Eté 1971 : un rire
Un jour...
« Maman peut venir avec nous ?
- Bien sûr, nous passerons ensemble. Tu es prêt ? »
Lyall entoura la taille de son épouse d'un bras, accompagna de l'autre le chariot que son fils poussait de toutes ses forces et il entraîna sa famille droit dans la barrière entre les voies 9 et 10. Espérance et Remus durent lutter pour ne pas pousser une exclamation de surprise. Sur la voie 93/4, des sorciers déambulaient en robes chatoyantes, un hibou perché sur l'épaule, les valises enchantées se chargeaient d'elles-mêmes dans les wagons. Tout prêtait à être dévoré des yeux, mais la mère et le fils demeurèrent discrets et échangèrent un simple regard enthousiasmé, tandis que Lyall saluait quelque connaissance : « Ah Barthélémy ! C'est la rentrée de ta petite cadette aussi ?
- Ça va être fabuleux », murmura-t-elle en entourant Remus de ses bras.
Le train sifflait. Une petite bouffée d'anxiété traversa le garçon.
« Tu vas me manquer. Amuse-toi bien, étudie sérieusement.
- J'ai peur de ne pas savoir me faire d'amis.
- Tout ira bien, tu es curieux, drôle et si gentil ! Tu sauras t'en faire, je ne doute pas un seul instant de toi. Tout ira bien, j'en suis sûre.
- Nous sommes fiers de toi, ajouta Lyall en caressant la tête de son fils. Cette tignasse va me manquer. Profite bien de Poudlard, je t'en ai mal parlé, tu verras : ce sera encore mieux que ce que j'ai raconté. »
« Nous sommes fiers de vous. » murmura Walburga à l'oreille de son fils en le pinçant dans ses bras secs, brièvement et froidement, mais pour la première fois depuis bien longtemps. Les vacances au square Grimmaurd avaient été plus ténébreuses que les orages d'été. Orion Black travaillait beaucoup, son épouse ne supportait ni le désordre ni le bruit, les frères s'ennuyaient à crever et se provoquaient sans cesse. Leurs rares jeux finissaient toujours par dégénérer à tel point que, les derniers jours, un sourcil haussé, un coude sur la table, un éternuement furent prétexte à des sanctions démesurées.
Nous sommes fiers de vous
Les mots de sa mère se cognaient dans sa tête, dérangeaient la colère établie, faisaient vaciller les fortifications de sa révolte Bien sûr que ses parents étaient durs mais Sirius savait qu'ils faisaient ce qui leur semblait juste, que son père se consacrait au travail pour leur offrir le confort qu'ils méritaient, que leur éducation stricte leur réservait une place dans l'exigeant monde des sorciers. Sirius savait tout cela : ses parents n'avaient de cesse de le lui répéter mais pourquoi ce pincement d'inquiétude quand il avait fallu laisser Regulus seul sur le quai, pourquoi son cœur s'affolait pour quelques mots d'estime maternelle, pourquoi s'ennuyer dans le compartiment où il s'était enfermé avec ses cousins, pourquoi se rengorger d'être de l'illustre famille Black si c'est pour toujours s'ériger en rivaux les uns des autres ?
En début d'après-midi, Sirius estima s'être regardé pendant suffisamment longtemps en chiens de faïence avec Narcissa et se leva. « Où te rends-tu ?
- J'vais visiter. »
Il n'entendit pas la réplique de sa cousine. Maintenant que la plupart de ses occupants avaient trouvé une place où s'installer et que l'excitation du départ était retombée, le train était calme. Quelques préfets faisaient une ronde, quelques élèves attendaient avec impatience la venue du chariot de friandises. Le regard de Sirius parcourait les compartiments sans s'y attarder, il ne cherchait pas vraiment à s'enfermer de nouveau, juste à prendre un peu l'air et se mouvoir.
Il passait un compartiment quand quelque chose de familier tinta quelque part en lui. Une fraction de seconde plus tard, il réalisa qu'il venait de croiser ce garçon, rencontré chez Ollivander. Ses yeux d'or ambré avaient soutenu les siens pendant ce rien d'instant. Mais déjà son pas rapide l'en détachait et il n'osa ralentir ni faire demi-tour. Il cligna les paupières, un peu désemparé, un peu stupide aussi de ne s'être pas arrêté. D'avoir voulu s'arrêter.
Remus avait tourné la tête vers la fenêtre du couloir une demie seconde avant que ne passât ce garçon au crâne rasé et au regard pénétrant. Il avait surgi comme une apparition à la fenêtre. Voilà peut-être pourquoi son cœur bondit lorsqu'il le reconnut. Il lui sembla que ses yeux gris s'attardaient dans les siens malgré la brièveté de cet échange.
« Grenier, lut Ophélie sur la carte qu'elle venait de tirer, où est-ce que je peux la poser... ? »
Remus se retint de planter là ses camarades de jeu pour retrouver l'étranger. Il reporta son attention sur l'étrange manoir hanté qu'ils avaient construit avec les tuiles du jeu de sa camarade. Chaque carte représentait la pièce d'une maison hantée. Une fois posées, elles composaient une bâtisse de plusieurs étages, tout à fait hétéroclite, où leurs pions animés évoluaient au milieu d'hologrammes de meubles, aux effets plus ou moins prévisibles. La petite fille jouée par Ophélie dégringola d'une trappe du grenier jusqu'au lac souterrain. Les garçons essuyèrent les éclaboussures.
« Salle de jeux, lut Remus sur sa nouvelle tuile, votre personnage a toujours eu peur des regards de poupée... »
Un éclat de rire qui venait d'un peu plus loin dans le train, l'interrompit. C'était un rire terrible, une cascade aux notes sensationnelles, contagieux au point qu'à l'entendre seulement, Remus, Ophélie et Achille se prirent à pouffer sans raison.
« Alors ça, je suis sûr que c'est James... » commenta ce dernier.
C'était James.
Une seconde après qu'il eut croisé le regard de Remus, et encore tout songeur, Sirius sursauta : la porte qu'il passait s'ouvrait brusquement. « Ah GÉNIAL ! » entendit-il avant toute chose, avant d'apercevoir un sourire pétillant, des cheveux en bataille, une paire de lunettes rondes et des yeux d'un beau brun chaud. « Il nous manquait quelqu'un pour faire une partie de Ring Toss, tu viens ? » Dans le Ring Toss sorcier, les anneaux, animés d'une volonté propre, choisissaient régulièrement de s'échapper pour foncer au visage d'un joueur ou se percher dans un lieu inaccessible, tandis que les bâtons clamaient des chants de victoire cacophoniques à chaque succès.
On ne pouvait imaginer jeu plus inadapté à un voyage en train.
Sirius sentit donc ses lèvres s'étirer en un sourire plus large que jamais : « Et comment ! »
Une minute plus tard, debout sur sa banquette, en tee-shirt, les bras agités pour contrer une mutinerie d'anneaux, James riait aux éclats. Sirius était subjugué. Il n'avait jamais entendu un rire si franc, si communicatif, spontané comme celui d'un bébé. Jamais on ne riait aux éclats chez les Black. Alors ce rire-là ! Il lui sembla qu'il n'en aurait jamais assez. « Attention ! » Sirius frappa du poing un anneau qui se retourna contre James. Le jeune homme se baissa, mais le jouet rebondit sur la paroi et s'échappa par la fenêtre. « Nooooon » s'écria-t-il encore en tendant désespérément le bras dehors pendant que Sirius le retenait dramatiquement de l'autre.
« Les gars... Les gars... » appelait Paul.
James et Sirius se retournèrent vers une préfète à la mine sévère :
« C'est vous qui faites tout ce bazar ?
- Quel bazar ? demanda un James rouge, échevelé, débraillé et conséquemment très peu crédible.
- Celui qu'on entend du bout du couloir !
- Alors c'est pas nous...
- Ne commence pas à mentir, toi ! Et d'ailleurs, assieds-toi correctement.
- ... Si c'était nous, on nous entendrait au bout du train ! »
James poussa un nouveau rire enchanteur. Même la préfète dut pincer les lèvres.
« Nom, maison et année ?
- James Potter, première année, enchanté.
- Paul Scott, Poufsouffle, deuxième année.
- Ali Hassan, Poufsouffle, deuxième année.
- Sirius Black, première année.
- Première année, c'est du propre ! Vous avez envie d'être punis avant même d'avoir franchi les portes de Poulard ?! »
Sirius étant largement habitué à être puni avant même d'avoir commis la bêtise à laquelle il pensait, la menace n'eût pas l'effet escompté.
« Il y a quel genre de punition à Poudlard ?
- Continue et tu le sauras très vite ! » soupira leur aînée en refermant la porte du compartiment, sans se douter qu'elle ne faisait qu'attiser la curiosité de son interlocuteur.
« Tu es un Black de la famille des Black ? demanda Ali. Je veux dire, Orion et Narcissa Black ?
- Le fils et le cousin, grimaça Sirius.
- Je pensais pas qu'on savait déconner chez les Black !
- N'en parlons pas, d'accord ? »
Leur excitation retomba. Ils commentèrent un moment le paysage par la fenêtre en partageant leurs dernières soucoupes au sucre pétillant. Sirius avait mal au ventre, et lorsque James rit à nouveau, il se rendit compte avec stupeur que c'était des courbatures de rire.
Quand le Choixpeau descendit sur ses yeux, Sirius ne savait plus où il en était, égaré entre Regulus tout seul sur le quai, ce « nous sommes fiers de toi » dont il ne se remettait pas, le rire de James au bout du monde.
« Mais qui voilà ? Sirius Black le troisième ! Voilà la nouvelle génération, bienvenue, murmura le chapeau magique.
- C'est tout ce que vous voyez ? Un Black ? songea Sirius, les mains crispées sur les accoudoirs. Votre travail va être facile.
- Tiens. Tiens, tiens... ? Nous sommes fiers de vous.
- Ce n'est pas ce que je veux... laissa-t-il échapper de ses pensées. Vous devez déjà le savoir, n'est-ce pas ? Ne voyez-vous rien d'autre ?
- Tu t'engages dans un chemin dangereux, tu sais ? J'ai bien connu tes parents, ils sont redoutables.
- Je veux que quelque chose change.
- Je sens que cette génération va être des plus intéressantes... »
« GRYFFONDOR ! »
Sirius laissa éclore un sourire incrédule en s'installant à la table qui l'applaudissait non sans surprise. Voilà, alors ? Me voilà. Dans la file, James Potter lui adressa un signe de la main, ordonnant qu'il DEVAIT ABSOLUMENT lui réserver une place. Sirius hocha la tête, une certitude ancrée au cœur. Magda Carlyle, Lloyd Daguerre, Lily Evans furent répartis. Enfin la professeure McGonagall appela Remus Lupin et Sirius se détourna la conversation de sa tablée pour le suivre du regard. Il fallut très peu de temps au Choixpeau pour lui attribuer une place chez les Gryffondor. Remus – il pouvait le nommer désormais – leva les yeux vers lui en avançant vers la table. Ils luisaient de la même surprise réjouie et timide. Mais avant que l'un ou l'autre n'eût pris la décision de sourire, le nouveau venu fut interpellé par un préfet qui lui proposait un siège. Et enfin, après une attente interminable, James Potter s'écrasa à côté de Sirius, marmonna : « Encore toi ? » et éclata de son rire magique, qui couvrait largement l'hymne de Poudlard.
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