Hiver 1972 : une expédition


Un jour...


En ces temps rudes d'hiver, sur les sommets de l'Écosse, sous sa couverture de neige, le château invitait au repos. Les professeurs, non. Sirius n'aimait pas l'hiver qui l'empêchait d'aller jouer dans le parc et aimait encore moins les enseignants qui l'avaient chargé de devoirs. Dans la salle commune, les préfets et quelques membres des classes supérieures aidaient les plus jeunes à travailler. Sirius soupira à fendre l'âme, perché sur le rebord de la fenêtre :

« Il y a Paul et Ali dehors !

- Tu iras les rejoindre plus tard, termine ton essai ! le rappela Cora.

- Non mais c'est bon, j'ai tout en tête, j'écrirai plus tard.

- Raison de plus. Tu ne sortiras pas tant que tu n'auras rien écrit.

- T'es pas ma mère !

- Non, mais je ne veux pas que tu sois puni ! Allez, tu t'y mets, dans une heure, ce sera fini ! »

Il soupira et ramena ses jambes vers la salle. Un feu magnifique craquait dans la cheminée. Remus et James plaisantaient en terminant leur rédaction. Il y avait des bonbons dans un saladier, une ardoise qui rappelait que l'anniversaire d'Azzedine aurait lieu trois jours plus tard, et celui de Claire la semaine suivante, des tentures d'un rouge profond, ses tuteurs de Quidditch, les camarades qui partageaient ses repas, son dortoir, des chamailleries et des courses de balai. Quand il eut terminé de faire le tour de la pièce du regard, Cora lui adressa un clin d'œil.

Il retrouva sa place à côté de Remus et parcourut ses notes avec curiosité. Elles étaient toujours agencées de façon étonnante, comme une spirale en mouvement, pourtant son ami s'y retrouvait avec aisance.

« Qu'est-ce qui a tout foutu en l'air ?

- Que veux-tu dire ?

- Je t'ai entendu parler de Merlin à James. Les moldus l'aiment bien. Circé n'a pas été brûlée. Dans tes histoires, les magiciens sont respectés et tout le monde vit en harmonie. Pourquoi les moldus se sont détournés de nous ?

- Je ne sais pas... Il y a plusieurs raisons qui me viennent en tête. Il y a peut-être le fait que la magie fait agir des forces obscures qui sont inaccessibles aux moldus, ils se sentent exclus. Et menacés aussi, par leur puissance. Les moldus, comme tous les humains, ont peur de l'étrange.

- Plus que nous, affirma Sirius. Les sorciers sont beaucoup plus tolérants.

- Pas vraiment.

- Bien sûr que si.

- Ils font une hiérarchie des créatures.

- Les créatures c'est pas pareil, ce ne sont pas des Êtres.

- Ils font une hiérarchie des Êtres aussi.

- Et alors ? Il faut bien reconnaître que nos pouvoirs sont plus développés que ceux des harpies. C'est un fait, c'est tout. On ne les empêche pas de participer à la vie politique, c'est juste que ça ne les intéresse pas. »

Remus n'aimait pas le tour que prenait la conversation et l'agacement de Sirius l'alarmait autant que ses convictions.

« C'est le pouvoir qui sert de mesure alors ? C'est à ton pouvoir que se mesure ta valeur ?

- C'est comme ça, souffla Sirius agacé. C'est le monde dans lequel on vit qui est fait comme ça ! Et je n'ai pas parlé de valeur !

- Que se mesurent tes droits, alors ?

- Tu ne donnerais pas des responsabilités à n'importe qui !

- On peut se montrer digne de responsabilités avec autre chose que la magie.

- Eh bien, je ne sais pas dans quel monde tu vis, mais ici c'est pas comme ça que ça marche. Enfin... Façon de parler, marmonna Sirius.

- Mais tu n'as pas envie que ce soit autrement ?

- C'est mieux chez les moldus, c'est ça ?

- Non, pas vraiment, admit Remus. On dirait que le pouvoir, c'est pas un truc qui fonctionne bien avec l'harmonie. »

Il détourna le visage des iris gris orage de Sirius.

« J'aime ces contes. Tu as raison, c'était plus harmonieux quand les sorciers proposaient leurs pouvoirs aux moldus. On prétend les protéger en les tenant dans l'ignorance, mais c'est aussi pour ne pas être exploités, nous. Nos sagesses et connaissances auraient dû continuer de coexister et de se nourrir les unes les autres. J'ai l'impression que le Secret a fait plus de mal que de bien en scellant la division.

- C'est ce que tu penses ?

- Je ne sais pas. J'essaie de te répondre. Ce n'est plus harmonieux. Sans doute parce qu'à la base, c'est déséquilibré. Il y a les élus qui ont le pouvoir, soupira-t-il résigné, et les autres.

- Qui ont la mythologie. »

Remus leva les yeux vers lui, soufflé. Sirius arborait une petite moue apparemment défiante. Apparemment, seulement.

« Tu as apporté des livres moldus.

- Oui. »

C'est comme si Sirius attendait quelque chose.

« Tu les as lus ?»

Sa moue disparut pourtant. Il regrettait d'avoir abordé le sujet. La magie, c'était naturel et rassurant. La mythologie ? Étrange.

Déstabilisant.

« Tu, hum. Tu as fait ta rédaction ?

- J'aurai quoi en échange ?

- Euh... Une bonne note ?

- Pfff.

- Qu'est-ce que tu veux ? s'étonna Remus.

- Je fais un effort, tu en fais un.

- Qu'est-ce que tu veux ???

- Que tu sortes avec nous cette nuit !

- Oh Sirius, pité !

- Mais alleeeeeeeez !

- Pourquoi vous avez besoin que je vienne ?!

- Parce que tu es malin. Si ça tourne mal, tu sauras nous sortir des embrouilles !

- Je ne suis pas plus malin que...

- Remus. C'est mieux quand tu es avec nous.

- Je.

- Chut. »



Les garçons quittèrent leur dortoir quand Peter commença à marmonner des phrases sans queue ni tête, après s'être endormi. Sirius attrapa le bras de Remus pour l'empêcher de marcher sur une des planches du parquet.

« Celle-là grince ! murmura-t-il.

- Non mais vraiment... ?

- Oui, j'ai tout testé, qu'est-ce que tu crois ! Je prépare bien mes expéditions ! »

Remus leva les yeux au ciel.

« Tu souris Remus...

- Absolument pas !

- Si tu souris !

- Mais tais-toi, tu vas nous faire repérer ! »

James ouvrait la voie. Les garçons descendirent les escaliers de pierre de la tour des Gryffondor, s'amusant à croire entendre un bruit pour se cacher dans les alcôves des fenêtres. « Optimal ! » James exécuta une prière à Merlin en passant devant la salle des trophées. Sirius pila devant la salle de bains des préfets : « Il faut qu'on trouve le mot de passe, il paraît qu'on peut plonger et nager dans la baignoire tellement elle est gigantesque !

- Pourquoi tu ne deviendrais pas préfet, plutôt ?

- Toi, tu seras préfet, et tu me donneras le mot de passe !

- Si on est pris cette nuit, je pense que mes chances seront aussi grillées que les tiennes ! »

Il eût été miraculeux qu'ils parcourussent le château sans se faire repérer par un préfet, un fantôme, un tableau rapporteur, un professeur. Mais Remus se laissa prendre au jeu, glissant dans les couloirs comme une ombre entre ses deux camarades. Le défi le titillait. Cela ressemblait à une mission secrète, comme celles que son père racontait. C'était ainsi qu'il avait rencontré sa mère. Et moi, c'est ainsi que j'ai rencontré mes amis, réalisa-t-il, le cœur battant, plus encore que lors de leur première randonnée à balai ou que la soirée de la Samhain. Il se sentait stimulé, poussé dans les extrémités de ses pouvoirs, incroyablement encouragé. Il se sentait protégé par leur présence et s'ils étaient pris, ils le seraient ensemble et ce serait une nouvelle aventure.

Ses oreilles frémirent.

« C'était quoi ça ? demanda-t-il en tirant James par le bras derrière un pilier.

- Quoi ?

- Chut... »

Plus rien.

« Je vais voir. »

Il s'accroupit et glissa un regard dans la pièce.

« Oh ! c'est juste un chat !

- Miss Teigne ?

- Non, c'est un joli chat.

- J'aime pas les chats, gémit Sirius.

- Celui là m'aime bien », murmura Remus en voyant le félin approcher.

Il leva la main pour le caresser mais le chat posa sur ses doigts une patte autoritaire.

« C'est un peu présomptueux Monsieur Lupin. »

Remus se sentit défaillir en reconnaissant la voix de madame McGonagall. Le chat se métamorphosa, arrachant à James et Sirius, pas démontés, des exclamations d'admiration sincère :

« Vous êtes une Animagus ! Mais vous êtes décidément trop forte !

- C'était magnifique ! Vous pouvez le refaire ? »

Soixante points de moins à Gryffondor et deux jours plus tard, les trois amis se retrouvèrent dans les cuisines à récurer les tonneaux à marinades, sur le temps d'entraînement sportif, bien entendu.

« Je vais vomir... prévint James. Plus jamais je ne pourrai avaler de poisson...

- Plains-toi, rétorqua Remus, les yeux gonflés de larmes, ce raifort est en train de ronger mon cerveau.

- Oh, mon petit James... sourit Sirius qui avait écopé d'un tonneau où persistaient quelques vapeurs de vin rouge. Ça va alleeer, faut se détendre, hein...

- Non mais, comment tu oses... !!! »

James balança son éponge à la tête de Sirius. La mousse malodorante coula sur ses précieuses mèches brunes.

« James ! » menaça-t-il en s'approchant de son ami, déjà hilare. James lança la bouteille de savon à Remus qui la renversa sur le sol. Sirius glissa, battit des bras, au milieu des bulles colorées. « Remus ! Toi ? » Remus lui sauta dessus et James les rejoignit en glissant dans leur mêlée indistincte de bras agrippés aux épaules, de pieds enroulés autour de chevilles et de rires. C'était la première fois que James et Sirius entendaient Remus rire aux éclats.

« Qui eût cru qu'il ne lui fallait rien d'autre qu'une bonne petite retenue ?! »

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