Été 1976 : aveu


Un jour...




« Pourquoi vous êtes restés, ce matin ? »


Je ne sais plus

On s'est laissés surprendre

On avait un méfait à réparer

On voulait te soutenir jusqu'au dernier instant de la lutte

Ça nous est égal de te voir comme ça


Oui, mais pas à moi, quand-est-ce que vous écouterez ?



Chaque minute de la journée fit descendre l'épée de Damoclès sur la tête de Sirius. Il dansait pour ne pas sentir le chatouillis insistant du fil de la lame dans sa nuque, esquivait par des boutades. Ses caracoles déridaient Remus, toujours un peu contrarié qu'ils fussent restés le regarder, mais cela, Sirius pouvait le réparer, se faire excuser, à force de rallumer des étincelles amusées dans ses pupilles sombres.

« James, soupira-t-il, ne lui disons pas pour Snape, ça fera plus de mal que de bien.

- Oh, je sais ça », répliqua James.

Snape dînait, renfrogné, livide à la table des Serpentard. Remus murmura :

« Ça a l'air d'avoir marché, cette fois, la sanction de Dumbledore. »

Et, là, précisément, Sirius sut qu'il était excusé. Parce que Remus avait l'air si... Apaisé, rassuré. Il tourna le regard suppliant vers James qui le prit par le bras et quitta la table : « Venez, on va dans la salle commune.

- Ça va, on peut sortir... » commença Remus qui se méprenait.

En ces jours de juin, la plupart des sorciers préféraient passer le début de soirée dans les fleurs du Parc. Remus ne se trouvait pas assez fatigué pour y renoncer.

« Non, dit James. On a besoin de s'isoler pour parler.

- Ah ? »

James caressa les épaules de Remus en montant. Interstice de temps où ceux qui savent et celui qui ne sait pas sentent leurs nerfs se tendre, bardés des mêmes espoirs. Ça ne peut pas être si grave. Ça ne peut pas si mal tourner.

« Qu'est-ce qui se passe ? demanda Remus, assis de force dans un fauteuil.

- Remus », bredouilla Sirius.

Marche arrière, mens, caracole, ris au nez de James.

« Moony. J'ai fait une connerie, la nuit dernière. »

Ne pas dire : ne sois pas fâché

Ne pas dire : je sais que je suis con


Ne pas dire : mais c'était une bonne blague, quand même, hein ?


Remus fronça les sourcils. Bon, les conneries de Sirius, ils les connaissait. Ce n'était pas une nouvelle aussi grave que les attentats à Varcol.

« De quoi tu parles ? Du genre : rester pendant ma métamorphose alors que je t'avais demandé de ne pas le faire ?»

Sirius s'excuserait-il ? Une grande première !

James frotta son font. Personne ne souriait.

Merde, plus grave alors ?

Remus darda ses yeux dans ceux de Sirius, comme une main tendue, insoutenable

toi ? moi ? mais comme dans :

Toi et moi

hein ?


« J'étais... énervé contre Snape.

- Snape ? »

Cachu, pourquoi tu parles de Snape ?

« Je lui ai dit que tant qu'à faire, il n'avait qu'à venir regarder dans la cabane. »

Sirius ne se sentit pas parler, le cœur dératé. Il déballa les mots comme ça, doutant qu'ils eussent un sens.

Ils cognèrent aux tempes de Remus, incapables d'entrer, cognèrent jusqu'à le sonner blanc jusqu'à s'imprimer dans sa tête, puisqu'il étaient impossibles à entendre, Remus les vit dégouliner en caractères baveux d'encre mal séchée, qui sentaient le carbone, et étranglaient sa gorge

TU DIVAGUES

Il essaya de tousser, s'indigner : quoi

tu n'as pas dit ça !

Tu n'as pas fait ça...


James reprit, et chaque parole était un nouveau martèlement : « il ne s'est rien passé de grave, d'accord ? j'ai réussi à le faire sortir à temps, personne n'a été blessé. »

Tu n'as rien fait de mal, d'accord ?

Comment ça d'accord ? Qu'est-ce que c'est, ce ton de miel quand le fiel de votre connerie brûle comme un parasite entre ma peau et ma chair

Ah ça vous a bien amusés de jouer aux vengeurs, aux héros

pendant que je n'étais même pas moi-même

dans mon dos,

traîtres

c'est ça, traîtres ?

Non, Remus tu -

Mais quoi, sinon ?


« Quand ? gronda-t-il.

- Quoi ?

- Quand est-ce que vous lui avez dit de venir ? »

Sa voix claquait. Sirius tenta de ne pas laisser la sienne trembler :

« Moi tout seul, défendit-il. Ils ne savaient pas. Et... Je sais plus, le mois dernier ? Oh, tu me connais, c'est mon truc de faire des trucs sans réfléchir... »

A peine après les incendies de Varcol dont je ne me remets pas ? Qu'est-ce que tu as dans le crâne, Sirius ?

« Et en un mois, tu n'as pas changé d'avis ? »

Je n'arrive pas à y croire, à assimiler à


respirer


je n'arrive plus à respirer


Ils continuaient de parler, se chercher des raisons, des excuses, se blâmer les uns les autres, prétendre comprendre. Ils parlent entre eux, tous les trois, et moi en face ; eux entrelacés dans leurs éternels méfaits, et moi de l'autre côté

Je regarde leurs visages désolés et je ne les reconnais pas.

Ni leurs visages, ni leurs mots crétins, papier mouillé qui se dissout

Leurs mots sans substance, leur dorure qui reste sur mes doigts


Remus ?


Une longue douleur traversait son corps, du ventre à la tête, ruban glacial qui donnait mal entre les yeux et crevait un abîme dans le cœur, où tout s'engouffrait, les souvenirs, les émotions, tout

l'air

les pulsations du cœur


Remus !


James pressa son épaule. Remus fit un brusque mouvement d'épaule, blême et désincarné comme un fantôme, et s'éloigna, en titubant. Leurs cris, encore, derrière son dos. Taisez-vous, vous me cassez les oreilles.

« Remus, ça ne va pas, va à l'infirmerie ! »

Cachu, quels hypocrites !

Il réfléchit à un endroit où il eût pu s'isoler, mais Sirius les connaissait tous. S'il y avait eu de la poudre près de la cheminée, il n'eût pas hésité. Oh, rejoindre ma mère qui se meurt, et après son départ me vouer à l'errance. Il n'y a pas vraiment de place pour moi, n'est-ce pas ? J'y ai cru. Voilà où j'en suis.

Remus se hissa jusqu'à son lit dont les rideaux se fermèrent sèchement. Il les savait derrière, à murmurer, parler de lui, ils l'entendaient sûrement suffoquer.

Il pressa les mains sur ses côtes, son cœur, son cou qui ne voulaient plus fonctionner


Arrachez-les moi


Arrachez-moi de là


Remus ? murmura la voix de Sirius, de l'autre côté du rideau


« Remus, je suis tellement désolé, c'est nul, je le sais, j'étais en colère contre Regulus, et Snape et...

- Tais-toi. Tais toi, tais toi tais toi »

Dans le silence où crissait encore l'écho de sa voix, tous les reproches se bousculaient, faisaient des caillots et il n'arrivait pas à articuler, à en détacher le début d'un seul.

« Dégage. Je ne veux plus te parler ni t'entendre, c'est insupportable. »

Les dessins de Sirius murmuraient sur son ciel de lit. Remus agita furieusement la baguette, et tous les papiers claquèrent en se ruant dehors.

« Remus...

- Tu m'as balancé !  » rugit-il derrière les voiles secoués de rage.

Jamais sa voix n'avait encore sonné comme cela. 

« Exposé devant ses yeux pour servir ta vengeance, comme si j'étais... Un jouet, une arme, un trophée ! T'as idée de combien c'est humiliant ?

- Je me sens nul...

- Ah, tu étais en colère ! Comme Regulus ? Bravo, tu t'es comporté exactement comme lui ! Les monstres au service de vos rancunes de sang-pur ! »


Ah...

Ah, quelle douleur


Tourner au lit, attendre le sommeil, se laisser surprendre par un sursaut

le souffle court


regards vers les rideaux fermés et la question : que pense-t-il ? puisque ma pensée ne te quitte pas un instant

d'envie de hurler et déchirer les draps, 

de tendre le bras vers toi

le cœur lacéré


Se tordre encore entre les couvertures, le ventre laminé, vide, plein d'engelures, que sais-je ?

Et j'ai beau essayer de tout déplier comme une carte dans ma tête, de respirer, de reculer, de discerner les relations intriquées, les causes et les raisons, je n'y vois rien,

Je n'arrive pas vraiment pas à

comprendre comment tu as pu faire ça, ni pourquoi

Je n'arrive pas à te rejoindre dans cette cause

Où suis-je dans cette équation

Je n'arrive pas à te rejoindre 

une immense incompréhension creuse sa faille entre nous, et creuse aussi

La crainte de ta tête à l'envers que jusque là j'adorais

Je ne te reconnais pas, je ne te connais plus

est-ce que je me suis trompé depuis le début ?


Et James reste à ses côtés, que dois-je croire ? Que ce n'est pas si grave ?

Ou

qu'ils ne comprendront jamais, j'en fais trop ?

Ou

Que peu importe, James sera toujours de son côté à lui

Ils ne m'écoutent pas

je me suis trompé : en réalité, ils ne comprendront jamais

je ne serai jamais comme eux


Remus écrasa ses yeux, ses joues marbrées et secoua les mains, comme s'il s'y était brûlé. Insupportable de les toucher, ces cicatrices que Sirius disait...

Allons, je surréagis, non ? Il semblait si sincère. 

Semblait oui, et je trébuche à nouveau, c'est sans fin

Remus repoussa les draps brusquement. Une aube ténue se levait et il s'était tant bousculé qu'il ne sentait plus la fatigue, plus grand-chose. Il posa les pieds sur le plancher. Une douche très chaude, s'immerger dans des cascades lourdes qui rebondiraient, rassurantes, sur ce qu'il restait de peau, de substance, peut-être qu'il y verrait plus clair ensuite ?

Remus allumait l'eau avant de se déshabiller quand il perçut un mouvement dans le miroir. Il soupira, les dents serrées. Un regard éclair dans la glace, faire signe à Sirius de dégager, distinguer les arabesques de son torse nu, son demi-sourire mutin. Tiens, on dirait qu'il a bien dormi, lui. Il a peut-être réussi à se persuader qu'ils ne resteraient pas fâchés bien longtemps. Ou que cela n'avait pas grande importance. Sirius approcha de Remus dont le souffle s'accélérait. Il essaya de le taquiner et se cogna à son regard de fer; de l'amadouer, de prendre son bras, caresser la ligne souple de sa taille. Remus se libérait avec des gestes secs et leurs respirations montaient.

Dégage.

Non.

Sirius enferma Remus dans ses bras chauds et, sourd à ses cris de protestation, il le conscrit plus fort. Remus écrasa son pied, enfonça son coude dans ses côtes, tira ses cheveux. Ils luttèrent, se griffèrent les poignets, fermèrent les mains autour du cou, se firent tomber à genoux, et s'arrêtèrent toujours à temps, comme le loup et le chien. Remus sentit son corps faiblir à l'odeur de Sirius, la chaleur de sa peau, ses halètements, il saisit alors sa tête pour la projeter dans le miroir

Sirius glapit, ses doigts dérapèrent sur la faïence

Arrêté au dernier instant par la main impérieuse de Remus

Son souffle paniqué embuait le reflet de son visage rouge, de son visage incrédule

 Regarde-toi, Sirius. Regarde-toi en face

 Je n'y vois rien, tu sais bien, la panique brouille tout, je ne sais pas regarder, je ne sais pas être, je m'éparpille hors des lignes tracées

 Ça m'est égal, essuie donc la buée avec tes cheveux, mords le verre pilé à pleines dents


Cachu, Sirius, j'ai bu ton sang


Remus le repoussa brusquement, dégoûté, et quitta la salle de bains.



Sirius essaya encore les jours suivants : des larmes de crocodile, des minauderies, des tapes agacées sur la table, des invitations à courir - on n'aura pas besoin de parler, des chansons dans l'oreille ;

des paroles douces derrière le rideau du lit,

des papiers dans ses poches, envahissants comme des confettis, intrusifs, ils débordaient, inondaient son thé, jaillissaient de ses manchettes et de son col. Il y en avait sous son oreiller quand il le retourna au milieu de la nuit, Remus les jeta par poignées hors du rideau, mais ils volaient si légèrement que Sirius rit, nerveux, allongé au pied du lit de Remus,

Ils le suivirent quand il dévala les escaliers vers la salle commune, à deux heures du matin

Il jeta des boules de feu dans la cheminée et les chiffonna dans ses mains, sans parvenir à les y jeter

Tout ce qui nous faisait, nous : ma toute confiance, tes pas à côté des miens, les promesses insensées : en pièces dans le feu de l'incompréhension

Il les frotta sur ses joues à les irriter

Il ne se retourna pas parce que Sirius était derrière, il le sentait. Sa première pensée, stupide, fut qu'au moins cette fois, Peter n'irait pas chercher pourquoi ils étaient descendus tous les deux.

Remus continua de jeter des boules de feu dans le foyer, même s'il faisait déjà trop chaud, il aimait le son de l'air qui se dilate, des crépitements, les vagues de chaleur qui le détachaient de l'extérieur.

« On peut parler maintenant ? »

Silence

« Oh, Remus..., supplia Sirius.

- Chut. »

A nouveau, le silence. Remus sentit la peau de ses pommettes craqueler comme du papier fin. Si mon cœur pouvait -

Il reprit, tout bas :

« Je t'ai parlé.

Je ne parle pas beaucoup mais cette fois-là je t'ai dit ce que je voulais et tu n'en as fait qu'à ta tête.

Et maintenant encore, tu ne parles que de toi

Je n'ai plus envie de t'écouter

Je n'ai pas envie de te parler. »

Sirius, debout à l'autre bout de la salle commune, n'arrivait plus à bouger

Dis-moi qu'être dans la même pièce en même temps, ça nous relie encore un peu

Si je pouvais au moins encore tenir ta main, me dire que dans le noir, on finira par se retrouver, je franchirais des monts et des ravins

Si tu m'attendais de l'autre côté, je n'aurais pas tant peur de la faille

mais toutes nos certitudes explosent en poussière dans mes yeux, leurs rafales me déséquilibrent

et c'est moi qui ai provoqué tout ça

Désintégré l'espoir toujours naïf qu'on s'en remettra, et sur ses cendres naît la certitude crue que ça ne va pas se réparer, pas vraiment, ça

laissera


une cicatrice en plein visage


Seigneur, Remus, je t'ai blessé


Alors je n'ai rien appris, n'est-ce pas ?



Dans le noir, Remus tourna la tête vers lui. Ses doux yeux avaient terni, comme des billes de cristal altérées par de la fumée. Il leva les mains en gémissant, empoigna ses cheveux et tira, dans une longue plainte, se griffa plus fort en hurlant à Sirius pétrifié que c'était ce qu'il voulait, non ? il se couvrait de corne, de poils comme Greyback, et Sirius essayait de crier, mais moi je t' encore, reviens ! Les hurlements de Remus couvraient sa voix, il se tuait à crier sans réussir à bouger. Son regard vide passait à travers Sirius, regard mort, il grattait encore, s'arrachait la peau du visage en hurlant VENGEANCE, la chair se désintégrait sous ses griffes noires, devenait cendre, s'effondrait comme le sable sous la lune, où est William, et Sirius tombait à genoux dans les particules éparpillées de 

sa taille, 

son coude, 

la main dans laquelle son menton reposait quand il souriait, amoureux, à l'autre bout de la classe, 

ses cils, ses pieds, qui volaient jusqu'à lui, s'infiltraient dans dans son nez, ses yeux écorchés mais il ne voulait pas fermer les yeux, ni cesser de respirer, si les atomes de Remus venaient se réfugier en lui, il respirerait plus fort 

secoué par des sanglots monstrueux secoué

par James

« Respire, respire. Ça va... »

Sirius suffoquait. Remus l'entendait derrière son rideau fermé. Il écrasa son oreiller sur sa tête.

« Ça va Sirius ? » murmura James en caressant son épaule.

Sirius s'étrangla. Il n'arrivait pas à parler, de peur que sa voix ne se brisât.

« C'était juste un cauchemar, ça va aller...

- J'ai pas... envie, balbutia Sirius.

- De quoi ?

- Que ça soit la fin... Des Maraudeurs et... tout. »

James lissa ses cheveux noirs.

« C'est pas la fin.

- Tu ne peux pas savoir.

- Il est colère contre toi, ça ne veut pas dire que c'est la fin. »

La colère, tu connais ça Sirius hein ? Et toi, tu as dirigé sa colère contre toi. Bravo, champion. Un autre rock'n roll suicide.

Tu es décidément trop lent à apprendre, à comprendre


Tu as fait de lui l'objet de ta vengeance ?

Pas comme Regulus, oh non.


Comme Greyback

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