Été 1976 : in the flesh
Un jour...
Leur silence vibrant faisait éclore de grandes aquarelles carmin sous la peau, à mesure que les amoureux décomptaient les jours jusqu'à la pleine lune de juillet, un à un, comme les pépites d'argent et d'or qui passaient de l'un à l'autre sur les chaînes de leurs yeux, sur leurs mains qui s'effleuraient en secret, bruissement dans la chair possédée
« Bon, allez, faites-vous un câlin ! » soupira James rassuré.
Remus enlaça Sirius dans une caricature d'étreinte, le tapota dans le dos, et Sirius joua le jeu d'être secoué, de grogner un peu en même temps qu'il crevait d'envie de planter les ongles dans ce corps de soufre, encore une seconde, donne-m'en une autre ; ma brûlure, mon antidote, ma douleur exquise.
James aussi étreignit Remus : « Je t'adore, mec... A très vite. » Cela n'allait pas être un joyeux été, mais il avait accepté trop évasivement leurs propositions de se rencontrer en dehors des pleines lunes. Il allait vouloir passer du temps en famille, cela se comprenait. Merde, ne nous oublie pas Moony, j'veux dire, n'oublie pas qu'on sera là pour toi. Remus murmura oui, oui. Il ne put s'empêcher de jeter un dernier regard à Sirius qui le cherchait, avant de disparaître.
Je t'attendrai, je t'attends
Sirius se tourna vers les Potter. Fleamont sentait la fraise, ce fut la première chose sur laquelle son esprit agité s'arrêta. Agité mais pas douloureusement comme au moment de rentrer chez ses parents, agité par une appréhension surexcitée, le devoir d'être agréable cet été-là, et de devenir meilleur chaque jour. Je veille ! clama McGonagall dans sa tête. Il lui tira la langue.
« Es-tu prêt pour le plus fabuleux des étés, mon cher ? s'écria James, extatique.
- J'attends ce moment depuis que je t'ai rencontré dans le Poudlard Express pour la première fois, répondit solennellement Sirius.
- Oh, Patoune... balbutia son ami, les yeux excessivement humides, la main sur le cœur.
- J'ai fait de la tarte aux fraises » précisa Fleamont.
Euphemia tendit les mains pour serrer les poignets des deux amis et sourit avant de transplaner.
L'odeur du salon des Potter fusa de la tête au corps de Sirius comme une injection, une goulée de potion, un fumet hilarant. Les souvenirs de l'intense soulagement de Noël excitaient ses synapses. Et cette fois-là, c'était encore mieux : il n'était pas battu de panique, il pouvait s'y immerger entièrement. Il avait l'impression de marcher sur des nuages, même quand il pleuvait.
Il plut beaucoup les premiers jours, des pluies fines comme des confettis de fête, des pluies d'orage qui leur faisaient tirer la langue et courir dans les bois sous leurs formes animales, des pluies qui les mettaient au défi de dépasser les nuages à balai, déraper dans la boue en jouant au Quidditch et qui ne les laissaient pas sécher quand ils s'entraînaient à nager dans la rivière. Jouer, jouer encore pour toutes les saisons qui m'ont privé de ton rire, de notre enfance.
Et c'était encore plus simple qu'il ne l'avait cru, et il n'y avait même pas à se surveiller ou se demander comment devenir meilleur ; il n'y avait qu'à marcher dans les pas de James qui connaissait les danses de la joie comme s'il les avait écrites. Chez les Potter on riait et, quand on ne riait pas, on restait côte à côte, on observait les mêmes choses en même temps, on prenait son temps et ce n'était jamais ennuyeux. Après avoir passé quelques nuits à dormir avec son ami, ivre mort de joie, Sirius s'habitua à la chambre que lui avaient préparée les Potter. Il dessinait, le temps de se calmer des émotions de la journée, il dessinait le corps nu de Remus et il dissimulait l'encre après ; puis il dessinait pour Remus et n'envoyait pas la moitié de ses lettres parce que Remus écrivait peu et qu'il ne voulait pas
le presser, lui voler le temps précieux qu'il passait avec sa famille
parler du ciel étoilé de Poudlard ni du méfait dont il avait encore honte
Le onze juillet, ils se retrouvèrent autour d'une glace à Pré-au-Lard, en attendant le coucher paresseux du soleil. Le visage de Remus s'illuminait de nuances d'or rose et il avait envie de lécher, du bout de la langue, les commissures de ses lèvres.
« Eh, tu as entendu la nouvelle ? radio Coraline a lancé un mouvement d'aide aux réfugiés de Varcol. Plusieurs ont déjà pu être relogés.
- Ce n'est pas parfait, hein : certaines familles sont séparées, d'autres sont entassées dans de vieux logements, sans compter qu'ils ont tant perdu... Dumbledore a joint sa voix aux sollicitations, mobilisé des connaissances à lui, il a aidé à sécuriser les caves. C'est mieux que de se rendre à la Brigade pour la pleine lune.
- On retournera voir Emmeline sur le bateau, tu viendras avec nous ? »
Remus hocha la tête mais répondit :
« Je vais... Je vais me libérer.
- Libérer ? C'est si dur que ça chez toi ?
- Non. J'ai juste pris des jobs d'été.
- Mais !
- Quoi ?
- Je livre des journaux le matin, et l'après-midi, je récolte des tomates. Ça va, parce que ma mère est fatiguée, elle dort beaucoup en journée. Mon père peut s'occuper de la maison.
- Son travail ? hésita Peter.
- Il a de moins en moins de missions.
- Cachu, Remus...
- Oh, ça va. Je n'ai pas envie de me plaindre, pas envie d'en parler. (il soupira la tête rejetée en arrière) On devrait y aller. Il faut qu'on prenne le tunnel du Château : impossible d'entrer dans la Cabane autrement.
- Je trouve que tu abandonnes vite, sans même avoir essayé, plaisanta Sirius.
- N'essaie pas », avertit James, sans rire.
Sirius leva les yeux au ciel et tendit la main au-dessus de son balai.
« Tu montes derrière moi, Moony ? Je reviendrai chercher ton balai plus tard. »
Remus consulta James du regard et hocha la tête. Ils avaient encore des choses à se dire. Peter et lui filèrent devant, alors il enroula les bras autour de Sirius, qui volait doucement, et posa la tête entre ses omoplates. Après leur dernière fois, après tout ce manque, cette étreinte le jetait dans une ivresse brutale et méconnaissable. Sirius secoua la tête en arrière. Ses cheveux enveloppèrent son front.
« Je suis content de te revoir. »
Remus ne répondit pas. Sirius respira plus fort sous sa joue.
« Est-ce que tu m'en veux toujours ?
- Je ne sais pas. J'aimerais. Je n'ai pas oublié, pourtant c'est comme si je ne réalisais pas vraiment, comme un cauchemar ; je redoutais tellement que ça arrive, que quelqu'un me trouve, me voit. Et c'est toi qui as fait ça ? Je ne sais même pas si ça te ressemble. »
Je l'ai bien cherché. Seigneur comme ça me saigne qu'il en souffre encore tant.
« Quand on s'est vus, dans le ciel, la dernière fois... Je n'avais pas pensé que ça se passerait comme ça. Je n'ai pas voulu ça... »
Le balai vacilla.
« Tu regrettes ? » glapit Sirius.
Remus hésita, hésita encore. Sirius s'écria :
« Moi non.
- Moi non plus, souffla enfin Remus.
Moi non plus, moi non plus, moi non plus... »
Mais peut-être que c'était un peu trop intense car je suis encore plus obsédé, encore plus possédé. Je n'arrête pas d'y penser et je crève de me réveiller seul, ton corps offert qui m'engloutit et ça ne finira jamais.
« Je suis dépassé, dit-il plus haut comme un sanglot, la bouche étouffée dans ses omoplates. Je te déteste, et ça me donne envie de t'aimer encore plus, plus fort. »
Sirius entrelaça ses doigts aux siens sur sa cuisse en continuant de conduire, quand tout en lui voulait hurler et fuir.
Et comme ils ne peuvent pas s'isoler de James et Peter, pendant ces deux jours,
la séparation du lendemain a un goût de déchirure, elle aussi.
« Comment ? Espérance est malade et vous ne m'en parlez que maintenant ? Ah, c'est bien des garçons, ça, au nom de Circé, mais qu'est-ce que vous avez dans la tête ? »
Sirius scruta les yeux hagards de James. Pas plus avancé, James consulta son père qui se grattait le front.
« Mais, madame Potter, hésita Sirius, avant de se lever les bras pour se protéger d'un pauvre doigt menaçant, d'accord, Euphemia ! Remus nous a dit que c'était incurable !
- C'est pas pour ça qu'on va se laisser faire ! Vous deux, allez sur le Chemin de Traverse acheter de quoi faire une potion revigorante ! Et prenez aussi du saule blanc, pour les douleurs, ne traînez pas ! Fleamont, demande à ton neveu de leur prêter son elfe de maison. Et fais des tartes ! Plein de tartes ! Qu'elle mange des fruits frais ! Qu'elle ne se préoccupe que de lire dans le jardin ! »
Sirius rigolait. James se frappa le front en atterrissant dans la cheminée du Chaudron Baveur :
« Mais la HONTE !
- Mais non ! Elle est trop mignonne, ta mère ! »
La rue magique résonnait, presque déserte, sereine sous le grand soleil revenu. Les enseignes se mouvaient paresseusement, les plantes dansaient le long des murs. Sirius se retint de poser des questions sur les maladies moldues à l'apothicaire, on ne sait jamais. Ils achetèrent quelques babioles dans une boutique de jouets et retournèrent vers le pub pour regagner au plus vite la maison, pressés d'offrir leurs présents aux Lupin et de paresser après la pleine lune. « On fera nos courses de rentrée ensemble, cette année ! » se réjouit James. Un sorcier quittait sa table à la terrasse quand ils approchèrent, et les yeux de Sirius se posèrent malgré lui sur le journal qu'il laissait derrière lui. Et merde ! il suffit d'un rien, c'est agaçant, pour que le soleil verdisse.
« Varcol : une enquête vaine ? »
Maintenant, il y pensait, courroucé sans savoir par quoi. Regulus, William, les Mangemorts. Leur faiblesse, son abandon, sa traîtrise ? Quelque chose comme ça. Courroucé par ce Ministère du Brassage de l'Air. Courroucé par l'irréparable, c'est toujours la même chose : c'est le propre de l'anxiété. Il serra le poing. Sur la veine de son poignet, on distinguait encore un petit point d'encre noire, celui qu'il s'était imprimé sans le vouloir en se plantant la plume dans la peau, deux ans auparavant. Il releva la tête et tapota le comptoir.
« Tom, tu échanges de l'argent moldu ?
- Combien tu veux ? »
Sirius déposa quelques gallions devant le barman et empocha ses billets. Il se retourna en ouvrant des bras théâtraux vers James qui jubilait.
La patine du soleil dégoulinait sur les affiches et les fenêtres moldues. Sirius grognait d'envie devant les motos qui pétaradaient, James sourit aux filles pendant deux secondes et retrouva son ami, trois pas plus loin, qui alpaguait un motard :
« Tu l'as fait où ton tatouage ?
- Chez Troy.
- Où ? »
Le bonhomme soupira, méfiant.
« Camden. Mais il ne te fera rien, tu es beaucoup trop jeu... »
Sirius se mettait déjà en route. Il connaissait le chemin grâce à la carte qu'on leur avait donnée, le jour de leur excursion, qu'il avait accrochée au mur de sa chambre. James lui sauta sur le dos.
« Tu vas pas te faire un tatouage ?! Eeeh Patoune, j'adore les méfaits mais dis donc, tu vas un peu loin, là. »
Sirius lui souriait de toutes ses dents.
« Patoune, déconne pas... C'est super extrême, tu mérites pas ça ! »
James, Jimmy, si tu savais
Il continua de le tanner tandis qu'ils marchaient en direction du nord. Sirius balançait des idées en désordre, provocateur, agité ; fulminant, inspiré.
« Sirius, Merlin, déconne pas, tu vas le regretter ! t'es pas obligé de faire ça, t'es sûr que... »
Grrr. On ne demande pas : t'es sûr ?
Sirius se fit encore indiquer le chemin par quelques personnes, s'enfonça dans le dédale du quartier, dénicha une ruelle et ouvrit une porte sur un cabinet obscur. Un bruit grinçant comme un essaim mécanique s'interrompit.
Troy était grand, maigre, vêtu d'une veste en cuir sans manches ouverte sur son torse nu, couvert de tatouages qui avaient fusé, aux traits inégaux, aux styles hétéroclites. Quelle mauvaise publicité, grimaça James. Auprès des moldus, il passait pour marginal. Aux yeux des sorciers, il était irrémédiablement dégradé. La tête de James lui tourna. Il fondit de soulagement quand Troy déclara, d'un ton qui n'admettait pas de contestation :
« Je ne tatoue pas les mineurs.
- C'est bon, j'ai presque...
- Pas de contestation. Reviens quand tu auras vingt-et-un ans.
- Vingt-et-un ? s'indigna Sirius. Pourquoi pas dix-sept ?
- Parce que vingt-et-un ? » rétorqua le tatoueur sur le ton de l'évidence crasse.
Sirius chuchota farouchement à James :
« Une potion de vieillissement, et hop... »
Dans son dos, Troy tiqua de la langue.
« Viens, là. J'peux te mettre un anneau à l'oreille si t'es tellement à cran. »
Sirius se retourna vers lui, beau comme un petit démon, et négocia :
« Deux. Deux sur la même oreille. »
James leva les yeux au ciel. Troy récupéra les billets de Sirius et le fit asseoir sur un tabouret. Il frémit d'anticipation en regardant les aiguilles brillantes. Il se fichait bien de la douleur : elle ne serait ni assez forte, ni assez agréable pour le secouer, mais elle laisserait cette fois dans sa chair deux pièces artificielles.
C'est à moi-même que j'appartiens désormais.
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