Été 1973 : un chocolat chaud
Un jour...
Un bazar joyeux de mots glanés de ça de là, de parfums de crème glacée ou de poussière au fil des étals, de pavés irréguliers, de bousculades et de soleil qui découpe des ombres biscornues : le Chemin de Traverse était à son plus étourdissant. Remus s'y perdait avec délices. Il adorait se fondre dans la foule, disparaître, se laisser guider par la voix tonitruante de James qui poussait un cri surexcité toutes les deux vitrines. L'été étendait ses feux dans le ciel où des fanions aux couleurs de Poudlard se croisaient pour fêter la rentrée. Les Lupin et Les Potter avaient rapidement sympathisé et c'était au mieux car leurs enfants cavalaient déjà loin devant. Le père de Peter n'était pas venu, Peter avait d'ailleurs passé le week-end précédent chez Remus, à son plus grand bonheur. Ils avaient ri ensemble des dessins de Mowgli que Sirius leur avait envoyés, dans lesquels la goule se lamentait de leur absence. Il n'y avait pas de lettre, ces petits croquis disaient tout. Remus avait dû abandonner les étreintes de la solitude en compagnie d'un Peter qui n'aimait pas tellement lire, était assez insensible à la musique et plutôt attentiste lorsqu'il s'agissait d'inventer une activité. Ils s'étaient surtout baladé à balai, avaient traîné dans le bureau mystérieux de Lyall, joué et rejoué aux mêmes jeux de société et partagé quelques silences embarrassés. Mais Remus prenait sur lui : sa mélancolie avait atteint de telles profondeurs qu'il était comme un enfant sorti de la nuit qui doit s'habituer à la lumière et il se faisait violence, même si cela le fatiguait, pour être un compagnon agréable.
Néanmoins, il n'était pas fâché que James l'Inépuisable prît le relais ce jour-là.
« James, NON ! »
Sourd aux protestations de Peter, James, perché sur son dos, était déjà en train de le précipiter sous la fontaine de la grande place pour mettre à l'épreuve sa nouvelle cape anti-pluie de Quidditch. Fleamont rabroua son fils, avec peut-être un peu trop de tendresse pour paraître sincère et sécha le pauvre Peter d'un coup de baguette.
« Bon, on retourne au Chaudron Baveur pour le thé !
- Bof, tu ne veux pas aller manger une glace, plutôt ? Le Chaudron sera plein de monde...
- Non non non, on y va ! Il y a aussi la queue devant chez Fortarôme de toute façon. »
Le bar était effectivement on ne peut plus bondé, des clients étaient même sortis avec leurs verres. James poussa un grognement, serra les dents et s'avança avec détermination mais son père le retint : « On va aller ailleurs, peu importe...
- Non, je ne veux pas aller ailleurs ! » trépigna-t-il avant de se libérer de la poigne paternelle pour se précipiter à l'intérieur.
Remus fit semblant d'ignorer le regard agacé que Lyall lui lançait pour le prendre à témoin. Les caprices tapageurs de James commençaient à sérieusement l'irriter.
« Il y a de la place, mais VENEZ, dépêchez-vous ! » brailla sa tête écrasée dans l'interstice de la porte.
Le bar empestait la transpiration, la bièraubeurre et un effluve épouvantable que Remus découvrit bientôt sous le nom de Gamp old Gregarious. Un groupe de sorciers qui semblait fraîchement diplômé faisait tourner un bock et se défiait d'en avaler plus d'une gorgée. James profita de leur agitation pour se glisser sur un de leurs bancs et entraîner ses amis à sa suite. Un des jeunes, celui à qui était venu le tour de s'infliger l'infâme breuvage, éclata de rire en cédant volontiers sa place à Fleamont : « Oh Papy va s'asseoir, hein ! » Le père de James fit mine d'être vexé, ce à quoi personne ne fut dupe, et il donna une tape affectueusement brutale sur l'épaule du jeune homme, renversant par là le reste de boisson. « CHAMPION ! » acclamèrent ses camarades, moqueurs. Lyall grimaça, il avait l'ouïe sensible.
Les commandes apparurent sur la table. Remus dégusta avec ravissement une cuillerée de la crème onctueuse qui recouvrait son chocolat et tapa gentiment la main de Peter qui s'en approchait. « J'aurais dû prendre ça » pleurnicha-t-il devant son lait fraise. Il manquait le thé d'Espérance. « Je vais leur demander au comptoir ! » bondit James. Peter soupira en le voyant disparaître : « Tout ce shopping m'a coupé les jambes, je ne sais pas comment il fait... » Il leva soudain la tête, le regard ébahi, fronça les sourcils et balbutia : « Oh, les... le voilà ! » Remus, qui avait fermé les yeux en savourant une seconde cuillerée de crème, ne vit rien de son trouble. James s'assit en face de lui, les yeux pétillants. Remus lui sourit en retour, dans toute son immense naïveté. Puis quelqu'un entoura ses épaules de ses bras en s'écriant : « Salut la compagnie !... »
Remus, sursauta et renversa tout son chocolat sur lui.
« Il faut vraiment qu'on se trouve un nom de groupe, "la compagnie" c'est d'un ridicule...
- Ça... mais, Sirius !? »
James éclata d'un rire si sonore que tout le café se tut pour l'écouter. Peter s'épouvanta de la perte de toute cette bonne chantilly et en récupéra du doigt sur le col de Remus avant que Lyall ne le nettoyât.
« James, chut ! Sirius doit passer inaperçu ! gronda Remus.
- Tu vois, James ? Chez Remus, c'est naturel ! »
Il contourna la table pour saluer les parents. Fleamont lui adressa quelques mots en lui serrant doucement le coude, s'attirant son plus beau sourire. Le père de Remus se pencha sur leurs épaules pour déposer une limonade et un nouveau chocolat chaud sur la table, avec un sourire discret pour son fils. Une seconde n'était pas entièrement écoulée que Sirius poussait un gémissement gourmand, l'index dans la bouche, les yeux fermés, en pleine extase. Peter s'écria : « Non mais je RÊVE ! Pourquoi il a le droit, lui ?! » Remus baissa les yeux sur l'accusé qui se figea, le doigt déjà replongé dans la crème. Son regard passa de Peter à Remus et un sourire malicieux étira le coin de ses lèvres lorsque, faussement contrit, il proposa son index à la bouche de Remus. Remus eut à peine le temps d'être tenté de le faire marcher qu'il rougissait déjà et il ne put que pouffer de rire avec ses amis. Sirius lui déposa une touche de blanc sur le nez avant d'engloutir son butin.
« J'ai une heure devant moi. En espérant que Regulus ne me balance pas, s'il se rend compte de mon absence. »
Un cri de douleur les fit bondir : c'était Espérance qui venait de se brûler avec son thé.
« La tasse était à peine tiède... » balbutia-t-elle, les lèvres enflées, honteuse d'avoir attiré l'attention sur elle. Des larmes de douleur pudique brillaient dans ses yeux. James lui tendit son verre de limonade glacée.
« Elle est froide... assura Euphemia en approchant sa main de la boisson. Elle ne fume même pas...
- Ensorcelé ? murmura Lyall
- Pour quelle sinistre raison... ? »
Le regard de Lyall croisa celui de Sirius et il se sentit blêmir en comprenant qu'il n'y avait qu'eux pour penser à la même chose. Non, pas ici, quand même ? Mais le serveur, interpellé par Fleamont, se défendit avec une indifférence suspicieuse : « Évidemment que le thé ça se sert chaud, elle n'avait qu'à faire attention... »
Évidemment. Que dire de plus ? Les adultes donnèrent l'exemple en retrouvant le fil de leur conversation, pour ne pas inquiéter davantage les enfants.
James et Peter déballèrent les farces et attrapes qu'ils avaient dénichées chez Pirouette et Badin :
« Marsupunaises : quand tu en piétines une, tu bondis à chaque pas, comme un kangourou !
- Pour Rusard !
- Poil à hoquet...
- Pour Snape !
- Boîte à rimeuh...
- Les cours d'histoire ne seront plus jamais les mêmes !
- Encre invisible...
- Pour la carte !
- Ça évitera à notre cartographe de se salir les doigts, sourit Remus effleurant ceux de Sirius qui les déplia fièrement.
- Ah non ! Ces marques-là, je les garde !
- C'est le dessin ?
- Tout l'été. »
Noir sur blanc, si évident. Il y a le souvenir de ta prise sur le sortilège de mes cousins ; cette marque qui brûle encore c'est ta main qui m'a tenu fermement, son encre est devenue mienne au bout de mes doigts, mon mouvement, ton élan.
« Je voudrais bien les voir, si tu es d'accord..., chuchota Remus.
- Bien sûr. Mais on n'en parle pas.
- Je sais.
- Ah làlà, c'est encore mieux que Noël ! s'extasia Peter, les yeux brillants devant les jouets étalés sur la table. Et cette année, on va pouvoir aller à Pré-au-Lard !
- J'avais pris option Divination pour être avec Mila mais on n'est plus ensemble... Enfin, on doit s'expliquer à la rentrée...
- C'est d'un sérieux tout ça !
- Tu veux pas plutôt t'expliquer avec McGonagall pour venir en Runes avec nous ? J'arrive pas à croire que t'aies pris Divination pour elle...
- Une erreur de jeunesse. C'est la dernière fois que je me fais avoir... » jura le cœur d'artichaut de James.
Ils rirent de sa mine dépitée en terminant leurs boissons.
« Cet été, je suis allé à un festival, avec Marlene et Lily.
- Ouhouh, fit Peter.
- Un festival ? demanda James.
- Un festival de musique... On y a croisé Athenray et Eiffel !
- Alors là ! Inséparables en fait, même en dehors de l'école ! Peut-être qu'elles sont sœurs !
- Je ne crois pas, murmura Remus. Mais elles sont vraiment proches. Vous croyez qu'Eiffel reviendra cette année ?
- Normalement non mais... On peut rêver, hein ! »
La conversation dévia sur les camarades, les futures fiancées de James, des plans pour l'année et toutes les plaisanteries dont peuvent discuter les garçons de treize ans, tandis que la grande aiguille achevait implacablement son tour de cadran.
« Raconte, ce festival, demanda Sirius qui ignorait encore un peu les regards appuyés de Fleamont.
- C'était génial... ! »
Remus souriait sous sa crinière dorée. Même, ses mains tremblaient.
« J'avais jamais vu de concert. Il y avait une foule dingue, mais c'était agréable, tout le monde était réuni pour la même fête... Tout le monde était content et chantait. Avec des tenues extraordinaires, plein de gentillesse et de joie. C'était... Le meilleur moment de l'été. »
Sirius gardait le nez dans son verre. Côte à côte, c'était mieux. Pas besoin de se regarder. A cause du bar bondé, cœur battant. De joie. Il sentait tous les frissons de Remus passer sur sa peau, par leurs épaules et leurs bras serrés l'un contre l'autre, même sous leurs manches longues. Quelque chose traversa son esprit, disparu si vite qu'il resta informulé, c'était une impression vague qui aurait pu être dite à peu près en ces mots : si nous pouvions être libres de sortir bras nus, comme ce jeune homme chez ma grand-mère, que sentirions nous bras contre bras ? Il y avait les muscles chauds de cet homme, il y avait la peau de Remus, aperçue discrètement dans la salle de bains ou en tee-shirt le soir, dans cela qui était un désir plus qu'une envie, car trop fugace, trop instinctif.
C'est quoi ce bordel ?!
Il retira son bras tout à coup et voulut s'adosser nonchalamment avant de se rappeler in extremis qu'il était assis sur un banc sans dossier. Il eut juste un drôle de sursaut. James leva un sourcil.
« Et moi alors ? minauda Peter, aussi étranger que James à toutes ces choses de la musique.
- Évidemment que ce week-end aussi ! rit Remus.
- Il est l'heure, trancha Sirius.
- On se retrouve très vite, la semaine prochaine, fit James, en enjambant la table pour l'enlacer, debout sur le banc, à son aise. Tu prends le train, hein ?
- Bien sûr ! Et il y aura Regulus.
- On va le corrompre !
- Y'a intérêt ! » rit Sirius qui n'y croyait pas.
« On va y aller aussi » marmonna Lyall qui n'attendait rien tant que de quitter ce lieu curieusement hostile.
Ses amis l'accompagnèrent jusqu'à la cheminée des départs du Chaudron Baveur, passerelle entre les deux mondes. Peter se serrait contre Sirius qui répondait avec une sincérité maladroite à son étreinte. Les quatre parents et les trois amis faisaient une ronde autour du foyer pour saluer son départ mais il ne se sentait pas mal à l'aise, juste un peu encombré de joie, pour tenir jusqu'à la rentrée. James jouait la grande scène dramatique des adieux et ils saluèrent en même temps, Sirius dans les flammes vertes, la langue tirée, le flamboyant portrait de l'espièglerie.
Puis, il disparut.
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