Été 1975 : m e r
ART : cosmicwonderland (?)
Un jour...
Les manches du pull de Remus sont tout effilochées, autour du poignet. « Tu étais nerveux ? » demande malicieusement Sirius. Remus pourrait lui retourner la question mais c'est si gros que c'est impossible. « Ouais... Je ne veux pas décevoir McGonagall. » L'autre lève les yeux au ciel avec un petit pouffement, puis son regard redevient je ne sais pas, lointain, océanique. Toutes les choses à dire, toutes ces choses qui les séparent encore butent contre leurs sourires qui frémissent.
« Tu veux qu'on mette de la musique ? propose Remus.
- Oui...
Non.
Oui, mais pas maintenant. »
Chut.
Ils sont assis dans le grand canapé, leurs mains jouent au milieu, tirent sur les fils pour ne pas se ronger les ongles et pour avoir, parfois, la chance de s'effleurer. Pas de filtre sur les retrouvailles, réapprivoiser d'abord la musique de ton corps, même si nous sommes timides encore, qui suffit à me griser. Sirius glisse un doigt sous la manche pour trouver la peau fine et chaude de son poignet. « Et pendant les vacances, nerveux aussi ?
- Non... souffle Remus.
- Raconte. »
Il sent les veines de Remus palpiter plus fort sous ses doigts.
« Eh bien... J'ai vu James et...
- Ne parle pas de James. Ne parle pas des autres... Parle-moi de ce que tu as vu.
- J'ai vu... »
Sirius pose la tête sur son épaule.
« J'ai vu la mer. »
Il raconte, par bribes, nuée d'albatros, il raconte l'infini de la mer, et l'ivresse de la musique et Sirius le fait répéter quand il n'y en a pas assez, ou quand sa voix s'étouffe
Il raconte, jetant dans le noir ses mots qui s'allument comme des chandelles et Sirius le fait répéter, en se laissant glisser à terre
Il raconte encore les lignes brisées des vagues, la septième est la plus haute, et la musique qui fait perdre la tête et s'incarner plus fort, ou se désincarner, c'est difficile de savoir
Laquelle des deux est la vraie vie
Quand la mer atteint le sable, quand tout le corps vibre dans une voix :
L'ultime frémissement au bout, la vraie
Les mains crispées, les dents plantées dans ses manches, le pantalon baissé, juste sous les fesses, échoués par terre, entre deux fauteuils, si serrés qu'on ne les devine pas, pressés, furieux, les mains tordues sur tout ce qu'elles peuvent empoigner, comme s'ils n'avaient pas à se parler ou comme
Si c'était la façon de se dire Tu m'as manqué la plus pudique en quelque sorte dans le noir
- Et épargne nous ces paroles galvaudées, convenues, trop solennelles, impossibles à dire avec naturel -
Rien que des soupirs, des sons de chair, ta peau et la mienne ton eau la mienne
La façon la plus explicite même si ce n'est pas exactement ce qu'on voulait :
Sirius veut que Remus perde la tête comme quand il trouve l'extase dans la musique : ce serait une façon de se faire pardonner un peu mesquine. C'est lui qui jouit le premier, trop vite, comme un exorcisme grotesque. Comme si la petite mort pouvait effacer les baisers salés de William qu'il voit couler maintenant sur les joues de Remus, luisants dans le noir. Il l'embrasse, il lèche ses joues qui sourient pour effacer la marée obscure, il n'arrête pas d'y penser, tandis que Remus murmure des merveilles en se livrant à ses mains.
« On m'a embrassé.
J'ai essayé de noyer...
- ... Qui ? »
La mer.
« William »
Remus est une statue dans ses bras. A-t-il vraiment entendu ça ?
« Quelqu'un t'a embrassé. Tu as vraiment dit ça ? »
Il attrape le poignet de Sirius qui a déjà reculé. Mais devant Remus, on ne peut pas fuir. Ils se battent, débraillés, rampent pour s'échapper, honteux, ridicules, malhabiles, empêtrés tête-bêche dans le désir froid. Remus voudrait que Sirius le rattrape, lui dise qu'il a mal entendu mais les secondes passent et cela n'arrive pas. Il remonte machinalement ses vêtements.
« William. » répète Remus.
Sirius se tourne de profil pour le regarder, un bras sous l'oreille. Son ami fait de même, à l'envers. Il tend la main. Remus n'enlève pas la sienne. Il respire difficilement. Se retient-il de pleurer ?
Il se sent si laid.
« Un des miliciens, c'est ça ? »
C'est vrai, il en a parlé à Londres. Le souvenir de William l'a tant hanté qu'il aurait préféré ne pas en parler, ne pas salir l'école en l'y apportant.
« Qu'est-ce qui s'est passé ? demande encore Remus, plus faiblement.
- Est-ce que tu es fâché ? Je te jure, je voulais pas...
- Qu'est-ce qu'ils t'ont fait, Starman ? »
Sirius reprend son souffle, une fois, deux, le coeur comprimé. Remus attend, dans le noir, les doigts tendus. Et dans un grand frisson et un haut le cœur, exactement comme on vomit, Sirius gueule, dégueule
Des paroles, des fragments de pensées suspendues dans tous les sens, interrompues, désagrégées ; mélangés à l'acide du dégoût. Du rien, du tout, des mensonges pour faire passer, des rires aussi, des syllabes qu'il scande avant de réussir à les compléter.
Remus n'a pas peur de plonger les mains dans la boue. Il lui fait répéter, plus tard, lentement, ne s'arrête pas à ses gémissements de douleur car on peut souffrir physiquement de prononcer ces choses terribles comme des malédictions, en cachant les joues rouges de honte, la langue enflée ; il lui fait répéter dans l'ordre, jusqu'à trouver les mots justes, sans hyperbole ni euphémisme, sans rien éviter non plus, il lui fait répéter que
William
était tendre mais moi je ne pensais qu'à toi même quand je ne voulais pas, j'avais peur de ne jamais pouvoir t'aimer l'été dernier, pourtant c'était déjà si grand, c'est bien moi qui me suis noyé, j'aurais vendu mon âme mille fois pour ne pas t'entraîner dans le gouffre
et lui, c'est qu'un lâche, il vole les baisers, comme les âmes, pour garder la face
Je n'en voulais pas
Je sais.
Remus tire sur ses doigts, il rampe un peu sur l'épaule pour les mener à sa bouche et il les embrasse de toutes ses forces.
ne jamais pouvoir m'aimer ?
ne jamais pouvoir t'aimer.
&
Le lendemain, Sirius se rendit dans le bureau de McGonagall. Elle l'accueillit, interdite, croyant qu'il venait s'excuser ou la remercier, n'osant y croire même si Lupin l'accompagnait. Il l'avait sans doute fortement encouragé.
« Je suis heureuse de vous accueillir de nouv... , commença-t-elle avec sa sobriété prodigieuse.
- Il faut que je vous prévienne pour Gwendoline la Fantasque. »
Au moment seulement où ce nom franchit ses lèvres, au moment d'enfin le confier, il se demanda si William ne lui avait pas menti. Il prévint sa professeure de cela aussi, du fait que c'était peut-être un leurre. Il prit le temps de bien expliquer, comme il avait appris avec Remus, qui l'attendait derrière la porte d'ailleurs, avec James et Peter. Le regard de McGonagall brillait comme une lame affûtée. C'était mieux que des excuses.
« Je vous remercie, monsieur Black, pour ces informations précieuses. Je vais en parler immédiatement aux autorités. Je ne sais pas encore comment, mais vous avez ma parole que personne ne pourra vous soupçonner, que vous serez protégé de leur éventuelle répression et...
- Je m'en tape.
- Pas moi !
Pas nous.
- Je crois que je ne pourrai pas y retourner », dit-il encore.
Il s'interrompit pour réfléchir à ce qu'il voulait vraiment dire.
« C'est horrible cet endroit, je vous en avais déjà un peu parlé l'année dernière. Pas seulement parce que l'entraînement est difficile et qu'on nous pousse à bout, mais eux aussi, dans la façon qu'ils ont de nous farcir la tête, de nous monter les uns contre les autres, et pire encore, de nous manipuler, nous empoisonner, nous échanger... »
McGonagall hésita à le relancer, lui demander d'expliciter. Mais il reprenait déjà :
« Je vais avoir seize ans, dans deux mois ; l'année prochaine, je serai majeur. »
Il secoua doucement la tête comme pour remettre de l'ordre dans ses pensées.
« Mes parents veulent juste se débarrasser de moi pendant les vacances, quant à m'embrigader, je pense qu'ils désespèrent maintenant. Peut-être que je serais capable d'y retourner. J'en suis déjà revenu deux fois, et cette deuxième fois m'a permis d'apprendre ça, alors... (il balaya l'air de la main). J'veux pas faire mon prétentieux. En plus il y a mon frère, même s'il s'en fiche maintenant, moi je n'arrive pas... à m'en ficher de lui.
Mais le temps passe vite et je serai bientôt majeur et il faudra que je vive ma vie.
C'était pas ça que je voulais dire, en vrai, je ferais n'importe quoi. Vous le savez hein, que je suis capable de faire n'importe quoi ?
Eh bien. Je crois que William aussi a fait n'importe quoi en m'en parlant – s'il m'a dit la vérité. Les autres ont bien dû se rendre compte que nous avons été isolés plusieurs minutes, et surtout ils m'ont vu protester quand ils ont lancé leur attaque. Je ne pense pas qu'il ait pu leur effacer la mémoire à tous, si ? Ils ne me laisseront sûrement pas retourner au camp.
- Pensez-vous que William ait voulu vous mettre à l'épreuve, vous piéger en vous révélant ce secret ?
- Non... »
Sirius repensait à son désespoir nocturne qui avait tous les accents déchirants de la sincérité.
« Enfin, je ne peux pas vraiment savoir. »
Ça ne s'invente pas, une confession si désespérée.
« Peut-être, qui sait... »
J'aimerais bien ne jamais savoir.
« J'aimerais bien... qu'il ne soit pas en danger. »
A la sortie du bureau, il embraya très vite sur une conversation anodine avec James. Ils montèrent jusqu'à la salle de Défense contre les Forces du Mal, leur cours suivant. Ils avaient regretté le départ de Suliman, que la rumeur disait partie former des Aurors. Les première année sortaient, livides et le visage défait. « Qu'est ce que c'est que ça ? » marmonna Peter. Le nouveau professeur avait largement empiété sur la récréation. Trois jeunes Poufsouffle sortirent en dernier, un peu après les autres, complètement abattus, surtout celui du milieu, que consolaient les deux autres.
« Vas-y monsieur le préfet Remus Jordan Lupin, c'est le moment de briller !
- Jordan ? Sérieusem... »
La porte de la salle se referma. Les Maraudeurs avancèrent vers eux avec tant de résolution que les trois cadets redoublèrent de tremblements.
« Qu'est-ce qui vous est arrivé ? »
Ils hésitèrent à répondre mais James leur désigna avec insistance l'insigne de Remus.
« C'est à cause des escaliers... expliqua le plus grand en dévisageant Remus sans pouvoir s'empêcher de scruter ses cicatrices. On est arrivés en retard.
- Et le professeur Sacarver nous a mis au fond.
- Je ne vois vraiment pas le problème ! s'étonna James qui ne voyait sincèrement pas le problème.
- Mais c'est qui Sacarver ? interrogea Peter.
- Le nouveau prof de Defmal, répondit Sirius, nonchalamment. Le grand squelette, là.
- Depuis quand tu dis Defmal, petit punk ?
- Et donc tu pleures parce que t'étais au fond de la classe ? Ça va, pas trop dure la vie ?
- Mai-ais non mais...
- Le professeur Sacarver a pris sa feuille...
- Son parchemin ! glapit le petit, effrayé.
- Ah oui, son parchemin à la fin du cours et il a tout déchiré.
- Ah bon ?
- J'écrivais au stylo à bille... Avec la plume, je faisais des taches, alors je trouvais ça plus propre et rapide...
- Il a dit qu'il serait jamais un sorcier respecté s'il continuait avec ses sales manières de moldu.
- A part le « sale », on est malheureusement forcé d'aller dans son sens en ce moment, non ? glissa Peter à Remus qui soupira.
- Il m'a mis en retenue ce soir pour faire des lignes jusqu'à ce que je sois capable d'écrire correctement. »
Pendant quelques secondes, personne n'osa commenter.
« Mais dites-moi, c'est bien de la merde, cette affaire. », observa James en retirant ses lunettes pour mâchonner une branche.
Les jeunes garçons écarquillèrent les yeux, sans savoir ce que ce grand jeune homme qualifiait de merde. Puis leurs regards se redirigèrent en même temps vers l'écusson de Remus, histoire de vérifier.
« Quel cours avez-vous maintenant ?
- Defma, justement », répondit étourdiment Sirius.
Remus le fusilla des yeux et reporta son attention sur les trois jeunes garçons.
« Mé... étamorphose.
- Ah, très bien. Vous allez rencontrer la professeure McGonagall. Elle est stricte et juste, tout va bien se passer avec elle.
- A part qu'elle peut se transformer en chat. Mais c'est un secret, tenez bien vos langues !
-Tu peux même lui demander l'autorisation d'écrire au stylo. Elle ne te grondera pas. Vous savez comment aller à la salle ?
- Euuh... »
Remus les escorta jusqu'à l'escalier mouvant.
« On est au sixième ici, vous en avez trois à descendre, après c'est sur la gauche, il y a un tableau de Boris le Hagard qui porte ses gants à l'envers.
- Descendez ici, puis prenez l'escalier qui est au fond du couloir, il est paresseux, il ne bouge presque jamais.
- Presque.
- Sur la rambarde ça va plus vite ! » conseilla Peter.
Ils s'accoudèrent à la balustrade pour les regarder descendre et les encourager.
« Allez, encore un ! Ouais, champions !
- Bon. Maintenant que nos boursoufs sont à l'abri, on va rencontrer ce Sacarver ? »
&
« A-t-on jamais croisé dans toute l'histoire de la magie un hybride d'humain et de Détraqueur ? fulmina Sirius en quittant la salle.
- Eh bien, tu nous as assez souvent mentionné ta mère... », osa Peter.
James lui tapota le dos. L'heure n'était même plus à cette plaisanterie.
« Non mais on est d'accord que là on a un diable de spécimen ?! »
Remus haussa les épaules, incapable de parler.
« Eh ! protesta encore Sirius, interdiction de déprimer ! Tu gardes la tête haute ! Moony, tu ne te laisses pas faire ! »
Sirius, prêt à bouffer le monde pour défendre Remus. Prêt à bondir sur chaque cause pour réparer le tort causé cet été.
Sacarver jetait indéniablement autour de lui une aura glaciale assez surréelle. Son visage était impénétrable, peau de cire balayée de longues mèches noires qui couronnaient son crâne fin et le tenaient dans l'ombre, comme une capuche. Son cou disparaissait dans un haut col à revers écarlate et cette soie rouge baignait sa mâchoire et son visage, par en-dessous, dans un halo inquiétant.
" Votre premier examen de magie aura lieu à la fin de l'année. Afin que je puisse me faire une idée de vos besoins, des tests vont apparaître devant vous. Aucun échange de matériel ni de parole ne sera toléré. Exécution. »
De longs rouleaux de parchemins remplis de minuscules caractères apparurent sur les tables. Les apprentis sorciers retinrent difficilement leurs hoquets de surprise. Remus réserva pour plus tard la première question qui lui demandait trente lignes sur les sortilèges dits « de répulsion », le temps que sa mémoire lui revînt car, pour le moment, il ne se souvenait pas de ce terme. Il ne comprit pas davantage les questions suivantes. Ni les consignes d'ailleurs, qui demandaient des « schémas de réfraction », des « études de mobilité », des « analyses d'implication ». Effaré, il compléta vaguement avec quelques éléments qu'il avait éprouvés sans les avoir jamais théorisés, par déduction, par intuition. Il jeta de discrets coups d'oeil autour de lui. Personne n'avait l'air très assuré. Sacarver le toisait toujours, aussi retourna-t-il à sa copie, honteux. C'est vrai, avec les professeurs précédents, ils avaient surtout pratiqué, peut-être avaient-ils d'immenses lacunes en théorie.
« Eh bien ça va être rapide à corriger, prédit Sirius, goguenard.
- Pour demain, vous compléterez le questionnaire suivant à l'aide du premier chapitre de votre manuel. La page quinze est à connaître par cœur. »
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