Été 1974 : un corbeau blanc
Un jour...
« Eh mais Moony a dépassé McGonagall !
- Potter ! »
Néanmoins, la directrice ne put s'empêcher de lever furtivement les yeux vers le sommet du crâne de Remus. Lever les yeux. Ciel. Lorsqu'elle le toisa à nouveau, une fraction de seconde après, il arborait un mince sourire triomphant.
« Quatrième année madame ! s'écria James. Et on n'a pas fait la moitié ! »
&
Madame Suliman ne ressemblait pas vraiment à une dame. Elle portait les cheveux courts, très blancs, plus ébouriffés qu'un nid d'oiseau, concurrence que James considéra d'un fort mauvais œil. Ses yeux brillaient comme des labradorites, ondoyant du bleu au brun. Petite, un peu voûtée, crispée par une vivacité inouïe qu'elle paraissait réfréner, le regard toujours en coin, la peau noire ridée profondément et animée d'étranges mouvements brusques, elle avait l'allure d'un...
« Corbeau blanc, certifia Remus.
- Mais d'où tu sors un corbeau banc, toi ? » bougonna Sirius.
Il était d'une humeur de chien depuis que les cours avaient repris. Danser pour oublier, le premier soir à Poudlard, baigné dans l'euphorie, ça donnait le change mais ça laissait la gueule de bois pareil, le lendemain. On croit qu'on est revenu, les chaînes demeurent, à l'arrière du crâne : celles de la pensée qui pèse sur toutes les pensées, ombre de la guerre ; entraves familiales, et celles de cet amour maudit qui a eu la langue arrachée avant la naissance.
Remus ne s'en formalisa pas, dès qu'il avait une image en tête, de toute façon, c'était fichu. Il semblait avoir pris son parti. Ou se concentrer sur les cours pour oublier ? Oh, pitié, non, Sirius, arrête, de toute façon qu'est-ce que ça peut faire ? Remus rit – oh, pitié, non, Remus, arrête - en insistant, mais si, regarde bien ! Il rougit quand Suliman tourna la tête vers lui, comme si elle avait pu l'entendre du fond de la classe où Sirius l'avait entraîné. Remus aimait changer de professeur, cela n'arrivait pas assez souvent. La routine de Poudlard avait beau être sécurisante, la nouveauté lui manquait. Un étudiant moldu vivait davantage de rencontres, de confrontations, il changeait de camarades et d'enseignants tous les ans. Suliman l'impressionnait, il ne savait pas encore qui elle était et il avait hâte de le découvrir, il raffolait de ce sentiment.
McGonagall faisait cours derrière son bureau, Flitwick sur son bureau, Slughorn les fesses au chaud, Suliman s'installa en tailleurs sur une table au fond de la classe. Les élèves se retournèrent, cherchèrent une posture, inconfortable, en se demandant si cela faisait partie d'une stratégie pour les déstabiliser.
« Toi, fit-elle en lançant la pointe de son pied vers Achille. Je t'envoie chercher des racines de Narthécie Brise-os dans la forêt interdite. À quoi tu te prépares ?
- Euh. Je.... balbutia Achille qui ne s'était préparé ni à la question, ni au tutoiement.
- Allez, dis-moi.
- Marécage » articula Remus en direction de son camarade.
Il grimaça en sentant la pointe de la baguette de Suliman l'avertir. Il lui tournait pourtant le dos, il était persuadé d'être discret.
« La narthécie pousse près des marécages. Il y aura des pitiponks et des kappas, déclara Achille. Et bah, heu. Pour le kappa, je prévois un concombre ? »
La classe fut secouée d'un petit rire. Suliman laissa son amusement paraître.
« Ce n'est pas inintéressant. Sinon ?
- Je lui lance un rictusempra pour renverser l'eau qu'il a dans le crâne. Sur le pitiponk, comme ça, je fais d'une pierre deux coups, frima-t-il.
- Je veux bien voir ça. Tu te méfieras des fangieux aussi...
- Des quoi ? Pourquoi "méfieras", on va faire des travaux pratiques dans la forêt ?
-Toi, fit-elle à Remus. Tu connais bien la forêt ? Ton ami, là, s'est perdu à cause des pitiponks...
- Mais ! protesta Achille.
- ... Tu vas à sa recherche.
- J'envoie James sur son balai pour faire du repérage, rit-il de sa voix cassée en faisant un clin d'œil à son ami qui lui répondit par un pouce levé. C'est le meilleur sur un balai. Bon, d'accord, je monte derrière lui, comme ça, je peux lancer des sorts aux créatures. On prépare un sortilège de feu pour s'éclairer et pouvoir utiliser nos baguettes. J'emporte une potion de ratatinage contre les trolls, une potion de beauté pour les Chaporouges, des carcasses de poulet pour les gobelins buveurs de sang et... des concombres, donc ?
- Pourquoi tu m'as pas soufflé tout ça ?" geignit Achille.
- Et contre les loups-garous, tu fais quoi ? » marmonna Snape.
Elle ne quitta pas Remus des yeux, le visage si impassible que le jeune homme s'alarma. Il entendit Sirius pester. Finalement, elle s'écria très vite : « Hum. D'accord. » en sautant sur ses pieds pour s'élancer vers l'estrade, interpellant çà et là leurs camarades :
« Toi ! Tu fais quoi pour défaire un chauve-furie ?
- Hein ?
- Toi, pour te défendre d'un maléfice d'entrave ?
- D'entrave ?
- Mais vous n'avez rien appris ma parole...
- Oh si quand même, on est incollables sur les cauchemars !
- ... Qu'importe, vous avez plein de choses à découvrir, j'ai hâte de travailler avec vous ! »
Une carte mentale, comme celles que Remus organisait sur ses cahiers, apparaissait au tableau, guidée par ses doigts qui s'agitaient, tandis qu'elle marmonnait, tête baissée. Le programme de l'année s'inscrivait dans ses embranchements. Remus se tourna, surexcité, vers Sirius qui grognait.
« Putain, j'ai mal au ventre...
- C'est quoi ce juron moldu ? » taquina-t-il.
Mais Sirius ne souriait pas, la tête baissée. Remus se rappelait l'étrange pressentiment que certains avaient éprouvé au contact de Sandmann. Fallait-il se méfier pareillement de Suliman ?
« Première partie, les créatures, et je ne parle pas du folklore. Vous avez été mis, depuis tout petits, en garde contre les géants, les trolls, les loups-garous, les vampires, j'en passe. Il est temps de mettre les choses au point et de bien séparer les faits des préjugés. Ici, il s'agit de science et de rien d'autre. Vous construirez votre opinion quand vous serez capable de compiler des informations. Deuxième partie, les sortilèges et les contre-sorts. Reconnaître un objet enchanté et le neutraliser. Troisième partie, en fin d'année... »
Elle soupira.
« Les duels.
- Sorcier contre sorcier ? s'étonna Mary.
- Bien sûr. À quoi pensais-tu ?
- Sorcier contre... Créature ?
- Vous avez déjà pratiqué le duel, rassurez-moi ?
- Un peu, en deuxième année : le sort du bouclier et le désarmement, quoi. »
Suliman plissa les yeux, immobilisée, le dos toujours un peu voûté, les lèvres pincées. Ses pupilles mordorées passaient d'un élève perplexe à l'autre. Elle réunit lentement ses doigts écartés sous son menton. On pouvait voir les rouages de sa pensée s'agiter sans parvenir à en saisir la profondeur. Elle hocha la tête, lentement et déclara avec une simplicité forcée qui retenait toutes ces choses qu'elle n'osait dire :
« D'accord. On va aller un peu plus loin, cette année. Écoutez-moi bien parce que vous êtes jeunes et étourdis et que je suis très vieille et impatiente. Vous allez sur vos quinze ans et il est temps d'insuffler un peu de réflexion dans ce que vous apprenez. Je ne veux pas que vous considériez les forces du mal comme un pôle, une unité fermée de laquelle on peut se tenir éloigné. Nous vivons ensemble, dans un prisme établi entre ces deux extrémités... et peut être quelques autres. Toutes nos actions sont connectées les unes aux autres ; nous évoluons sans cesse sur la ligne qui est tendue entre ces deux pôles : celui de l'intention de faire le bien, celle de faire du mal, aussi certaines de nos interventions tirent-elles sur les deux fils. J'ai beaucoup d'espoir de faire surgir des questions, de débattre. C'est ce que j'attends de vous. »
Sirius avait déjà quitté la salle quand Remus referma son sac. James haussa les épaules. Ils le retrouvèrent tout sourire, dans les escaliers volants, avec Ian et Ophélie. Ils s'amusaient à lancer de gentils sorts aux élèves de première année qui passaient en-dessous, pour mieux les saluer ensuite. James oublia instantanément pourquoi il avait le cœur serré deux secondes auparavant et projeta vers Sirius un sort qu'il avait déniché dans un vieux manuel oublié, mais ils n'en connurent pas les effets car leur ami le para, même de dos.
« Woah bordel ! » geignit James plein d'admiration.
Ils se penchèrent pour mieux voir Snape descendre vers sa salle commune. Sirius pointa vers lui sa baguette. Aussitôt, trois limaces surgirent de ses mèches de cheveux gras et s'écrasèrent sur ses épaules. Les acolytes se tapèrent dans la main et s'étalèrent sur les marches, à l'abri des regards, pendant que des cris de dégoût montaient vers eux. Remus leva les yeux au ciel, ce fut la main de James qui le tira au sol, juste à temps.
« Flitwick nous a dit que cette année nous devions faire un stage de découverte des métiers, déclara Ophélie.
-Ah ? s'étonna Remus.
- Ah ouais, on avait oublié de te dire ! Gona nous a annoncé ça le premier jour.
- Ah ben merci, grinça Remus, faussement pincé.
- Gona ?
- Elle m'a puni pour l'avoir appelée McGo...
- Gonag.
- Nagal.
- llaganoG ?
- llaganoG caM.
- La Dragonagall.
- La Harp...
- MAIS C'EST QUOI cette histoire de stage, s'il vous plaît ? interrompit Remus.
- Ah ben il faut qu'on aille demander dans un bureau, une boutique ou je ne sais quoi pendant les vacances de la Samhain, un stage à faire pendant les vacances de Beltaine. T'as de la chance, toi, ton père fait un super... OH TU CROIS qu'on pourrait faire le stage tous ensemble avec ton père ?
- Avec mon père ? Mon père qui est spécialiste de la traque d'apparitions spectrales ?
- Ouais !
- Expert en dissimulation ?
- Ça va être tellement excitant !
- Mon père dont la qualité première au boulot doit être la discrétion ? Je crois qu'il rigolera très fort quand je lui proposerai. En plus du fait qu'il y a trop de secret professionnel pour nous laisser l'accompagner.
- Ooooh... Ben on ira faire le stage à HoneyDukes pour chercher le passage secret dont a parlé Rosmerta ! Il faut qu'on aille leur demander dès la première sortie à Pré-au-Lard ! »
Les rangs des élèves se reformaient pour rejoindre les cours suivants. Tandis que Remus avançait vers les serres, James retint Sirius par la manche.
« Eh, tu te rappelles de ce qu'il faut pour tu sais quoi ?
- La mandragore ! » murmura-t-il.
C'était l'ingrédient principal pour devenir animagus.
« J'espère que c'est toujours au programme de deuxième année, on pourra demander à ton frère de...
- On lui demandera rien du tout ! glapit Sirius. Pourquoi tu ne demande pas aux Gryffondor ? Ils t'adorent, ils nous en donneront sans discuter, et sans se méfier. Je peux aussi très bien me faire mettre en retenue, ça suffira pour en voler. »
James éclata de rire parce qu'il ne savait pas que répondre mais plus tard, pendant le cours, il s'arrangea pour discuter avec son ami en usant de leur code secret hybride, afin de n'être pas vu de Remus, pas compris des autres.
« Ça t'embête que je parle à Regulus ?
- Non... »
James essaya son rire magique en passant son bras, plein de terre, autour de son cou, et dit à son oreille : « Sirius... Tu sais que c'est toi le premier dans mon cœur ; ça ne changera jamais ! »
Sirius grogna et acheva sa phrase : « ... Mais arrête de vouloir que je lui parle. »
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