Été 1973 : un saccage

Un jour...


Il ne savait plus depuis combien de jours et pour combien de jours encore



L'été soixante treize, suffoquant, accablant.

Des paroles venaient d'en bas, indistinctes, prononcées avec la vivacité de claquements de fouets. Sirius faisait danser ses doigts noircis sur le bois de son bureau. Il ne s'en rendait pas encore compte. Cela lui viendrait quand des paroles commenceraient à se répéter dans sa tête :

« I will find a way - way

There will come a day - day »

Avant de partir, James avait dit à Remus : « cette fois, n'attends pas ma beuglante pour te souvenir de nous ! » De quoi parlait-il ? Sirius lui avait simplement demandé d'"apporter de la musique". Remus avait expliqué de son mieux, avec un sourire embarrassé, combien les appareils étaient encombrants mais il n'avait pas compris, il n'avait pas eu envie de s'encombrer à comprendre.

A présent, il ne savait plus s'il avait envie de l'entendre.

C'est que, depuis le début de l'été, à tout instant, au milieu de la plus quelconque des activités ou de la plus exaltante des rêveries, un rythme impérieux, une voix dans sa tête venaient le surprendre et accompagner sa solitude. La musique s'était insinuée dans sa vie. Pourtant, il ne connaissait que quelques chansons fredonnées par son ami et elles étaient tout à fait incomplètes. Mais il en comblait les vides. Un refrain oublié, un couplet abandonné ? Il les avait réinventés. Les récits passionnés de Remus l'avaient introduit dans le champ de l'art, où son esprit affamé ne pouvait que se jeter, éperdument. Ces chansons fragmentées, il les avait faites siennes, et leurs lacunes avaient fini par lui plaire plus encore qu'elles ne le frustraient. Il y avait une quête naïve et salvatrice que Sirius poursuivait dans ces espaces blancs pleins de possibilités qui occupaient son esprit et lui demandaient : "qu'est-ce que ça veut dire ?"

Dans la solitude de sa chambre, les ténèbres se suspendaient et écoutaient.

Et si la réponse venait et qu'elle devait être décevante ?

Il y avait insufflé tant de lui-même qu'il craignait à présent d'anéantir cela en l'écoutant, la musique.

Perdait-il la tête ? Où cela s'arrêterait-il ? La magie moldue était illimitée et il découvrait que son esprit l'était aussi.

A tant songer, il se sentait devenir un seul esprit, fantôme de lui-même, fantôme vivant, exilé de l'autre monde

Et quand il s'en rendait compte, il riait très fort de lui-même pour les chasser :

L'obsession,

La possession


CRAC !


« Monsieur Sirius, maître Orion vous fait savoir qu'il est l'heure ! »

Kreattur lui tourna le dos pour marmonner : « même pas habillé, oh quelle indécence, quelle misère, un si mauvais garçon...

- Kreattur ! Sirius ! Arriverez-vous enfin ? »

L'elfe disparut dans un deuxième craquement. Des exclamations de colère ne tardèrent pas à se faire entendre.

Sirius se frotta les yeux, s'étira, soupira puis gronda tandis que ses muscles se crispaient à nouveau. Il n'avait pas dormi la nuit précédente, après son rendez-vous secret dans le miroir avec James. Jusqu'au bout du monde, James au rire inoubliable, sa lumière dans la longue nuit de l'été, la source claire où calmer la brûlure. Il ranimait Sirius chaque fois qu'il lui parlait, avec son enthousiasme inaltérable devant un nouveau jeu, une découverte, ses plans sur la comète ; en étant simplement et profondément lui-même. Compter ensemble les jours, le visage plongé dans sa cape d'uniforme, terré sous les draps, pour retrouver l'odeur de Poudlard et dissiper l'angoisse. Il avait manqué de se faire repérer plusieurs fois mais il craignait davantage de se perdre s'il devait ne plus lui parler ni l'écouter.

Ensuite, il s'était mis à dessiner. La lune lui avait tenu compagnie, ronde et rousse, étrange meurtrière. Il dessinait, de plus en plus souvent depuis qu'il était enfermé sans distraction dans cet épouvantable été, il n'avait plus que cela. Le dessin, c'était sa liberté, et même s'il devait cacher ou détruire ses croquis, le simple geste, le tracé, le parcours lui suffisaient. Il se méfiait des mots, c'était trop douloureux, trop aveuglant d'une lucidité qu'on ne peut adoucir. Les mots avaient quelque chose d'accompli et on ne pouvait jamais revenir en arrière. Leur tranchant définitif le repoussait. Mais les images qui fusaient dans sa tête, leur vérité ne se laissait pas piéger, elle demeurait puissante et insaisissable, et pourtant, il sentait qu'il commençait à comprendre leurs symboles...

« Something will be done »

A corps perdu

« SIRIUS ORION BLACK, NE NOUS FAITES PAS MONTER !»

Il soupira et se leva brusquement. Sa banderole rouge et or brillait sur le mur, grâce à un sortilège de glu perpétuelle soufflé par James un soir, dans le miroir. Il enfila une robe. L'empreinte de Remus avait disparu depuis longtemps mais il était inconvenant de se présenter bras nus chez les Black. Dans la poche de son veston de damas, il glissa trois parchemins pliés très finement. Il s'arrêta un instant sur ses ongles et sa peau tachés d'encre noire, marque de l'inconvenant (encore !) mouton noir, et il sourit.

En dévalant les escaliers, il manqua de percuter Regulus qui grimpait quatre à quatre à sa rencontre. Depuis qu'il avait été choisi par une baguette au ventricule de dragon, il ne se sentait plus de joie. Ses parents le portaient aux nues, enchantés de trouver chez le cadet une bouture des espoirs déçus par le premier. Mais aussi bourré de défauts fût-il, Sirius était dénué de tout sentiment de jalousie et d'envie. En passant à côté de son frère, il lui chatouilla les côtes et comme Regulus ne put retenir un rire, leur père les menaça de sa baguette : « Tenue ! » Sirius se redressa, mains dans le dos, un sourcil levé haut sur le front, étendard d'insolence. Regulus chouinait : « Mais c'est lui qui a commencé ! » Orion leur jeta un regard glacial, la baguette toujours brandie.

« Toutes mes excuses... » marmonna Sirius.

Le père eut un mouvement de tête imperceptible, les lèvres pincées et s'apprêta à se retourner.

« ... Mais j'aime trop l'entendre rire ! »

Regulus ouvrit une bouche ébahie. Il fut hâtivement entraîné par le bras par Walburga qui, obéissant à l'ordre muet de son époux, le fit disparaître dans la cheminée.

Sirius faisait face à son père. Il tremblait de tous ses membres mais le seul moyen de vaincre sa peur était de l'affronter, alors il faisait face.

« Je n'ai pas envie d'y aller ! déclara-t-il avant que son père n'eût pu parler.

- Vous vous exprimerez quand vous y serez autorisé. Je ne me rappelle pas vous avoir demandé votre avis. Si la situation vous incommode tant, posez-vous les bonnes questions... Ce n'est que votre impertinence que nous mettons à mal. Allons, vite. »

Sirius plongea sa main dans la poudre de cheminette. Lui, qui avait lu Le tour du monde en 80 jours trois fois depuis le début de l'été, regrettait que les sorciers eussent oublié le voyage. Le Poudlard Express n'avait pas d'équivalent. Les rencontres, la distance qu'on voit mesurer sous les yeux, les paysages qui invitent à l'évasion, à se sentir magnifiquement petit dans ces espaces, qui invitent à rêver : croire que c'était une perte de temps, c'était ne rien comprendre au temps.

Il atterrit dans le salon violet de ses grands-parents maternels. Les cousins étaient réunis, raides sur leurs fauteuils tendus de brocart, surplombés par le regard sévère des ancêtres dans leurs tableaux, leurs parents savamment affalés, fausse nonchalance de rois du monde. Deux elfes de maison faisaient voler des plats d'amuses-bouches. Son père arriva dans son dos et s'empressa d'aller embrasser ses proches, c'est à dire approcher leur joue en humant l'air autour d'eux.

Il y avait tout le monde : Pollux et Irma, les parents de Walburga, ainsi que les frères de cette dernière : Alphard, plus taciturne et impassible qu'une statue, et Cygnus, accompagné de son épouse Druella et des deux filles qui n'avaient pas été reniées : Narcissa et Bellatrix. Pollux et Irma avaient également convié la famille éloignée : Lucretia, la sœur d'Orion et son mari Igniatius, de même que les Rosier, de la famille de Druella, et les Crabbe. Enfin, Cassiopée et Doréa, les sœurs de Pollux, complétaient le charmant tableau familial. Sirius était entouré des mêmes Cancrelards qu'à l'école. Ils ne lui avaient laissé de la place que sur le repose-pieds du fauteuil d'Evan Rosier, près de l'âtre. Il ricanait, l'imbécile, murmurant à son passage : « c'est un beau panier pour un sale chien... ». Sirius résista à la tentation de reprendre une poignée de poudre et manqua de sourire – inconvenant ! - en imaginant la course poursuite qui s'ensuivrait par la cheminée.

Il voulut refuser les amuses-bouches mais son grand-père le fusilla du regard, aussi saisit-il un verre de jus de sureau et un feuilleté. Le repose-pieds, dépourvu de dossier et bas de siège, était extrêmement inconfortable. Le petit four lui collait au palais, et ne se laissait pas avaler. Les conversations se croisaient, artificielles, bourrées de calcul et de compétition, jusqu'à ce que Lucretia décrochât un compliment déconcertant de spontanéité :

« Votre jardin est splendide ! »

Mais Pollux fusilla son épouse du regard. Il eut un ricanement méprisant :

« Oh, vraiment ?

- Il vient d'être entretenu...

- Par un moldu !

- Oh ! Comment ?

- Vous plaisantez ! »

Un silence indigné s'écroula sur la grand-mère. Sirius grattait ses lèvres du bout de l'ongle. Irma baissa coquettement les yeux.

« C'est un charmant jeune homme du village, il faisait du porte à porte pour proposer ses services... J'ai cédé à la curiosité ! avoua-t-elle avec un sourire de petite fille coupable.

- Curiosité ? Mais de quoi ?

- Oh, je ne sais pas, moi ! A mon âge, rien ne me surprend, je me suis dit : pourquoi pas ? J'ai trouvé l'ensemble assez pittoresque pour tout avouer : ses outils ingénieux, ses gestes... !

- Pittoresque... ? Rustique oui !

- Enfin ! Dans votre jardin ! Pourquoi ne pas le faire entrer chez vous tant que vous y êtes !

- Oh, voyons, il ne peut pas nous faire de mal. Il sont bien intégrés dans le village, lui, et sa famille.

- Est-ce qu'il sait que...

- Oh, Merlin, non, tout l'intérêt était là !

- Doux Merlin...

- Mais enfin quel intérêt ? Vous auriez obtenu cela en une poignée de minutes avec un elfe !

- Le pauvre a attiré ma sympathie, il avait besoin d'un peu d'argent... Ce n'est pas facile pour eux, vous savez...

- C'est le monde à l'envers ! Père, dites quelque chose ! Vous ne nous avez pas élevés ainsi !

- Il n'est venu ici qu'une après-midi, j'étais absent. Et il ne reviendra pas, affirma Pollux. J'aurais même pu ne pas le savoir si Boxy, notre elfe ne m'avait pas informé de la situation ! »

Irma demeurait insensible aux regards qui pesaient sur elle.

« Je ne vous reconnais plus, souffla Cygnus.

- Bien entendu que ce n'était l'affaire que d'une fois, j'étais curieuse... C'est sans doute parce que je prends de l'âge, j'ai aimé le regarder travailler lentement, méthodiquement, de ses mains. Il y a quelque chose de fascinant dans ce spectacle d'une nature qui puise dans ses forces naturelles, qui prend son temps... »

Sirius leva lentement la tête, le regard intrigué.

« Il suffit ! coupa Orion, mes enfants n'ont vraiment pas besoin d'entendre ce genre d'élucubrations ! Mais dans quel monde vit-on ? Irma, avez-vous perdu la tête ?

- Orion ! » glapit Walburga, choquée.

Sirius qui n'avait rien demandé à personne tira la langue aux regards qui convergeaient vers lui. Evan Rosier lui envoya un sort si brutal qu'il en saigna du nez. Des larmes de douleur lui montèrent aux yeux.

« Si votre Sirius n'était pas si influençable, aussi ! se moqua-t-il.

- Pour qui vous prenez-vous ? » rugit Orion à l'intention de son neveu.

Sirius sourit amer, caché sous son mouchoir. Voilà qu'ils se disputent pour savoir qui me donnera le plus gros coup de pied au...

« Je vous défends de vous adresser sur ce ton à notre fils ! bondit le père Rosier.

- Et à notre mère ! renchérit Cygnus.

- Ah oui ? Vous voulez un deuxième cas Andromeda ? Pas dans ma famille !

- Ne parlez pas d'Andromeda ! s'écria sa belle-sœur, humiliée.

– En attendant, seuls nos enfants sont capables de s'engager pour défendre leurs valeurs !

- Mais allons-y ! Embauchons des moldus ! Donnons-leur un salaire, les braves, ils sont si misérables ! Pourquoi ne pas leur donner nos filles aussi ! Comme cela, nous n'aurons plus besoin de secret, tous nos nouveaux-nés seront de sang-mêlé ! C'est cela que vous voulez ? »

Lucretia, qui ne pouvait avoir d'enfants, éclata en sanglots.

Un gong dissonant retentit juste à propos :

« LE DINER EST SERVI ! » brailla l'elfe Boxy.

Les plats eussent-ils été marinés dans du séné, personne n'eût affiché une mine plus dégoûtée. Sirius était habitué aux tensions qui régnaient dans la famille mais elles étaient habituellement dirigées contre lui ou étouffées sous l'hypocrisie. Malgré tout, il ne tirait aucune réjouissance à les voir s'entre-déchirer. Il était seulement las, las des disputes, quelles qu'elles fussent. Evan s'amusait à lui envoyer des sortilèges sous la table, et il ne pouvait pas répliquer, en dépit de son intense désir de le voir s'infliger une gifle. Bellatrix se moquait de ses yeux rouges : « alors, on fait des allergies ? Il devrait te plaire, le jardin ! » Ainsi, ne put-il résister à la tentation quand Boxy apporta la tarte à la crème.

« Eh, Evan, tu veux ma ... ? »

Oups.

La tarte se suspendit en l'air, à l'instant où elle eût dû s'écraser sur la tête du cousin. La main de Sirius qui tenait l'assiette dérapa bizarrement en l'air.

« Quelle maladresse, pathétique... gronda Alphard, assis en face. Donne-la moi, ta part. »

Il la fit voler à lui. Sirius tremblait de frustration. Evan poussa un soupir agacé. Il l'avait voulu, ce dérapage de son cousin ! Il ricana, pour garder contenance. Sirius contracta son mollet jusqu'à ce qu'une crampe se fît sentir. Doucement, il la laissa se détendre. Il recommença. Les yeux gris d'Alphard ne le quittaient pas, et cela l'agaçait aussi. Son oncle ne parlait jamais, il le mettait mal à l'aise.

Un autre sortilège lui arracha un sursaut incongru.

« MAIS ENFIN SIRIUS TENEZ-VOUS ! Excusez-le... 

- Je vais lui parler !

- Mais, Alphard... Vous n'allez pas quitter la table ! »

Alphard se leva.

Il conduisit Sirius dans le salon bleu, plus petit, plus sombre, mais presque dépourvu de tableaux et ainsi moins oppressant que la plupart des autres pièces.

« Assieds-toi. »

Sirius secoua la tête. L'anxiété l'empêchait de réfléchir.

« Tu n'es pas raisonnable. »

Il haussa les épaules.

« Je ne sais pas comment vous faites. »

Alphard eut un éclat de rire, un seul, qui eût pu sembler mesquin mais était plutôt désabusé. Il posa une main sur l'épaule de son filleul. C'était désagréable. Si James eût été là, il se fût pourtant jeté dans ses bras.

« Tu penses tenir la route ? »

Sirius haussa à nouveau les épaules.

« Il faut que tu tiennes bon. Termine ta scolarité à Poudlard. Tâche de ne pas être transféré. Je ne pourrai rien faire pour toi.

- Même ici vous ne pouvez rien faire pour moi.

- Non, admit-il. Nous n'avons pas le choix, moi je ne l'ai plus... Et toi pas encore. »

Sirius grattait le vernis d'une commode, machinalement.

« Je ne l'aurai pas. Mon père dit qu'il me déchoira si je ne marche pas dans ses pas. Plutôt mourir. J'en suis capable.

- Les choses changent.

- Ils disent tout ça. Qu'est-ce qui se passe dehors ?

- Il y a un mage noir qui cherche à dominer les moldus.

- Et les autres Êtres ?

- Bien entendu.

- Comment s'appelle-t-il ?

- Tu le sauras bien assez tôt. Termine tes études. Dumbledore est un vrai rebelle, comme toi. Tu es parfaitement à ta place là-bas, et ce n'est pas une critique. Tes cousins sont partis maintenant, tu seras plus tranquille.

- Et si je décide de me battre dans le camp de Dumbledore ? »

Alphard sonda le regard de son neveu.

« Si tu refuses de marcher dans les pas de ton père, il te faudra une cause gigantesque. Tu ne manques pas de courage. Je doute que tu aies eu le choix, mais tu as grandi. Tu aurais pu être écrasé.

Laisse cette commode tranquille.»

Sirius poussa un soupir.

« Qu'en pensez-vous, de tout ça ?

- Je ne suis pas comme eux, mais je ne suis pas contre eux.

- Vous avez déjà pensé à partir ?

- Oui.

- Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?

- Je ne savais pas comment. Tout le monde n'a pas ton tempérament. Ce n'est pas de la flatterie, c'est comme ça. J'avais besoin d'appartenir à un cercle, une famille, pour m'émanciper, ailleurs... Mais je n'ai pas réussi, je regrette. Et, malgré tout, je suis attaché à cette famille. Je n'ai pas choisi. Mais je crains de devenir une branche morte si l'on me coupe de l'arbre.

- C'est nul, soupira Sirius. »

Alphard eut un nouvel éclat rauque qui ressemblait l'imitation d'un rire par quelqu'un qui n'eût su que vaguement à quoi rire ressemblait.

« Tu as du courrier ? » murmura-t-il, le plus doucement qu'il lui était possible dans sa rudesse.

Sirius lui tendit péniblement les trois lettres qu'il avait adressées à ses amis.

« Vous êtes devenu hibou, alors ?

- Que veux-tu ? Quand je suis devenu ton parrain, j'ai promis de te protéger et te soutenir.

- Mais mêm...

- Le reste n'importe plus. »

Quand ils regagnèrent le salon vert, les adultes y partageaient un digestif et la présence de Sirius était malvenue. Ses cousins avaient quitté la demeure. Il parcourut le beau jardin odorant, atteignit la rue, suivit les lampadaires grillés d'un coup de baguette, sape gratuite et détestable. Il aperçut Regulus en premier, assis seul sur un muret au coin d'une allée. Quand il remarqua sa présence, il bondit et fit un signe à l'adresse de ses cousins, dans l'impasse, hors de vue. Il y eut une suite rapide de craquements. Sirius, furibond, se précipita vers son frère qui voulait détaler, le saisit par le cou d'une poigne inflexible et l'entraîna en direction du bruit. Ils passèrent plusieurs maisons. Soudain, le cœur de Sirius s'emballa et il serra plus fort Regulus qui protesta. Dans le jardin d'un des petits cottages, des ronces grosses comme un poignet avaient envahi le gazon roussi et noir, brûlé. Les massifs de fleurs avaient perdu leurs pétales, les parterres étaient décimés et sur la porte de bois, comme gravé à la flamme, un immense « M » fumait encore. Sirius blêmit en laissant ses bras retomber. Regulus lui asséna un coup de coude vengeur qu'il ne sentit pas.

Un jeune homme déboula dans le jardin. Son regard noisette était plus curieux que fâché lorsqu'il découvrit les deux adolescents pâles qui lui faisaient face, vêtus de robes longues et de vestons, en dépit de la chaleur de l'été. Lui-même portait un short, en fait un simple jean coupé au-dessus des genoux, et c'était tout. Le soleil se précipitait dans les reliefs musculeux de sa peau mate et gorgeait ses cheveux de miel. Un sursaut brûlant ébranla Sirius.

« Qu'est-ce que... »

Il venait de découvrir l'état de son jardin et s'élança vers les massifs, le pas meurtri par les tiges drues des mauvaises herbes. Il fusilla les jeunes Black du regard :

« Qu'est-ce qui s'est passé ?

- Nous ne savons pas, je vous le jure ! s'écria Sirius. Le bruit nous a surpris, nous sommes venus voir... »

Il n'arrivait pas à détacher les yeux du « M » sordide qui brûlait la porte. Le jeune homme suivit son regard et lâcha un juron.

« Vous n'en avez aucune idée ? »

Il semblait si ému, humilié peut-être. Son beau jardin, dans lequel il avait sans doute passé du temps, dans lequel il avait patiemment vu éclore des fleurs, était perdu, gâché. Les entrailles de Sirius se tordirent. Il secoua la tête, muet, mais toute son allure et son attitude le trahissaient sûrement.

« Je ne vous ai jamais vus ici.

- On est venus visiter notre grand-mère, Irma Black.

- Ah oui. Je suis allé m'occuper de son jardin hier. Elle est sympa. »

Les frères haussèrent un sourcil chacun. Aucun membre de la famille Black ne s'était jamais vu décerner ce qualificatif.

« Je comprends mieux votre... »

Il fit un geste pour désigner leurs vêtements. Sirius se sentait ridicule, et il avait chaud. Il s'efforçait de ne pas le regarder, se balançait d'un pied sur l'autre, sans se décider à partir, c'était trop criminel. Il n'avait pas envie de le quitter, le laisser seul dans cette débâcle. Le jeune homme soupira pour lui-même :

« Qu'est-ce que je peux faire...

- T'as qu'à aller ailleurs.

- Reg' ! Pour qui tu te prends ? Ça ne se dit pas ! 

- Ma grand-mère vit ici, dans la maison de sa propre grand-mère, alors je n'ai aucune envie d'aller ailleurs ! J'aimerais comprendre ce qu'on m'a fait et pourquoi, c'est tout. Tu m'as l'air bien au courant, toi ! »

Il enfila des tennis et un tee-shirt sur lequel était dessiné, à la grande surprise de Sirius, un vif d'or dans le cercle duquel était inscrit un « a ». S'agissait-il d'une équipe de Quidditch ? Comment un moldu avait-il pu se procurer un tee-shirt semblable ?

« Et vous restez combien de temps ici ?

- Juste la journée.»

Il s'en voulait férocement de ne rien pouvoir arranger. Il ne savait que trop bien qu'en dépit de tous ses efforts, rien ne pousserait jamais plus sur la terre des ancêtres. Quel désespoir !

« Je vais remonter avec vous. Je veux des explications.

- On te dit qu'on y est pour r... »

Sirius poussa son frère. Il réfléchissait à toute allure mais ne trouvait rien de convaincant à dire. Lui conseiller de revenir le lendemain, de s'adresser uniquement à Irma ? C'eût été éveiller les soupçons bien plus fort. Regulus reprit la parole :

« C'est cela oui, venez ! Dérangez notre repas de famille, vous allez voir comment vous allez être reçu avec vos accusations ! Vous êtes prêt à tenir tête aux patriarches Black ? Bonne chance !

- Mais que faisiez-vous là, alors, si vous n'y êtes pour rien ? Pourquoi vous n'y êtes pas, à votre réception dans le manoir, là, hein?

- Je n'ai pas à me justifier auprès d'un m- qui que ce soit ! Ce village est à nous aussi, on a bien le droit de s'y promener !

- Parce que tu vois d'autres promeneurs, là ? Avoue que c'est suspicieux !

- Viens Sirius, fichons le camp. »

Les yeux perdus de Sirius volaient du jardinier désemparé à son frère, seul à pouvoir le tirer de cette situation sans péril pour sa propre personne, et qui s'efforçait de l'en tirer. La rage coulait en lave dans son corps, et il ne parvenait pas à se résigner. Le jeune homme pesta, prit une grande inspiration en saisissant une bêche, des tenailles, et observa la friche qu'était devenu son terrain. Regulus revint sur ses pas et tira son frère par le poignet.

« Je suis désolé, murmura Sirius, trop bas pour être entendu. J'en parlerai à ma grand -mère.»

Il ne faisait plus attention à lui. Sirius en profita pour regarder une dernière fois son profil ardent avant de s'enfuir, bouleversé par une honte plus profonde, si cela était possible.


« Bonne chance ?! singea Sirius sur le chemin du retour.

- Je le dirai à ma grand-mère ? fit son frère sur le même ton.

- Parce que tu trouves normal ce qui s'est passé là ?!

- Il a profité de la faiblesse de grand-mère !

- Oh, c'est une phrase d'Evan, ça, je suis sûr !

- Laisse tomber, je ne parle pas aux traîtres ! »

Sirius pila, aussi énervé qu'amusé.

« Ah c'est facile, d'éviter le débat ! Non mais regarde-toi, gamin, va !

- Tu vois, toi tu parles comme Père !

- Ah ça, JAMAIS ! »

Regulus avait un petit sourire. Aussi énervé qu'amusé. Il avançait très vite pour semer Sirius.

« Tu peux pas marcher avec moi, je suis d'accord. Je voudrais vraiment qu'un jour, tu trouves... tes propres phrases. Je ne serai pas toujours là pour toi !

- Pour moi ? Mais j'ai la famille, moi

Regulus était déjà loin devant.


&


La nuit venue, Sirius s'enterra profondément sous ses draps malgré la chaleur. Il appela doucement James dans le miroir. Son ami était entouré de petites lucioles multicolores, autour d'un grand feu où des marshmallows grillaient et fondaient tout seuls.

« C'est l'anniversaire de mon père ! »

Il essuya la buée du miroir pour contempler son ami qui souriait de toutes ses dents, enlacé par Fleamont. Dans le cadre, le reste de la famille lui adressa des signes de la main.

« Bonsoir Sirius ! Content de te voir enfin ! Enfin... De te distinguer, plutôt !

- Bonsoir monsieur Potter ! Je suis content de vous voir aussi... Joyeux anniversaire !

- Comment ça va ?

- Bien... murmura Sirius. Moi aussi j'ai passé la journée en famille, rien de tel pour se ressourcer, hein !

- Passe la soirée avec nous, alors ! »

Il n'y avait pas grand-chose à dire, simplement se laisser porter par cette voix, ce semblant de présence qui ranimait son cœur. Les cousins de James s'amusaient à créer des feux d'artifice. Ils racontaient des plaisanteries avec le même enthousiasme que lui, riant au point qu'ils n'arrivaient plus à articuler la chute. Sirius étouffait ses gloussements dans sa cape, levait de temps en temps la tête pour s'assurer que personne n'arrivait.

« Dis, avec Remus et Peter on voudrait aller faire nos courses de rentrée le même jour, tu penses qu'on pourrait faire ça tous ensemble ? Tu y vas quand ? Même si tes parents ne veulent pas que tu ailles prendre un verre, on pourra se retrouver dans un magasin...

- James, je ne fais pas mes courses de rentrée, Mes parents se font livrer.

- Oh.

- ...

- ...

- Oui, c'est fâcheux...

- Regrettable, mon cher ami.

- Eh bien...

- Oui.

- On ne peut pas dire qu'ils me laissent d'autre choix.

- Absolument, absolument. 

- Il va falloir ruser.

- Je préfère ça.

- Tu me diras quand vous aurez décidé du jour ?

- Je m'en veux d'avoir cette pensée mais Remus n'étant pas parmi nous, la responsabilité m'échoit : si tu te fais prendre ?

- Les responsabilités ne te conviennent pas du tout. L'absence de Remus nous pèse tous, à ce que je vois.

- T'es con. Au pire tu finiras chez moi.

- Mouais. Mais vraiment au pire.

- Fais-toi chasser. Bordel, maintenant que tu m'as dit ça, j'ai trop envie. Je crois que je vais hurler pour alerter tes parents, à trois : un, deux... »

Sirius passa sa main sur le miroir en riant silencieusement. James le rappela sans tarder.

« On ne dit rien aux gars ? Ça leur fera la surprise.

- Motus et gardienus du secretus.

- Petit détail : il y a un léger risque que je sois transféré à Blastgard en cas d'échec.

- Tant mieux, comme ça, je suis sûr que tu n'échoueras pas. Nous sommes les meilleurs. Nous sommes invincibles. Et j'ai hâte de te revoir bordel. »

Quand James eût quitté le miroir, il ne laissa dans l'ombre que des flashes de souvenirs épars, un peau brune, un œil tendre, un dos musclé... Soleil brûlant.

Oh, Sirius. La solitude de l'été. Elle te fait perdre la tête.

Voilà ce que signifie : inconvenant.

Chut. 

 

&


Devinerez-vous quel était le logo du tee-shirt du beau jardinier ? 

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