rien entendu de pareil, même chez les moldus. Ils métamorphosent la musique. Il y a une chanson, Black Dog... je l'ai écoutée tout l'été... »
Sirius contemplait Remus. Quand il parlait en souriant, ses fossettes apparaissaient et disparaissaient, comme tracées avec le pinceau le plus fin du monde, le même qui avait dessiné sur ses bras des rivières bleues palpitant sous la chair de poule que faisait surgir son enthousiasme, retenues par les barrages de ses cicatrices. Il mordait ses lèvres, quand il s'interrompait brusquement, comme s'il s'excusait d'être si passionné, ou qu'il ne pouvait dire toute la passion. Sirius sentit croître en lui une envie mais il ne savait pas vraiment de quoi. Jouer dans les couloirs avec James, c'était excitant et pourtant, quand Remus parlait de musique, il était transporté bien au-delà, dans un monde dont Sirius ne connaissait rien, sinon que Remus l'aimait. Remus savait aimer. Sirius ne savait être qu'enthousiaste. Il eût voulu connaître quelque chose de si fascinant que, comme ceux de Remus, sa peau, ses veines, ses yeux brilleraient pour faire jaillir en étincelles d'ambre ce qui était trop merveilleux pour être dit.
Ils s'étaient laissés tomber sur son lit. Dans la nuit, Sirius murmura avec audace, affamé :
« Emmène tes disques ici.
- Tu crois que ça se fait ?
- J'ai envie d'écouter ce que tu racontes. Et puis... tes livres aussi. J'aimerais bien en lire d'autres.
- Lesquels as-tu lus ?
- Tous ceux que tu as apportés. Roald Dahl. J'adore Matilda. Et Le Bon Gros Géant, même s'il se plante complètement sur le monde magique, mais c'est rigolo. Mais mon préféré, c'est Peter Pan. »
Remus ne s'était même pas rendu compte qu'il les avait empruntés. Il avait du les lire rapidement, en secret, comme une chose interdite – et en quelque sorte, cela l'était, pour lui.
« Je ne sais pas pourquoi je l'ai tellement aimé », dit-il négligemment, en faisant des ombres sur le baldaquin avec les mains.
Et puisque Remus ne répondait rien, il chuchota, les bras le long du corps :
« Tu sais, toi ?
- Les aventures.
- Oui, mais pas seulement.
- Les sirènes !
- Berk. Ça ne ressemble pas à ça, les sirènes !
- Les mamans ?
- Peut-être, admit Sirius.
- Le baiser ?
- Tais-toi, t'es bête !
- La magie.
- C'est pas ça la magie.
- Non, mais...
- Arrête. »
Remus tourna la tête vers lui, lentement, pour ne pas qu'il l'entendît. Sirius gardait les paupières serrées, mais son frémissement picotait le bras nu de son ami.
« La poésie » chuchota-t-il encore.
En celle-là, tu as envie de croire.
« Tu as pris Peter Pan avec toi ?
- Je voulais le faire lire à mon frère mais je n'ai pas osé. J'avais peur qu'il en parle à mes parents.
- Garde-le.
- Non.
- Ne sois pas stupide.
- Eh bien, tu me mets dans l'embarras, c'est ma spécialité.»
Ils rirent. Achille grogna. Ils se frottèrent les yeux.
« C'était ton anniversaire.
- Comment tu sais ?
- Tu as dit, la nuit avant les vacances, que tu avais treize ans.
- Mer.... lin
- Avec plaisir. »
Sirius rit. Il y eut un silence. Remus sursauta quand il lui dit : « Tu devrais aller sous la couette », il s'était endormi. Sirius se glissa dans son lit, leurs rideaux ouverts. « À... Tout à l'heure. »
Au cours de botanique, quelques heures plus tard, les garçons se fussent volontiers endormis sous les tables, dans la chaleur du soleil qui perçait les vitraux de la serre, si les cris des mandragores n'avaient pas été si nocifs. Seul James semblait à peu près réveillé, stimulé par bien plus dangereux que les plantes : il cherchait âprement le regard de Mila pour lui adresser des taquineries pleines de miel. Sirius soupira et, la troisième fois se tourna vers Remus pour le prendre à témoin. Cela lui rappelait les premiers temps, quand il le regardait de loin, intrigué et n'osait pas lui parler. Remus travaillait lentement, épuisé ou concentré, on ne savait pas trop. Le cœur de Sirius se gonfla de fierté quand ses yeux se levèrent sur lui. N'importe quoi.
Pour se reprendre, il jeta un rictusempra à James. Ce dernier lâcha évidemment un gloussement contagieux et Sirius, hilare, laissa échapper des mots que personne, pas même lui, ne comprit : « Mais toi alors ! Trop facile de t'avoir, un vrai sang de bourbe !
- Qu'est-ce que c'est que ce langage, Black ? asséna Chourave par-dessus quelques rires jaunes.
- Je... Je ne sais pas, ça m'a échappé, je... »
Sirius ne se reconnaissait pas. La honte le balaya, il avait envie de partir en courant.
« Ça va pas de dire des choses pareilles ! gronda James.
- Mais non, mais non...
- C'est pas censé être une insulte. Il n'y a rien à dire à ceux qui sont nés de moldus.
- Je suis désolé, je ne sais pas ce qui m'a pris ! C'était ridicule, je m'en veux. Ça n'arrivera plus.
- D'habitude tu es plus inventif pour les insultes. »
Un petit rire mal assuré parcourut la classe, sa façon de clôturer l'incident. Chourave remercia James pour ses sages paroles et retint Sirius après le cours pour faire le ménage. Il semblait à Remus que Sirius venait de tester son entourage pour la dernière fois.
Bien entendu, ils restèrent tous les quatre sous les serres à la fin de l'heure, même si James et Peter somnolèrent au soleil pendant que Sirius s'accrochait à son balai pour ne pas s'endormir. Remus déblaya les plans de travail de restes de terreau et il triait les outils quand Athenray entra.
« Tiens, les quatre enfants terribles, retenus, comme par hasard... »
Sirius lui tira la langue.
« J'ai entendu dire que vous étiez en charge des mandragores, cette année ? J'en ai justement besoin, vous pouvez me montrer où elles sont ?
- Bonjour Lula ! s'écria madame Chourave. Alors, tu viens chercher une nouvelle feuille ? Je suis désolée que ça n'ait pas fonctionné, mais rassure-toi, c'est très rare de réussir du premier coup... »
Remus remarqua que leur professeure de sortilèges avait attaché une feuille de mandragore défraîchie à sa châtelaine. Sirius l'avait vue également mais il n'était pas doté du même sens de la retenue que son ami :
« Pourquoi vous en avez besoin ?
- Pour un sortilège d'ordre assez privé.
- Reviens dans deux semaines, pour la pleine lune, proposa Chourave tandis qu'elles déambulaient entre les rangées. Elles seront encore plus belles.
- Celle-là est déjà magnifique. Lily Evans, lut-elle sur l'étiquette, bien entendu... »
Le soir (enfin) venu, Sirius laissa son rideau ouvert, avec un petit sourire, un rien de défi à Remus qui fit de même. Il en fut ainsi tous les soirs à partir de ce jour-là.
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