Eté 1971 : un regard



Un jour...


Le matin du 26 juin, le soleil trouva Remus tel qu'il l'avait laissé en se couchant : les yeux ouverts. Il n'avait pas dormi, le cœur gonflé par une hâte insoutenable si elle n'avait été si agréable. Les rayons perçaient enfin à travers ses rideaux et scellaient la fin de cette trop longue nuit animée de fabuleuses rêveries.

Il fit une toilette rapide, prépara le thé et des toasts, impatient que ses parents se levassent mais la maison demeurait obstinément silencieuse, l'effrontée. Il emporta sa tasse dans le jardin, pieds nus dans l'herbe, inondés de rosée. Quelques oiseaux sifflaient ; Remus eût aimé pouvoir chanter comme eux. Sa joie à lui propulsait de petites larmes d'excitation au coin de ses yeux et un sourire frémissant sur ses lèvres. Son thé terminé, il jugea l'heure suffisamment décente pour allumer le tourne-disque de sa mère et y poser un vinyle de Benny Goodman. Lorsque Lyall descendit, il surprit son fils en train de danser les yeux fermés, au milieu du salon ; les plants des pots et les fleurs des vases s'agitaient en rythme pour l'accompagner. Remus ne découvrit son public que lorsque la chanson s'acheva et il rougit en voyant son père agiter les mains à la manière des fleurs pour l'applaudir. Il se précipita dans ses bras ouverts pour dissimuler sa gêne.

« Êtes-vous bien certain d'avoir besoin d'une baguette magique, monsieur Lupin ? » rit-il en passant la main dans ses cheveux. Remus s'écria :

« Oh oui ! Tu m'as promis !

- Tant mieux, j'ai très hâte, moi aussi ! »

Lyall n'avait pas besoin d'ajouter une prière de remerciement à Merlin pour avoir offert à son enfant blessé d'arriver à ce jour, ni une pensée pour Dumbledore qui lui ouvrait les portes de son école : il savait que son fils en était déjà conscient. Si sa joie était si lumineuse, ce n'était pas qu'à l'idée de découvrir sa baguette mais aussi à celle, inespérée, de devenir enfin un sorcier comme tous les autres.

Bien qu'il fût interdit de l'utiliser avant la rentrée, Lyall avait choisi de l'emmener acheter sa baguette dès les premiers jours d'été afin d'éviter la foule qui se presserait à mesure que septembre approcherait. Remus avait déjà arpenté le Chemin de Traverse, il connaissait bien Fleury & Bott pour avoir en avoir exploré les rayons avec sa mère pendant que son père rendait un dossier au Ministère, était familier des étagères de l'apothicaire où il avait parfois fait des commissions sous l'œil prévenant de Lyall, il avait même déjà trempé ses lèvres dans la mousse d'une Bièreaubeurre que tenait une main maternelle, à l'abri des regards indiscrets ; mais aucune boutique, pas même celle des jouets magiques en tous genres, n'avait jamais exercé sur lui plus intense attraction que celle du vieil Ollivander. La vitrine sombre, l'étal poussiéreux, l'antique enseigne grinçante et illisible ne faisaient qu'attiser sa fascination, sans compter les regards conquis des acheteurs qui en sortaient, sourires satisfaits aux lèvres, comme touchés par une révélation inaccessible.

Lyall poussa la porte grinçante et Remus entra. Son impatience, touchée par la solennité du lieu, s'apaisa aussitôt. Des parfums de poussière et de parchemins anciens piquèrent son nez pendant que ses yeux ambrés apprivoisaient l'obscurité. Une voix douce, très basse, fit frémir ses oreilles et ses épaules. « Le jeune Lupin, voyez-vous ça... Était-on si pressé jeune homme ? La rentrée n'est que dans deux mois... Je vois, je vois... » ajouta-t-il avant que Lyall n'eût pu expliquer quoi que ce fût et Remus, un peu sceptique, se demanda s'il voyait vraiment ou s'il lui importait peu de savoir. Ollivander saisit son bras d'une poigne sèche et le fit monter sur un petit marchepied. « Déjà grand, solide, pour votre âge... Vif, également. » murmura-t-il en prenant ses mesures. Le jeune garçon retint son souffle quand le vieillard souleva sa manche mais ce dernier, indifférent, lui présentait déjà une baguette à laquelle les années de séchage n'avaient pas ôté le capiteux parfum de sève : « Il vous faut une baguette de caractère : bois d'if, ventricule de dragon, trente-deux centimètres et demi » Une désagréable sensation de picotement fusa le long du bras de Remus et la baguette lui sauta presque des mains. « Nerveuse, trop nerveuse pour vous, je suppose... Essayez donc celle-ci : ventricule sur bois de chêne, vingt-neuf centimètres. » Elle s'avéra trop pesante. Après un instant de réflexion, Ollivander ouvrit une nouvelle boîte. Remus tendit la main. Une sensation de paix lui déferla dans l'esprit avant même qu'il n'eût effleuré l'instrument.

C'était son odeur.

« Crin de licorne et bois de...

- Cyprès » murmura-t-il en même temps.

C'était l'été, en bord de mer, qu'il avait passé avec ses parents, celui de ses cinq ans dont les sensations oubliées lui revenaient en mémoire dans le sillage des effluves. Une gerbe d'étincelles blanches illumina Lyall vers qui Remus avait dirigé sa baguette. Le père souriait, le fils était aux anges. La porte grinça.

« Oh ! Vous êtes occupé. »

Walburga Black ne put retenir une moue de déception. Il lui incommodait déjà de devoir se déplacer puisque l'artisan ne pouvait vendre ses baguettes à domicile, mais elle avait espéré qu'en ce mois de juin, elle n'eût à partager ses disponibilités.

« Chère Dame Black, quel honneur de vous retrouver... Permettez que je termine avec le jeune Lupin, ici présent. Sa baguette vient tout juste de l'élire, il ne me reste qu'à l'emballer.

- Faites donc » se résigna Walburga en laissant entrer son fils, un sorcier que le soleil de juin n'avait visiblement pas encore embrassé et dont la désinvolture masquait mal l'élégance naturelle. Des mèches d'un noir d'encre s'échappaient de la raie gominée qui avait été sévèrement tracée dans ses cheveux et, en dessous, ses pupilles grises rencontrèrent, par un curieux magnétisme, instantanément et sans hésiter, celles de Remus. Un choc silencieux et immobile les stupéfia tous les deux durant une seconde entière.

Puis Walburga soupira ostensiblement et son fils la maudit sans retenue, par la pensée. Sirius cligna des yeux, Remus était descendu du marchepied et rejoignait lentement son père au comptoir. La transaction terminée, Lyall passa une main dans le dos de son enfant pour l'entraîner vers la sortie, saluant au passage Walburga sans recevoir de réponse de sa part. Remus osa lever de nouveau les yeux vers le jeune inconnu qui tourna légèrement la tête pour prolonger ce regard avant d'être appelé par un « À nous ! » autoritaire et maternel. Ce n'était pas exactement la révélation qu'il s'imaginait, pas celle qu'on lui avait promise lorsqu'il passerait le seuil de cette boutique, mais Sirius choisit d'accepter cette surprise et il s'avança vers Ollivander avec résolution.

« Voici donc le jeune héritier, je vois, je vois... murmura-t-il d'un ton doucereux qui irrita le jeune garçon. Combien de baguettes n'ai-je pas vendues à cette famille ? oui, oui... Essayons celle-ci, ventricule de dragon sur bois de saule, vingt-huit centimètres, la même composition que celle de votre mè... »

Il fut interrompu par un boulet d'étincelles rouges qui percuta le comptoir, et ôta prudemment la baguette de ses mains.

« Manifestement... Non.

- Quelle surprise... grinça Dame Black.

- Alors..., marmonna l'artisan en lui en proposant une seconde, bois d'acajou, crin de licorne, vingt-neuf centimètres et demi ».

Elle était plus agréable à la main de Sirius, mais ne lui répondait pas.

« Acajou, phénix, trente centimètres, non, attendez... essayez-la en trente-et-un. »

Sirius refoula un sourire avant même d'avoir effleuré la baguette. Sa chaleur irradiait dans sa paume comme une promesse, comme un mystère à dévoiler. Il comprit instantanément les sorciers qui employaient le terme de « rencontre » pour désigner l'acquisition d'une baguette, cette euphorie inexplicable. Sa puissance se déversait dans tout son corps, comme pour le compléter enfin. Il la fit tournoyer au-dessus de sa tête et des étincelles tombèrent en pluie d'or pâle sur un éclat de rire, un seul.

« Merlin tout puissant, Sirius ! Veuillez contenir vos insupportables aboiements ! »

Il n'était pas loin de midi lorsqu'ils sortirent de la boutique. Walburga Black s'abrita aussitôt sous son ombrelle et saisit le bras de son fils pour le conduire d'un pas vif chez Gringotts où ils rentreraient chez eux par cheminette. Sirius eût volontiers flâné dans les boutiques de jeux ou même à la librairie, mais c'était inconcevable. Le soleil rêveur de juin n'était pas pour les Black. Sa mère préférait parader dans le hall frais et fastueux de la banque, saluant quelques gobelins par leur nom, en snobant d'autres, pour asseoir il ne savait quel pouvoir. Elle s'entretint un moment avec Gaerygs, conseiller de la famille, pendant que Sirius rongeait son frein, les cheveux de nouveau disciplinés par une main d'acier. Il tenta un moment de s'intéresser à leur conversation mais leur langage double et dissimulé lui était incompréhensible. Se faire respecter voire craindre des gobelins, comme le prônaient les Black, était un art subtil et, qualifié de « simple » par ses parents, l'esprit du jeune garçon était surtout trop honnête et trop peu calculateur pour ces faux-semblants.

Enfin il atterrit dans l'Effroyable et Insupportable Manoir des Black. Son père lui demanda à peine la composition de sa baguette et grimaça à peine en entendant la réponse avant de le congédier dans sa chambre. Son instrument confiné jusqu'à la rentrée, Sirius ne pouvait même pas éprouver de nouveau cette sensation exaltante, le souvenir des mystères de cette boutique ; ne restaient que

Ces yeux

Il s'assit sur son lit, rêva un moment, puis s'amusa à dessiner par dessus des personnages de livres animés qui grimaçaient et tentaient de sortir de leur cadre lorsqu'il déformait leurs traits ou les habillait de costumes ridicules. Son frère entra sans frapper.

« Te gêne pas ! siffla Sirius.

- Langage ! riposta le cadet en s'asseyant sur sa chaise de bureau. Alors ? Me montreras-tu ta baguette ?

- Bien sûr que non ! Tu sais bien que je n'ai pas le droit de l'utiliser.

- Je suis certain que nos parents me la laisseront quand je serai allé quérir la mienne. Ils m'accordent leur confiance.

- C'est illégal.

- Depuis quand te soucies-tu de la loi ?

- Moi ? Jamais. Eux, si.

- Qu'importe », continua Regulus dans le même langage affecté et horripilant.

Sirius leva les yeux au ciel, recommença à griffonner en espérant que son frère quittât bientôt les lieux, mais sans prendre la peine de le chasser. Regulus tripota quelques affaires sur son bureau, et soupira, ennuyé :

« De quoi est-elle composée ?

- Acajou. Phénix. Trente et un centimètres.

- T'a-t-il fallu du temps pour la trouver ?

- Elle m'a trouvée. Mais non, pas tellement.

- Père était déçu.

- Je sais.

- J'espère que j'aurai une baguette de dragon.

- Je sais ! T'arrêtes pas de le répéter. T'as encore deux ans à attendre, arrête d'y penser. »

Regulus baissa les yeux : « Je sais. »

Sirius soupira. Aussi envahissant qu'influençable, son frère était en somme insupportable et il ne comprenait comment ses parents pouvaient traiter leur aîné de chien perdu quand ils avaient un cadet plus souple qu'une serpillière. Regulus encaissait de plein fouet leurs espoirs déçus. En dépit de cela, Sirius était incapable de le considérer comme un rival. Il se sentait responsable de la charge qui tombait sur ses épaules en même temps qu'il avait envie de secouer son frère et de l'entraîner dans son indocilité. Mais Regulus en était incapable. Et Sirius appréhendait ce qui se passerait sitôt qu'il serait enfermé en sécurité dans le pensionnat de Poudlard, loin de cette petite âme si malléable.

« Veux-tu jouer un moment avec moi ?

- On fait des passes ? proposa Sirius en roulant déjà un parchemin.

- Je préférerais un jeu de cartes. Père a demandé du calme et Kreattur est d'une humeur massacrante aujourd'hui.

- Bataille explosive, alors ? »

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