été 1972 : une rentrée
Un jour...
Remus dégagea un peu de place au milieu de son bureau et déroula un parchemin vierge. Des rayons d'or cascadaient sur la table, invitation à la torpeur. Dans sa tête aussi, les mots railleurs caracolaient. Il les considéra un long moment, le cœur lourd et hasardeux. La deuxième pleine lune de l'été venait de passer. Sirius était parvenu, une semaine auparavant, à lui faire parvenir une lettre. Au milieu de futilités sans queue ni tête qu'il avait alignées au fil de la plume, il disait qu'il allait bien et qu'il ne fallait pas répondre. Une goutte d'encre tressaillait au bout de la plume de Remus. Il n'allait pas envoyer son parchemin, il le lui remettrait à la rentrée peut-être, pour dire seulement, je voulais seulement. Que raconter, j'ai passé deux après-midi chez James et il est venu chez moi aussi. J'ai fait un peu de camping avec mes parents, au bord de la mer. J'ai randonné, assisté à un match de rugby, observé des strangulots avec mon père ; je lis, je ne ne m'ennuie jamais, ça n'a aucun sens, je pensais. À toi. Le soleil brûle ma peau comme ce jour au bord du lac, je t'ai persécuté la nuit et maintenant que la pleine lune est finie, je voulais -
La goutte d'encre tomba sur le parchemin et les caracoles s'évanouirent dans une avalanche ténébreuse.
« Merlin, tu as beaucoup trop grandi ! C'est pas juste !
- Bonjour Peter ! sourit Lyall.
- Bonjour monsieur Lupin ! Tu viens Remus ? James est déjà dans le train ! »
Remus leva la tête. Un visage collé à la vitre faisait des grimaces à la foule. « Comment ai-je pu manquer ça ? » s'interrogea-t-il tandis que son ami éclatait d'un rire qu'il ne pouvait pas encore entendre et mourait d'envie de retrouver. Le rire de James, c'est l'assurance que nous avons bel et bien vécu ces journées auxquelles je n'ose plus croire et la promesse que l'année à venir sera plus fabuleuse encore.
Prudence, murmura le secret ombrageux, un jour après l'autre.
« Et Sirius ? demanda Peter en hissant sa valise dans le compartiment.
- Il n'est pas encore arrivé, j'ai pensé qu'il viendrait peut-être en cheminette, comme à Noël.
- Il a pris le train en juin, quand même... En plus sa cousine est là, avec son insigne de préfet, la peste. J'espère qu'elle ne va pas abuser mais bon, c'est une Serpentard. Moi je pensais qu'il serait là le premier, que ses parents seraient content de se débarrasser de lui le plus vite possible.
- Tais-toi, il vient d'arriver. » murmura Remus.
Dans la marée noire de sa famille à peine déguisée en moldus, Sirius dénotait imperceptiblement. Avec un pincement au cœur, Remus reconnut Regulus, entre ses parents et lui. C'était les mêmes traits que Sirius, les mêmes qu'Orion, mais amaigris à l'extrême ; il semblait malade, comme une réplique épuisée. À la limite du dérangeant, s'en voulut de penser Remus, t'es bien placé, tiens...
De l'année écoulée, Regulus n'avait rien dévoilé à son frère aîné, pas même au détour d'une conversation. Sirius supposa que ses parents avaient continué de lui bourrer le crâne, entre louanges et pressions et que lui-même n'était plus digne d'être informé de quelque nouvelle que ce fût. Mais l'éloignement de toute une année et ses amis l'avaient adouci et il s'était montré plus patient à l'égard de son cadet. Ils jouaient ensemble. Sirius lui offrit des dessins de Poudlard, ses fantômes, ses professeurs, en disséminant çà et là quelques histoires. Regulus déclarait avec un sourire suffisant qu'il savait que Sirius avait mal travaillé, qu'il ne soignait pas ses fréquentations, il lui rapportait les paroles de leurs parents, et Sirius le fichait hors de sa chambre à grands cris avant de se faire punir. Par pitié peut-être, Regulus revenait vers lui au bout d'un moment, et leur manège recommençait. Dans les couloirs, les tableaux aussi murmuraient leur désapprobation à son passage. Ses parents... N'en parlons pas encore. N'en parlons plus.
Sirius leva les yeux. Ses trois amis l'attendaient dans l'encadrement de la porte du train, les bras croisés, regards sévères au-dessus de sourires malicieux. Ils eussent pu patienter dans le compartiment, mais ils venaient toiser un peu la famille, bien sûr. Sirius avança, l'ombre de ses cheveux bientôt longs dansant déjà sur ses épaules.
Pendant la cérémonie de Répartition, James nota quelques changements :
« Alice et Frank sont devenus préfets.
- Ça va, je les aime bien, valida Sirius.
- Zephier n'est plus là ? s'étonna Remus.
- Ils ont annoncé sa démission en fin d'année dernière. Peut-être un jour où tu étais absent.
- Je sais que les profs de Défense contre les Forces du Mal ne restent pas longtemps en poste, ici.
- Ils n'ont pas dit pourquoi. Mais bon débarras !
- Il a mieux à faire de ses connaissances en magie noire, maugréa Sirius.
- A quoi tu penses ? murmura James.
- Rien de précis, malheureusement. Je n'ai pas vraiment eu accès aux conversations familiales, cet été. »
Personne n'ignorait que la famille Black connaissait la magie noire mais personne ne savait à quel degré. Sirius n'en avait jamais parlé jusque là mais pendant que ses amis réfléchissaient très vite à quelque chose d'intelligent à répliquer, Dumbledore présenta la nouvelle arrivée sous le nom de professeure Eiffel. Elle était assez jeune et elle semblait connaître madame Athenray avec qui elle discuta pendant toute la soirée.
Quand leur nouvelle enseignante entra dans la classe pour leur premier cours, Remus lui trouva un petit quelque chose de différent de la veille, au banquet. Il voulut interpeler Sirius mais son ami disputait un duel serré de coups de coude avec James. Ses cheveux fous tourbillonnaient autour de sa tête, comme des chevaux au galop, ombrant ses joues écarlates et ses yeux brillants. Il n'était pas simplement joyeux ; il était fébrile. L'été infernal avait fait germer en lui une énergie indomptée et il avait passé cette journée de rentrée à bondir, à crier, à se faire mal un peu, s'éprouver, pour mieux se cogner à la liberté solide. Il riait à en déchirer l'âme mais pas la sienne : celles de ses amis.
Remus s'apprêtait à se retourner vers Eiffel quand Sirius l'attrapa de son regard pâle. Un éclair y pointa mais un coup de James, indifférent à l'électricité qui circulait entre eux, lui arracha un cri de colère qui perça le brouhaha ambiant. C'était le dernier cours de la journée et, même s'ils étaient curieux de découvrir leur nouvelle professeure, les élèves fatigués commençaient à se laisser sérieusement distraire par le ciel bleu qui les narguait par les fenêtres. Eiffel l'avait bien compris, aussi dégagea-t-elle les pupitres d'un coup de baguette pour qu'ils pussent s'installer en cercle, par terre ou sur les tables. Quand elle se tourna à nouveau vers eux, un sourire engageant aux lèvres, Remus reçut une nouvelle alerte de ce sentiment d'étrangeté. « Je vais faire apparaître au centre de ce cercle quelques créatures que vous avez déjà étudiées, indiquez-moi leur nom, leurs propriétés ainsi que les différents moyens de s'en défendre. Nous réviserons ensuite les contre-sorts, cela fait deux mois que vous n'avez pas pratiqué !
- Contre les cousins crétins, c'est quoi le contre-sort ? » marmonna Sirius avec un rictus tandis que Eiffel corrigeait Ophélie.
Les élèves travaillaient en petits groupes ou flânaient en attendant leur tour. Remus révisait avec Lily, mais Sirius et James se glissèrent comme par hasard juste derrière elle pour s'entraîner au sortilège de chatouillis. Le rire contagieux de James cascada bientôt si fort que Remus, déconcentré, ne put déguiser son hilarité silencieuse, pas plus que les autres élèves d'ailleurs. « Allez, viens ! » intima Sirius en l'entraînant vers la fenêtre tandis que Eiffel encadrait un autre groupe. Peter voulut les rejoindre mais la professeure l'interpella : « Monsieur Pettigrow, je vous rappelle que je dois revoir votre maléfice du saucisson. »
Ils s'assirent sur le rebord de pierre. Remus avait retrouvé son éternel sourire en coin et Sirius ne réussit qu'à lui donner un coup de coude, un tout petit. Remus le lui rendit avec un clin d'œil et leurs bras restèrent négligemment serrés l'un contre l'autre.
Ne pense pas aux cauchemars.
« Il n'y a pas un truc bizarre, avec elle... ? chuchota-t-il.
- Trop cool pour être vraie ? s'inquiéta James.
- Non, je veux dire... Physiquement... rougit Remus, conscient que ses paroles pouvaient être déplacées. Elle est normale physiquement mais il y a quelque chose de bizarre... Raaaah, je n'arrive pas à trouver quoi !
- Elle te fait de l'effeeeeeet, taquina Sirius en se pressant un peu plus contre lui.
- Ah non, mais... MADAME, VOS CHEVEUX ! »
Il y eut un silence soudain.
« Quoi, ils ne te plaisent pas ? »
Sa chevelure, qui lui arrivait aux épaules au début du cours, tombait maintenant sous ses omoplates. Remus eût aussi juré que ses yeux étaient bleus quand il l'avait vue entrer : ils étaient à présent brun foncé.
« Vous êtes métamorphomage, alors ?
- Exactement. J'attendais des réactions un peu plus tôt... Mettons cela sur le compte de la fatigue de la rentrée ! Dix points quand même, pour votre maison, quel sens de l'observation !
- Elle se la pète un peu quand même, marmonna James.
- Mais toi, t'as besoin de rien changer ! » s'écria une de leurs camarades, Mila Jenkins, approuvée par Félicie Milgram.
Et quand ils virent le sourire brièvement confus puis éminemment orgueilleux de James, Sirius et Remus songèrent avec amusement que quelque chose avait déjà bien changé.
« Je trouve ça fascinant, murmura Remus, en dévorant des yeux la couverture du grimoire sur la métamorphomagie qu'il venait d'emprunter.
- On se demande pourquoi, ricana Snape. Dommage que ça ne s'apprenne pas. Curieux qu'aucun sortilège n'ait pu t'enlever ces...
- Et toi, Snape, coupa Remus, fulminant, si ton nez était moins long, tu le fourrerais moins dans les affaires des autres ? On peut s'en occuper, hein !
- Laisse tomber, il lui suffirait de faire l'effort de laver ses cheveux pour être présentable, et même ça, il ne le fait pas...
- À propos de cheveux, Sirius... »
Les garçons grincèrent des dents. Evan Rosier surgit de l'ombre d'une statue, derrière leur camarade. Sérieusement ? Un guet-apens ? Il tendit la main vers Sirius qui fit un geste pour s'en débarrasser, mais de l'autre main, Rosier empoignait brusquement ses boucles noires.
« Il ne me semble pas que ta mère t'ait élevé ainsi, dis-moi ! cracha-t-il sur la grimace de gêne de Sirius.
- Lâche-le ! ordonnèrent Remus et James d'une même voix.
- Oh, pardon, as-tu parlé ? ironisa Narcissa. La famille Black ne reçoit pas d'ordre des sangs-mêlés ! Aah !»
Elle se plia en deux, frappée au ventre par un sort. Sirius venait de dégainer sa baguette. De l'autre main il griffait le poignet de son cousin qui le tenait toujours et tout s'enflamma très vite : Snape ricana en déguerpissant, James se jeta sur Rosier pour défaire sa poigne des cheveux de Sirius, et Narcissa frappa Remus d'un sort dont il ne put se protéger. Il tomba à genoux, le nez saignant abondamment : « Cela ne changera que peu de chose à ta face d'imposteur ! Rentre chez toi, tu ne mérites pas d'être ici ! ». Sirius frappa son cousin d'un coup de genou bien placé. Une bagarre à la moldue éclata. Vingt points furent ôtés à chaque maison. McGonagall passa une soufflante à ses élèves, Remus en profita pour lui signaler ensuite, en privé, qu'il soupçonnait Narcissa d'en savoir un peu trop sur son imposture. Sa directrice lui assura qu'elle ferait tout ce qu'il faudrait et le remit en garde contre l'impulsivité de ses camarades.
Cela ne l'empêcha pas de se cacher avec eux derrière le tableau de l'Ichtyo Sapiens, dans le couloir des Serpentard, quand sonna la fin de l'étude. Quasiment tous les élèves descendaient ranger leurs affaires avant le dîner, Sirius grimaça à l'attitude affétée de sa cousine, à celle arrogante de Rosier. Tous les deux trébuchèrent sous le coup de crocs-en-jambe, au milieu de leur cour, avec des cris qui les discréditèrent pour quelques temps. Quelques minutes plus tard, une série de pétards éclata sur les talons de Snape qui glapit en détalant d'un pas maladroit. Les trois amis échangèrent un mouvement de mains victorieuses, le plus silencieusement possible, tandis que les Serpentard sillonnaient le couloir, espérant débusquer les fautifs : « Ils n'ont pas pu se cacher bien loin ! Je suis certain que c'est cette raclure de Sirius, avec ses camarades dégénérés...
- Ils ne perdent rien pour attendre... »
Remus serra les poignets de ses amis pour leur intimer de rester cachés, bien que le même sang furieux pulsât dans ses propres artères. Peu à peu, ils furent réconfortés par la confusion et le dépit de leurs adversaires.
« Bravo, bravo, vraiment, se félicita James quand les Serpentard furent remontés, jamais nous n'avions aussi bien réussi un mauvais coup !
- Méfions-nous avant de sortir. » murmura Remus qui scrutait encore le couloir.
Ils s'étirèrent et cherchèrent des positions plus confortables.
« Je me demande s'il existe un sortilège qui permette de savoir si quelqu'un s'approche... Je verrais bien un sonar, comme les dauphins ou les chauves-souris !
- Excellente idée ! on ira chercher ça dès demain... Et ensuite, on fera vivre l'enfer aux Cancrelard !
- Doucement, Sirius...
- Quoi, pourquoi ? »
Il avait réagi si brusquement que Remus en fut un peu effrayé.
« Tu les as entendus, ils vont riposter, ça va devenir invivable. C'est ça que tu veux ? Aller d'attaque en attaque ?
- Non, un jour on les écrasera. C'est comme ça que ça marche !
- Pas forcément !
- Tu proposes quoi ? Elle t'a traité d'imposteur ! Comment tu peux supporter ça, tu n'as pas de fierté ? En plus, tu es à moitié sorcier ! Ça n'a aucun sens ! »
Une bouffée déstabilisante agitait les nerfs de Sirius qui n'avait eu envie que de se réjouir mais frémissait maintenant sous le regard contrarié de son ami.
« On s'en fout de mes origines !
- Pas eux !
- Je vais travailler et leur montrer qu'ils se trompent. Dumbledore me donne raison !
- Ouais, tu parles... ça ne les fera ni taire, ni changer d'avis.
- Leur casser le nez, ça leur fera changer d'avis ?
- Ça les tiendra à distance. »
Remus haussa les épaules et soupira. À distance, oui, jusqu'à la contre-attaque suivante, mais il n'avait plus envie d'argumenter parce que leurs répliques tournaient en rond aussi, et que la tension dispersait ses odeurs de métal dans leur cachette exiguë. Il remua un peu les jambes pour les croiser en tailleurs. Sirius tendit la sienne et colla son pied contre le mur, près de de son genou. Ses yeux argentés transperçaient les ténèbres. Je sais que tu détestes ta famille, mais ne fais pas de moi ton faire-valoir, tu n'as aucune idée
« C'est mon affaire » murmura Remus.
des cauchemars qui sinuent sous ma peau quand ton genou cogne le mien dans ta nervosité, comme pour poser les questions que je te refuse.
« Bon, on a une demie heure à tuer. Tiens-nous éveillés, James !
- Vous connaissez la devinette des mille Aurors ? »
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