Été 1975 : au bout
Art : dead_cherry_bitch
Un jour...
Sirius se terra sous le drap fin. Il faisait chaud cet été-là, pourtant il eût bien voulu s'enfouir sous une couverture très lourde et dense, pour s'y sentir vraiment compressé ou comprimé, il ne savait pas trop, se sentir tenu, maintenu. Ses jambes étaient secouées de spasmes, celles de son voisin du dessus aussi. Il tremblait sans froid, sans parvenir à trouver le sommeil. Deux autres garçons discutaient tout bas, une certaine camaraderie naissait, secrète, de laquelle il se tenait à l'écart. Il ferma les yeux, un bras en travers du visage. Dors. Qui sait si tu ne ne vas pas être réveillé au milieu de la nuit, dors. Son corps fourbu résistait, trop secoué d'adrénaline, les réserves d'hormones de son système nerveux toutes pétées et déséquilibrées pour tenir le coup. Son cerveau carburait, dans le noir, entre visions cauchemardesques de la somnolence et remous des regrets qu'il brassait. Il s'en voulait de ne pas avoir supplié McGonagall ou Suliman d'effectuer un second stage à la place des vacances, et tant pis s'il savait très bien que ses parents eussent refusé, il eût dû agir, se cramponner au bout des ongles, des dents, mais il avait préféré faire comme si ce n'était pas vrai, comme s'il allait y réchapper par... Magie.
Les garçons devaient si bien s'amuser, cet été, à la plage, dans les champs. Sirius n'était pas vraiment jaloux. Il ne souhaitait ce qu'il vivait à personne, pour rien au monde. Il regrettait de perdre ce temps précieux qui ne reviendrait jamais, l'été de ses quinze ans, cinquante nuits sans faire l'amour avec Remus. D'être abruti par l'effort et le matraquage alors qu'ils eussent dû apprendre à s'éveiller dans leur pleine jeunesse. Alors pour ne pas s'apitoyer sur lui-même, il nourrissait sa colère, petit monstre de ses entrailles qui l'éperonnait et l'épuisait.
Il se retourna vivement. Le lit grinça, un garçon siffla d'agacement. William n'était plus son chef de dortoir, d'ailleurs, il n'était même plus au Camp. Sirius ne savait pas ce qu'il en pensait. Que c'était une chose de moins à penser, quelque chose comme ça. Tim était toujours là, mais dans une autre chambre, alors ils ne faisaient que se croiser, s'éviter du regard et soupirer de soulagement quand ils ne travaillaient pas ensemble. Sirius avait parfois l'impression que ses camarades le regardaient de travers, mais ce n'était peut-être qu'une impression. On n'a pas d'énergie à perdre avec ça.
Il sursauta. Il ne s'était pas rendu compte qu'il s'endormait. C'était seulement un rêve, grondait-il contre son cœur serré sans qu'il ne sût pourquoi, seulement un rêve, bon sang, arrête de cogner, tu fais mal, tu vas t'épuiser, je suis épuisé, laisse-moi dormir. Le songe qu'il faisait le plus souvent, c'était celui dans lequel on le forçait à torturer ce traître à son sang de James. La forme variait, son imagination n'avait pas de limites, parfois il était obligé sinon Remus serait tué, parfois il était soumis à l'imperio. Une fois, une seule, terrible, qui l'avait laissé estomaqué, il avait ordonné de faire torturer James parce que, soumis lui-même au doloris, il avait tout donné pour que ça s'arrêtât. Le matin encore, il en sentait les déchirures sur sa peau comme s'il avait vraiment été écorché vif. Mais ce n'était rien face à la douleur de la culpabilité.
Celui qui l'avait le plus effrayé, c'était celui dans lequel Remus tournait le dos aux Maraudeurs pour rejoindre les Mangemorts de son plein gré. Il clamait qu'il n'y avait que là qu'on l'acceptait pour ce qu'il était, et Sirius crevait de regrets de ne pas être devenu animagus à temps, et pleurait pour que Remus l'attendît, et Remus riait de sa naïveté enfantine, cela ne sert à rien, ça ne marchera pas, et même si tu y arrives, je n'ai pas besoin d'un toutou de compagnie.
Sirius eut un nouveau spasme, s'étira, froissa toute la maigre couverture entre ses bras pour la serrer.
« Silence, Black... » marmonna quelqu'un avec plus d'acidité qu'Achille n'en eût jamais eu.
Même les chansons qu'il avait emportées dans sa tête devenaient désagréables à force de tourner en boucle.
Le clairon sonna. Seigneur, est-ce enfin le matin ? Entre demi-sommeil et remous agacés, j'ai l'impression que cette nuit a duré à la fois dix minutes et une éternité. Il ne rêvait que de dormir. Faire tout taire, partout, un vrai répit. Les journées commençaient par un entraînement physique, suivi des nouvelles lors du petit déjeuner, dans de grands discours laudatifs et parfois assez vides de contenu. Il y avait quelques leçons d'histoire, des entraînements façon missions collectives. Des leçons de sortilèges aussi. Parfois sur des mannequins animés. Parfois sur des créatures volantes, capturées et relâchées après avoir servi de cobaye. Des rumeurs circulaient, certaines recrues s'éclipsaient pour un jour ou deux, sélectionnés - à ce qu'on disait - pour des sessions spéciales avec d'autres formateurs, et revenaient, tenus au secret. Un entraînement intensif, probablement, mais élitiste, quelque chose de prestigieux et de concret qui faisait pétiller les yeux des jeunes ambitieux. Si ça signifie seulement souffrir davantage en croyant s'endurcir, non merci.
Sirius sursauta. Il avait eu une absence, sur le terrain, ce n'était pas la première fois et il n'était pas le seul. Des moments où le cerveau épuisé faisait l'éclipse, puis il s'apercevait que le monde avait tourné sans qu'il s'en rendît compte. Parfois, les autres le remarquaient avant lui et le réprimandaient. Parfois, il parvenait à se rattraper, après une énième déflagration de stress. Mais même quand il n'était pas à l'entraînement, son esprit continuait de le harceler, ressassant, anticipant. Et puis parfois son cœur s'emballait sans raison, et il comprenait après qu'il avait saisi des signes imperceptibles.
William le regardait.
William était là.
Maintenant, Sirius était presque soulagé. Au moins, c'est fait. Malgré toute la confusion que sa présence venait jeter dans l'esprit de Sirius, une tension avait disparu et sa présence redonnait un étrange ordre à cette organisation. Il remobilisa ses énergies. « Tu vas te blesser ! » grogna William, en passant près de lui à balai. Ses dreadlocks avaient poussé en un an, ses yeux bleu vert n'en semblaient que plus énigmatiques, perçants comme des fenêtres ouvertes sur sa peau brune. Ils ne le quittaient jamais.
Ça, hors de question, se supplia-t-il intérieurement, cognant dans ses limites pour les repousser. Un de ses camarades piqua vers le sol. Il l'évita machinalement, ce fut presque s'il ne pesta pas d'être bousculé. Quand on arrive à un tel stade d'épuisement et de conditionnement, il ne reste qu'une ou deux étoiles vaillantes auxquelles on suspend ses dernières volontés.
Son aîné le rejoignit, pendant une pause au milieu de la matinée. Ils échangèrent quelques mots confus, glacés comme à travers une vitre impactée, et pourtant urgents, la main sur le verre. On servit des rafraîchissements aux recrues avec, surprise bienvenue, des barres de chocolat. Sirius ôta le papier de la sienne, un léger rictus aux lèvres. « Mange » l'encouragea inutilement William. La friandise crémeuse fondit sous ses dents, coula sur sa langue. C'était du mauvais chocolat, trop sucré, pas assez poivré, pourtant une sensation de bien-être coulait dans son corps, comme si tout son sang était devenu crémeux lui aussi, si dense qu'il devenait insensible aux douleurs, et le remplissait de puissance. Il soupira et parvint, pour la première fois, à sourire véritablement, les yeux vagues. William répondit à ce sourire, pressa furtivement son épaule et adressa un signe à Carrow qui s'approchait.
« Ça va mieux, maintenant, hein ? » ricanait-il, en sillonnant dans les rangs.
Un mauvais pressentiment traversa les entrailles de Sirius. Les tensions de sa nuque et ses courbatures ne le dérangeaient plus. Il avait l'esprit vif comme s'il venait de se réveiller à Poudlard après la meilleure des nuits, sous le plus éclatant des soleils, vif, et joyeux, presque. Plus rien ne pourrait le distraire de sa tâche.
« Cachu... gémit-il, soulagé et terrifié, sentant la magie malvenue et inconnue pénétrer ses muscles.
- Eh, c'est quoi ce langage ? pesta Carrow. En balai, vite ! Pour les nouveaux, je vous présente William Smith, il a travaillé avec nous l'année dernière et il a généreusement accepté de vous préparer l'entraînement du jour : remerciez-le et honorez-le ! »
Sirius avait beau savoir qu'il avait été manipulé, bon sang, ce répit, c'était béni. Il ne sentait plus le froid dans les hauteurs qu'il atteignait à balai, remarquait les pièges invisibles comme s'il avait des yeux d'aigle. Toute l'équipe, requinquée, passa les épreuves en un temps record, dans une semi-euphorie inquiétante et pour les féliciter, on leur accorda du temps libre en fin de journée, quand les effets s'atténuèrent.
« Alors Sirius ? Je savais bien que tu aimais les potions magiques... » siffla Narcissa pendant le dîner.
Avery félicitait William, à la table des chefs, il n'entendit pas pour quoi. Les supérieurs trinquèrent, ils bavardaient joyeusement, les yeux de William ne cessaient de l'accrocher, comme les éclats d'un cristal lointain. A la fin du repas, Sirius s'éclipsa dans le parc. Il était toujours difficile de s'isoler, les jeunes étaient surveillés, les activités très encadrées ne laissaient que peu de répit, on les encourageait à s'épier mutuellement. Cinq minutes, rien que cinq minutes face aux immenses vallées baignées de nuit, quelle impertinence. Sirius n'avait pas eu le loisir de les regarder. Entre le ciel infini et les étendues bleu vert, ils se sentait minuscule comme jamais, écrasé par ce lointain. Tellement seul, même avec William à côté, James loin là-bas
Et Remus, partout.
&
Sirius dormait.
Soudain une noyade glacée l'engloutit si fort qu'il en suffoqua. Ce n'était pas l'angoisse, ça, c'était un sortilège.
« Black, debout ! »
Une silhouette dans l'ombre, appuyée au chambranle de la porte, l'attendait. C'était Rodolphus Lestrange. On ne l'avait pas vu au camp, depuis le début de l'été.
« Quoi, lui ? Pourquoi lui ? » geignit un camarade envieux.
Sirius avait oublié, il oubliait tout. On l'avait donc réveillé pour un de ces entraînements exclusifs ? Pourquoi lui ? Il sermonna son corps redevenu courbaturé, fourbu, secoué de grands frissons enfiévrés et froids et quitta le dortoir sans un regard en arrière. Rodolphus le fit avancer devant lui dans le couloir. Il faisait encore nuit. Sirius avait envie d'enlever ses chaussures, de marcher sur les murs, casser les fenêtres à coup de talon, salir le plafond, laisser des traces ensanglantées qui goutteraient sur les visages...
Ou plus sincèrement danser dans l'air, sans toucher terre, oh, oublier la gravité un instant...
Rodolphus s'arrêta devant une porte et toisa son cousin : « Pas de conneries, toi... J'étais pas pour qu'il te prenne, alors pas de conneries, sinon... »
Il dessina un coup de fouet du bout de la baguette. Le signe du doloris. Sirius haussa les yeux et tira la langue au dos de son cousin qui s'était retourné pour frapper. William ouvrit.
« Bonsoir Sirius.
- Bonsoir.
- Sirius ?! Pourquoi lui ? »
Sirius vit blanc. C'était Regulus. Seigneur, c'est quoi encore, cette affaire ? Son cœur mitrailla de plus belle. Son frère tenait à la main un chocolat que William venait de distribuer. Sirius déclina avec difficultés, les yeux rivés sur son cadet qui lui adressa une grimace agressive. "Prends..." le supplia William du bout des lèvres, mais il refusa farouchement. S'il avait insisté une fois de plus, Sirius se serait dit : foutu pour foutu, autant souffrir un peu moins.
Rodolphus ensorcelait une bouteille de verre, sur la table.
« A trois, tout le monde la touche.
- Où on va ? Qu'est ce qu'on va faire ?
- Prends ! cracha son cousin. Ça fait partie de l'entraînement. »
Sirius posa un doigt sur le culot de la bouteille, près de la main de son frère. Le sol se déroba sous ses pieds, son nombril tira et il sentit son corps à bout être secoué dans tous les sens. Il lutta durement contre la nausée et se redressa parmi les autres, comme si de rien n'était. Ils s'étaient téléportés sous un pont de pierre couvert de graffitis. Sirius y passa la main, comme pour s'y accrocher.
(à la peinture, pas à la pierre)
« Remontez vos capuches. En route. »
Menés par Lestrange, les autres avaient beau se tenir coi, on sentait leur excitation vibrer autour d'eux dans la nuit, dans leur démarche encore légèrement sautillante. William tendit à Sirius une pastille au gingembre. Il hésita. « Prends, il n'y a rien dedans. » Il la posa sur sa langue. L'épice apaisa sa nausée en le tenant éveillé. Son arôme lui rappelait McGonagall. Que penserait sa professeure si elle le voyait là ?
Ils empruntèrent une rue qui montait vers le cœur d'un petit village, une place d'église, des maisons à colombage. Sirius mit un certain temps à comprendre, à voir. Les enseignes et vitrines étaient statiques. Il murmura, livide : « C'est quoi, cet entraînement ?
William ?
- Silence ! »
Lestrange leva sa baguette.
« Fais vite ! le somma William en prenant Sirius par le cou.
- Morsmordre ! »
Sous les acclamations des cadets, une longue flamme verte surgit de la baguette du Mangemort et dessina dans le ciel un crâne qui crachait un long serpent. Sirius le sentait sortir de sa propre gorge, seulement il prenait la forme d'un cri.
Les vitres des maisons et commerces volèrent en éclats par milliers qui tombaient en pluie sur eux et il se sentit aussitôt partir à vive allure, écrasé, déformé.
Il transplanait, entraîné par William qui le tenait encore serré contre lui, et il continuait de crier se débattre, tant et si bien qu'il dégringola dans le noir, sur un sol de sable, il en respira, partout dans la bouche, il roula sur quelques mètres, glissa, égaré, sur ce sol en forme de poussière.
« Non mais qu'est-ce qui t'a pris ?! Tu as failli te faire... Nous faire... désartibuler ! J'ai dû nous faire atterrir en urgence... »
William s'approcha de lui pour l'examiner, même en le réprimandant. Sirius le repoussa, toussa. Il retrouva peu à peu ses esprits, enfin, pas vraiment non plus, il réussit à les couvrir et penser au plus urgent : maintenant. Où sommes-nous, et que faire ?
Il ferma les yeux. Ça sentait comme jamais et pourtant, il savait ce que c'était :
La mer.
Il retomba à genoux, s'assit. Il ne la voyait pas, il entendait son ressac, comme une respiration, incantation, si primitive et si pure en même temps. Il ôta ses chaussures et avança pour s'offrir à la morsure de son écume froide.
Ce n'était pas comme ça, que je la voulais.
Il entendit quelques remous. William l'avait rejoint, il se tenait assez loin.
« Gwendoline la Fantasque. Brûlée quarante-sept fois. Chaque semaine de l'année, dans un des lieux où c'est arrivé, les Mangemorts allumeront un feu de joie. En mémoire. Tu n'en as pas entendu parler ?
- Je l'ai vue à Londres, se rappela Sirius.
- Londres ? Que faisais-tu à Londres ?
- Elle n'a jamais souffert, la Fantasque. Elle connaissait un sort, ça l'amusait... Ils le disent dans les livres !
- C'est le principe ! Ne jamais oublier de quoi les moldus sont capables ! Ce qu'ils veulent nous faire...
- C'était il y a sept cents ans !
- Tu crois qu'ils valent mieux aujourd'hui ?
- Oui, mille fois oui ! Et nous, est-ce qu'on vaut mieux ? Tu crois vraiment que c'est digne, ce que vous faites ? »
En même temps qu'il grondait, son cerveau crépitait. Il doit être possible d'empêcher les prochains, Emmeline, la radio, comment la mettre au courant ? Remus saurait ! Il aurait déjà eu cinq idées, et des plans B... Sirius scrutait la nuit, comme s'il pouvait y voir le phare mobile du bateau pirate, mais il faisait si sombre qu'il ne distinguait pas d'horizon. Tout ce qui venait à lui, c'était l'éternel mouvement de la mer, et ses étreintes froides autour des genoux, régulière, inflexible. Impassible.
« Sirius. »
La voix de William se confondait avec le vent.
« Je vais me marier. »
Sirius sourit sans le vouloir, un sourire brisé de poupée. Il murmura : « Félicitations. Allez, viens, il faut qu'on rentre... »
William prit sa main. Mais au lieu de transplaner, il la mena à ses lèvres.
Et là, ça va très vite
Riposte, qu'est-ce que tu risques ? Être renvoyé de l'école, et alors ?
Laisse-toi faire : il est trop fort, il peut t'immobiliser, te désarmer.
Te soumettre à l'imperium et te faire faire tout ce qu'il veut.
Tout ce qu'il veut
Même si je me défends, il peut m'abandonner là sur cette plage, seul et loin de tout, il peut effacer mes souvenirs.
Alors Sirius déclara la chose la plus stupide qui fût, la dernière qu'il pût articuler :
« Arrête, ça ne se fait pas ! »
Il distinguait à peine William, il n'y avait que ses phalanges autour des siennes, ses lèvres avides. Il serra sa main plus fort, à lui tordre les doigts.
« Ça ne se fait pas, je sais bien que ça ne se fait pas... Et toi, comment tu fais ? Tu vas bien devoir te marier toi aussi ? Tu peux pas me dire ça !
- De quoi tu parles ? Tais-toi, ramène-moi ! »
Bon sang, arrête, je t'en prie arrête, faites qu'il s'arrête. J'ai peur, je veux rentrer ! William eut un rire mauvais. Non : douloureux. Et il se mit à parler très bas, Sirius entendait mal dans le ressac. Il ne se souviendrait que de pièces éparses qu'il avait reconstituées à sa façon.
« Oui, rentrer chez soi... Retourner jouer la grande comédie. On finit par croire aux rôles qu'on s'invente, hein ? Nos brillants cerveaux sont bien faits. Le cœur, c'est autre chose... Et ça t'enfonce dans le chaos chaque nuit, avec des rêves trop lucides et lumineux... et chaque minute éveillé devient plus lourde et insoutenable. Toute ma vie sera un mensonge bardé de regrets... Une vie entière, combien de temps, ça dure ? Je suis ici, je suis... En-dehors du monde... Jamais je ne pourrai être moi-même... »
Il s'effondrait sous les yeux de Sirius, pas plus consistant que les vagues. Submergé dans la nuit qui brouillait le réel, Sirius ne savait plus trop si ce n'était pas un rêve ça aussi, l'air tiède impalpable, l'eau autour de son corps qui anesthésiait et alourdissait ses membres, et ces paroles hantées. Il s'écria, comme s'il se houspillait lui-même :
« Alors refuse, dis non, casse-toi ! »
William l'empoigna.
« Pour aller où, devenir quoi ? Je ne peux pas renoncer à cette vie-là, c'est tout ce que j'ai ! Ce que je leur dois... »
C'est vrai, Sirius, toi tu ne rêves que de quitter ta famille, pour aller où, devenir quoi ? Un marginal toujours. Il y aura d'autres cercles qui te garderont de la liberté, tu sais, partout où tu iras, si ce n'est pas même eux qui te traquent.
Quelle vie vas-tu offrir à Remus ?
Remus t'aimera-t-il encore longtemps ?
« Je vais renoncer, je peux le faire... déclara William en l'attirant vers lui. Je voudrais juste... juste savoir...
- Ne me fais pas ça, souffla Sirius épouvanté. Ne me fais pas ça... ! Je t'en prie...
- J'ai besoin de savoir ce que ça fait !... »
D'un mouvement brusque pour lui arracher son bras, Sirius chavira dans l'eau agitée
dans l'océan qui lave les péchés, noie l'inconvenance
Qu'il me noie, là, ce sera la seule façon de lui donner mon corps,
Prends ce baiser de la mer,
Le reste jamais !
William l'écrasait de son poids et de sa bouche ; son souffle ignoble lacérait son oreille, je t'en prie, je t'en prie, implorait-il. Sirius rugit en se tordant hors de son emprise, à la faveur d'une vague. William le rattrapa par la taille et Sirius serra son cou.
Il serra de toutes ses forces de batteur, le renversa sous lui, ce corps qui se cabrait à sa merci, le visage défiguré par l'asphyxie. La carotide vagissait sous ses pouces, son rouge dégringolait dans les yeux de Sirius qui n'était plus Sirius, aveuglé, désespéré,
Vous êtes tous tous, vous n'êtes que des bêtes infâmes !
Une vague les recouvrit et manqua de noyer William pour de bon. Sirius le lâcha alors, et, malgré sa répugnance, il l'attrapa par le col et le traîna sur le sable. Il cracha, tituba sur le rivage empêtré dans sa robe trempée. Ses poumons hoquetaient et pourtant, il devait encore... Il fallait...
« Arrête tes conneries, William, jeez. Je suis gelé, fais-nous rentrer. Ils nous attendent.
BOUGE ! mais bouge-toi, bon sang, arrache nous de là et ne croise plus jamais ma route !
Écoute du rock moldu, et apprends à t'aimer un peu !
- Jamais de la vie !
- Il y en a qui s'aiment au grand jour, là-bas !
- Arrête ! Tu ne sais vraiment pas de quoi tu parles ! »
C'est l'ordre des choses. La mer ne grimpe pas sur les volcans, les gazelles ne verront jamais la banquise. Si les baleines regrettent de ne pas pouvoir voler, moi aussi, je dois bien accepter ma vie telle qu'elle est, telle qu'elle m'a été donnée.
« La famille ? demanda Sirius, insolent, le prestige ? Les valeurs ?
- Tout ça. Et quelque chose de plus. »
William les sécha et tendit la main. Sirius la regarda avec méfiance, il redoutait de la prendre maintenant. Mais l'aîné retroussa sa manche. Sur son bras étaient tatoués le crâne et le serpent.
« Si je pars, je serai tué. »
Et ils transplanèrent.
Des cris les accueillirent, William rayonnait, tout sourire, le poing victorieux. Il défendit à quiconque de blâmer Sirius, peut-être un peu par magie, Sirius n'en était plus à se demander qui ou quoi, épuisé, physiquement, émotionnellement. Il se dressa comme une figure de porcelaine, vide, des débris à l'intérieur qui s'entrechoquaient quand il avançait, grinçaient sur les parois. « Je vais me coucher...
- C'est bientôt le jour, prends plutôt un chocolat... »
Il secoua la tête et s'éloigna. Il voulait une potion bien toxique qui le fracasserait aussitôt. Mais tout avait été fouillé et confisqué. Il tomba à genoux dans les toilettes.
Son cœur cognait encore fort, de sa gorge à son ventre, il n'avait pas cessé, depuis combien de jours ? C'est bon, tu dois être foutu maintenant, tais-toi pour de bon, comment est-ce possible que tu accélères encore ?
Son front dégoulinait de sueur
Sa respiration s'emballa sans qu'il ne pût rien y faire
Et ça dura
Dura
Les mains dérapent sur le carrelage froid sans fin
Son esprit s'était retiré loin dans un coin compressé de sa tête, et il haletait, secoué de spasmes
Il sanglotait sans larmes, c'était comme vomir sans bile, comme s'il devait sortir de sa peau,
Sors, monstre !
Il ne faut pas qu'ils me trouvent là
Je vais mourir de douleur
Ils pourraient me tuer
Lève-toi lève-toi
Tout est si noir
Comment faire ? Comment on fait comment on fait
pour vivre
Le temps semblait suspendu. Il n'entendait plus rien que le vrombissement dans sa tête.
Une migraine épouvantable était en train de monter. Il n'aurait pas dû refuser ce chocolat magique, ses mains en tremblaient tant elles en voulaient. Poison, les salauds. La soif le taraudait. Il se releva comme un miraculé, chancelant, nettoya après lui, but encore et encore, toute l'eau qu'il pouvait. Il avait l'impression d'avoir une peau d'eau sur la peau, mouvante et glauque, qui faisait des remous autour de lui tandis qu'il avançait.
« Eh, tu fais quoi là, à cette heure de la nuit ?
- J'étais en mission avec Lestrange et Smith. »
Le gardien le fit passer.
« C'est pas la peine de te coucher, c'est bientôt le lever. »
Sirius hocha la tête et s'effondra. Son voisin rouspéta.
Il s'endormit en convoquant le souvenir de Remus, sa voix dans les vers des poèmes
N'oublie pas ce que nous avons vécu
Comme ses bras autour de lui
Il doit être au festival
Ne m'oublie pas
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