Hiver 1972 : un foyer


Un jour...


« James, tu me demandes à moi de trouver un moyen de remonter le moral à Sirius ? »

Ils avançaient dans le couloir menant à la Grande Salle où ils espéraient retrouver Sirius qui avait disparu de la chambre, à leur réveil.

« Ben... Pourquoi pas ?

- C'est avec toi qu'il s'amuse le plus !

- C'est toi le plus intelligent !

- Pas du tout... et certainement pas pour inventer des bêtises !

- Remuuuus !

- Jaaaaames !

- Peteeeeeer !

- Mais ! Je n'ai rien à voir là-dedans, moi ! s'indigna ce dernier.

- Si ça ne tenait qu'à moi, je te dirais de lui laisser le temps de décompresser, pour qu'il nous parle...

- ...Mais on n'a pas le temps ! et il n'aime pas parler, conclut James. Bon, eh bien place au roi des méfaits ! »

La mine revêche, Sirius était attablé devant un bol de café où trempaient des morceaux de pain pleins de confiture et de beurre, des flocons d'avoine qu'il touillait machinalement. Si son crâne blanc attirait les regards, il dégageait une aura sinistre qui dissuadait quiconque de lui adresser la parole.

« La cuisine des elfes peut sembler fade mais tu exagères, rit Peter en lui pressant l'épaule avant de s'installer en face de lui avec James.

« Bien dormi ?

- Hum.

- Oui, je comprends. Moi aussi ça me déprime d'être rentré pour commencer par un cours d'histoire. »

Remus sourit à Lily qui s'installait à leur table avec Marlene.

« Tout me semblait étrange ces deux dernières semaines, s'exclama celle-ci. C'est fou comme c'est allé vite, je veux dire, comme je me suis habituée à vivre ici, à la magie...

- C'est sans doute parce que tu as toujours eu ça en toi, supposa Lily. Tu appartiens peut-être plus à ce monde-ci qu'à celui que tu as connu.

- Possible... C'est un peu... bizarre. Je n'ai pas envie de trahir mes origines non plus. Oh, Remus, tu peux me passer le miel ? Ça fait longtemps que je n'en ai pas mangé !

- T'en n'as pas chez toi ? cracha Sirius. C'est pas réservé aux sorciers pourtant !

- Et la connerie c'est réservé aux Black, ou bien ? » rétorqua Marlene en lui adressant un geste sur l'indécence duquel les morales sorcières et moldues s'accordent.

Deux des amis de Sirius prirent garde à ne pas rire de sa repartie, le troisième éprouva quelques difficultés à avaler sa bouchée de porridge. C'est normal, se persuada-t-il. Tout comme c'est normal qu'ils fassent des blagues douteuses sur les loups. A leur place, je ferais sûrement la même chose.

James lançait des boulettes de pain à la tête renfrognée de Sirius.

« Siriuuuuuus.

Siriiiiiiiius !

Ssssssssir...

- Arrête. »

Un projectile lui atterrit dans la bouche pendant qu'il prononçait ce mot. James éclata de rire.

Le plus grand défaut de James, c'était qu'il était irrésistible.


 Ils n'étaient plus que cinq ou six élèves à sortir encore une plume et un parchemin lorsque Binns traversait le tableau, mais s'équiper une tranche de pain, c'était inédit. James détacha une boulette de son toast et chuchota à Sirius : « dix points pour le corps, vingt pour la tête » avant de la projeter vers Binns. Elle atterrit sur le bureau. Le professeur ne manifesta aucune gêne, poursuivant son étude du chamanisme hyperboréen pré-socratique. Sirius eut un petit soupir méprisant mais il découpa une autre boulette de pain.

« Non ! » asséna sèchement Lily.

Sirius lança, en la toisant droit dans les yeux. Son projectile effleura la main de Binns. Toujours aucune réaction. James commençait à rire. Sa deuxième boulette traversa le chapeau pointu.

« Mais vous allez arrêter, oui ! »

Sirius visa Lily, atteignit malheureusement Snape, qui, le (long) nez sur sa feuille et les (longs) cheveux dessinant un rideau autour de son champ de vision, ne comprit pas d'où cela venait. James frappa dans le dos de Sirius : « Tu ne seras jamais poursuiveur, tu lances trop mal. Mais chapeau quand même ! » Snape, qui venait d'apprendre par Lily ce qui lui était arrivé, roula son parchemin en boule et le projeta vers Sirius qui le dégagea d'un geste violent du bras. James crut l'entendre pester « Foutu Serpentard ! » mais la boule atteignit Binns qui leva enfin les yeux de ses fiches. Il demeura impassible pendant si longtemps que Remus songea que ce devait être la première fois qu'il était interrompu. La classe attendit dans un silence nerveux. Puis, Binns sembla se souvenir et déclara :

« Moins vingt points pour Gryffondor. Monsieur Dark, sortez de ma classe ».

Sirius sembla peser le pour et le contre d'une provocation sur son nom mais se résigna et sortit, trop heureux d'être libéré, un sourire au coin des lèvres.

James voulut se lever mais Binns l'arrêta : « Pas vous Butters.

- Mais moi aussi je...

- Vous restez. »


Remus courut presque jusqu'à la serre n°3 où avait lieu le cours suivant. A son grand soulagement, Sirius était là, assis par terre, les mains parcourant son crâne, encore étonnées de ne pas couler dans une chevelure floue. Remus se glissa à côté de lui. Hanté par ses propres démons qui ne l'avaient pas laissé dormir, il était trop fatigué pour trouver quelque chose d'intelligent à dire mais pas assez pour cesser de se trouver stupide. Le mutisme nébuleux de Sirius pesait comme l'ombre d'un détraqueur. Comment le percer ? Remus, qui n'avait que cela, lui tendit une barre de chocolat. Sirius fit la grimace mais accepta un carré. Il le laissa fondre dans sa bouche, résistant à l'envie de le mordre. Il avait envie de mordre dans la trop profonde gentillesse de Remus, une gentillesse qui n'avait rien d'artificiel, si éclatante qu'elle le portait sans l'étouffer. Trop de paradoxes. Trop d'interdits. Trop terrible Remus, beaucoup trop inconscient.

Il rit, rien que d'y penser.

« Qu'est-ce qu'il y a ?

- Rien. »

Et il alla chercher un autre carré dans sa main.

Pendant le cours de botanique, ils furent chargés de tailler des lianes octopodes qui agitaient paresseusement leurs tentacules aux extrémités sensibles. Remus ne s'était pas préparé à leur résistance et son sécateur lui échappa quand la douleur d'une blessure irradia sa chair.

« Tu as quoi au bras ? demanda son voisin, Edgar Wilk.

- Rien, je me... suis brûlé.

- Ah ouais ? Mais avec quoi ?

- De l'eau bouillante... ?

- Mais c'est vachement... »

Sirius tapa du poing sur la table.

« Je me suis brûlé, c'est tout...

- Mais enfin...

- Mais avale ta curiosité, mec ! aboya Sirius. Tu vois pas qu'il ne veut pas parler !?»

Remus se frotta les yeux. Il n'était que midi et il avait l'impression d'avoir enfilé toute une semaine sans dormir ni manger.

Et il n'était pas au bout de ses surprises.

Lorsqu'ils sortirent, Achille et James faisaient des passes avec le sac de ce dernier. James enroula la lanière autour de son poignet pour lui donner de l'élan. Ce fut une réussite telle que la besace atterrit sur le toit de la serre.

« Merde... soupira James.

- MERDE ! cria Peter, s'agrippant au bras contusionné de Remus, en voyant Sirius s'élancer et grimper le mur de lierre pour le récupérer.

- Ton idée, pour distraire Sirius, c'est de le faire renvoyer ou se tuer ?! s'emporta Remus.

- MAIS C'EST PAS MA FAUTE ! »

Remus brandit sa baguette et, faute de mieux, lança contre Sirius son propre sortilège de chatouillis.

Sirius n'était manifestement pas chatouilleux.

Il continua son ascension. Madame Chourave arrivait. Peter se précipita vers elle pour lui demander de rouvrir la serre, il avait oublié son écharpe à l'intérieur.

« Celle que vous portez?

- Oui, non, c'est celle de Sirius. James. J'ai oublié mes moufles en fait. »

Sirius, arrivé sur le toit, jeta son sac à James qui le reçut en pleine tête, trop pétrifié pour le rattraper. « Wow, quel poursuiveur ! » railla-t-il.

Bordel, descends Sirius ! hurlait Remus intérieurement. NON ! Pas comme ça !

Sirius regardait le sol, les pieds au bord du vide. Il se pencha, comme s'il jaugeait la possibilité de sauter. Il s'arrêta vraiment, et plus personne ne riait et plus personne ne craignait que Mme Chourave arrivât.

« Sirius.» appela simplement James.

Sirius tourna les yeux vers lui. Il haussa les épaules. Quand il entama enfin la descente, le lierre du mur sinua pour lui dessiner des prises.


« Oh ! Sirius ! Mon cousin traître au sang, mon petit chatouilleur... » Oh, misère, Crabbe. Crabbe au déjeuner. Crabbe, mon cousin consanguin, ma plaie purulente, Crabbe, qui a passé les fêtes à me ronger les nerfs sans que je ne puisse lui en asséner une bonne.

« Je vois que notre petit rebelle ne s'est pas arrangé malgré nos avertissements, à Yule. Toujours à faire le chien, à traîner avec des sangs-mêlés, chien à Lup...

- Dermatit pruriens !

- Qu'est-ce... Ah... Aaah ! »

Crabbe se gratta frénétiquement les bras puis la poitrine, se contorsionna pour atteindre son dos en gémissant de douleur et, avant que quiconque ait eu le temps de sortir de sa stupeur, il commença à se déshabiller, devant tout le monde. Des plaques rouges recouvraient son corps, ondulant sous l'effet du sortilège.

« C'est affreux, ça gratte, aaah !!!

- FINITE INCANTATEM ! rugit McGonagall. Qu'est-ce que cela ? Messieurs Goyle et Ferney, emmenez votre camarade à l'infirmerie. Monsieur Black, suivez-moi. »On peut le perdre, se dit l'enchanteresse qui n'était pourtant pas connue pour son défaitisme.

Sirius Black avait tout d'une bombe à retardement. On le serait à moins, accablé par la pression familiale. La rivalité qui empoisonnait les relations entre Gryffondor et Serpentard touchait son point culminant dans cette petite personne.

« Monsieur Black, depuis le début de l'année, vous n'avez fourni aucun travail en classe. J'ai pu constater vos compétences en sortilèges mais vous ne pouvez pas vous reposer éternellement sur la réputation des Black et estimer que votre lignée vous dispense ou empêche de travailler. »

Sirius sentit la colère monter mais à ces derniers mots, elle se suspendit.

« Je sais tout cela.

- Vous ne pouvez pas rejeter en bloc le monde de la magie par peur d'y retrouver vos parents.

- Je n'ai pas peur de mes parents ! »

La professeure secoua la tête intérieurement. Bien sûr que le jeune cœur de lion n'allait pas le reconnaître. Peu importe. Mais qu'il entende cela. Qu'il s'autorise cela.

« Parce que ce que vous accomplirez ici, à Poudlard, et la façon dont vous vous accomplirez ne concerne en rien vos parents. Vous vivez désormais dans votre maison, entre nos murs, entouré de vos amis et encadré par vos professeurs, sous l'autorité du plus grand magicien du monde, à laquelle personne ne s'oppose. Alors vous êtes ici le centre de votre histoire et non plus un élément d'une famille qui vous dépasse. »

Et vous oppresse, ajouta-t-elle intérieurement.


James était parti à son entraînement de Quidditch. Remus et lui ne s'étaient pas vraiment parlé de l'après-midi. Le soir tombait à présent et le dîner allait bientôt être servi. Les garçons jouaient aux cartes dans la salle commune. Remus s'étendit sur son lit. A la fenêtre, la lune à peine diminuée semblait le narguer. Il tira les rideaux de son baldaquin et ferma les yeux, l'esprit bourdonnant. Ne dors pas ! Il fallait trouver la force d'aller chercher Sirius, où qu'il fût. Un chaos d'étoiles dansait sur ses paupières, diffusant une torpeur bienvenue dans ses membres crispés.

Un son ténu de froissement le ramena à la conscience.

« Remus ? »

Sirius ouvrit le rideau du lit. Dans la demi-pénombre, il chercha son visage un peu trop pâle, strié de cicatrices argentées, comme une pierre de lune. Il ne rencontra que son regard un peu trop brillant, enfiévré, ses iris d'un or dont rien ne parvenait à entamer la pureté.

« Tu es malade ?

- Je suis fatigué. »

Sirius se laissa tomber sur son lit, en face. Remus se redressa gauchement pour éviter d'appuyer sur le bras douloureux. Ils balancèrent des pieds dans le vide. Puis Sirius passa une main sur sa tête, comme s'il repoussait ses cheveux. Quand il releva les yeux, Remus secouait la tête avec une mimique exagérément désapprobatrice. Sirius éclata de rire, enfin.

« Oui, d'accord. Il faut que James m'arrange ça.

- Viens, on va le chercher. »

Sirius chipa une chocogrenouille qui traînait sur une table, en passant dans la salle commune.

« Je t'en donnerai une autre ! » lança-t-il à Cora qui grommelait.

Ils laissèrent fondre chacun une moitié sur leur langue, en descendant les escaliers.

« Je ne connais pas de magie plus puissante que celle du chocolat. » déclara Sirius.


Pendant le repas, Peeves fit éclater un feu d'artifice dans la soupe. C'était sa façon de souhaiter la bonne année.

Cela faisait beaucoup pour une journée de rentrée.

Mais ils étaient enfin rentrés.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top