Été 1975 : découragement
Un jour...
Au début du deuxième cours, Sacarver leur attribua des places : Sirius et James devant, avec Edgar ; Peter et Achille au deuxième rang, Lily et Marlene au troisième, et Remus, seul, sur une table individuelle au fond de la classe. Ses amis se tournèrent vers lui, incrédules : « Mais tu es de sang mêlé, selon sa logique toute versicotée, tu devrais être devant nous ! Et tu es préfet !
- Ma gueule ne lui revient pas » maugréa Remus, la tête baissée très bas.
Sacarver agita sa baguette. Un sifflement déchira les tympans des bavards. Il fusillait les élèves de son regard cerné de rouge, le sourire en coin, plissé par un mélange de jubilation et de fureur.
« Et ça se permet de discuter ! »
Il se fit un silence aigre dans la salle.
« J'ai regardé vos copies - c'est médiocre. Vous n'avez pas l'air de vous rendre compte d'à quel point vos connaissances sont imprécises et lacunaires. Sortez vos devoirs, j'ose espérer qu'avec le manuel sous les yeux, vous vous en sortez mieux. »
Il circula entre les rangs, grimaçant à la vue de leurs travaux. Sirius en profita pour se tourner vers Remus qui haussa les épaules, le menton dans le poing, résigné. Il prenait très fort sur lui, comme les soirs de pleine lune, pour ne pas craquer, humilié.
Sacarver ne consulta pas son travail.
« Bien, reprit l'enseignant en regagnant son estrade, vous, vous et vous là-bas, à la bibliothèque. Vous allez me refaire ce travail, et ne revenez que quand vous serez capables d'écrire des phrases cohérentes. Dois-je vous rappeler que vous passez vos BUSES en fin d'année ? »
Les trois élèves incriminés rassemblèrent leurs affaires, sans trop y croire d'abord. Jamais encore personne n'avait été renvoyé de classe pour un travail négligé. Sirius nota l'astuce pour les matins difficiles pendant que son professeur l'étourdissait déjà, lancé à toute vitesse dans une leçon sur les parasites, multipliant les « Mais vous le savez déjà » et, pire encore : « Mais vous n'avez pas besoin de savoir ça. » James et lui gardèrent les bras croisés pendant tout le cours, les regards incendiaires. Sacarver ne s'adressait qu'aux élèves du premier rang. Il autorisait le deuxième à participer, s'il estimait que leurs remarques en valaient la peine. Quant aux deux dernières rangées, il leur montrait clairement qu'il daignait tolérer tout juste leur présence. Ils ne corrigèrent pas le test de rentrée. Sacarver leur rendit leurs rouleaux, biffés d'encre carmine.
« Vous les compléterez pour vendredi. »
Aussitôt dans le couloir, Remus consulta ses notes, paniqué. James les lui arracha des mains et les froissa.
« Rends-moi ça ! glapit-il. Arrête, je déconne pas, c'est sérieux !
- Remus, tu as déjà passé la soirée d'hier à bosser ! Va courir, respirer un coup ! Mange du chocolat.
- Ahah, très drôle...
- Bon, travaille, si tu veux... Mais une autre matière ! Oh, Evans, s'adoucit-il en croisant Lily, j'ai entendu dire que ça avait mal fini, enfin, mal commencé avec Elijah, tu peux pas savoir combien ça me désole... »
Lily darda sur Remus un regard plus furieux que ne le serait jamais celui de ce sans cœur de Sacarver. Sirius, scandalisé, se précipita bras écartés devant son ami, comme pour le protéger. Tandis que James et Lily échangeaient des civilités, il tendit les doigts vers une mèche presque dorée et retint son geste, mais l'intention était encore plus intime qu'une caresse. « Eh Moony, pourquoi ça t'inquiète autant... Tu n'as plus rien à prouver, tu es devenu préfet ! On a eu deux profs fabuleuses qui t'ont trouvé excellent, le problème c'est Sac-à-vers, pas toi. » Remus haussa les épaules et regarda derrière Sirius. Son devoir était en train de se transformer en charpie, puis en origamis dans les mains nerveuses de James qui continuait de bavasser. Ses petites grues n'enchantèrent pas vraiment Lily. Reconnaissant l'écriture de son ami sur les oiseaux biffés d'écarlate, elle en saisit un par les ailes et demanda doucement : « Pourquoi Remus est au fond ? »
Remus secoua doucement la tête et pressa son bras comme une excuse avant de prendre la direction du parc avec ses amis. Ils lancèrent des cailloux dans l'eau, encouragèrent les premiers vols à balai des nouveaux. Ali et Ian s'assirent dans l'herbe avec eux. Peter lui donna une tape dans le dos et murmura : « Eh, reste pas au fond quand t'es avec nous, idiot ! » et Remus sourit en s'approchant même s'il était incapable de parler. Qu'est-ce qui va m'arriver, plus tard, dehors, quand Dumbledore ne sera plus là pour me couvrir ? Comment pourrai-je exercer une profession, puis-je espérer rester caché ? Très vite, on comprendra autour de moi. Combien accepteront ?
Sirius riait avec James, revenu à pieds joints dans l'adolescence. Ses mains magnifiques dansaient dans l'air, les mains qui s'étaient consacrées à lui quelques heures auparavant, sur les serviettes rêches des vestiaires de Quidditch, qui faisaient chavirer son cœur à leur simple vision, et quand James demanda : « Ça va, Moony ? » Remus songea à son autre secret, celui que Sirius et lui ne lui avaient toujours pas révélé.
« Super. » répondit-il malgré lui.
À la fin de la semaine, les devoirs et sanctions de Sacarver submergeaient les élèves. Ce fut la tempête dans la salle commune des Gryffondor, des complots secrets avec les autres maisons dans la bibliothèque. Remus et Lily prirent bravement la parole lors d'un cours de Métamorphose. Ils revenaient de classe, bouillonnants d'indignation. McGonagall se rendit vite compte qu'elle ne pourrait pas faire cours si elle ne les laissait pas d'abord exprimer leurs doléances.
« Je ne prendrai pas parti contre un collègue... déclara-t-elle dès les premières allégations.
- Il n'en fait rien ! Il nous donne le même devoir d'une semaine à l'autre, depuis la rentrée, sans jamais nous dire où on a faux. Et si on lui demande, il pète son câble, il nous fait : Comment osez-vous me demander ce qui ne va pas ? Vous êtes bien plus crétin que je ne le pensais, mon pauvre garçon, RIEN ne va ! »
La classe, tendue, rit à la caricature de James. Ils saisissaient l'embarras de McGonagall, tiraillée entre le devoir et la raison. Il était clair qu'elle n'y pouvait pas grand-chose. Qui savait ce qui se tramait entre Dumbledore et Sacarver pour que le directeur dût en appeler à lui pour ce poste ?
Au moins, ils savaient qu'ils n'en avaient que pour un an.
Mais nous n'étions qu'en septembre.
Remus, assoiffé de connaissance et peut-être plus encore de reconnaissance, toujours assez persuadé d'être un imposteur, travaillait sans relâche, convaincu que le professeur avait raison, et qu'ils étaient ignares. James et Sirius avaient décidé assez rapidement que Sacarver était un connard, et Peter les suivait, par paresse.
« Comment peux-tu te donner tant de mal pour quelqu'un qui n'en vaut pas la peine ?
- Je veux lui prouver...
- T'as rien à prouver, Moony, ...
- Facile à dire pour toi. »
Bam, dans les dents, Starman.
« Moi je ne me rends pas malade pour coller à sa vision du monde de dégénéré !
- Laisse-moi gérer à la fin...
- Gérer... J'ai horreur de ce mot, gérer... On le dit à propos de tout et rien ! Ça ne veut plus rien dire gérer, juste qu'on encaisse et qu'on se rend malade ! Gérer, c'est le déni le plus complet !
- Non mais oh ! Vous allez pas vous battre à cause de ce connard quand même ! explosa James, coupant la réplique de Remus. La bibliothèque va fermer, il est l'heure d'aller manger.
- Mais je n'ai pas terminé !
- Oh, bah moi non plus, qu'est-ce que tu crois ? Et Sacarver, tu crois qu'il a préparé un nouveau cours pour demain, ou il va prétexter que Mary a éternué avec trop d'insolence pour refuser de faire la leçon ? »
Remus fit une petite moue et empila trois grimoires qu'il souhaitait emprunter. Il n'avait pas trouvé grand-chose sur Ahkiyyni, le sujet de son exposé, à la bibliothèque et avait envoyé un hibou à son père, espérant recevoir plus de renseignements. Il n'aimait pas trop profiter de ce privilège mais il refusait de bâcler son devoir. Bon, non. Sa curiosité était piquée. Madame Pince rabrouait les retardataires, ses amis le pressaient.
« Allez, viens, on continuera dans la salle commune, si tu y tiens tant...
- Non, vous allez faire trop de bruit.
- Mais arrête de stresser comme ça, personne n'arrivera jamais à terminer son merlin de devoir !
- Langage ! »
James passa une main sur l'épaule de Remus pour le masser et en profita pour l'arracher de sa chaise.
« Viens Sirius, on va faire un peu de balai tant qu'il fait jour, laisse Moony faire comme il veut, tu n'arriveras pas à lui faire changer d'avis. Moony, toi, promets-moi qu'après vingt heures, tu iras prendre un bain de roi dans la salle de bains des préfets ! Tu testes toutes les formules et tu nous inviteras quand tu auras trouvé la meilleure. »
Remus sourit à son parchemin. James dut tirer Sirius par le bras.
Quand ils revinrent, Remus ne s'était même pas douché. Il se perdait dans les circonlocutions du plan de sa dissertation, les cheveux emmêlés d'avoir été trop balayés par ses doigts nerveux, le pull abîmé, la culpabilité de devoir bientôt en réclamer un autre à ses parents.
« Eh, regarde tout ce que tu as écrit, c'est incroyable, l'encouragea Peter en fouillant dans ses parchemins.
- Arrête, ne mélange pas tout !
- Elle est très bien cette intro.
- Franchement, vu tout ce que tu mets dedans, t'inquiète que Sacarver ne va pas t'en tenir rigueur si c'est un peu désordonné.
- J'aimerais pouvoir rendre un devoir sous forme de carte ou de spirale, gémit Remus. Avec des chemins qui relient plusieurs idées. J'aime pas les plans linéaires, j'y perds trop... »
Sous les regards blasés de ses camarades, il capitula.
« Bon, je recopie ça, et j'aurai fini. »
Mowgli lui avait apporté un sandwich.
« C'est pas bien de sécher le dîner.
- Ouais mais Moony va mettre la pâtée au prof, et ça vaudra la peine. Mais tu ne nous refais pas ça hein. »
Sacarver ne lui rendit jamais sa copie. Il affirma ne pas l'avoir reçue quand Remus lui signala son oubli, et coupa court à toute protestation.
Peu de temps après, la pleine lune survint.
« Allez, Moony, tu peux pas aller en classe aujourd'hui, tu vas te faire beaucoup trop de mal...
- Je ne veux pas dormir... Je ne peux pas rester sans rien faire... »
James soupira et serra plus fort contre lui son ami égaré dans une grande mélancolie, un profond à quoi bon, entre l'impuissance sans avenir de ses quinze ans et le traumatisme incessamment rappelé de ses quatre ans.
« Alors lis, écoute de la musique, dessine des cartes... »
Remus eut un petit rire.
« Promis, je note chaque mot du prof pour toi, insista James. Maintenant, va à l'infirmerie. »
James ne prit bien sûr aucune note, mais il demanda celles de Lily qui accepta de mauvaise grâce.
« C'est pour Remus que je le fais, pas pour toi...
- Ah ben, je vais aller les lui donner, proposa Sirius, comme ça James tu vas pouvoir faire tes trucs et tout, là.
- Maintenant ? Mais tu crois vraiment qu'il aura le courage de...
- A tout à l'heure ! » clama-t-il avant de bondir dans un passage secret.
Il sourit de toutes ses dents entre lesquelles claquait ce morceau de liberté arrachée. Sirius enviait parfois les couples qui pouvaient s'embrasser dans un couloir entre deux leçons, se tenir la main en révisant, se cajoler dans les canapés de la salle commune, mais son esprit maraudeur célébrait les baisers volés dans les toilettes ou derrières des tableaux, avant de murmurer des paroles éparses, inaudibles, désespérées, front contre front ; des choses qui sembleraient insensées en pleine lumière. Ils se voyaient plus longuement certaines nuits, dans un grenier, la salle de bains. Ils avaient prétexté la montée de la lune pour dormir par terre la nuit précédente. Seigneur, qu'il était fébrile, là, les yeux brillants, agité sur les draps trop blancs de son lit. Sirius tressaillit. Devenir animagus ne suffirait pas à le faire aller mieux, n'est-ce pas ? Il s'accrocha néanmoins à ce plan, car c'était le seul qui restait, pour pouvoir sourire. Pomfresh, absente, il referma sur eux les rideaux de l'alcôve et le serra dans ses bras. Si seulement il eût pu le garder caché ici dans ses bras, tout petit, blotti, le protéger de la lune, la misère de sa cabane. Remus, mon Remus, murmura-t-il sur ses lèvres. Il ne voulait pas reprendre une feuille et renoncer à ses baisers pendant un mois. Leurs bouches hâtives s'enflammèrent, Sirius pressa les mains sur sa taille, Remus enfouit la tête dans son cou.
« Arrête... » murmura-t-il, les canines gonflées.
Les images violentes se bousculaient dans sa tête, agacées par l'impertinence de Sirius.
« Pas maintenant... J'ai... J'ai très envie... murmura-t-il avec pudeur, mais attends que ça soit passé. »
Sirius s'assit à côté de lui sur le lit et glissa sa main dans la sienne. Remus la retint jusqu'à ce qu'il entendît l'infirmière entrer. Sirius remonta lentement à la salle commune, traîna auprès des tableaux qui lui adressaient des paroles de réconfort convenues et néanmoins bienfaitrices. Il aperçut Snape au loin et décida de ne pas croiser sa route. Il camoufla tout de même un tapis sauteur sur son chemin et l'entendit glapir et trébucher sans avoir le plaisir de le voir.
« Ça allait ? » demanda James.
Sirius haussa les épaules.« C'est pas terrible, ce mois-ci...
- C'est la dernière, déclara-t-il lui tendant une feuille.
- Ah, ouais ouf, parce que j'en ai marre quand même... geignit Peter. C'est quoi le nouveau plan ?
- C'est de réussir. C'est la dernière. Plus jamais d'échec. »
La nuit venue, il dessina le corps de Remus, en longs rubans éclatés, éclaboussés sur des dizaines de parchemins qui rassemblés laissaient deviner la courbe du bras, du dos, des fesses, mais éparpillés ressemblaient aux lignes abstraites qu'il avait vues au musée,
Labyrinthe
Ce n'était pas sa faute, cela lui échappait, dès qu'il voulait représenter quelque chose de concret, la forme s'échappait, prenait d'autres formes pour dire la vérité, des clefs
Comme quand il le caressait : essayer de rassembler les formes, l'unité de ce sentiment qu'on ne peut étreindre tout entier, impalpable
Il voudrait prendre les draps du lit de Remus et dessiner sur cette grande toile odorante, imprégnée de son corps vivant
Dessiner sur le corps de Remus
Dessiner l'incendie dans son cœur qui s'élargit quand Remus le touche
Et l'agonie du vide quand Remus est loin
Remus se réveilla, le crâne si enflé que son œil ne s'ouvrait plus. Un bleu descendait en bas de sa mâchoire, sinueux lourd chaud comme du poison. Il battait dans le cou, le haut des épaules crispées, et l'aveuglait quand il bougeait. Pomfresh examina sa rétine en silence. Il s'étendit sur le lit, serra les dents, s'imagina quitter en douce son enveloppe charnelle, ou du moins la peau du monstre, s'en dépouiller, tiens, quelle partie de son corps donnerait-il, quelles souffrances serait-il prêt à endurer pour -
Un coup familier à la porte le ramena brutalement à la conscience. Son cœur s'emballa si fort dans sa joue que la tête lui tourna. « Ne les laissez pas venir... » articula-t-il de sa voix craquée, une grimace de chagrin vain déformant un peu plus ses traits grotesques. Sirius remonta le couloir, vibrant de courroux. Tout tremblait autour de lui. La voix de Sacarver était un poignard qui s'enfonçait plus profondément dans sa rage. Il explosa pour une connerie, fut collé en retenue et arriva en retard en métamorphose.
Il faisait très noir dehors.
Et au milieu du cours, illumination. Un éclair zébra le ciel puis le tonnerre explosa.
« JEEZ ! C'EST PAS VRAI ! » rugit-il.
Peter eût juré que McGonagall avait l'air désolée.
Sirius passa l'après-midi de sa retenue sur ce devoir qu'il refaisait pour la énième fois. Inutile, c'était si inutile, que de temps perdu. Il écrivit un poème de Ginsberg à la place, le plus grossier et exalté, il ajouta quelques vers encore plus licencieux, tirés de son imagination. Avec un peu de chance, il ficherait une crise cardiaque à Sacarver.
Ah nan, merde. Il n'a pas de cœur.
Il descendit enfin vers le hall. L'entraînement de Quidditch était terminé mais il croiserait peut-être James en train de remonter dans la lumière cuivrée du soir, sinon, il retenterait l'infirmerie, peut-être que s'il venait tout seul, Remus accepterait, allez pour lui, quoi...
Il tomba sur James en premier, le regard piqueté. Son ami le saisit par les bras.
« Sirius. Il faut que je t'annonce quelque chose. Ça concerne le Quidditch. »
Sirius cligna des yeux, sonné. Avait-on trouvé mieux que lui, plus raisonnable, plus fiable, pour le remplacer au poste de batteur ?
« Tu es capitaine ? osa-t-il.
- Argh, non. C'est... Ça concerne les Cancrelards.
Ton frère,
Il a passé les sélections et il a été pris. »
Le cuivre du soir ruisselait maintenant dans tout le corps de Sirius, lever de soleil dans ses yeux et au coin de ses lèvres.
« Je vais jouer avec lui... ?
- Hum, techniquement contre lui. Mais tu vois... Il t'a écouté.
- Je sais, je sais, balbutia-t-il, mais je m'en tape. Je vais jouer avec lui !
- Eh, c'est pas tout. Ce p'tit con... Il est attrapeur ! »
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