Eté 1971 : une leçon
Un jour...
« Dépêche-toi !
- Pourquoi se dépêcher ? geignit James. La vie n'a plus aucun sens. »
Il était trop déprimé pour demander à Sirius la raison de son empressement.
« Histoire de la Magie, le lundi matin, qui ? Qui peut se montrer si cruel ? En plus, on est encore avec les Serpentard. »
James enfouit la tête dans ses bras, prêt à se rendormir. Sirius soupira, gratta le bois de son pupitre, le plus proche de la porte. Bientôt entrèrent d'autres élèves, guère plus réjouis. Remus passa entre les rangs à la recherche d'une table. Sans lui jeter l'ombre d'un regard, Sirius l'attrapa par la manche et le fit asseoir sur son banc. L'air de rien, les yeux également tournés vers le tableau, Remus sourit.
« Il y a une place pour Peter ?
- C'est qui Peter ?
- ... Un de nos camarades de chambre.
- ... ?
- Pettigrow ? »
Sirius soupira et se déhancha pour donner un coup de fesse à James qui traîna son visage éploré sur la table afin de libérer une place. Les trois étudiants partagèrent un petit silence.
« Qu'est-ce qui arrive à James ? murmura Remus, toujours tourné vers le tableau, le visage à peine incliné vers son voisin. Je veux dire, à part le fait qu'on soit lundi matin, huit heures, dans la salle de Binns ?
- Ce qui est déjà pas mal, marmonna Sirius.
- Mes rêves de gloire se sont cassé la gueule, gémit James.
- Une semaine après la rentrée ? Tu espérais être diplômé sans passer d'examens ou quelque chose comme ça ?
- Je voulais être le plus jeune attrapeur de toute l'histoire mondiale de la sorcellerie.
- Et le pauvre n'a été retenu que pour être poursuiveur... soupira Sirius.
- Attends, tu veux dire que tu es dans l'équipe ? Je pensais qu'il fallait être au moins en troisième année pour y entrer !
- Aha ! jubila Sirius. Tu as bien entendu, James ? Non, parce que je n'arrête pas de le lui dire, il ne m'écoute pas !
- Bravo James ! » sourit Remus tandis que Peter prenait place près de lui, juste avant que Binns ne traversât le tableau, se posât sur sa chaise, fermât les yeux, et commençât à débiter son cours en se balançant régulièrement d'avant en arrière, dans un irrésistible mouvement hypnotique : « Les principaux documents sur la magie antique consistent en papyrus magiques, en tablettes de malédiction et en amulettes...».
Au bout de quinze minutes, seul Remus écoutait encore, en dessinant d'étranges schémas sur son parchemin.
« Qu'est-ce que c'est ? » chuchota Sirius, détourné de sa partie de morpions sorcier avec James. Il lut parmi ses notes le nom de « gobelins » à côté de l'inscription : « Daktylès ? », des flèches et des noms divers, hâtivement griffonnés.
Des noms qu'il ne connaissait pas.
« Oh, rien que... Des pensées, des liens. Une théorie, peut-être, balbutia le sorcier, emmêlé parmi les idées qui fusaient dans sa tête.
- Théorie ?
- Tu connais l'histoire d'Ulysse ?
- Peut-être. C'est un conte ?
- Pas vraiment. C'est une épopée, un récit mythologique. »
Sirius haussa les sourcils, dubitatif.
« Hein ? Mythologique ?
- C'est un mot moldu qui désigne des récits magiques, mais ce ne sont pas des contes... enfin... Ils mettent en scène des divinités pour animer l'inexplicable. C'est difficile à définir...
- Attends, tu es né moldu ?
- Ma mère est moldue.
- Oh ! Ça se voit pas, j'aurais pas deviné !
- Je... »
Remus se tut. La formule maladroite de Sirius l'avait mis sur la défensive sans qu'il ne saisît pourquoi. Mais son esprit s'agitait. Il demanda, le cœur battant :
« Vous ne racontez pas d'épopées chez les sorciers ? »
A présent qu'il y songeait, c'était toujours sa mère qui lisait et racontait des histoires à la maison.
« On a des contes. Et l'Histoire de la Magie. Je ne vois pas ce que c'est, une divinité, répondit Sirius avec mépris.
- Des romans ?
- Pardon ?
- De la poésie ? »
Remus avait été surpris de ne recevoir que des cours de pratique à Poudlard, il s'était attendu à poursuivre une éducation artistique et littéraire. Il avait là la confirmation que les arts étaient peu explorés chez les sorciers. Les quelques œuvres de musique et littérature qu'il connaissait ne servaient que leur histoire : portraits officiels, légendes, hymnes et incantations. Cela signifiait-il qu'ils en avaient moins besoin ? Quand sa mère lui racontait des histoires, elle lui rappelait souvent : « Ce n'est pas parce que ce n'est pas réel que ce n'est pas vrai. » Puisque les moldus connaissaient Circé, Merlin et Baba Yaga, ils avaient donc pressenti, d'une façon ou d'une autre, la présence de la magie derrière ce que la science tenait d'occulter – ou de s'approprier. Cela signifiait peut-être que les moldus percevaient cette réalité, même s'ils étaient empêchés de l'éprouver, peut-être que l'imagination avait dû prendre le pas sur cette puissance dont ils étaient privés ? Les moldus avaient la mythologie pour approcher la magie, la poésie pour l'évoquer, la technologie pour l'imiter et la musique pour la sentir.
Mais... Les arts ne serviraient-ils donc qu'à s'approcher de la magie ?
Ses pensées furent interrompues par la tête de Peter qui roulait sur son épaule. Il rit tandis que Sirius tendait le bras derrière son dos pour piquer le flanc du paresseux avec la pointe de sa plume. Pettigrow bondit en s'écriant : « Non, je ne veux pas de Gargouille pour mon anniversaire ! » La classe éclata de rire. L'imperturbable Binns poursuivit sa leçon et l'agitation s'évanouit bien vite, la torpeur quasi surnaturelle provoquée par le professeur avait repris son effet sur les élèves.
« Tu ne prends pas de notes ? demanda Remus à Sirius.
- Pas la peine, je connais déjà tout ça, frima son voisin. Je viens d'une famille de sorciers. »
La joue sur le poing, Remus haussa les sourcils, dubitatif, avec un sourire en coin.
« C'est vrai !
- Je n'ai rien dit ! »
Sirius soupira, recommença à gratter la table. Au bout d'un moment, il poussa doucement la main de Remus pour regarder la drôle de carte mentale qui s'étendait sur son parchemin. On eût dit une constellation.
Plus tard, il murmura :
« Je veux bien que tu me racontes cette histoire moldue, sinon je vais m'endormir... Je n'ai encore jamais rencontré magie plus puissante que la voix de Binns.
- Moi, si, sourit Remus. Le rire de James.
- Le rire de James. » acquiesça Sirius.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top